1Comprendre la notion de service public n’est pas chose aisée. En effet, celle-ci est, d’un point de vue comparé, très connotée : ses détracteurs en parlent souvent comme d’un archaïsme alors que ses défenseurs lui adjoignent une coloration locale par l’expression « service public à la française ». En réalité, s’intéresser au service public en France nécessite d’opérer un parallélisme historique entre la création de la notion et la naissance de la justice administrative. Ainsi, pour appréhender convenablement ce concept, il convient de montrer comment le juge administratif s’est peu à peu appuyé sur la notion de service public pour affirmer son existence.
2 Historiquement, le XIXe siècle est marqué par l’absence de juge administratif. Certes, il existait une structure nommée « Conseil d’État », mais son fonctionnement était alors bien différent de la juridiction que nous connaissons aujourd’hui. Ce n’est qu’à partir des années 1870 que naquirent effectivement le juge administratif et le service public. Cette double naissance, qui aurait pu n’être qu’une coïncidence, relevait en fait d’une corrélation : en s’appuyant notamment sur le service public, le juge administratif a construit de toute pièce un corpus de règles « prétoriennes », nommé aujourd’hui droit administratif.
3 L’idée était alors de permettre au Conseil d’État de réaliser une double émancipation : celle du pouvoir politique d’une part, et celle de la Cour de cassation d’autre part. En s’appuyant sur un concept vide de contenu juridique, le Conseil a réalisé un prodigieux activisme lui permettant, si ce n’est de devenir directement une juridiction, du moins d’en poser les jalons. Car, en affirmant l’existence d’un objet jusqu’alors inconnu de tous, le juge s’est par là même déclaré compétent pour en dessiner les grands traits, c’est-à-dire l’interpréter. « Finder, keeper » diraient les anglophones.
4 La corrélation va même plus loin que la simple naissance. En effet, chaque évolution de la juridiction administrative correspond au franchissement d’un pallier pour le service public au point de dissocier les deux objets. D’une acception très restreinte au XIXe siècle, le service public sera par la suite sacralisé, puis dilué et parfois même délité dans une croissance qui apparaît comme exponentielle. Le développement transformera d’ailleurs le travail du juge d’une simple reconnaissance de la notion vers une qualification puis une catégorisation.
5 Enfin, corrélation encore et toujours, puisque les mutations actuelles du droit public qui prennent en compte le droit communautaire poussent non pas à une remise en question intégrale du service public, mais à une adaptation certaine de son contenu, alors que parallèlement le rôle et les missions du juge administratif sont appelés à être redéfinis.