CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Autant le dire d’emblée, l’évaluation des actions établies dans l’intérêt de la santé des populations est chose récente en France. On pointera le retard général en matière d’évaluation ou, de façon plus spécifique, la lente émergence de la santé publique en France. Cette carence tient aussi, plus fondamentalement, au principe d’organisation qui a longtemps prévalu pour le système de soins français. Ce dernier se caractérisait par une médecine toute puissante et technicisée, un patient soumis à cette autorité et réputé ignorant, un État fournissant les moyens d’un développement sans entrave, et un financeur en grande partie aveugle. Mélange d’économie administrée et de gestion corporatiste centralisée, le système de santé français a longtemps tenu en lisière les acteurs du changement, négligé les modes de gouvernement éprouvés (dans les autres secteurs ou dans les autres pays) et les capacités des consommateurs-usagers.

2Le système de santé a ses mythes. L’évaluation aussi. Il est sans doute rassurant de se dire qu’une technologie (une batterie d’indicateurs par exemple) ou qu’une institution pallieront les lacunes, pourvoiront les informations nécessaires au pilotage du système. Mais la qualité, la pertinence, l’efficacité et l’efficience d’un système complexe ne peuvent pas être laissées à la seule appréciation d’un vérificateur central. Elles ne sont d’ailleurs pas seulement affaire de système d’évaluation ou de reporting. On a besoin évidemment d’évaluation macro (la Cour des comptes s’y emploie avec constance, d’autres aussi), de systèmes experts (construits plus récemment), mais l’évaluation du service public de santé doit avant tout conjuguer une vision claire de la qualité, des indicateurs performants, un système d’incitation adéquat, une gouvernance responsable et la reconnaissance pleine et entière des capacités des usagers.

Le service public de santé français et son évaluation

3La protection de la santé des populations mobilise à la fois des actions de prévention et des actions de prise en charge. Elle est en outre indissociable du système de couverture assurantielle.

4En matière de prévention, il s’agit de mesures générales de protection relevant de la catégorie « veille et sécurité sanitaire » et de mesures plus spécifiques de prévention médicale ou comportementale. Ces actions de prévention sont organisées par toute une gamme d’acteurs, à tous les échelons, sous des statuts diversifiés. De grands réseaux déploient ainsi la médecine de prévention en matière de protection maternelle et infantile, de médecine scolaire ou de médecine du travail. Au fil des ans, on a développé en France quantité de dispositifs d’évaluation en matière de politique de prévention (derniers en date : les dispositifs à base d’indicateurs de la loi de santé publique d’août 2004 et la création du Haut conseil de la santé publique), on a multiplié les évaluations ponctuelles (de tel plan, de tel programme) ou à vocation globale (notamment sur le système de sécurité sanitaire [1]). Les critères de l’évaluation ressortent de la gamme habituelle (cohérence, pertinence, effectivité, efficacité, efficience), avec quelques particularités propres aux politiques de sécurité ou de prévention (dont le succès réside dans l’évitement de situations – à risques – et non dans leur survenue) et une sensibilité particulière aux questions d’inégalités territoriales ou socioprofessionnelles.

5Pour ce qui est du système de soins, la situation de l’évaluation est complexe et paradoxale. L’évaluation globale des performances du système a incontestablement été plus précoce que celle de ses composantes. La Cour des comptes s’y emploie chaque année, on l’a dit, à l’occasion de ses rapports sur le financement de la sécurité sociale. Des exercices à vocation évaluative ont ponctué les grandes étapes de la constitution du système ou de sa réforme : rapport Santé 2010 du Commissariat général du Plan au début des années 1990, exercices homologues sur le système hospitalier ou la médecine de ville, etc. Le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie a en quelque sorte institutionnalisé cette démarche mi-évaluative, mi-prospective à la faveur de la préparation de la réforme de 2004. Un système d’information statistique a en outre été bâti au fil des ans. Le Parlement a lui-même développé des instances : Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé et Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale notamment, pour ce qui est de l’Assemblée nationale. Cette profusion est salutaire.

