1La construction européenne a considérablement bousculé le fonctionnement des services publics. Un double processus engagé à la fin des années 1980 par les instances communautaires est le moteur de ces transformations. Afin de mettre en œuvre l’Acte unique, entré en vigueur en 1987 dans l’objectif de construire un marché intérieur européen, la Commission européenne a initié une politique de libéralisation des services publics de réseaux (transports, énergie, poste, télécommunications) et une nouvelle politique de la concurrence, notamment dans les marchés publics. Concomitamment, la Cour de justice des communautés européennes a participé à ces transformations de façon considérable, notamment au regard de l’interprétation des Traités en matière de concurrence, d’aides d’État et d’affectation des échanges entre États membres. Petit à petit, tous les secteurs des activités de service public ont été affectés par ce processus, non seulement les services de réseaux (utilities), mais aussi les services locaux, les services de santé, les services sociaux....
2Trois démarches se poursuivent conjointement : une démarche politique se concrétisant dans les Traités, une démarche de libéralisation, secteur d’activité par secteur d’activité, via des textes législatifs, et une démarche jurisprudentielle assurée par la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) en fonction des affaires dont elle est saisie.
Les Traités et la démarche politique
3Le Traité de Rome ne comprend qu’une fois le terme de service public, appliqué aux transports par l’article 73 : « sont compatibles avec le Traité les aides (…) qui correspondent au remboursement de certaines servitudes inhérentes à la notion de service public. » Le concept de service d’intérêt économique général (SIEG) apparaît à l’article 86 qui soustrait les SIEG aux règles de concurrence lorsque l’application de celles-ci remet en cause « en droit ou en fait » l’accomplissement des missions d’intérêt économique général confiées aux entreprises.
4Le concept de service d’intérêt général (SIG) n’existe pas dans les Traités mais découle de la doctrine construite par la Commission dans les débats avec les parties intéressées et la société civile à partir du concept de SIEG.
5C’est le Traité d’Amsterdam (1er mai 1999) qui introduit positivement la notion de SIEG comme un élément dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale de l’Union, en disposant :
6« Sans préjudice des articles 73, 86 et 87, et eu égard à la place qu’occupent les services d’intérêt économique général parmi les valeurs communes de l’Union ainsi qu’au rôle qu’ils jouent dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale de l’Union, la Communauté et ses États membres, chacun dans les limites de ses compétences respectives et dans les limites du champ d’application du présent Traité, veillent à ce que ces services fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions qui leur permettent d’accomplir leurs missions. »
7La Charte des droits fondamentaux de l’Union, proclamée à Nice en décembre 2000, introduit des droits nouveaux, tels que l’accès aux services d’intérêt économique général dans son article 36 qui stipule :
8« L’Union reconnaît et respecte l’accès aux services d’intérêt économique général tel qu’il est prévu par les législations et pratiques nationales, conformément à la Constitution afin de promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l’Union. »
9Ceci ouvre ainsi la voie à la garantie effective des droits fondamentaux par des services d’intérêt général.
10Parallèlement, la Commission reconnaît dans le Livre blanc sur les services d’intérêt général en mai 2004, qu’en vertu du paragraphe 2 de l’article 86, « l’accomplissement effectif d’une mission d’intérêt général prévaut en cas de tension sur l’application des règles du Traité », de la concurrence et du marché intérieur en l’occurrence. Ce faisant, elle renverse sa logique antérieure qui plaçait les SIEG en situation d’exception dans l’application de ces politiques.
11Le Traité constitutionnel, qui a été rejeté par la France et les Pays-Bas, faisait un pas supplémentaire vers la mise en place d’un droit positif des SIEG avec l’article III-122 qui disait :
12« Sans préjudice des articles I-5, III-166, III-167 et III-238, et eu égard à la place qu’occupent les SIEG en tant que services auxquels tous dans l’Union attribuent une valeur ainsi qu’au rôle qu’ils jouent dans la promotion de sa cohésion sociale et territoriale, l’Union et les États membres, chacun dans les limites de ses compétences respectives et dans les limites du champ d’application de la Constitution, veillent à ce que ces services fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions, notamment économiques et financières, qui leur permettent d’accomplir leurs missions. La loi européenne établit ces principes et fixe ces conditions, sans préjudice de la compétence qu’ont les États membres, dans le respect de la Constitution, de fournir, de faire exécuter et de financer ces services. »
13La référence à l’article 1-5 qui traite des relations entre l’Union et les États membres pose le principe du respect de l’autonomie locale et régionale. Cet article est nouveau, il n’existe pas de telles dispositions dans les Traités actuellement en vigueur. Il est très important car il fonde la possibilité pour les collectivités locales et régionales comme pour les États de choisir le mode de gestion des SIG : soit la régie(*), soit la gestion déléguée(*). Ce choix avait tendance à être contesté par les autorités communautaires ces dernières années.
