CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Le départ de Tony Blair a été l’occasion de revenir sur dix années de troisième voie en Grande-Bretagne [1]. En France, de la gauche sociale-démocrate à la droite de gouvernement, on s’est accordé à reconnaître à l’ex-Premier ministre britannique un excellent bilan économique. Deux satisfecits reviennent de façon récurrente : la politique de l’emploi (le Royaume-Uni ayant un taux de chômage de 5,5 % ) et le développement des services publics. Quelle fut donc la politique du New Labour en la matière ? À gros traits : réinvestir dans les services publics, mais en les plaçant en situation de concurrence et en les soumettant à un rythme d’évaluation infernal.

Un secteur public revalorisé ?

2Au cours de son premier mandat, consacré pour l’essentiel au rétablissement des finances publiques, les services publics n’étaient pourtant pas au cœur des préoccupations du parti travailliste. Entre 1997 et 2001, Tony Blair a moins investi dans les services publics que son prédécesseur conservateur John Major. En 2001, les dépenses de l’État ont atteint leur minimum : 37,5 % du PIB [2].

3C’est à partir de 2001 que tout a changé. Depuis cette date, les dépenses de l’État britannique ont augmenté, chaque année, de 4,4 % en termes réels ; elles ont ainsi augmenté de 8 points de PIB depuis 2001 pour atteindre 45,6 % (soit un niveau proche de l’Allemagne). Trois secteurs ont été privilégiés : la santé (+ 6,1 %), les transports (+ 5,1 %) et l’éducation (+ 4,7 %). La moitié des emplois créés depuis 2001 l’ont été dans les services publics, soit 600 000 emplois au total, un bilan dont peu d’autres gouvernements européens peuvent se prévaloir.

4Ce sursaut faisait suite à une série de catastrophes, comme l’accident de Paddington (1999), qui ont provoqué une prise de conscience assez large de l’état de délabrement de certains services publics après les privatisations thatchériennes [? « Réduire la place du secteur public : l’expérience thatchérienne », p.116].

L’intégration des mécanismes de marché

5Refinancés et revalorisés, les services publics britanniques sont toutefois bien loin aujourd’hui de la « conception française » du service public. Tony Blair a eu largement recours au secteur privé pour moderniser les services publics à travers des partenariats public-privé (PPP) [? « La gestion mixte des services publics », p.168]. Les PPP consistent à confier à des entreprises privées mises en concurrence la construction d’infrastructures (hôpitaux, écoles, prisons, etc.) puis leur gestion. Outre-manche, les PPP sont signés dans le cadre de la Private Finance Initiative (PFI), instaurée en 1992 sous le gouvernement conservateur, mais qui a connu son heure de gloire sous le gouvernement travailliste. La PFI prévoit le financement des infrastructures publiques par le capital privé en échange de recettes de moyenne ou de longue période. Les équipements restent publics, mais les méthodes de gestion de ces entreprises ainsi que leurs salariés appartiennent au secteur privé.

6Cette façon de faire peut créer une émulation propice à la qualité du service : la définition d’un ensemble de règles, d’incitations et de sanctions oriente l’action des parties prenantes dans le sens de l’efficacité. Mais elle ne fonctionne qu’à des conditions très strictes. Il faut qu’un cahier des charges très précis soit rédigé, dont l’État puisse contrôler rigoureusement l’application. Il faut aussi que le service délégué au privé soit accessible à tous, et que sa continuité soit assurée [? « Déléguer, mais comment ? Les aléas de la concurrence pour le marché », p.176].

7Qu’en est-il en pratique ? Le bilan du blairisme, même s’il est trop tôt pour trancher définitivement, est déjà largement contesté. Les critiques [3] ont souligné que les PPP coûtent plus cher aux contribuables que des services publics directement gérés par l’État, et qu’ils tendent à offrir aux usagers des services de qualité inférieure. Le débat est houleux outre-Manche.

Le pilotage par les indicateurs

8Si les PPP ne sont pas spécifiques aux services publics britanniques, Tony Blair restera en revanche comme l’apôtre des « targets » (objectifs chiffrés) assignés aux administrations. En 1998, un an à peine après son accession au pouvoir, Tony Blair annonçait ainsi la création de 300 objectifs chiffrés pour tous les ministères. La gestion des services publics par les travaillistes a été marquée par une croyance quasi-fétichiste dans les indicateurs de performance. Cette obsession a d’ailleurs valu à Tony Blair le surnom de « control freak » (l’obsédé du contrôle).

9En matière de services publics, Tony Blair, s’il ne partageait pas avec Margaret Thatcher la croyance en la supériorité inconditionnelle du marché, était tout autant que la Dame de fer convaincu du bien-fondé du New Public Management, qu’il a appliqué avec fanatisme. L’avenir nous dira si sa gestion des services publics, articulée autour des PPP, donnera dans le long terme de meilleurs résultats que celle de ses prédécesseurs.

Notes

  • [1]
    Notamment dans l’ouvrage de F. Faucher-King et P. Le Galès ( 2007), Tony Blair, 1997-2007 : le bilan des réformes, Presses de Sciences Po.
  • [2]
    Tous les chiffres viennent de l’OCDE.
  • [3]
    P. Auclair (2006), Le royaume enchanté de Tony Blair, Fayard.
Gabriel Zucman
RCE
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/03/2008
https://doi.org/10.3917/rce.002.0188
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