6Au niveau territorial, l’évaluation du service public de soins peut se concevoir selon quatre axes relativement indépendants : l’organisation et la gestion de l’offre (qui renvoient à la rationalisation des moyens) ; la gestion des ressources humaines (qui renvoie à la localisation géographique des fournisseurs du service public) ; l’évolution de la demande sur les territoires (fondée en grande partie sur les projections démographiques et épidémiologiques) ; enfin, la santé en tant qu’input du développement local. Les évaluations conduites au titre de ces différentes entrées seront évidemment toutes différentes. Certaines sont particulièrement sévères, on le sait, notamment en ce qui concerne la répartition territoriale des soignants.

7A la charnière micro-macro, on a aussi mis en place des opérateurs d’évaluation, telle que la Haute autorité de santé (successeur de l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé, qui elle-même avait pris la suite de l’Agence nationale pour le développement de l’évaluation médicale). À travers ces avatars successifs se révèle une ambition évaluative de plus en plus large, limitée toutefois par le législateur en matière médico-économique.

8En ce qui concerne le niveau microéconomique, la Cour des comptes, dans ses rapports annuels sur le financement de la Sécurité sociale, a, à maintes reprises, pointé les atermoiements, les limites sinon les échecs patents de la « maîtrise médicalisée des dépenses ». Pour orienter les pratiques dans le sens de la qualité, il faut en effet à la fois un système d’incitations adéquat et la capacité à révéler, sinon à observer, la qualité. Or le système français a longtemps tenu en lisière l’évaluation, non par négligence ou par inadvertance, mais sciemment.

9Avant de parler « évaluation », il faut en effet rompre avec un certain nombre de mythes, oser bien des transgressions : rompre avec l’hypothèse de bienveillance sans dresser de nouvelles icônes, poser la question de la qualité, oser la comparaison et la concurrence, accepter la subsidiarité, écouter l’usager.

Rompre avec l’hypothèse de bienveillance…

10« Le système étatique et administratif français repose sur une conception idéaliste du pouvoir politique et de la vie démocratique, sur un postulat général de bienveillance des hommes politiques, de l’administration et de tous les fonctionnaires et personnels assimilés.[…] La société française veut vivre encore dans l’illusion de ces mythes. [La] conception optimiste de l’État est légitime et efficace lorsque la bienveillance est assez générale. Lorsqu’elle devient rare (et cela est une question empirique), il faut procéder à une révolution intellectuelle. C’est en effet la suspicion générale qui est alors de mise et l’organisation en un système complexe de pouvoirs et contre-pouvoirs qu’il faut imaginer. Ce qui en résulte n’aura jamais la beauté d’une construction divine, sera en perpétuel devenir, en perpétuelle adaptation aux nouveaux systèmes d’information et aux nouveaux systèmes de contrôle » [2].

11Le champ hospitalier est un bon exemple des difficultés de la gestion publique, une fois que l’on a consenti à délaisser la posture héroïque d’un État disposant de toute l’information utile sur les besoins et leur évolution, sur la productivité, les coûts et la qualité des services. Au fil des ans, de nombreux outils de gestion ont été mis en place à l’hôpital [3] : budget global, comptabilité analytique, PMSI (Programme médicalisé du système d’information hospitalier), SROS (Schémas régionaux d’organisation sanitaire), création des ARH (agences régionales de l’hospitalisation), projets d’établissement, contractualisation, accréditation. Le déploiement de cette panoplie impressionnante avait plusieurs objectifs : améliorer la qualité et la sécurité de la prise en charge, réduire les dépenses, responsabiliser les acteurs, objectiver voire rationaliser l’allocation des ressources. Or l’ambition d’une planification « médicalisée » souple et efficace rappelle les tentatives faites dans les années 1970 pour rationaliser les procédures d’élaboration budgétaire [4]. Cet échec est bien documenté : il provient de la sous-estimation de la quantité et du coût des informations à traiter, d’une vision pyramidale de la gestion publique, et d’une présentation naïve d’un État purement bienveillant, alors qu’il est en permanence soumis à des groupes de pression et poursuit des objectifs multiples et conflictuels. Les réformes actuelles de la planification, de la gouvernance et de la tarification prennent acte du résultat mitigé des initiatives des années 1990.

