CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Comment La Poste s’est-elle adaptée à l’ouverture progressive du marché postal et à l’accroissement de la concurrence ?

2La concurrence n’est pas un phénomène récent pour La Poste. Après la transposition au premier janvier 2006 de la directive(*) postale européenne, toutes les activités du groupe La Poste sont en concurrence, sauf la lettre domestique de moins de 50 grammes, qui représente moins de 30 % de son chiffre d’affaires. La concurrence est un phénomène auquel La Poste est habituée et préparée de longue date – très bien dans certains domaines comme le colis et l’express, bien dans des domaines où elle est de plus en plus dans le « grand bain », comme la banque postale, ainsi que dans les secteurs où elle se prépare progressivement, comme dans le courrier.

3Depuis 2003, nous avons modernisé de manière très profonde notre outil de production courrier. Cet outil est une énorme machine logistique qui voit passer tous les jours sauf le dimanche 70 millions d’objets, partant de 500 000 points de collecte et distribués à 20 millions de points de desserte. Cet outil industriel datait de l’organisation française et des modes de production de La Poste des années 1970. Aujourd’hui, nous mettons l’outil au goût du jour, grâce à un certain nombre de grandes plateformes très automatisées, le plus près possible des grands flux, le mieux placées par rapport aux grandes infrastructures de transports (autoroutes, TGV, aéroports). Il s’agit d’un projet important, qui couvre la période 2003-2010 et dont le montant dépasse largement les 3 milliards d’euros. En 2010-2011 la Poste française devrait ainsi disposer d’un des outils logistiques les plus performants d’Europe, si ce n’est du monde. Voilà donc une première manière de s’adapter à l’ouverture des marchés : mieux satisfaire le client, par la modernisation de l’outil de production qui permet d’ajuster les tarifs si nécessaire, d’être irréprochable en termes de qualité, et de lancer de nouveaux services pour répondre aux attentes de notre clientèle (comme une meilleure gestion des changements d’adresse).

4Deuxième point, La Poste développe de nouvelles technologies qui vont progressivement se substituer à certaines formes écrites, comme la lettre recommandée. Nous avons déjà une lettre recommandée hybride, qui part de l’ordinateur (les entreprises qui envoient des milliers de lettres recommandées par jour les préparent par ordinateur, elles ne les amènent pas au guichet), mais qui pour des questions de certification est encore remise sous forme de lettre. Bientôt, les dispositions permettant d’avoir des lettres recommandées entièrement électroniques seront en place. Nous sommes attentifs à être présents sur le marché des nouveaux produits électroniques.

5La Poste n’est pas seulement confrontée à l’ouverture du marché à la concurrence, mais aussi à l’ampleur des mutations technologiques, avec le développement d’Internet. Quelles ont été les réponses du groupe à ces transformations ?

6Le marché du courrier est un marché très attaqué, mais pas uniquement par la concurrence électronique : il est aussi attaqué par les efforts de rationalisation des entreprises. Les frais postaux sont maintenant gérés par les entreprises comme le sont les frais généraux, les frais de déplacement, d’électricité, de télécommunications… Ce sont des dépenses comme les autres. Aujourd’hui, ce qui affecte le plus les volumes de courrier, ce sont les efforts de rationalisation des entreprises et des administrations.

7Pour faire face à la révolution de la concurrence électronique (ainsi qu’à l’ouverture des marchés), La Poste peut compter sur un certain nombre de relais de croissance. Des pans entiers de notre activité tendent à décliner, comme le courrier de gestion (par exemple les relevés envoyés par les banques : il y a de puissants phénomènes de rationalisation à l’œuvre). En revanche, la publicité adressée (le marketing direct) continue à se développer, et le potentiel de croissance est très important. Ce marché est aujourd’hui la moitié de ce qu’il est aux États-Unis : un Américain reçoit en moyenne deux fois plus de publicité adressée qu’un Français. Le potentiel de croissance est d’autant plus important que, contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, le marketing direct a une vraie rentabilité pour les entreprises en termes de promotion et de développement des ventes. Pourquoi ? Parce que toutes les enquêtes montrent que la publicité adressée est un média très apprécié : 92 % des gens ouvrent les publicités qu’ils reçoivent, 70 % des gens les gardent et les regardent pendant le week-end en famille. Le marketing direct fonctionne bien car il est perçu par le destinataire comme beaucoup moins intrusif qu’Internet. Il est d’autant plus apprécié par l’émetteur qu’il est efficace : on a beaucoup progressé dans les segmentations et la pertinence des fichiers. Je remarque personnellement que j’ai de plus en plus de choses dans ma boîte aux lettres qui m’intéressent. Ce média a un véritable avenir grâce au perfectionnement des fichiers. Nous travaillons beaucoup sur la promotion de la publicité adressée : nous avons des clubs avec les PME – car c’est un média souvent ignoré par les PME en France.

