1Pendant longtemps, la théorie économique n’a opposé à la présence de monopoles naturels(*) que la solution de la propriété publique. La remise en cause de celle-ci a par la suite amené à retrouver une solution déjà ancienne, baptisée par Harold Demsetz concurrence « pour » le marché. La collectivité réalise un appel d’offres visant à concéder l’exploitation de certaines activités à des opérateurs devant respecter, à moindres coûts, un certain cahier des charges. Différentes entreprises en concurrence répondent à l’appel d’offres, ce qui assure en principe la disparition des profits de monopole. Théoriquement, il est donc possible de régler les problèmes posés par l’existence de monopoles naturels sans recourir à la solution de la régie(*), mais en remplaçant une concurrence effective ex post par une concurrence ex ante.
2Des travaux plus centrés sur l’aspect microéconomique de ce type de délégation(*) et attentifs aux problèmes de coûts de transaction, de spécificité des actifs et d’incomplétude des contrats ont bien vite mis en évidence les failles que pouvait présenter la concurrence « pour » le marché, qui concernent aussi pour une large part toutes les procédures d’appels d’offres pour la délégation de services publics.
3Il faut d’abord s’assurer qu’il existe une concurrence effective pour répondre à l’appel d’offres. Problème ancien puisque des problèmes de collusion entachaient déjà les procédures d’adjudication sous l’Ancien Régime. Une faible concurrence est d’autant plus probable que le service spécifié est complexe, difficile à assumer, et que le marché est en expansion. L’autorité publique chargée de sélectionner le vainqueur ne doit pas avoir intérêt à fausser le jeu : une municipalité par exemple pourrait favoriser un producteur local au détriment d’autres plus efficients.
4Il est souvent difficile pour le délégant de spécifier entièrement le service attendu s’il comporte une forte dimension qualitative et si les préférences des consommateurs sont mal connues. L’état futur de la demande ou des technologies disponibles peut également être incertain. Le contrat de délégation sera donc incomplet, ce qui ouvre la voie à de possibles renégociations qui peuvent être fort coûteuses. Ceci peut inciter les délégataires à réclamer plus d’argent pour remplir le service en raison de l’incertitude qui pèse sur celui-ci. Pire encore, le processus d’enchères peut conduire à un phénomène d’antisélection : celui qui propose d’effectuer le service au moindre coût peut remporter l’enchère parce qu’il est le plus optimiste sur la demande future, ce qui pourra le conduire à être incapable de remplir le contrat si ses prévisions sont fausses, voire parce qu’il a le mieux cerné les failles du contrat qu’il peut exploiter.
5Il faut ensuite amener le délégant à exécuter le contrat. Ceci suppose d’abord de contrôler la qualité du service rendu, ce qui ne va pas sans coûts supplémentaires. Ce problème résolu, le délégataire doit être capable de sanctionner efficacement le délégant en cas de non-respect du contrat. Or il peut être très coûteux de remplacer un délégant défaillant, notamment si le service demande le développement d’investissements spécifiques importants ; le délégataire peut risquer une rupture dans la fourniture du service en cas de conflit avec le délégant, ce qui peut être très coûteux politiquement. Le délégataire peut donc avoir intérêt à renégocier plutôt qu’à faire respecter le contrat, ce dont le délégant peut éventuellement profiter.
6Un dernier problème concerne la réattribution d’un service après expiration du contrat. Le délégant déjà en place peut en effet avoir développé des avantages considérables sur ses concurrents potentiels : meilleure connaissance du marché et des coûts, meilleure formation du personnel, meilleure technologie… Il est même possible qu’il n’y ait plus de concurrents du tout après une première période. Le délégant en place peut donc proposer de fournir le service à un coût moindre que ses concurrents potentiels tout en s’assurant une marge !
7Est-ce à dire qu’il faut rejeter les procédures d’appels d’offres en faveur, par exemple, de la concurrence par comparaison(*) (yardstick competition) ? Les arguments présentés ici servent plutôt à souligner qu’il ne saurait y avoir de solution trop générale, il faut à chaque fois comparer les coûts et les inefficiences engendrés par les différents systèmes. On peut tout de même avancer que les procédures d’appels d’offres sont surtout adaptées à des services simples, bien définis, et ne nécessitant pas de relation de long terme entre délégant et délégataire. Des services plus compliqués peuvent nécessiter des contrats plus sophistiqués, de plus long terme, comportant plus de garanties pour le consommateur. Enfin, si l’incertitude est vraiment trop grande ou la taille des investissements trop importante, la mise en place d’une régie peut rester, quoique imparfaite, la meilleure solution.
8Pour aller plus loin :
9Consulter Saussier et Yvrande-Billon, Économie des coûts de transaction, La Découverte, coll. Repères, 2007