La régulation du secteur public marchand(*) et ses enseignements[5]

On peut tirer quatre observations des expériences du secteur public marchand :
  • la confusion généralement entretenue entre les missions de service public et les institutions qui les remplissent ;
  • les contrastes entre les niveaux de coûts du service public et la persistance de lacunes importantes, notamment dans la couverture des populations fragilisées ;
  • la prise en compte insuffisante des objectifs du consommateur ;
  • l’inefficacité de l’offre publique, du fait notamment des rigidités de son marché interne du travail et de l’insuffisante mobilité des agents.
Trois axes d’évolution sont possibles :
  • le premier concerne les missions de service public : il y a un besoin de transparence quant aux objectifs de redistribution ; il faut par ailleurs séparer les objectifs d’emploi et d’aménagement du territoire des objectifs de bonne gestion ;
  • le deuxième concerne la régulation : il convient de bien séparer les fonctions de régulateur, d’acheteur et de producteur de soins ;
  • le troisième axe concerne l’efficacité de l’offre publique : il convient de définir des unités responsables de l’ensemble de leurs moyens et dont on puisse mesurer et sanctionner les performances.

12Au grand désarroi des acteurs du milieu médical, les problèmes de régulation du système de santé ne sont, somme toute, guère différents de ceux que l’action publique a pu rencontrer dans d’autres secteurs.

… sans dresser de nouvelles icônes

13Jean-Jacques Laffont évoque un système complexe de pouvoirs et de contre-pouvoirs. La tentation face aux exigences de l’évaluation peut être tout autre : se réfugier dans l’illusion d’un appareil unique ou d’un système omnipotent.

14Un système d’indicateurs ne saurait résumer le travail d’évaluation. Il ne fait que l’entamer. Lever l’hypothèse héroïque de bienveillance des agents publics et de leurs organisations ne revient pas à aligner l’analyse de leur activité sur celle de l’entreprise [? « Peut-on réformer l’État avec les méthodes du secteur privé ? », p.225]. Il est plus facile d’identifier les objectifs d’une firme (profit, croissance du chiffre d’affaires, réduction des coûts, valeur de l’action, productivité) ou du moins de les hiérarchiser en fonction des porteurs d’intérêts (les managers d’un côté, les actionnaires d’un autre, sans parler des salariés) que de mettre en évidence ceux des organisations publiques. Il est encore plus difficile de les résumer à travers une batterie d’objectifs de performance, aussi pertinente soit elle. « Les politiques publiques n’existent pas pour améliorer leurs résultats, conception qui met la référence à l’évaluation du côté de l’efficacité organisationnelle de l’État dans une boucle auto-référentielle. Leur objectif doit être recherché du côté d’objectifs fondamentaux : justice sociale, développement humain, équité, progrès de la liberté réelle (évaluée selon toute l’étendue des droits économiques, politiques et sociaux [6]). »

15En dehors même de cette distinction fondamentale, le développement d’indicateurs macro ne devrait être conçu que comme le sommet d’une structure hiérarchisée d’analyse de la performance, laquelle se joue d’abord au niveau micro, celui des agences et des établissements. « Un autre argument en faveur d’une approche microéconomique réside dans le caractère local des services publics, vis-à-vis desquels se développe un véritable consumérisme, y compris pour les services les plus régaliens comme la sécurité. Enfin, et c’est l’évidence, de même que les risques doivent être alloués aux niveaux les plus à même de les gérer, la productivité devrait d’abord être mesurée aux niveaux de gestion les plus à même d’y contribuer [7]. »

16Le propre des systèmes centralisés d’évaluation est enfin d’être aisément capturables. On a souligné la profusion (somme toute récente) d’organismes en charge de l’évaluation globale du système de santé. Contrairement à une vision fort répandue, cette profusion est souhaitable. De même que l’évaluation doit se diffuser de façon cohérente aux différents échelons, il importe qu’elle ne soit pas l’apanage d’un seul acteur [8]. Le risque sinon est double : concentrer en un seul point les défaillances de l’information, et faciliter la capture par les groupes de pression. Inutile d’insister sur les risques en la matière dans les différents compartiments du secteur sanitaire.