14Malgré le rejet du projet par la France et les Pays-Bas, le mandat donné par le Conseil européen des 21 et 22 juin 2007 reprend expressément l’article III-122 du Traité constitutionnel et ajoute un protocole sur les services d’intérêt général qui reconnaît aux États membres une marge de manœuvre importante pour la fourniture des SIEG (art.1) et exclut du champ de la concurrence les SIG non-économiques (art.2).
15Ce protocole définit les principales caractéristiques des SIEG (art.1) et leur donne par conséquent une autorité juridique.
La démarche sectorielle
16Le processus de libéralisation des prestations de services publics, exercées historiquement par des monopoles publics dans la grande majorité des États membres, a été engagé en 1987. Affectant de grands services nationaux et remettant en cause les organisations traditionnelles et les situations acquises, il a soulevé de nombreuses objections.
17Le but de ces libéralisations est de construire le marché intérieur, décidé avec l’Acte unique, et de permettre la libre prestation des services et la libre installation en Europe. Dans chaque cas, des dispositifs reconnaissant l’existence de missions ou d’obligations de service public ont été retenus. Ces missions ou obligations sont évolutives dans le temps et, nous le verrons avec la jurisprudence de la Cour, ce sont les États membres qui ont la responsabilité de les définir. Enfin, le vocabulaire utilisé est également diversifié (obligation ou mission de service public, service d’intérêt économique général) et fait parfois appel à des concepts nouveaux comme service universel, « in-house » ou dévolution des services.
18Sans entrer ni dans l’historique, ni dans le détail, l’examen secteur par secteur fait toutefois ressortir de grandes lignes communes.
19Dans le secteur des télécommunications, le droit communautaire impose un contenu spécifique au service universel. Les directives consacrées au service universel définissent celui-ci comme « l’ensemble minimal des services d’une qualité spécifiée accessible à tous les utilisateurs finaux, à un prix abordable, compte tenu des conditions nationales spécifiques ». Elles énumèrent ensuite un certain nombre de services (raccordement au réseau, services de renseignements et d’annuaire universel, cabines téléphoniques publiques) que les États membres ont obligation de faire assurer et précisent qu’il leur incombe de garantir l’évolution des tarifs, compte tenu du niveau des prix et des revenus nationaux. Il est également permis aux États membres de mettre en place des tarifs sociaux.
20Pour la poste, les directives prévoient des règles spécifiques relatives à la « prestation d’un service postal universel au sein de la communauté », avec des « critères définissant les services susceptibles d’être réservés aux prestataires du service universel », soit aujourd’hui le monopole de la lettre de moins de cinquante grammes pour financer le service universel. Celui-ci est défini comme « une offre de services postaux de qualité déterminée fournis de manière permanente en tous les points du territoire à des prix abordables, aisément comparables et transparents », soit une levée et une distribution du courrier (envois postaux jusqu’à 2kg et colis jusqu’à 10kg) par jour, cinq jours minimum par semaine. La nouvelle directive postale en cours de discussion prévoit le maintien du service universel, mais supprime le secteur réservé et renvoie le financement du service universel aux États membres, ce qui suscite beaucoup d’inquiétude dans la majorité de ceux-ci [? « Les grands défis de la poste française », p.138].
21Les directives électricité précisent que « les États membres veillent à ce qu’au moins tous les clients résidentiels et lorsqu’ils le jugent approprié les petites entreprises (… aient le droit de bénéficier du service universel, c’est-à-dire du droit d’être approvisionnés, sur leur territoire, en électricité d’une qualité bien définie, et ce à des prix raisonnables, aisément et clairement comparables et transparents, pour assurer la fourniture d’un service universel. A cet effet, les États membres peuvent désigner un fournisseur de dernier recours ». Par ailleurs, la directive prévoit que « les États membres peuvent imposer aux entreprises du secteur de l’électricité, dans l’intérêt économique général, des obligations de service public qui peuvent porter sur la sécurité, y compris la sécurité d’approvisionnement, la régularité, la qualité et le prix de la fourniture ainsi que la protection du climat. »
22La directive gaz reprend les mêmes dispositions que la directive électricité, en ce qui concerne les obligations de service public, mais pas le service universel.