8Si, de manière générale, le développement électronique est pour la partie courrier traditionnel au moins autant un risque qu’une opportunité, pour la partie colis en revanche, c’est une opportunité à 100 %, grâce au développement du e-commerce. Sur Internet, les commandes sont virtuelles, une partie des catalogues est virtuelle, mais les envois se font par colis. L’explosion du e-commerce fait décoller la livraison à domicile, segment sur lequel La Poste a une position privilégiée.

9La création de la Banque postale en 2006 a été une étape cruciale dans le développement du groupe. Pourquoi créer la Banque postale ? Les syndicats et l’opposition parlementaire se sont opposés au statut de filiale, portant selon eux en germe la privatisation. La Banque postale a-t-elle vocation à s’ouvrir à des capitaux privés ? À être privatisée ?

10La Poste a une activité financière depuis sa création. Elle a été créée par Louis XI pour poster ses messages et collecter l’argent. Les deux flux (information et argent) sont depuis toujours au cœur de l’existence des postes (pas seulement de la poste française). Il y a eu des évolutions dans les techniques de communication, ainsi que la bancarisation, mais fondamentalement cette origine demeure au cœur de la vocation de très nombreuses postes, dont la poste française. Les services financiers de La Poste ont occupé une place très importante dans la société française : ils étaient pendant très longtemps les seuls, et les plus innovants (c’est La Poste qui a lancé les premiers produits d’épargne, les premiers compte-chèques). À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, près de la moitié de l’épargne française se trouvait à La Poste. Et puis dans la deuxième partie du XXe siècle il y a eu le phénomène de bancarisation ; progressivement la part de marché de La Poste s’est étiolée, les services bancaires de La Poste apparaissant à la clientèle comme restreints par rapport à ceux qu’offraient les autres banques. La création de la Banque postale était donc une question de survie. Or l’activité financière est très importante (par son volume : il s’agit de la troisième banque de détail française, avec 250 milliards d’euros d’encours), et a une place très spécifique dans la société française : c’est à la fois une banque comme les autres et une banque pas comme les autres. Une banque comme les autres, parce qu’elle est soumise aux mêmes règles du jeu ; et une banque pas comme les autres parce qu’elle est particulièrement implantée sur les territoires d’une part, et parce qu’elle a une clientèle modeste plus importante en proportion que les autres banques de l’autre. Elle joue un rôle dans la lutte contre l’exclusion bancaire. Le risque majeur eut été que les services financiers de La Poste ne deviennent la banque du pauvre, une telle banque étant par définition une banque subventionnée. Une banque de détail pour vivre doit en effet avoir l’ensemble de la clientèle ; personne ne peut avoir que la clientèle pauvre, ou la clientèle disséminée, ou la clientèle rurale : ça ne fonctionne pas ! Maintenant que la Banque postale est en place, reste à faire en sorte qu’elle ait effectivement la possibilité d’offrir les mêmes services que les autres banques – ce n’est pas encore le cas car on ne peut pas encore offrir de crédit à la consommation par exemple. C’est, je pense, une question de calendrier.

11Les syndicats et certains élus avaient émis des inquiétudes, parce que créer la Banque postale est une façon de se banaliser. Mais chacun était bien conscient que si progressivement les services financiers de La Poste n’avaient pas la possibilité d’acquérir le statut de banque, ils allaient vers un dépérissement programmé qui aurait été fatal à l’emploi et à la présence de La Poste sur l’ensemble du territoire. On ne peut pas en effet demander à La Poste d’être présente sur l’ensemble du territoire tout en lui interdisant d’offrir à la population les services qu’elle attend. Cette contradiction n’est d’ailleurs pas entièrement levée à l’heure actuelle : comme nous ne pouvons pas offrir de crédit à la consommation, nous devons faire face à une fuite de la clientèle jeune, contre laquelle nous ne pouvons rien.