Oser la concurrence par comparaison(*)

17La concurrence joue un rôle incitatif majeur. Qu’elle soit directe (sur un territoire), ou qu’elle se fasse par comparaison (dans des palmarès plus ou moins frustes ou via des procédures d’accréditation) ou par des effets de réputation (renommée des marques ou opprobre collective), la concurrence existe. Dans le milieu hospitalier, l’aiguillon financier est présent dans le privé. Même muni d’une dotation historique, l’hôpital public n’était pas à l’abri des effets de la concurrence : un certain nombre de restructurations n’ont fait que sanctionner la désaffection de la clientèle. La démarche mérite cependant d’être systématisée.

18La concurrence par comparaison est bien un des ressorts principaux de l’évaluation des services publics. Elle peut se faire à différents niveaux : entre unités d’une même organisation, entre différentes organisations publiques exerçant des activités similaires (État et collectivités locales par exemple), entre entités publiques et entités privées, entre secteurs différents (pour certaines activités génériques notamment), voire au niveau international lorsque les référentiels existent. Dans son rapport de décembre 2006, Pierre Richard [9] pointe à la fois l’intérêt de la création de référentiels de coûts standards pour les principaux services publics locaux et les difficultés d’une telle tâche : difficulté à établir des indicateurs de performance acceptés par tous, difficulté à dresser des comparaisons (du fait de modes de gestion, de situations ou de sujétions différents), difficulté enfin à collecter et à agréger les données dans un système décentralisé.

19Toutes les difficultés évoquées par Pierre Richard ont été alléguées dans le cas des hôpitaux français. Frédéric Bousquet et Alain Coulomb [10] évoquent ainsi « l’absence troublante, pour ne pas dire scandaleuse, d’études de mesures rigoureuses et objectives, qui a accompagné un débat stérile depuis près de deux décennies » sur la notion de performance à l’hôpital et l’efficience comparée des secteurs public et privé. Comme le notent à leur suite Dominique Bureau et Michel Mougeot, « on a assisté à une véritable collusion pour conserver deux échelles de mesure, construites par ailleurs avec des groupes homogènes de malades trop larges ». Au-delà de l’intérêt de la comparaison, les auteurs montrent l’effet même de la mesure sur la performance, et l’intérêt qu’il y a à rapprocher l’évaluation de critères appropriables par le public, de la qualité au premier chef.

Développer une approche qualité véritable

20Dans le système de santé, le contentieux est souvent apparu, à tort ou à raison, comme la seule manière de faire valoir ses droits, d’obtenir réparation d’un dommage ou simplement de recevoir l’information. Le constat fait dans le rapport Santé 2010 de 1993 est encore pour partie d’actualité : « Les inégalités d’information dans le système de santé restent aujourd’hui masquées et taboues ; non visibles, non reconnues, elles seraient par là même plus facilement tolérables. » [? « Personnels et usagers des services publics : des relations transformées ? », p.246]

21La typologie des droits généraux du consommateur (droit à la sécurité, droit d’être entendu, droit d’être informé et droit de choisir) décrit assez précisément les demandes exprimées en matière de santé, qui relèvent tout à la fois des droits fondamentaux, des droits courants de l’usager des services publics et de la revendication de sécurité.

22Une entreprise de services peut-elle ne pas se préoccuper de l’usager ? En matière de soins, la thématique du « malade au centre » n’est plus seulement un slogan vaguement démagogique. L’usager, le patient, a vocation à participer aujourd’hui concrètement à l’évaluation. La démarche qualité, la gestion de l’amont par l’aval prennent sens.

23Lorsque l’on évoque la qualité des soins, de quoi parle-t-on exactement ?

