1Alors que l’économie publique légitimait traditionnellement l’action publique par son rôle de correction des échecs du marché, ses développements ultérieurs ont mis en balance les défaillances du marché(*) et celles de l’action publique (Laffont, 1999). Ce renversement de la charge de la preuve conduit à comparer les performances relatives des secteurs public et privé dans la fourniture de services publics.
2Les privatisations, largement utilisées dans les années 1980, visaient à la fois à désengager l’État des activités où son intervention n’était plus justifiée, et à augmenter la performance du service public [? « La privatisation des services publics : fondements et enjeux », p.90]. Si le premier objectif a été atteint, il est vite apparu que la cession d’actifs publics privait les décideurs publics d’une partie des moyens de leur politique. Aussi, la gestion mixte a offert des solutions contractuelles permettant de concilier la capacité d’investissement et d’innovation du secteur privé avec les pouvoirs de prescription et d’orientation dévolus aux pouvoirs publics (Marty, Trosa, Voisin, 2003).
3Le propos de cet article est de présenter la diversité de ces modalités de gestion et le type de prestations auquel ils correspondent. Il s’attachera ensuite à exposer les méthodes de comparaisons de coûts permettant de choisir le mode de gestion le plus adapté. Il se penchera enfin sur les modalités de négociation et de pilotage de la relation contractuelle, dont la qualité détermine le succès ou l’échec de la gestion mixte.
La gradation des modalités de gestion mixte
4Les modalités de gestion mixte se sont diversifiées au fil du temps. La plus ancienne et la plus connue est celle de la gestion déléguée, née de la jurisprudence et tardivement formalisée en 1993 par la loi Sapin. Viennent ensuite les possibilités ouvertes par le Code des marchés publics : révisé à plusieurs reprises au cours des années 2000, ce dernier permet désormais d’élaborer des marchés de service complexes, notamment en recourant au dialogue compétitif. Enfin, les partenariats public-privé (PPP) ont permis de confier pour une longue durée à un partenaire privé la réalisation, la maintenance voire l’exploitation d’une infrastructure ou d’un équipement concourant à une mission de service public.
Une forme de contrat traditionnelle en France, la délégation de service public
5La délégation de service public(*) (DSP) est « un contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de l’exploitation du service. Le délégataire peut être chargé de construire des ouvrages ou d’acquérir des biens nécessaires au service. » (loi « MURCEF », 2001). La DSP revêt plusieurs formes : en fonction de la mise à disposition ou non des équipements nécessaires au service public, des risques transférés au délégataire ou du retour des biens au secteur public à la fin de la délégation, on parlera de concession(*), d’affermage(*) ou de régie(*) intéressée.
Les marchés publics, un outil rénové
6Le Code des marchés publics est souvent considéré, à juste titre, comme très rigide. Les réformes successives du Code, si elles ont compliqué à titre transitoire la tâche des acheteurs, ont toutefois apporté des améliorations significatives dans le cadre des marchés de services.
7Il faut en premier lieu préciser qu’une partie des rigidités ne tient pas aux textes eux-mêmes, mais à une forme d’application du principe de précaution par les acheteurs publics. La Commission des marchés publics de l’État, dans son rapport d’activité de 2005, rappelait que ces derniers utilisent rarement l’ensemble des possibilités ouvertes par le Code, notamment en matière de fixation des clauses de révision de prix (CMPE, 2005). Or, les textes permettaient déjà de recourir à des mécanismes innovants, comme par exemple le paiement à la performance. Ce dernier a été mis en œuvre avec succès, notamment dans le cadre du marché de fournitures de pièces de rechanges aéronautiques signé en 2003 entre le ministère de la Défense et INEO, une filiale du groupe Suez. Les pénalités de ce marché ne sont pas assises sur le coût des rechanges indisponibles, mais sur le coût de l’heure de vol des avions ou des hélicoptères, ce qui constitue une incitation forte à la performance. La professionnalisation de la fonction d’achat des collectivités publiques devrait encourager les acheteurs à mieux tirer parti des ressources réglementaires.
