- Philippe Steck, Regards, juillet 2002 (N°22), p. 6 - 21
2 La branche famille de la Sécurité sociale — litanie… — gère 32 prestations et appelle près de 400 informations génératrices de droit auprès de ses allocataires pour valoriser leurs prestations dans une gigantesque action de redistribution sociale. Familiale et sociale. Ceci la conduit à être après ou avant l’INSEE, la plus substantielle banque de données du pays.
3 On la courtise pour cette richesse. On la cloue au pilori, le cas échéant, pour délit d’intrusion dans la vie privée. À l’heure de l’informatisation, d’internet, des échanges de fichiers, on la loue pour sa modernité ou on la soupçonne de traçabilité insupportable.
4 Qu’en est-il vraiment dans une société dominée par l’individualisme forcené (et souvent masqué) et la revendication à la protection et parfois l’assistanat ? Le moment est peut-être venu de faire le point. Avec humanisme et aussi sans concession.
5 La protection des libertés individuelles nous apparaîtra comme très convenablement assurée, notamment grâce à la loi Informatique et libertés. Elle nous semblera aussi avoir ses limites si l’on veut bien considérer que le droit et l’accès aux droits méritent que l’on ne se déconnecte pas des possibilités offertes par les nouvelles technologies. C’est la dialectique de l’ange et de la bête.
I – La protection des libertés individuelles dans la branche famille
6 Elle se concrétise à trois niveaux :
- l’application stricto sensu des règles du secret professionnel,
- les obligations de la loi informatique et libertés,
- l’émergence de la charte d’une politique de contrôle.
I.1 – Le secret professionnel
7 Le personnel des Caisses d’allocations familiales est soumis au secret professionnel, en application des dispositions de l’article 378 du Code Pénal, et ce, faute de textes spécifiques à la législation de la Sécurité sociale. La sauvegarde des droits des allocataires, le respect de leur vie privée, nécessitent que les renseignements (nombreux !) obtenus par les organismes gestionnaires soient tenus secrets.
8 Mais surgissent, qu’on les juge fondées ou non, les dérogations à la règle de principe. L’intérêt général, celui de l’allocataire lui-même, ou celui d’un tiers, rend nécessaire, fondée en droit, la communication des informations détenues par les CAF.
9 Le système de protection sociale dans son ensemble, les services publics d’une manière plus globale, les juridictions, la police judiciaire, l’administration fiscale, les collectivités locales, peuvent avoir accès aux informations détenues par les organismes gestionnaires de la branche famille.
10 Est-ce l’ouverture à tout crin qui ferait largement pièce au principe ? Certainement non, car dura lex – sed lex, ces dérogations sont extrêmement réglementées. Ce corpus juridique, qui irrite certains, est extrêmement pointu et sans doute bien balancé. La liste des demandeurs habilités à accéder aux informations peut apparaître imposante, elle n’en demeure pas moins cadrée et soutenue par un socle juridique qui est solidement étayé.
11 Exemple : un officier de police judiciaire pourra obtenir des renseignements détenus par les CAF mais :
- à l’exception des informations médicales,
- avec commission rogatoire ou dans le cadre d’une recherche d’un allocataire ayant fait l’objet d’une condamnation, sur requête du Procureur de la République, mais absolument pas dans le cadre d’une enquête préliminaire.
12 La liste des requérants habilités à la levée du secret professionnel peut apparaître longue : intéressé lui-même, Médiateur de la République, juridictions pénales, officiers de police judiciaire, juridictions civiles, autorité judiciaire, autorité de tutelle, huissiers de justice, administration fiscale, services départementaux du travail et de l’emploi, contrôleurs du travail, organismes divers de protection sociale, autorités compétentes en matière d’aide sociale, médecins responsables de la PMI, services de l’aide sociale à l’enfance, bureaux d’aide judiciaire, services préfectoraux, mairies. Contre feu immédiat : la loi et la jurisprudence précisent les conditions exactes de la levée du secret professionnel.
13 Fruit de torsions diverses et forcément contradictoires, voire de rapports de force plus ou moins masqués, l’accès aux informations est solidement encadré.