  • de la qualité perçue par le client (patient) ? Pour la mesurer, on a par exemple recours au questionnaire de sortie. Cette composante de la qualité est aujourd’hui relativement bien connue, mais son exploitation apparaît encore largement insuffisante. Se mettent également en place des systèmes de gestion « en temps réel » des réclamations ;
  • de la qualité attendue par le client ? Des systèmes de questionnement un peu plus sophistiqués que le questionnaire de sortie existent ; ils permettent de définir des zones de sur-qualité, de sous-qualité ;
  • de la qualité du service réellement délivrée ? Celle-ci intègre des données de production connues seulement du producteur. Le client ne sait pas forcément qu’il a couru des risques inhabituels ;
  • de la qualité visée par l’opérateur de soins en termes de production ? Les audits, les indicateurs de performance, les analyses stratégiques ou économiques permettent d’appréhender ces dimensions : qualité du produit délivré, qualité de la production, capacité à maîtriser les coûts (ce qui permet de délivrer de la meilleure qualité à coût donné). Les logiques de marques vont de plus en plus se développer sur ces considérations.
Le défaut d’organisation du système de santé, ou plutôt les renoncements successifs en la matière ont paradoxalement fait de l’usager un déviant aux yeux des autorités : coupable de nomadisme, coupable de faire jouer la concurrence entre différents opérateurs de soins (seule façon pourtant a priori de repérer la qualité lorsque l’information n’est pas structurée) et de consommer des produits qu’on continue de rembourser.

24Autre évolution, souvent méconnue celle-là : le renforcement de l’expertise a déséquilibré le rapport de forces au sein du triangle État-usagers-experts. Les motifs sont doubles et parfaitement légitimes : d’une part la volonté de renforcer les moyens d’évaluation à des fins de maîtrise des dépenses, de l’autre le souci de marquer dans des organisations l’affirmation des compétences en matière de sécurité sanitaire ou d’éthique. L’État a abandonné certaines prérogatives de gestion directe, parfois au détriment des usagers, faute bien souvent pour ceux-ci de trouver une place au sein de ces instances d’évaluation des risques ou d’expertise.

25S’appuyer sur les usagers-consommateurs ne se résume pas à augmenter le reste à charge en guise de responsabilisation. Il ne s’agit pas davantage de convier l’usager à assumer des tâches qui le dépassent pour le compte du régulateur public [11], il convient au contraire de conforter ses capacités par une information structurée, labellisée sur la qualité des biens et des services de santé.

Quelle évaluation dans un contexte de décentralisation ?

26Le développement de l’évaluation n’a eu longtemps d’autre finalité affichée que cognitive ; il n’en est plus de même lorsque l’ensemble des administrations est censé adopter une démarche de résultats, lorsque la fonction d’évaluation devient un des éléments de définition des prérogatives de l’État central. L’évaluation des politiques décentralisées se heurte, dans le contexte français, à plusieurs difficultés : le difficile équilibre entre évaluation à partir d’un centre disposant de prérogatives réelles et libre administration renforcée des collectivités locales ; la forte disparité des situations sur le territoire ; la nécessité d’organiser le système d’information sur les compétences transférées.

27Aucun acteur public ne dispose des prérogatives lui permettant de conduire une politique pleinement cohérente sur le territoire. Le « modèle balistique » (J.G Padioleau) de l’action publique comme exécution territorialisée a pourtant la vie dure. On joue le centre (censé définir rationnellement la politique) contre la périphérie. Avant de parler « évaluation » dans un contexte de décentralisation, il faut donc resituer les compétences de chacun, utiliser les capacités des usagers.

28Pour gérer la décentralisation, l’expérimentation et l’innovation sociale dans le domaine de la santé, il faut non seulement considérer les conditions de la « démocratie gestionnaire » mais aussi celles de la « démocratie politique », pour reprendre les expressions de Patrice Duran [12].