8Les évolutions du code ont également permis de lever les incertitudes entourant certaines procédures. Ainsi, la difficulté soulevée par l’enchaînement entre les marchés de définition et les marchés de réalisation a été levée par la transposition de la procédure communautaire de dialogue compétitif (directive(*) 2004/18/CE), applicable à tous les marchés complexes et aux contrats de partenariat. Il s’agit d’une procédure de passation négociée, permettant un dialogue entre le pouvoir adjudicataire et les offreurs (Braconnier, 2002). L’acheteur public définit le service attendu et les candidats peuvent alors proposer les solutions techniques permettant d’y parvenir. Les conditions de concurrence se limitent à l’intangibilité des critères d’attribution tout au cours de la procédure et à l’égal accès de tous les candidats aux informations fournies par l’acteur public.
Le chaînon manquant des partenariats public-privé
9Entre la délégation de service public et les marchés publics, les partenariats public-privé (PPP) constituent la procédure permettant à un opérateur de fournir à une collectivité publique les services d’un actif (infrastructure, hôpital, système informatique, etc.) nécessaire à l’accomplissement d’une mission de service public. La rémunération du prestataire est assise sur des critères de performance, le risque de construction de l’ouvrage ou de l’équipement étant à la charge de ce dernier. Le financement de l’actif support du service est fondé sur un recours massif à l’emprunt, qui représente de 80 % à plus de 90 % du coût d’investissement. Les banques ou les marchés financiers qui financent un PPP fondent leur décision sur la rentabilité intrinsèque du projet, davantage que sur la santé financière de l’entreprise qui le porte (Lyonnet du Moutier, 2006). Le paiement versé par la collectivité publique inclut le remboursement de cet emprunt, dont l’avantage est d’étaler dans la durée la charge d’investissement et de rester ainsi dans les limites des plafonds annuels de crédit.
10Les PPP sectoriels ont été créés en 2002-2003 par les lois d’orientation et de programmation sur la sécurité intérieure et la programmation militaire (commissariats et casernes de gendarmerie), sur la justice (prisons et tribunaux), sur la santé et l’hôpital (établissements hospitaliers). Il s’agit de marchés dérogatoires au Code des marchés publics, inspirés des baux emphytéotiques administratifs créés en 1984 à l’usage des collectivités territoriales.
11À coté de ces PPP à vocation immobilière, l’ordonnance du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat a introduit un outil de portée générale. Le recours à cette forme de gestion mixte doit être justifié sur le plan juridique par l’urgence ou la complexité, et requiert une évaluation préalable des avantages économiques, budgétaires, organisationnels et sociaux du contrat de partenariat sur les autres modes de gestion. Une trentaine de projets ont déjà fait l’objet d’une telle procédure et une dizaine ont été signés, dans leur grande majorité par des collectivités territoriales (MAPPP, 2007).
Le choix du mode de gestion : méthodes et outils
12Le choix entre les différents modes de gestion ne doit être explicité que lors du recours à un contrat de partenariat. Toutefois, la Commission des marchés publics de l’État conseille aux acheteurs publics recourant à un marché complexe de s’inspirer de la procédure d’évaluation préalable. Cette dernière repose sur le calcul des coûts publics, la comparaison des coûts des différentes solutions en termes de valeur actuelle, en intégrant leurs risques respectifs de surcoûts et de retards.
Le calcul des coûts publics
13Les coûts budgétaires ne retracent pas l’ensemble des coûts d’une fonction, même si la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) incite à calculer le coût global d’une action publique. Or, les comparaisons de coûts public-privé nécessitent de travailler à périmètre comparable. Au-delà des coûts de gestion et de la prise en compte des pensions, la comptabilité budgétaire ne prend pas en compte le coût des fonds publics, alors que les entreprises intègrent dans leurs prix leur coût de financement. En dehors de quelques ressources propres, l’État et les collectivités publiques se financent par l’impôt et les emprunts. Comme il n’existe pas de calcul reconnu et vérifiable de ce coût global de financement, il est par convention représenté par le coût de la dette publique, soit le taux de l’Obligation assimilable du Trésor (OAT). De ce fait, lorsque l’État ou les collectivités territoriales actualisent les flux d’un projet au taux de leur dette, ce calcul revient à prendre en compte le coût des fonds publics. Le coût d’opportunité des fonds publics, pour sa part, mesure les « externalités » de la dépense publique sur l’économie. Dans un contexte d’offre de capitaux limitée, les fonds prélevés par les collectivités publiques évincent les besoins privés de capitaux. Ces derniers pouvant donner lieu des utilisations plus productives des capitaux, le coût d’opportunité des fonds publics permet de fixer le niveau de rentabilité sociale d’une dépense publique.