23Le service universel est donc un ensemble minimal de services sur tout le territoire européen, selon des normes de qualité et à des tarifs accessibles à tous. Cette obligation, qui pèse sur les États membres, de garantir l’existence d’un service universel est destinée à éviter que le simple jeu du marché n’amène les opérateurs à se concentrer sur des secteurs géographiques ou des services rentables, au détriment de zones géographiques isolées ou de services, nécessaires mais peu rémunérateurs. Il s’agit de faire face à la « carence de l’initiative privée », sur laquelle s’est construit l’interventionnisme public dans les différents pays européens.
24Dans les transports, la législation est différente du point de vue de la forme, puisqu’il s’agit de règlements et non plus de directives, et du contenu.
25Les premiers textes, en application de l’article 77 (article 73 aujourd’hui) du Traité, remontent à 1965. Ils sont également les premiers textes communautaires sur la notion d’obligation de service public. Ils concernent les transports par chemin de fer, routes et voies navigables et disposent que « les obligations inhérentes à la notion de service public imposées aux entreprises de transport ne devront être maintenues que dans la mesure où leur maintien est indispensable pour garantir la fourniture des services de transport suffisante ». Un premier règlement en 1969 précise les notions et définit les obligations de service public comme « des obligations que si elle (l’entreprise) considérait son propre intérêt commercial, l’entreprise de transport n’assumerait pas ou n’assumerait pas dans la même mesure ni dans les mêmes conditions ». Ce règlement a été modifié en 1991 et est actuellement en cours de révision.
26Le règlement de 1991 s’applique aux entreprises de transport qui exploitent des services dans le domaine des transports par chemin de fer, par routes et par voies navigables. Mais les États membres peuvent exclure de son champ d’application les entreprises dont l’activité est limitée exclusivement à l’exploitation de services urbains, suburbains ou régionaux qui sont expressément définis par le règlement. Pour garantir des transports suffisants, compte tenu des facteurs sociaux, environnementaux et d’aménagement du territoire ou pour des raisons tarifaires pour certaines catégories de voyageurs, les autorités compétentes des États membres peuvent conclure des contrats de service public avec les entreprises de transport, dont les modalités sont définies par le règlement de 1991.
27Le règlement en cours d’adoption – après plus de 10 ans de débat – apporte plusieurs innovations importantes. Il articule droit européen et droit national et permet une certaine souplesse en fonction des situations concrètes locales ou nationales, comme la possibilité pour l’autorité locale de fournir directement des services de transports publics ou l’attribution directe du contrat à un tiers dans certains cas.
28Enfin, la directive services (directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006), adoptée par le Conseil et le Parlement, concerne les services dans leur ensemble. Les SIG (non économiques) et les SIEG qui font l’objet d’une réglementation spécifique (transports, énergie, poste et télécoms) sont exclus du champ de la directive, ainsi que les « services sociaux tel le logement social ». Les autres SIEG, santé, eau, déchets, etc. entrent bien dans le champ d’application de la directive, sauf pour la libre prestation (les prestations transfrontalières de courte durée).
La jurisprudence de la CJCE
29La démarche sectorielle, même si elle s’appuie sur des principes implicites communs, demeure une démarche spécifique à chaque secteur. C’est-à-dire que la réglementation transports maritimes ne s’applique qu’aux transports maritimes ou la réglementation électricité qu’à l’électricité, etc. Sur les questions transversales, telles que la différenciation entre économique et non-économique, le financement, le rôle de la puissance publique, les conditions d’attribution des services ou les conditions de la prestation directe (in-house ou régie directe), c’est la CJCE. qui définit les règles en s’appuyant sur les Traités (le droit primaire) en fonction des affaires dont elle est saisie, faute de législation dérivée. Son « champ » est donc immense et en perpétuelle évolution ; il en résulte une « insécurité juridique » pour l’ensemble des acteurs concernés (entreprises, autorités publiques, utilisateurs …). C’est ce qui fonde la demande de directive-cadre ou de textes législatifs transversaux. Cette jurisprudence est relativement récente : les premiers arrêts de la Cour en la matière remontent à une quinzaine d’années.
30La CJCE a toujours affirmé le principe selon lequel chaque État membre était libre de définir le contenu de ses services publics. La jurisprudence (depuis l’arrêt du 27 mars 1974. Brt/SABAM aff.127/73) exige cependant un acte de la puissance publique responsable du service (État ou collectivité locale ou régionale) qui confère son caractère de service public à l’activité en cause. Elle requiert également que les compensations financières dues à ces missions soient transparentes, clairement affichées et proportionnées. Par ailleurs, cette capacité n’est pas totale, elle est soumise à l’appréciation de la Commission et éventuellement de la Cour, sous réserve « d’erreur manifeste ». La Commission commence à utiliser ce dernier principe. Elle vient ainsi de demander aux Pays-Bas de revoir leur système de logement social et de vendre une partie du patrimoine qu’elle juge trop étendu.