29La mise en place d’une véritable « démocratie sanitaire » ne saurait se réduire à des formules de participation erratiques. Puisque les citoyens ont leur grille d’analyse des risques, leurs critères d’acceptabilité, qui, pour être souvent divergents par rapport à ceux des scientifiques, n’en sont pas moins rationnels, il est légitime qu’ils participent à la construction commune de l’évaluation [13].

30Pour aller plus loin :

31Une version longue de ce texte est disponible sur www. rce-revue. com

Notes

  • [1]
    Voir notamment l’un des derniers rapports en date : Ministère de la Santé et des Solidarités, Rapport de la mission d’évaluation et d’expertise de la veille sanitaire en France (sous la direction de J.-F. Girard), août 2006.
  • [2]
    J.-J. Laffont, « Étapes vers un État moderne : une analyse économique », in État et gestion publique, rapport du Conseil d’analyse économique, La Documentation française, 1999.
  • [3]
    Voir J.-P. Claveranne, « L’hôpital en chantier : du ménagement au management », Revue française de gestion, vol.29/146 – 2003.
  • [4]
    Comme le montrent D. Bureau et L. Caussat dans leur complément au rapport de M. Mougeot, Regulation du système de santé, Rapport du Conseil d’analyse économique, La Documentation française, 1999.
  • [5]
    À partir de D. Bureau et L. Caussat, « Gestion publique et système de santé », in M. Mougeot, Régulation du système de santé, déjà cité.
  • [6]
    R. Salais, « Du bon (et du mauvais) emploi des indicateurs dans l’action publique », IDHE, documents de travail, série Règles, institutions, conventions, n° 07-03, janvier 2007.
  • [7]
    D. Bureau et M. Mougeot, Performance, incitations et gestion publique, rapport du Conseil d’analyse économique, La Documentation française, 2007.
  • [8]
    Dans un certain nombre de pays, l’évaluation n’est d’ailleurs pas l’apanage de la puissance publique. Des associations professionnelles s’y emploient, notamment dans les secteurs de l’éducation et de la santé.
  • [9]
    P. Richard, Solidarité et performance – Les enjeux de la maîtrise des dépenses publiques locales, décembre 2006.
  • [10]
    A. Coulomb et F. Bousquet, « Penser une nouvelle place pour la qualité dans la régulation du système de santé français », complément au rapport de D. Bureau et M. Mougeot, Performance, incitations et gestion publique, rapport du Conseil d’analyse économique, La Documentation française, 2007.
  • [11]
    En matière d’assurance maladie, plus encore qu’en matière de santé publique, la tentation est ainsi permanente de transgresser un principe fondateur du droit social, « l’interdiction de rendre responsable de son sort celui qui n’a pas les moyens concrets d’exercer sa liberté » (A. Supiot, Le droit du travail, Paris, PUF, collection « Que sais-je », 2004, cité par L. Duclos, « L’État et les capacités du consommateur », document de travail, Commissariat général du Plan, mars 2005).
  • [12]
    P. Duran, « Penser l’action publique », collection « Droit et société », vol. 27, LGDJ, 1999.
  • [13]
    Cf. B. Chevassus-au-Louis, « Retour de l’irrationnel ou conflit des rationalités. Que mangeons-nous ? », revue Projet, février 2000.
Français

L'évaluation des actions établies dans l'intérêt de la santé des populations est chose récente en France. Après avoir passé en revue ce qu'il en est de l'évaluation aujourd'hui, Stéphane Le Bouler, responsable de la mission recherche de la DREES, souligne les prérequis d'une telle entreprise : rompre avec l'hypothèse de bienveillance sans dresser de nouvelles icônes, oser la concurrence par comparaison, développer une approche qualité véritable, prendre en compte la décentralisation. La mise en place d'une véritable « démocratie sanitaire » ne saurait ainsi se réduire à des formules de participation erratiques.

Stéphane Le Bouler
Ancien responsable de l’évaluation des politiques publiques au Commissariat général du Plan, responsable de la mission recherche de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES). Il s’exprime ici à titre personnel.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/03/2008
https://doi.org/10.3917/rce.002.0206
Pour citer cet article
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