12Le texte de 2005 prévoit la possibilité d’ouvrir le capital de la Banque postale – cela ne veut pas dire que nous allons le faire, mais quand on fait un texte, il est bon de prévoir un certain nombre de possibilités. Ceci dit, si un jour des partenariats doivent se développer, nous serons attentifs à ce qu’ils aient du sens d’un point de vue logistique et industriel. Les enjeux d’alliance stratégique sont forcément présents, surtout dans une période où le secteur bancaire a tendance à se concentrer. Il est donc normal d’avoir prévu ces perspectives. Quoiqu’il en soit, il faudra toujours être attentif à ce que les alliances ne dénaturent pas la double nature de la banque postale, qui doit être à la fois moderne, efficace, performante, mais aussi continuer à occuper cette place incontournable dans la société française, plutôt tournée vers les populations modestes.

13La Poste doit être un acteur universel, tout en ayant une vocation particulière. Ceci signifie que les coefficients d’exploitation de la Banque postale vont s’améliorer (ils peuvent s’améliorer beaucoup), mais qu’on n’aura jamais la rentabilité des banques à dominante de clientèle patrimoniale.

14Comment s’assurer alors que la logique de marché n’entre pas en conflit avec les missions d’intérêt général du groupe ?

15Je soutiens fermement qu’il y a complémentarité au sein d’une entreprise publique entre recherche de performance et qualité du service public. Beaucoup de gens ont essayé de faire croire que la recherche de la performance ne pouvait se faire qu’au détriment de la qualité. Tout démontre le contraire : plus les entreprises sont bien portantes (comme EDF), meilleur est le service. Plus les entreprises ou les secteurs dans lesquels elles opèrent sont en difficulté financière, plus le service est médiocre.

16La seule critique que l’on peut formuler à cette affirmation est la suivante : quand la pression de la rentabilité augmente, il peut y avoir une tendance à abandonner certaines activités. Mais la réponse est évidente : quand il y a un service public, il faut qu’il y ait un cahier des charges définissant le service public. Un service public est un service qui ne pourrait pas être produit par le jeu naturel des acteurs du marché. Il s’agit d’un service dont les caractéristiques principales sont définies par la collectivité publique [? « Les nouvelles frontières du service public », p.14]. Quelles sont ces caractéristiques ? Le contenu, le périmètre, la qualité, le prix. Le même cahier des charges s’impose à tout le monde, il faut ensuite mettre en œuvre ce cahier des charges, quelle que soit le mode de gestion retenu (public, privé, partenariat public-privé). Plus le cahier des charges est mis en œuvre de manière efficace, meilleur sera le service. Quand il y a un risque que plus de demande de performance se traduise par une réduction du service public, c’est que le service public a été mal défini. À partir du moment où la cahier des charges est bien conçu par la puissance publique, et à partir du moment où il s’impose à tout le monde, alors en aucun cas l’efficacité ne peut se faire au détriment du service.

17Les directives européennes de 1997 et 2002 [? « Europe et service public », p.66] prévoient des « règles spécifiques relatives à la prestation d’un service postal universel au sein de la communauté », avec des « critères définissant les services susceptibles d’être réservés aux prestataires des services universels », à savoir actuellement le monopole de la lettre de moins de 50 grammes (secteur qui est donc pour le moment réservé à La Poste). Mais le secteur réservé doit lui aussi être libéralisé en 2011 après évaluation. Comment La Poste se prépare-t-elle à la libéralisation totale du marché postal ?

18La concurrence dans le domaine du courrier a trois caractéristiques particulières. Tout d’abord, elle s’exerce dans une activité qui n’est pas en croissance, contrairement à tous les autres secteurs ouverts à la concurrence (l’énergie par exemple). Ensuite, elle s’exerce dans une activité où les barrières à l’entrée ne sont pas si importantes que cela. En particulier, il y a relativement peu d’investissements à réaliser pour devenir une poste. Il s’agit pour l’essentiel de savoir mettre en place des organisations d’acheminement, de collecte, de transport et de distributions, qui sont des organisations humaines. Enfin, il s’agit d’un marché dont la clientèle est extrêmement concentrée. Chacun d’entre nous est certes client de La Poste, mais les cinquante premiers clients de La Poste représentent 35 % de son chiffre d’affaires, et ont avec elle des contrats dépassant souvent les 100 millions d’euros. Ces trois éléments engendrent des conditions assez spécifiques à cette ouverture de marché.

