1Ces dernières années, la concurrence fiscale* s’est intensifiée, particulièrement au sein de l’Union européenne. Les Etats européens ayant opté jusqu’ici pour des stratégies non coopératives en matière fiscale, l’existence du marché et de la monnaie uniques conduit les pouvoirs publics à diminuer la taxation du capital, qui est le facteur de production le plus mobile (l’élasticité des flux d’IDE aux écarts de fiscalité sur les revenus du capital est particulièrement élevée). Compte tenu de la nécessité de maintenir un certain niveau de recettes fiscales, la pression fiscale s’est accrue sur le facteur le moins mobile : le travail. Ce transfert n’est pas sans poser problème à terme : les personnes deviennent de plus en plus mobiles, notamment avec la mise en place de nouvelles infrastructures comme le Thalys ou l’Eurostar ; d’où le risque de « vote avec les pieds ».* Or la demande de biens et de services publics est forte, et ces derniers doivent être financés par des prélèvements fiscaux. Dans leur rapport au CAE [1] Jacques Le Cacheux et Christian Saint-Etienne se posent ainsi la question suivante : comment faire pour se procurer de la façon la plus équitable et efficace possible les recettes fiscales nécessaires au financement des dépenses publiques ?
2Nous nous limitons ici à la question de la taxation des revenus des ménages. En France, la fiscalité directe est très concentrée sur un petit nombre de ménages. Le taux marginal [? encadré « Taux marginaux et taux moyens »] de la tranche la plus élevée de l’IR est sensiblement plus fort que celui de nos voisins européens, et nous sommes un des rares pays à taxer les patrimoines des personnes physiques, via l’ISF. Pour Jacques Le Cacheux et Christian Saint-Etienne, l’allégement uniforme des taux d’imposition directe n’est pas une bonne idée. Par ailleurs, l’hypothèse d’une harmonisation fiscale au sein de l’UE, qui permettrait de freiner la concurrence fiscale, ne semble pas crédible à court/moyen terme : le contexte politique n’y est pas favorable. Les auteurs proposent donc une réforme conduisant à abaisser les taux marginaux des revenus les plus élevés, tout en gardant un système aussi redistributif qu’avant, et des recettes publiques d’un même montant. Ils suggèrent d’abaisser les taux marginaux des revenus les plus élevés aux alentours de 40 % CSG* incluse (contre 55-60 % aujourd’hui), de remplacer l’ISF par la tranche supérieure d’impôt sur le revenu, rebaptisée « impôt sur les revenus de la fortune », et de compenser le manque à gagner pour l’Etat par une hausse des taux marginaux touchant les classes moyennes. Les auteurs envisagent deux scénarios.
Scénario A | Scénario B | |
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Paramètres de la CSG | 13 % de CSG déductible sur tous les revenus | 12 % de CSG déductible sur tous les revenus |
Crédit de CSG plafonné à 600 euros pour une personne seule, 1 200 euros pour un couple ou parent isolé | Crédit de CSG plafonné à 900 euros pour une personne seule, 1 800 euros pour un couple ou parent isolé | |
Paramètres de l’IRPP | 0 jusqu’à 7 500 euros/part | 0 jusqu’à 10 000 euros/part |
13 % entre 7 500 et 50 000 euros/part | 12 % entre 10 000 et 50 000 euros/part | |
28 % au-delà de 50 000 euros/part | 27 % au-delà de 50 000 euros/part |
3Dans le scénario A, les pertes pour les classes moyennes sont estimées à près de 5 % du revenu net disponible. Le scénario B ne ferait de tort à aucun centile de la population, en gardant les mêmes taux moyens, mais coûterait ex ante 1 point de PIB. Dans tous les cas, la réforme profiterait aux hauts revenus. Mais pour les auteurs, elle jouerait aussi en faveur des moins bien lotis, car elle permettrait de garder en France des personnes qui contribuent fortement à notre système de protection sociale. On devrait assister in fine à une hausse des recettes, et donc à de meilleures prestations sociales.
4A l’inverse, Thomas Piketty, s’il admet que la concurrence fiscale est un fait, ne partage pas pleinement la solution dite « pragmatique » proposée par Jacques Le Cacheux et Christian Saint-Etienne. Premièrement, il nuance l’idée que la concurrence fiscale aurait un impact fort en ce qui concerne le départ hors du territoire des contribuables les plus riches. Deuxièmement, la suppression de l’ISF et les « cadeaux » fiscaux faits aux plus favorisés ne lui semblent pas être la meilleure solution pour pallier le risque d’expatriation des individus les plus dynamiques.
5Il existe selon lui d’autres solutions plus égalitaires. Rentrer dans une logique « pragmatique » lui semble dangereux et propre à légitimer de nombreuses réformes inégalitaires. La différence entre les taux de prélèvements français et les taux étrangers s’explique principalement non pas par l’impôt sur le revenu, mais par les cotisations sociales. Les cadres en paient notamment beaucoup. Pour Thomas Piketty, il faut baisser les charges sociales en compensant la perte de recette par une baisse des prestations pour les hauts revenus ; les mieux lotis paieraient donc moins de cotisations sociales et placeraient eux-mêmes l’argent ainsi gagné dans des systèmes d’assurances privés. Cette réforme aurait le mérite de ne pas peser sur les finances publiques.
Notes
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[1]
Croissance équitable et concurrence fiscale, Rapport du CAE, n°56, La documentation Française.
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[2]
Issus de la lettre n°64 de l’AFSE page 5, article de J. Le Cacheux « une proposition de réforme fiscale équitable ».
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[3]
Cela signifie que le montant de la CSG payée à la source par le contribuable sur tous ses revenus est déductible de l’assiette de l’impôt sur le revenu, ce qui n’est la cas aujourd’hui que pour une fraction de la CSG.