Les comparaisons de coûts
14Lorsqu’une collectivité compare le coût d’une sous-traitance de service peu complexe avec sa réalisation en régie, la nature comparable des flux permet d’en rester à une simple comparaison des flux de crédits budgétaires mobilisés dans les deux modes de réalisation. Pour l’entretien de locaux, la différence de coût horaire du prestataire, à prestation équivalente, déterminera ou non son avantage par rapport à la régie. Il faudra toutefois, dans une telle comparaison, prendre en compte les coûts cachés de la prestation interne et valoriser les flux de leurs hausses économiques respectives, les clauses de révision de prix d’un contrat public et la hausse des coûts d’un service en régie pouvant significativement diverger à moyen terme.
15En revanche, le coût budgétaire d’un projet d’investissement public ne peut être comparé dans une logique de contrôle et de vote annuels des budgets. En effet, ce suivi annuel des dépenses ne permet pas de rendre compte des effets économiques d’une variation du rythme de consommation des crédits sur la durée du projet (Marty, Trosa, Voisin, 2006). La mesure du « prix du temps », couramment utilisée par les entreprises, s’effectue en calculant la valeur actuelle du projet.
16Cette dernière représente la somme des flux annuels de dépenses et de recettes de chaque solution de gestion, actualisée au taux de l’OAT de même maturité que le projet. L’actualisation traduit le fait qu’un euro futur a moins de valeur qu’un euro disponible aujourd’hui.
La prise en compte des risques
17Lorsque les entreprises calculent la rentabilité de leur offre de services, elles utilisent un taux d’actualisation qui incorpore une prime de risque, destinée à couvrir les aléas du projet et intégrée au prix de leurs offres. En revanche, l’OAT étant un taux sans risque, le coût des risques d’un projet public fait partie des coûts cachés et doit être calculé afin de réaliser une comparaison public-privé équitable.
18Le guide pratique des contrats de partenariat (MAPPP, 2006) liste une cinquantaine de risques. En pratique, un nombre plus réduit de risques a un impact significatif sur les coûts du secteur public : les dépassements de coûts et de délais de construction sont à cet égard déterminants, représentant jusqu’au tiers du coût des risques du projet (NAO, 2002). Les probabilités de surcoût sont calculées sous forme d’espérances de coût, voire de simulations consistant à probabiliser les scénarios d’évolution des coûts.
La négociation et le pilotage des contrats de gestion mixte
19La nature particulière des contrats de gestion mixte soulève des problèmes concurrentiels et nécessite des solutions innovantes de concurrence en cours d’exécution du contrat. La maîtrise du niveau de service attendu passe par des indicateurs de performance complexes à mettre en œuvre. Cette technicité accrue des contrats et de leur passation nécessite un renforcement des compétences de la personne publique.
La négociation des contrats de gestion mixte et la problématique de la concurrence
20En tant que contrat de longue durée fournissant une prestation globale, le partenariat public-privé et la concession exacerbent la problématique de la concurrence. Devant combiner surface financière et capacité à gérer sur la durée un projet impliquant des acteurs hétérogènes (banques, sous-traitants….), les acteurs du marché sont structurellement peu nombreux. Pour les opérations de grande taille, ce phénomène est amplifié par la longueur des procédures, et leur coût restreint le nombre de participants.
21Prenant acte des limites de la concurrence avant la passation des contrats, la pratique britannique des Private Finance Initiatives (PFI) a consisté à réintroduire de la concurrence au stade de leur exécution [? « Le blairisme et les services publics », p.188]. Il s’agit de comparer à intervalles raisonnables les tarifs des différentes composantes de la prestation avec les prix de marché (market testing et benchmarking). Une autre innovation a été introduite en découplant la sélection du prestataire et celle du financeur. Inaugurée en 2000 avec la PFI sur le siège du Her Majesty’s Treasury (National Audit Office, 2001), cette procédure de mise en concurrence des prêteurs est aujourd’hui employée pour le financement de la flotte d’avions de ravitaillement en vol de la Royal Air Force.