19Aujourd’hui le service universel postal défini par l’Union européenne est un service de haut niveau. Il consiste à desservir rapidement (85 % de courrier arrive maintenant le lendemain) tous les jours (sauf le dimanche) tout le territoire, à un prix abordable. Avec l’ouverture totale du marché, un certain nombre de grands acteurs économiques, qui n’ont pas forcément besoin de cette qualité de service, vont faire savoir qu’ils peuvent se contenter de moins. Assez naturellement, quand on ouvre un marché, celui-ci se segmente. Quand le marché se segmente, des acteurs arrivent dans les différentes niches, se spécialisent, avec une capacité (à mode d’organisation égal) à être plus adaptés aux services demandés par le client. Qui plus est, ces niches (fondamentalement les grandes entreprises et les grandes villes) sont souvent celles où il y a des marges relativement importantes. En effet, si on dédie des systèmes postaux spécifiques aux grandes entreprises et aux grandes villes, il est aisé de parvenir à des coûts inférieurs aux coûts actuels, qui intègrent la totalité du service universel. Ainsi, en faisant disparaître un monopole, on fait disparaître le mode de financement correspondant. Le monopole est en effet d’abord un mode de financement. En confiant au même opérateur les flux rentables et les flux non rentables, on lui permet de réaliser un dispositif de péréquation(*) interne qui a été jusqu’à présent le mode de financement des flux non rentables. C’est la réalité de ce que les Français perçoivent comme le service public : la capacité de desservir de manière équitable tous les territoires, y compris les territoires où la distribution et le service postal coûte beaucoup plus cher que ce que ne représente le prix du timbre. Quand un Parisien paye 54 centimes pour une lettre de Paris à Paris, il paye une partie de ce que coûte une lettre allant d’un port breton à un village de Haute Corse.

20La première manière de se préparer à l’ouverture est de faire en sorte que les mécanismes de régulation(*) qui seront instaurés permettent à La Poste de financer ses missions de service public. Il y là a un gros travail à faire pour expliquer l’ensemble de ces mécanismes à tout le monde : en France aux administrations, au Parlement, au gouvernement ; en Europe à Bruxelles, au Parlement européen. Les questions de financement ne sont pas de fausses questions. Il faut que l’organisation du marché et la régulation soient équitables pour tous les opérateurs, et nous y travaillons.

21Deuxièmement, les échanges se mondialisent progressivement. Notre développement européen et mondial est une forme de réponse à l’ouverture du marché français. En particulier dans le domaine du colis et de l’express, mais demain aussi dans le courrier, notre stratégie consiste à avoir une présence significative en Europe puis dans le monde, de façon à pouvoir offrir à tous nos clients un vrai service en Europe, et progressivement un service mondial de qualité. Dans ce cadre là, il n’est pas exclu de prendre des parts de marché dans des pays émergents comme la Chine et l’Inde. Aujourd’hui déjà, dans le domaine de l’express, plus de 70 % de notre chiffre d’affaires est fait en dehors de France. Voilà une autre forme de réponse et de préparation à l’accroissement de la concurrence. Nos réponses ne sont pas seulement sur le marché français du courrier, mais aussi sur l’ensemble du portefeuille d’activités de La Poste, ainsi qu’à l’international.

22Entrons à présent dans le détail de la gestion du groupe. Comment la modification du cadre concurrentiel, les mutations technologiques, et la préparation de la libéralisation totale se sont-elles traduites dans la gestion de La Poste, en particulier dans sa politique de recrutement ?

23Il y a d’abord eu une véritable évolution dans l’organisation de La Poste, afin d’aller plus vite dans les efforts de modernisation, de conduite de projet et d’amélioration de la performance. La Poste était largement organisée sous forme de postes départementales : il y avait au niveau de chaque département un directeur de poste généraliste, s’occupant de chacun des trois métiers (courrier, colis, banque). Dans la situation où se trouvait La Poste en 2003, obligée de se transformer très rapidement alors qu’elle avait pris un gros retard (une dizaine d’années par rapport à nos principaux concurrents, notamment allemands et hollandais), il a fallu mener simultanément un grand nombre de changements dans tous les métiers : faire la Banque postale, réorganiser le courrier, développer le colis et l’express, moderniser et dynamiser le réseau des bureaux de poste.

24Du point de vue du statut de son personnel, La Poste s’est préparée de longue date aux évolutions à venir. La Poste n’embauche plus de fonctionnaires depuis 5 ans : elle n’embauche que des contractuels de droit privé. On mélange souvent le statut du personnel et le statut de l’entreprise. Or il s’agit de deux choses totalement différentes. Prenez EDF. EDF a changé son statut d’entreprise, mais n’a pas changé le statut de son personnel. Pour sa part, La Poste est un établissement public(*) ; en revanche il n’y a pas un statut spécifique du personnel à La Poste, mais la coexistence de deux statuts, celui de fonctionnaire d’État, et celui de salarié de droit privé. C’est aussi une manière de se préparer à la concurrence, car il y a une différence significative de coûts entre les différents statuts. Ceci explique qu’aujourd’hui la forme juridique de La Poste n’est absolument pas un frein à sa modernisation et à sa préparation pour l’ouverture à la concurrence.