14 Parfois mal. En application stricto sensu du droit existant, les assistants de service social des CAF devraient fournir à ces organismes les informations qu’ils détiennent et qui sont nécessaires pour prendre des décisions entrant dans les attributions des services administratifs des caisses, sans être dans l’obligation pour autant de révéler la totalité des constatations auxquelles ils procèdent ou des confidences qu’ils recueillent.
15 En clair, devrait-on signaler une présence de vie maritale faisant obstacle à l’ouverture du droit à l’allocation de parent isolé ? Le corpus juridique semblait pencher pour l’affirmative. La sensibilité politique y fit obstacle. Ceci renvoie à un droit du secret professionnel mouvant, multiple, protéiforme, qui est l’objet constant d’un rapport de force.
16 Le citoyen, l’allocataire y trouvent sans doute leur compte. Ce n’est un droit ni laxiste, ni libertaire. Il évoluera sans doute encore. La critique que l’on peut lui faire est qu’il manque de lignes de force et qu’il est — au bout du compte — terriblement ponctuel et factuel.
II – La protection apportée par la commission nationale informatique et libertés
17 Avec les règles afférentes au secret professionnel on est encore largement dans une protection des libertés individuelles dans une culture de transmission des informations sur support papier. Avec la Loi informatique et libertés on entre dans la modernité. Et ses difficultés et ses contradictions.
18 La CNIL est née du projet SAFARI, d’interconnexion des fichiers détenus par les institutions publiques, d’identifiant unique, qui a eu un large écho dans la presse à la fin des années 1970. Devant ce projet, les pouvoirs publics ont confié à un juriste éminent, Bernard Cherrot, le soin d’élaborer un rapport en vue de définir les modalités juridiques, pour ne pas, à un moment où l’informatique explosait, qu’elle ne soit une menace pour la liberté des citoyens.
19 Le rapport de Bernard Cherrot conduisit à la loi du 6 janvier 1978 sur l’informatique et les libertés et la création de la CNIL.
20 La CNIL est une autorité administrative de l’État indépendante. La majorité de ses membres est nommée par de hautes institutions. Douze membres sur dix-sept sont désignés par le Conseil d’État, la Cour de Cassation, la Cour des Comptes, le Président de l’Assemblée Nationale, le Président du Sénat.
21 Le mandat est de cinq ans. Il est conféré aux membres de la CNIL une sorte d’inamovibilité dans l’exercice de leurs fonctions, leur garantissant une indépendance nécessaire et pertinente.
22 La CNIL veille à la légalité des traitements automatisés de données. L’article 5 de la loi de 1978 précise qu’est dénommé traitement automatisé d’informations nominatives au sens de la présente loi, tout ensemble d’opérations réalisées par les moyens informatiques, relatif à la collecte, l’enregistrement, l’élaboration, la modification, la conservation et la destruction d’informations nominatives ainsi que tout ensemble d’opérations de même nature se rapportant à l’exploitation de fichiers ou bases de données et notamment les interconnexions ou rapprochements, consultations ou communications d’informations nominatives.
23 Trois concepts concourent à la protection de la liberté des citoyens : les traitements automatisés doivent :
- avoir une finalité claire et précise,
- les données traitées doivent être pertinentes,
- la conservation des données doit être encadrée.
II.2 – La finalité
24 Il s’agit d’un principe capital et fondamental. Dans la construction du droit informatique et libertés, la notion de finalité fait écho à la théorie de la cause, chère au droit civil.
25 Tout traitement doit avoir une finalité clairement identifiée : application du droit aux prestations, politique de contrôle, politique d’accès aux droits. Il est bien évident que la cause est d’autant plus évidente qu’elle est assise sur un texte juridique fondamental : loi ou décret. Le dossier est plus difficile à plaider s’il s’agit d’information, de recherche, d’études, d’enquête d’opinion, de recueil de données statistiques ou de leur construction.
26 La CNIL a une vision très saine des pertinences des traitements : au bout du compte, à quoi cela sert-il vraiment ? Quel en est l’objectif final ? Aux ignorants qui ont traité parfois la CNIL de cénacle sénile, on rétorquera qu’à travers le concept de finalité, s’est incrusté l’avis autorisé de sages, qui a plus que toujours un sens.
