CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Le soutien scolaire est en pleine expansion, si bien que ce qui était à la « marge de l’école » devient un élément incontournable de toute réflexion d’ampleur sur l’éducation et ses objectifs en termes d’efficacité et d’égalité des chances. À côté du travail de l’Éducation nationale et de diverses associations de soutien scolaire gratuit, un marché florissant de cours particuliers ou collectifs payants se développe rapidement, faisant planer le spectre d’une scolarité à deux vitesses. L’accompagnement scolaire gratuit est largement minoritaire (5 % du marché). En 2006, les auteurs du rapport pour l’Éducation nationale intitulé « L’accompagnement à la scolarité » mettaient en avant deux grands types de réponses possibles : d’un côté « prendre appui sur les dispositifs publics d’accompagnement à la scolarité, gratuits pour les familles, en les adaptant à une nouvelle problématique », de l’autre « faire confiance au marché et atténuer ou supprimer les inégalités qu’il produit en imaginant de nouvelles procédures de compensation financière en faveur des familles modestes. »

Le soutien scolaire gratuit

2Depuis 1981, les pouvoirs publics ont défini un cadre d’orientation et une appellation : « l’accompagnement scolaire ». Cet accompagnement scolaire a un double objectif, énoncé clairement dans la Charte de l’accompagnement à la scolarité de 2001 : la réussite scolaire des élèves et une éducation culturelle. Cet accompagnement, largement minoritaire puisqu’il ne représente que 5 % du marché, peut être collectif ou individuel. Dans le cas de l’accompagnement individuel, hormis la gratuité il n’y a pas de différence entre ce type d’accompagnement et celui apporté par des entreprises privées de soutien scolaire. L’avantage de ce type de soutien non-marchand est clair : gratuit, il est à la portée de tous. Les associations et travailleurs sociaux jouent un grand rôle dans ce secteur. Il semblerait que le gouvernement ait opté pour une solution « publique » au problème que pose le soutien scolaire. François Fillon a ainsi déclaré que : « Quatre fois par semaine, écoliers, collégiens et lycéens pourront bénéficier d’un encadrement éducatif d’au moins deux heures par jour » dans tout l’enseignement scolaire à la rentrée 2011. Ces heures « seront notamment assurées par des professeurs volontaires et par des assistants d’éducation ». Cette option, si elle débouche sur un soutien de qualité, devrait déplaire aux businessmen du secteur.

Le soutien scolaire payant

3S’appuyant sur les travaux de Glasman et sur une étude sectorielle de L. Melot (Le marché du soutien scolaire, Xerfi, 2005), la lettre d’information de l’INRP (Institut national de recherche pédagogique) de décembre 2006 dresse un rapide aperçu de ce marché. Le nombre d’élèves qui recourent à un soutien payant se situe entre 850 000 et 2 millions selon les sources. Le plus souvent, le soutien scolaire est assuré « au noir » par des professeurs particuliers indépendants (enseignants en activité ou retraités, étudiants). La part souterraine du marché du soutien payant est estimée entre 55 % et 65 %. Mais les déductions d’impôts auxquelles ouvrent droit les cours déclarés la font baisser. Les entreprises de soutien scolaire en profitent, ainsi que de l’augmentation de la pression scolaire et d’une défiance accrue vis-à-vis de l’école. Elles augmentent ainsi chaque année leur part de marché (entre 30 % et 40 % du marché). Les perspectives de croissance sont bonnes, au regard d’un investissement minime. Acadomia, Complétude, Anacours, Après la classe, Keepschool... : la liste des officines de soutien scolaire est longue. Le marché global est évalué à environ 2 milliards d’euros. Il est dominé par un géant : Acadomia, fondé en 1989 (2 millions d’heures de cours dispensées par an avec un chiffre d’affaires de 62 millions d’euros en 2004). Considérons le fonctionnement de ce marché avec un exemple présent dans la lettre d’information de l’INRP, construit à partir du cas d’Acadomia : « Pour inscrire leur enfant, les parents acquittent d’abord un droit d’inscription d’environ 75 € qui n’est pas déductible d’impôts. Une heure de cours coûte environ 32 €; 14 € net (parfois moins) vont au professeur, 5 € sont versés au titre des charges sociales et 13 € reviennent à Acadomia. Les 32 € payés donnent droit aux parents à une réduction d’impôt de 16 €, si bien qu’au final, le cours leur revient à 16 €. Le professeur, quant à lui, doit déclarer un revenu de 14 + 13 = 27 € mais peut toutefois déduire les 13 € qui ont rémunéré Acadomia au titre de ses frais réels ». Les mesures d’incitation fiscale sont bien un élément essentiel de l’organisation du marché.

4Il existe ainsi une tension réelle entre la politique d’emploi telle qu’elle est menée dans le plan de cohésion sociale (dont les mesures fiscales constituent un volet) et l’égalité d’accès au soutien scolaire. Les pertes de recettes fiscales visant à stimuler un système marchand de soutien scolaire inéquitable réduisent les possibilités pour l’État de financer un système gratuit d’accompagnement scolaire pour tous (cf. l’avis du Haut conseil de l’évaluation de l’école sur « Le travail des élèves pour l’école en dehors de l’école », mai 2005).

Renaud Coulomb
RCE
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/03/2008
https://doi.org/10.3917/rce.002.0166
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour La Découverte © La Découverte. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...