1Le transfert de technologie est le processus par lequel une technologie, une connaissance ou un savoir-faire (matériel, logiciel, organisationnel, etc.) mis au point par l’une des parties prenantes à un projet ou à un accord parvient à l’autre. Le transfert a une particularité par rapport à la cession de licence : il s’agit de la communication d’un savoir-faire adapté au contexte de l’acquéreur. Cette précision est d’importance dans le cas des transferts vers les pays du Sud, puisqu’elle est au cœur des débats actuels sur l’effectivité des transferts.
2Principe et fonctionnement
3Avec la création d’un équivalent-prix de l’émission de carbone et l’instauration d’un nouveau marché, le protocole de Kyoto a rendu possibles des transferts de technologies vertes visant à instaurer un développement durable dans les pays du Sud. Il s’agit des « instruments de flexibilité » : les projets de mise en œuvre conjointe (MOC) et les mécanismes de développement propre (MDP). Ils constituent une voie intermédiaire entre les mesures réglementaires voulues par la France et les instruments de marché, préférés par les pays anglo-saxons. Les MOC donnent la possibilité aux pays industriels signataires de Kyoto et aux entreprises occidentales d’acquérir des crédits d’émission en finançant des projets dans d’autres pays développés où le coût de réduction d’émission est inférieur (comme par exemple en Ukraine pour les membres de l’UE). Les MDP sont également basés sur la différence de coût de réduction, mais cette fois entre pays développés et pays en développement. Un pays du Nord finance un projet dans un pays du Sud et rapatrie la valeur financière des réductions d’émissions libellée en unités de réduction certifiée des émissions (URCE). Il a ensuite le choix entre utiliser ces URCE à domicile (en les comptant comme ses propres réductions) et les revendre sur le marché carbone. Par exemple, la coopération danoise au développement a financé au Burkina Faso un projet organisant la gestion locale de la forêt et de l’utilisation du bois tout en diffusant des panneaux photovoltaïques. Une économie de 1,5 million de tonnes d’émission de CO2 a été réalisée à un coût de réduction de 1,6 dollar par tonne. Les MDP offrent un compromis : ils permettent aux pays occidentaux de respecter leurs quotas de réduction d’émissions pour un coût plus bas qu’à domicile, en contrepartie de quoi ils financent le développement technologique des pays en développement (PED).
4Les MDP doivent être cohérents avec les besoins de développement des pays hôtes. Des institutions ont été mises en place pour encadrer et aider les projets de MDP, essentiellement portés par le secteur privé, en stimulant l’investissement des entreprises. Parmi elles, le fonds prototype carbone (FPC) prend en charge les surcoûts additionnels, afin de réduire les émissions et de promouvoir les transferts vers les PED.
5Obstacles rencontrés
6L’effectivité des transferts fait débat. À la conférence de Bali en 2007, les pays du Sud ont accusé ceux du Nord de leur imposer indirectement des restrictions d’émissions sans leur fournir la technologie nécessaire : soit la technologie importée par les projets est inadaptée à leur besoin, soit elle reste sous le contrôle des entreprises occidentales. Dénaturés, les MDP tendent à être plutôt un prêt de capital qu’un réel transfert de connaissances. Les pays du Nord ont brandi l’argument de la propriété intellectuelle et du manque de réglementations dans les PED. D’après une étude économétrique [Dechezleprêtre et al., 2007], seuls 44 % des projets MDP donnent lieu à un transfert effectif. Le GIEC met en évidence un certain nombre d’obstacles à la diffusion des technologies vertes dans les PED :
- la tarification n’y tient pas toujours compte des coûts ;
- le secteur financier y est souvent sous-développé ;
- le prix des énergies classiques y est souvent faible voire subventionné dans certains pays riches en matières premières ;
- il y manque des cadres juridiques et institutionnels (protection de la propriété intellectuelle) ainsi que du capital humain ;
- enfin, la détermination des besoins spécifiques des PED reste insuffisante.
7Le groupe des PED n’est pas homogène. Des différences structurelles existent, et elles ont tendance à être accentuées par les MDP. Comme cela a été dit à Bali en 2007, les crédits sont très inégalement répartis : l’Asie concentre 67 % des crédits, l’Amérique latine 28 % et l’Afrique 5 %. 80 % des crédits prévus par an sont produits par seulement 10 pays (parmi lesquels l’Inde, la Chine, le Brésil, la Corée, le Vietnam et le Chili). Peut-être est-ce parce que l’Afrique ne paraît pas être un grand émetteur de gaz à effet de serre par rapport à d’autres pays comme l’Inde et la Chine, qui représentent respectivement 23 % et 11 % des capacités de réduction. La même étude économétrique a mis à jour la forte hétérogénéité de la propension à bénéficier d’un transfert : 59 % des projets donnent lieu à un transfert en Chine, contre 12 % en Inde.
8Quelle gouvernance ?
9Les procédures actuelles d’élaboration, de financement et d’application des projets sont uniformes : elles ignorent les particularités de développement de chaque pays. Cela risque de réduire les projets de MDP à de simples outils de financement à moindre coût pour les pays du Nord, évacuant la dimension de développement durable [Faucheux et Joumni, 2005]. Un déséquilibre entre le Nord et le Sud s’est donc creusé en lieu et place du compromis équitable initial. En conséquence, les modèles actuels de gouvernance des projets sont remis en cause. Le modèle bilatéral (coopération entre l’hôte et l’investisseur privé) exclut les pays qui en raison de leur faible capacité de réduction n’intéressent pas les entreprises, au profit de la Chine et l’Inde. Le modèle multilatéral (constitution d’un fonds, type FPC) sépare les investisseurs des parties mettant en œuvre le projet. Les PED réclament à l’inverse un modèle unilatéral, expérimenté par exemple au Mexique, dans lequel le pays hôte élabore un projet compatible avec ses impératifs socio-économiques puis le propose aux investisseurs des pays industrialisés. Cependant une fois encore, cette approche risque d’exclure les pays les moins avancés ne disposant pas des d’institutions, des techniques, et du capital humain suffisants. La gouvernance à la fois la plus équitable et la plus efficace pour tous est donc très difficile à trouver.
10Afin de sortir des flux Nord-Sud controversés, des transferts Sud-Sud se mettent en place, à l’image de l’entreprise indienne ITRI Environnement qui développe aujourd’hui des technologies propres au Maroc et en Afrique de l’Ouest. Ce qui semble faire son succès est l’adaptation de ses produits aux besoins africains, ce qui justement semblait manquer aux MDP.