31De même, la distinction que la CJCE établit entre activités économiques et activités non-économiques, donc non soumises aux règles du marché s’effectue au coup par coup, en fonction des affaires qui lui sont soumises. Au fil de ses décisions, elle a, par exemple, reconnu que les services de police ou de surveillance antipollution du domaine maritime (arrêt du 19 mars 1997 aff. 343/95 – Diego Cali) et le contrôle aérien (arrêt du 19 janvier 1994 aff. C – 364/92, eurocontrôle) relevaient de prérogatives traditionnelles de l’État. Les services ayant « une fonction de caractère exclusivement social » comme la protection sociale de base (arrêt du 17 février 1993 aff. C – 159/91 et C – 160/97 – Poucet et Pistre) sont des services non-économiques, donc non soumis aux règles de la concurrence et du marché intérieur.
32Selon la jurisprudence de la Cour, les règles de la concurrence et du marché intérieur s’appliquent aux entreprises définies comme : « toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette activité et de son mode de financement » (arrêt du 23 avril 1991 aff. 491/90 Höffner). Par ailleurs, « constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné. »
33Ces définitions très larges font entrer la très grande majorité des services publics dans la catégorie des services d’intérêt économique général, donc potentiellement soumis aux règles de la concurrence.
34Trois arrêts du début des années 1990 précisent la doctrine générale.
35En 1991, l’arrêt port de Gênes (arrêt du 10 décembre 1991 aff. 179/90) reconnaît que les entreprises, privées ou publiques, investies par les pouvoirs publics de la gestion d’un service d’intérêt économique général présentant « des caractères spécifiques par rapport à ceux que revêtent d’autres activités économiques », peuvent bénéficier de dérogations aux règles de concurrence, mais à la condition expresse que l’application de ces règles fasse obstacle à l’accomplissement de la mission particulière qui leur a été impartie (application stricte de l’article 86 paragraphe 2 du Traité).
36En 1993, l’arrêt Corbeau (arrêt du 19 mai 1993 aff. C-320/91) pour la poste marque un tournant dans la jurisprudence de la Cour : elle admet la possibilité d’un droit exclusif pour la poste dans la mesure où les avantages consécutifs à ce droit exclusif ne permettent que de compenser les charges dues aux obligations de service public.
37En 1994, l’arrêt Commune d’Almelo (arrêt du 11 décembre 1994 aff. C-393/92) autorise le monopole d’importation et d’exportation pour l’électricité.
38Depuis, plusieurs dizaines de décisions de la Cour sont venues confirmer et préciser ces dispositions.
39Il est deux autres domaines, essentiels, dans lesquels la Cour a joué et joue encore un rôle déterminant faute de précisions législatives : le financement des SIEG et le choix de fournir le service en régie (c’est-à-dire in-house), ou en gestion déléguée.
40S’agissant du financement, dans un arrêt désormais célèbre du 24 juillet 2003 (arrêt G280/00 – Altmark), la Cour a considéré qu’une compensation financière représentant la contrepartie d’obligations de service public imposées par un État membre ne constituait pas une aide d’État, au sens de l’article 87 paragraphe 1 du Traité, et n’avait donc pas à être notifiée à la Commission, si quatre conditions étaient cumulativement réunies :
- l’entreprise bénéficiaire doit effectivement avoir été chargée de l’exécution d’obligations de service public clairement définies ;
- les paramètres sur la base desquels est calculée la compensation doivent avoir été préalablement établis de façon objective et transparente afin d’éviter l’apparition d’un avantage économique susceptible de favoriser l’entreprise bénéficiaire par rapport à des entreprises concurrentes ;
- la compensation ne saurait dépasser ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés pour l’exécution des obligations de service public, en tenant compte des recettes relatives ainsi que d’un bénéfice raisonnable pour l’exécution de ces obligations ;
- enfin, lorsque le choix de l’entreprise à charge de l’exécution d’obligations de service public n’est pas effectué dans le cadre d’une procédure de marché public ou analogue, le niveau de la compensation nécessaire doit être déterminé sur la base d’une analyse des coûts qu’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises, aurait encourus pour exécuter ces obligations, en tenant compte des recettes et d’un bénéfice raisonnable.