25Dans l’optique de la fin du secteur réservé, La Poste doit-elle abandonner son statut d’établissement public pour devenir une société anonyme ouverte aux capitaux privés, comme EDF, et à l’image des autres postes européennes ?

26S’il devait y avoir un jour de grands enjeux industriels, des rapprochements, de très grandes acquisitions, alors il faudrait probablement se poser la question de l’évolution de la forme juridique de La Poste. En soi cependant, la forme juridique de La Poste n’est absolument pas un frein à son évolution et à sa modernisation. Elle pourrait être un frein si nous avions un jour besoin de participer à des opérations capitalistiques importantes. Mais La Poste fait actuellement suffisamment de résultats, génère des capacités d’autofinancement suffisantes pour sa modernisation et sa croissance. L’ouverture de La Poste à des capitaux privés n’est aujourd’hui pas du tout à l’ordre du jour, même si d’autres postes l’ont fait : la poste allemande, la poste hollandaise, la poste belge, la poste autrichienne, la poste danoise… En ce qui nous concerne, ce n’est pas une étape qui fait sens aujourd’hui.

27Le groupe projette-t-il de mettre en œuvre un service minimum, et sous quelles modalités ? La Poste peut-elle s’inspirer du système d’alarme sociale que vous avez mis en place lorsque vous dirigiez la RATP ?

28En la matière, tout démarre par un dialogue social de bonne qualité – c’est une banalité de le dire. C’est moins une banalité d’affirmer qu’un dialogue social de bonne qualité passe par une organisation décentralisée et responsable. Il n’y a pas de dialogue social de bonne qualité dans une organisation administrative centralisée. Le dialogue doit se faire à tous les niveaux de manière organisée et construite entre des gens qui savent quels sujets ils peuvent aborder et de quelles marges de manœuvre ils disposent. Le dialogue social n’est pas une spécificité de la direction générale et du secrétaire général des confédérations. Très souvent, les gens pensent que l’essentiel se joue au niveau des négociations centrales. C’est une vision très partielle : l’essentiel se joue dans la capacité à faire en sorte que l’ensemble de l’institution soit en dialogue.

29Quand on fait cela, il peut rester des conflits sociaux localisés, auxquels La Poste fait face par la mise en œuvre de dispositifs de substitutions et l’établissement de priorités. En particulier, des moyens sont systématiquement mis en place pour que les services aux entreprises (collecte et desserte des boîtes CEDEX) soient assurés dans tous les cas de figure. Il existe ainsi un service (certes dégradé) qui fait que la vie économique n’est pas durablement et sérieusement affectée en cas de conflit local même durable. Aujourd’hui, la mise en place d’un service minimum n’est donc pas une priorité, puisque les mécanismes existants, confortés par un certain nombre de jugements, fonctionnent bien : nous parvenons à concilier le droit de grève et la continuité du service en offrant un service réduit.

30Quant à l’alarme sociale, c’est un bon dispositif. Il est né dans la discrétion, mais a ensuite connu une certaine renommée : c’est un mécanisme qui a fait ses preuves et fait diminuer la conflictualité. Mais l’alarme sociale ne fonctionne bien que dans une entreprise décentralisée où les responsabilités sont bien définies aux différents niveaux ; c’est un mécanisme qui fonctionne mieux pour des conflits locaux que pour des conflits généralisés. Une loi qui conforte ce dispositif, en rendant le mécanisme obligatoire et en soutenant les accords trouvés par un mécanisme législatif va dans le bon sens. Il ne faut pas opposer la négociation sociale et la loi : il faut qu’elles se confortent l’une l’autre.

31Propos recueillis par Claire Montialoux et Gabriel Zucman de RCE

Français

Jean-Paul Bailly, président du groupe La Poste, fait ici le point sur les défis qui attendent le monopole historique à la veille de la libéralisation totale du marché postal. Il explique ainsi dans quelles conditions La Poste, dont 70 % des activités sont déjà ouvertes à la concurrence et qui ne recrute plus que des contractuels de droit privé, peut et pourra continuer à assurer ses missions de service public, ainsi que comment elles doivent être définies.

Jean-Paul Bailly
Président du groupe La Poste
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/03/2008
https://doi.org/10.3917/rce.002.0138
Pour citer cet article
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