22Les clauses de rendez-vous des PPP ouvrent la voie à des renégociations. Si ces dernières sont logiques dans des contrats de très long terme (Hart et Moore, 1988), elles doivent faire l’objet d’une attention particulière de la part des collectivités publiques, les prestataires pouvant adopter des comportements opportunistes en jouant sur l’obligation de garantir la continuité du service (Green et Laffont, 1992). L’opérateur peut par exemple proposer un tarif compétitif pour remporter le contrat et renégocier une hausse de ses tarifs au bout de quelques années.
Le pilotage des contrats et la performance
23L’efficacité des partenariats public-privé repose sur la mise en place d’un système de mesure de la performance. Ce dernier doit parvenir à un équilibre entre le nombre d’indicateurs et la lisibilité de la performance du prestataire. En effet, l’exhaustivité accroît non seulement le coût de recueil des données, mais nuit à la hiérarchisation des critères et conduit à des redondances. Par exemple, le service des prisons britanniques utilise quatre-vingt-dix indicateurs pour évaluer la performance des prisons. La Cour des comptes (National Audit Office, 2003) a réalisé une contre évaluation utilisant les seize indicateurs jugés les plus représentatifs et aboutit au même classement des établissements pénitentiaires. La disponibilité des informations est également cruciale : l’étude des PFI britanniques en service montre que les équipes publiques de suivi des contrats ont de réelles difficultés à recueillir et interpréter les données permettant de construire les indicateurs de performance (Partnerships UK, 2006).
Le renforcement et le maintien des compétences internes à l’administration
24La complexité des contrats de PPP et leur durée appellent de nouvelles compétences. L’expérience britannique montre l’intérêt de mettre en place des équipes de projet pluridisciplinaires destinées à conseiller les collectivités publiques dans la réalisation de PPP et à capitaliser les expériences. Avec la création de la MAPPP (Mission d’appui à la réalisation des contrats de partenariat public-privé), la France s’engage dans une logique proche, et les avancées britanniques récentes revêtent d’autant plus d’intérêt.
25Tout d’abord, la complexité croissante des montages a conduit en 2003 le Royaume-Uni à créer deux entités de conseil : l’Office of Government Commerce (OGC), structure publique chargée d’édicter des recommandations et de recueillir les bonnes pratiques, et Partnerships UK (PUK), un partenariat entre le Trésor et la City, destiné à conseiller les personnes publiques dans le domaine des montages financiers. Autre innovation récente, les Private Finance Units des ministères accueillent pour des durées de deux à trois ans des contractuels venus des banques et de Partnerships UK. Ces cadres de haut niveau ont une mission additionnelle de formation professionnelle de leurs équipes, afin que l’administration puisse bénéficier d’un transfert de compétences.
Conclusion
26Dans le domaine de la gestion publique, l’opposition traditionnelle entre « faire » et « faire faire » s’est enrichie de la diversification des modalités de gestion mixte. Il est intéressant de noter que les partenariats public-privé, derniers nés de ces formes contractuelles, consacrent un retour de l’État, en tout cas dans son rôle de définition et d’orientation des politiques publiques. En effet, contrairement à la privatisation et à la délégation de service public, qui reviennent soit à céder une propriété publique, soit à déléguer une mission de service public, le PPP se limite à fournir les services d’un actif à la collectivité publique.
27Ce rééquilibrage du partage public-privé donne une plus grande capacité de contrôle des prestations fournies, mais il suppose également un suivi des contrats dans la durée et l’existence d’une capacité d’expertise renforcée au sein de la sphère publique. Les démarches de retour d’expérience, de standardisation des clauses contractuelles et de mesure de la performance jouent à cet égard un rôle essentiel.
28Il convient également de remarquer que, bien que potentiellement concurrents, la délégation de service public, les marchés publics et les PPP répondent au final à des besoins différents des personnes publiques. Le recours à l’évaluation préalable contribue à cet équilibre, en formalisant le choix du mode de gestion. Ainsi, l’apparition du contrat de partenariat a permis de combler un vide dans l’éventail des formules contractuelles sans vider de leur substance les autres contrats publics.