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Privatisations et libéralisations : fondements, enjeux, bilan

1Principale transformation des services publics en réseau depuis 25 ans, les privatisations se justifient économiquement quand les défaillances de la gestion publique l’emportent sur les défaillances du marché, ou quand les évolutions économiques remettent en cause la prise en charge par l’État des monopoles naturels [■ p.90]. On a ainsi assisté depuis les années 1980 à un grand nombre d’ouvertures de capital (totales ou partielles) d’entreprises publiques, ce qui ne signifie pas que l’État, qui contrôle encore 1 143 entreprises, se soit désengagé de l’économie [■ p.108]. Le coup d’envoi de ce mouvement fut donné par Margaret Thatcher au Royaume-Uni à la fin des années 1970, bientôt rejointe par Ronald Reagan, pour qui « le gouvernement n’est pas la solution de notre problème... Le gouvernement est notre problème ».

2Près de trente ans après l’arrivée au pouvoir de la Dame de fer, et 20 ans après le début des privatisations en France, quel bilan peut-on faire de la déréglementation ? Les gains en termes d’efficacité dépendent largement de la qualité de la régulation mise en place par l’État, activité complexe et de long terme : quand un monopole privé remplace un monopole public, le consommateur y gagne rarement au compte. Dans certains secteurs, comme le transport aérien et les télécommunications, les privatisations ont été un succès. Dans d’autres, comme l’eau et l’électricité en Californie, les prix ont augmenté [? p.118]. Dans ce contexte, l’ouverture à la concurrence du secteur de l’électricité en France suscite des inquiétudes légitimes au regard des expériences étrangères.

Le service public s’oppose-t-il au marché ?

3Il y a eu pire que des hausses de prix : certaines privatisations ont été de véritables fiascos. L’état de délabrement spectaculaire dans lequel se sont progressivement trouvés les chemins de fer anglais après avoir été privatisés en est une illustration typique. Ces échecs nourrissent l’opposition entre des services publics voués à incarner l’intérêt général et des marchés court-termistes et incontrôlables [? p.129]. On trouve cependant des exemples probants de complémentarité entre public et privé. Aux États-Unis (présentés souvent à tort comme un pays où tout serait fait par le privé), les laboratoires publics, qui travaillent avec des entreprises privées, déposent maintenant autant de brevets que les universités. En France, La Poste a créé avec succès la Banque postale, tout en continuant à assurer ses missions traditionnelles de service public, notamment ses services bancaires pour les plus défavorisés [? p.138]. On peut simplement regretter que la Commission européenne poursuive dans ce secteur son projet de libéralisation totale, qui supprimera à terme le mode de financement actuel du service universel, fragilisant les réseaux postaux nationaux sans les remplacer par un réseau européen [? p.148].

4Enfin, si l’on s’accorde souvent à dire que l’éducation n’est pas une marchandise, l’opposition entre services publics et marché camoufle ici les pratiques d’optimisation des mieux informés, qui dans le choix de leur formation se comportent comme des clients sur un marché. Il faut mettre à bas cette hypocrisie [? p.157]. Réguler le marché des cours particuliers, d’essence inégalitaire, serait déjà une bonne façon de commencer.

Au-delà de l’opposition public-privé

5La remise en cause des services publics au sortir des Trente Glorieuses ne se limite pas aux phénomènes de privatisations. Nombre de services publics ont aujourd’hui une gestion mixte, associant public et privé, sous forme de délégation, d’externalisation ou de partenariat. La gestion mixte du service public peut donner de bons résultats quand le cahier des charges fourni à l’opérateur privé est très bien défini [? p.168]. Mais les procédures par lesquelles les pouvoirs publics confient à des acteurs privés le soin de réaliser une mission de service public ne sont cependant pas sans faille. En outre, les expériences internationales nous apprennent que confier la gestion des chômeurs au privé n’a pas toujours donné de bons résultats, loin s’en faut [? p.178]. En Grande-Bretagne, le bilan de Tony Blair, qui a énormément investi dans les services publics mais en ayant très largement recours aux partenariats public-privé, est déjà contesté. La délégation de service public implique que l’État assure une concurrence effective dans les secteurs dont il se désengage [? p.191] et un contrôle du service, faute de quoi son prix peut augmenter. C’est ainsi que l’approvisionnement en eau potable et le traitement des eaux usées qui ont été confiés au privé en France restent encadrés par la puissance publique, ce qui n’a pas suffi à éviter certaines dérives.

Mis en ligne sur Cairn.info le 01/03/2008
https://doi.org/10.3917/rce.002.0087
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