1L’idée que les parents consacreraient moins de temps à leurs enfants est aussi répandue que celle selon laquelle les enfants quitteraient le domicile parental de plus en plus tard. Cette dernière a eu tendance à être remise en cause : ce serait avant tout l’accès à un logement qui ne soit pas financé par les parents qui aurait été retardé plutôt que l’âge au premier départ [Villeneuve-Gokalp, 2000]. La croyance au sujet de l’évolution de l’investissement en temps des parents auprès de leurs jeunes enfants paraît encore plus nettement démentie par les faits.
2Dans un récent essai consacré aux baby-boomers et aux rapports entre générations, David Willetts [2010] présente des résultats suggérant une nette augmentation depuis les années 1970 du temps consacré aux jeunes enfants par leurs parents. S’appuyant sur les enquêtes emploi du temps du Royaume-Uni pour les années 1974-1975 et 2000-2004, il s’intéresse plus particulièrement aux couples ayant un enfant de moins de cinq ans. Entre les deux périodes, le temps moyen dévolu aux enfants est passé de 73 à 151 minutes par jour pour les femmes et de 17 à 63 minutes pour les hommes. L’augmentation moyenne s’élève ainsi à 14,5 heures par semaine, soit l’équivalent d’un mois complet (24 heures sur 24) pendant une année.
3Parmi les femmes très diplômées (au-delà du A-level, l’équivalent du baccalauréat), les mères actives (working mother) consacrent à leurs enfants près de deux fois plus de temps que les mères inactives des années 1970 (162 minutes contre 96). Les femmes actives diplômées ont notamment dégagé ce temps supplémentaire sur la préparation des repas (44 minutes de moins) et les tâches ménagères (21 minutes) : on peut y voir un effet conjugué de l’équipement en appareils électroménagers et de l’évolution des produits alimentaires consommés (effet « micro-onde »). Mais leur temps de loisirs (« relaxation/hobbies ») a également été amputé d’une demi-heure par jour.
4Le niveau d’éducation semble avoir un effet déterminant sur le temps consacré aux enfants. Dans les années 1970, les mères les moins éduquées (arrêt de la scolarisation avant 16 ans) et inactives consacraient plus de temps (73 minutes) à leurs enfants que les mères actives, que celles-ci soient diplômées (58 minutes) ou non (31 minutes). Selon David Willetts, on observerait désormais un phénomène nettement inverse.
5Ces mesures sont toutefois extrêmement sensibles aux catégories retenues. La mesure des activités considérées comme destinées aux enfants peut changer de façon importante selon les choix de codification statistique et selon les représentations des personnes enquêtées (d’où la focalisation sur les jeunes enfants pour limiter les ambiguïtés). En particulier, de nombreuses activités sont effectuées simultanément par les parents (par exemple, garde de l’enfant pendant la préparation du repas). Elles ne sont pas toutes comptabilisées si seule l’activité principale est retenue. Enfin, il faudrait également tenir compte de l’effet des nombreuses évolutions intervenues durant la période sur la structure familiale (essor des familles monoparentales), les conditions d’emploi (augmentation de l’activité féminine, des temps partiels) ainsi que l’âge des parents (qui a tendance à augmenter), le recours à différents modes de prise en charge (par exemple par les grands-parents), etc.
6Si toutes les conclusions de David Willetts ne sont pas partagées par d’autres travaux, l’augmentation générale du temps consacré aux jeunes enfants est un phénomène largement observé. Anne Gauthier et al. [2004] ont ainsi mis en évidence cette tendance générale entre 1960 et 2000 à partir d’une sélection de 16 pays industrialisés présents dans la base harmonisée dite « Multinational Time Use Study » (qui est également celle mobilisée plus récemment par Willetts pour le Royaume-Uni). Sur cette période, l’augmentation globale s’échelonne d’une heure par jour pour les hommes employés à temps plein à 1,8 heure pour les femmes inactives. Travaillant également sur les parents ayant au moins un enfant de moins de cinq ans, ils notent que le temps consacré à chaque enfant a augmenté d’autant plus que la fécondité a diminué entre les deux périodes.
Par conséquent, l’investissement en temps des parents auprès de leurs jeunes enfants a fortement augmenté au cours des quarante dernières années. Il conviendrait d’aller plus loin dans l’analyse en distinguant le type d’activité effectué avec l’enfant, et en observant ce qui se passe pour les enfants plus âgés. On peut cependant noter que l’augmentation de l’activité des femmes s’est doublée d’un accroissement du temps consacré aux jeunes enfants. En dépit d’une participation accrue des hommes, cette charge demeure majoritairement assurée par les femmes. Une étude récente menée en France [Régnier-Loilier, 2009] a d’ailleurs mis en évidence l’augmentation des inégalités dans la répartition des tâches domestiques suite à la naissance d’un enfant.