1Depuis le 1er juillet 2007, les consommateurs français peuvent librement choisir leur fournisseur d’électricité. Les tarifs réglementés fixés par l’État, qui servent aujourd’hui de référence à EDF et figurent sur les factures, n’ont pas été supprimés. Mais les particuliers ont désormais le choix entre conserver leurs contrats actuels avec EDF et être approvisionnés au prix du marché par EDF ou l’un de ses concurrents. L’erreur n’est pas permise : si un consommateur abandonne les tarifs régulés, il lui sera impossible de revenir en arrière, même si le cours du kilowattheure s’envole comme ce fut le cas en Californie en 2000 et 2001. De plus, les nouveaux occupants d’un logement dont l’ancien propriétaire a résilié son contrat avec tarifs réglementés ne pourront pas bénéficier de ces tarifs. Que feront les consommateurs ? Mystère. Les entreprises ont quelque peu boudé cette réforme puisque, depuis le 1er juillet 2004 (date de l’ouverture à la concurrence pour les entreprises), seulement 16 % des entreprises ont choisi de faire jouer la concurrence, d’après la Commission de régulation de l’énergie.
2La montée en puissance des nouveaux arrivants va élargir l’éventail des formules plus ou moins personnalisées (énergie verte, forfaits, contrôle de sa consommation en temps réel, etc.), ce qui est une bonne chose. Les prix vont-ils baisser ? Rien n’est moins sûr. En France, le prix de l’électricité est l’un des plus bas d’Europe : cette spécificité est due au faible coût de l’énergie nucléaire, qui fournit près de 80 % de l’électricité. Ainsi, le mégawattheure vaut 57 % plus cher en Allemagne qu’en France, et il est deux fois plus cher au Danemark que dans l’Hexagone. Les prix d’EDF risquent d’augmenter compte tenu de la nécessité de nouveaux investissements (modernisation des centrales, construction de nouvelles capacités de production). La forte augmentation des prix sur le marché dérégulé observée pour les entreprises (+ 48 % d’avril 2005 à avril 2006, + 75,6 % de 2001 à 2006) alors que dans le même temps les prix du marché régulé n’avaient pas augmenté laisse supposer que les consommateurs domestiques auront des réticences à sortir du contrat avec prix régulés ; encore faut-il que cette information soit aisément disponible !
3Que vont devenir les tarifs réglementés ? À terme ils devraient être supprimés. Les prix de détail vont alors se rapprocher des prix de gros qui sont « librement fixés » sur des bourses d’échanges comme Powernext ; les prix de gros ont fortement augmenté avec la hausse du prix des hydrocarbures.
4Le cabinet NUS Consulting montre que, partout en Europe, les factures d’électricité se sont envolées ces dernières années – essentiellement à cause de l’augmentation du prix du pétrole. Or le nucléaire français peut sans doute épargner aux Français cette augmentation des prix. Mais dans un marché dérégulé, cet avantage se réduit pour les consommateurs, puisque les prix deviennent fixés au niveau d’un marché global plus vaste où le coût de production de l’électricité est fortement corrélé avec celui des hydrocarbures. Il est intéressant de noter que des pays pionniers de la libéralisation reculent aujourd’hui : en Californie, les prix sont désormais fixés par le régulateur !
5Si les prix régulés sont viables économiquement, c’est-à-dire s’il permettent de financer les coûts de production dans le long terme, pourquoi les abandonner ? Le marché fera-t-il mieux pour tarifier des activités en réseaux, dont les investissements sont amortis sur plusieurs décennies ? Ne risque-t-on pas au contraire de voir se dérouler le scénario californien ? Rappelons qu’en 2000 et en 2001, les producteurs californiens s’étaient entendus pour organiser une pénurie d’électricité et faire grimper les prix, coupures d’électricité en prime. « La crise californienne se résume à cette question : comment un vol de 30 milliards de dollars a-t-il pu avoir lieu en plein jour ? », écrit l’économiste Paul Krugman [1]. Une fois les tarifs régulés abolis en France, une entente des producteurs est envisageable, compte tenu de la faiblesse de pouvoir de négociation des consommateurs (l’électricité étant un produit « de première nécessité ») et du petit nombre de fournisseurs. Le législateur devra être vigilant…
Notes
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[1]
« In broad daylight », The New York Times, 27 septembre 2002.