41Face au contenu vague de la quatrième condition, et à la complexité de certains secteurs, la Commission a adopté en novembre 2005 trois textes (un encadrement, une décision et une directive 205/81) en application de l’article 86 paragraphe 3.
42La décision de la Commission précise les conditions qui devront être remplies pour que la compensation accordée aux sociétés prenant en charge la fourniture de services publics soit compatible avec les règles sur les aides d’ État (un mandat de service public clairement défini et pas de compensation excessive) et puisse être exemptée de la notification préalable à la Commission. Les compensations accordées aux hôpitaux et aux entreprises de logement social pour des services d’intérêt économique général bénéficient également de la décision, indépendamment des montants concernés, tout comme les compensations accordées pour les liaisons aériennes ou maritimes avec des îles ou certains aéroports ou ports.
43L’encadrement de la Commission précise les conditions dans lesquelles les compensations non couvertes par la décision sont compatibles avec les règles sur les aides d’État. Ces compensations devront être notifiées à la Commission, en raison des risques plus élevés de distorsion de la concurrence qu’elles présentent. Les compensations qui excèdent les coûts du service public ou qui sont utilisées par les sociétés sur d’autres marchés ouverts à la concurrence ne sont pas justifiées et sont incompatibles avec les règles sur les aides d’État du Traité.
44Ces dispositions doivent être revues en 2009 après évaluation.
Conditions de la gestion en régie
45Les conditions de prestation des services sous forme de régie (in-house ou autoproduction) ont également été précisées par la CJCE.
46Un premier arrêt dit Teckal du 18 novembre 1999 (affaire C107/90) fixait les conditions générales qui permettaient à une autorité publique de fournir un service d’intérêt général par attribution directe (sans mise en concurrence) ou en interne.
47Dans la jurisprudence d’aujourd’hui, la régie est possible si l’organisme chargé du service répond à plusieurs conditions cumulatives, comme, entre autres, une détention à 100 % du capital par la collectivité locale ou encore une limitation du champ d’intervention aux territoires des collectivités locales détentrices du capital, et ce pour une durée déterminée.
48Un nouvel arrêt récent dit Tragsa du 19 avril dernier (aff. C-295/05) précise les conditions dans lesquelles une collectivité publique peut travailler pour une autre collectivité publique, en considérant qu’il convient de prendre les collectivités publiques « dans leur ensemble » ; cette décision est très importante dans le cadre de l’intercommunalité ou de la prestation de service pour une collectivité par une autre.
En conclusion
49De cet ensemble, la Commission européenne a dégagé huit principes pour une approche de la notion de service d’intérêt général :
- des SIG proches des citoyens : pour cela les États membres sont libres de les définir et compétents en matière d’organisation, réglementation et financement ;
- prise en compte de la diversité des services et des situations et adaptation de la législation sectorielle aux évolutions technologiques ;
- qualité et sécurité élevées / prix abordables : notamment, vigilance particulière sur l’accès dans les zones transfrontalières, programmes ciblés, accès à l’information, en cas de besoin édiction de normes européennes par des textes sectoriels et spécifiques ;
- reconnaissance de l’accès aux SIG comme un droit fondamental ;
- cohésion territoriale de l’UE ;
- transparence à tous les stades, de la définition à l’évaluation et au traitement des plaintes ;
- définition, promotion et défense des droits des consommateurs et utilisateurs ;
- suivi et évaluation à l’aide d’instruments pertinents et identiques pour tous les États membres.
50De l’analyse qui précède, nous pouvons ajouter à ces huit principes de base plusieurs éléments qui devraient permettre de dégager une doctrine européenne de service d’intérêt général.
51Bien entendu, peuvent être conservés les trois principes de base du service public que sont la continuité, l’égalité et l’adaptation, auxquels s’ajouteraient :
- l’universalité et la qualité du service ;
- la précision quant au rôle de la puissance publique à chaque niveau de responsabilité, celle-ci doit définir clairement dans des actes réglementaires ou législatifs les missions ou obligations de service public ; elle peut fournir elle-même ces services ou les déléguer à des tiers ;
- les principes du marché qui doivent être respectés dans le cas de la délégation ;
- l’indifférence de la propriété du capital de l’entreprise ou de l’entité qui fournit le service ;
- une régulation indépendante, le plus souvent par des agences de régulation indépendantes des autorités publiques et des entreprises prestataires ;
- la transparence des comptes pour éviter de fausser les règles du marché par l’utilisation de l’argent public pour des activités commerciales sans obligation de service public ;
- la durée limitée des contrats de service public quelle que soit leur forme (régie ou gestion déléguée) ;
- l’évaluation avec une méthodologie commune.