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La notion de rente économique

1Le terme de « rente » est utilisé en économie pour désigner les revenus non productifs, par opposition aux salaires ou aux profits. Des rentes peuvent être captées par une multitude d’acteurs et relever ou non du domaine légal. Leur existence (ou leur nature) dépend du contexte institutionnel qui régit les échanges. Pour souligner cette idée, on parle ainsi de « rente de situation ».

Où apparaissent les rentes ?

2Dans les secteurs où le régulateur laisse s’installer des monopoles de fait, on peut justifier la création de rentes par un jeu classique d’incitations économiques :

  • Lorsqu’un producteur est en situation de monopole, la recherche et l’obtention par ce dernier d’un profit non nul peut s’apparenter à une captation de rente. Cet argument justifie souvent sommairement la nationalisation des monopoles privés, afin de restituer le surplus au consommateur ou à la collectivité. Pour les libéraux, c’est l’État lui-même qui cherche à accaparer la rente du législateur et il convient donc de limiter son envergure.
  • Qu’il soit public ou privé, la situation de monopole fait qu’une gestion inefficace n’est pas nécessairement sanctionnée. Cet état de fait peut-être répercuté dans toute l’organisation, et la rente peut alors être dissipée à tout les niveaux par de multiples canaux : salaires des dirigeants ou des employés, rémunération des actionnaires, investissements improductifs pour ce qui relève de la gestion de l’entreprise ; inefficacité, corruption ou vol, pour la participation individuelle.

Quel est le coût de ces rentes ?

3Dans un contexte économique donné, une rente se définit par rapport à une configuration efficace, par exemple l’équilibre concurrentiel. Théoriquement, on peut donc lui associer une perte de bien-être, associée à l’écart par rapport à cet équilibre. Cette perte est appelée coût de Harberger. Ainsi, pour juger si des quotas d’importation ou des licences de taxi sont néfastes, on pourra comparer les prix d’équilibre du marché aux prix théoriques du marché sans entraves, et assimiler la différence à un détournement de rente qui ne profite pas au consommateur.

4D’après la théorie du rent seeking initiée par Tullock et Krueger, il faut ajouter à ce coût les ressources que les agents mobilisent pour s’assurer les rentes. Entrent dans ce cadre le lobbying fait par les entreprises, l’argent dépensé pour participer à un appel d’offres, les pots-de-vin, les stages non rémunérés dans l’espoir d’entrer dans la fonction publique. On comprend facilement le caractère dissipatif de la recherche de rente lorsqu’à la limite un agent rationnel est prêt à y consacrer un montant équivalent à la rente qu’il souhaite acquérir. Selon Posner, si la concurrence pour l’obtention du monopole est parfaite, toute la rente est ainsi dissipée sans contrepartie.

5La mesure des rentes par leurs effets à l’intérieur des organisation est compliquée par le fait qu’il faut les distinguer d’une compensation invisible. Ainsi, les fonctionnaires, notamment des pays en développement, peuvent avoir des avantages matériels et statutaires par rapports aux employés du privé, mais ces derniers viennent aussi compenser des salaires plus faibles. Une façon de synthétiser ces différents avantages consiste à recourir à des données subjectives sur la satisfaction des individus, mais il faut alors pouvoir contrôler leur hétérogénéité.

Rente et régulation

6Il est possible que lors de la concession d’un monopole à un acteur privé, le régulateur concède volontairement une rente à ce dernier pour favoriser son développement. Cette rente est alors une incitation nécessaire à la poursuite de nouveaux investissements (qui la consomment partiellement et ont une utilité sociale). Pour cela, le régulateur est alors tributaire des informations données par l’exécutant, qui peut avoir intérêt à cacher ses coûts véritables et à surfacturer le mandant pour augmenter la rente accordée. On parle alors de rente informationnelle. La théorie des incitations introduite par Laffont et Tirole propose alors des schémas incitatifs suivant lesquels le régulateur peut forcer l’agent privé à révéler son information cachée.

Pablo Winant
RCE
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/03/2008
https://doi.org/10.3917/rce.002.0106
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