II.2 – Les données recueillies doivent être pertinentes, c’est-à-dire :
- utiles,
- nécessaires,
- non excessives.
28 Il est évident que l’on est au cœur du domaine des libertés publiques.
29 La CNIL porte une attention toute particulière à des données qu’elle considère comme sensibles parce que le législateur indique clairement que les CAF n’ont pas à recueillir des informations sur les opinions religieuses, politiques, sur la notion de race, de nationalité, etc.
30 Des débats ont été vifs, au regard des conditions d’octroi des prestations familiales, sur les dossiers suivants :
- Les étrangers : la CNIL considère qu’ils ne doivent être répertoriés que selon trois catégories : étrangers, ressortissants ou non de la CEE, nationaux.
- La notion d’incarcéré ne doit pas figurer dans les fichiers.
- La CNIL interdit de faire mention de la polygamie ou de l’homosexualité.
- Le numéro d’identification au répertoire INSEE ne peut être utilisé comme identifiant CAF.
- Il est interdit de faire figurer dans les fichiers les commentaires d’un technicien conseil sur un dossier.
II.3 – Limite à la conservation des données
31 La CNIL attache une grande importance à la durée légale de conservation des données, à leur effacement lorsqu’elles ne sont plus utiles au droit à l’oubli, au traitement de l’archivage.
32 Au-delà de ces trois axes directeurs, la loi informatique et libertés et donc la CNIL, donnent à l’allocataire des CAF :
- Le droit du citoyen à être protégé vis-à-vis d’une informatisation sans bornage.
- Le droit à l’information sur les traitements informatisés (concrètement, la publication des actes réglementaires régissant ceux-ci, décidés par le Conseil d’administration de la CNAF, après l’accord de la CNIL).
- Le droit à la « curiosité » (que fait-on de mes données ?).
- Le droit d’accès et de rectification du fichier le concernant.
- Le droit d’opposition à l’utilisation d’une donnée.
33 En application des directives européennes du 24 octobre 1995, la CNIL s’efforce d’avancer sur les domaines suivants :
- simplifications des procédures déclaratives,
- protection renforcée des personnes morales,
- traitement des données génétiques,
- droit d’accès renforcé,
- autorisation préalable nécessaire, renforcée pour les risques particuliers (traitements fiscaux, NIR, interconnexion de fichiers, enquêtes statistiques, nouvelles technologies),
- contrôle a posteriori.
34 La branche famille de par la richesse de ses fichiers a attiré très vite l’attention de la CNIL. À ses dépens, dans le courant des années 1980. Aujourd’hui les rapports sont confiants et très positifs. La CNIL n’a pas cassé le développement de la politique de contrôle de la branche, largement axée sur les liaisons avec ses partenaires (DGI, ASSEDIC, CNASEA, etc.).
35 Elle est extrêmement accueillante à sa politique d’accès aux droits : prospection des bénéficiaires de l’allocation parentale d’éducation, prospection des bénéficiaires des aides au logement.
36 Elle est le contre pouvoir, cher à Montesquieu, contre toute dérive possible d’une institution vouée à traiter presque tous les problèmes de société : politique familiale, politique du logement, politique du handicap, minima sociaux. L’équilibre, pour être subtil, contraignant, est somme toute satisfaisant.
37 La CNIL se débureaucratise elle-même en obviant son action par des visites sur le terrain. L’institution y gagne en dialogue et sécurité.
38 La CNIL sera un atout pour la politique de contrôle interne de la branche et de sa maîtrise des risques. L’usager n’y a rien à perdre.
III – La charte de la politique de contrôle
39 La première convention d’objectifs et de gestion de la branche famille, en application du Plan Juppé, a « taxé » l’institution d’un taux de contrôle de 25 %. C’était un challenge énorme si l’on mesure que le contrôle lourd de l’administration fiscale a un taux voisin de 10 %. Le défi a été relevé puisqu’en 2000 le taux de contrôle a été de 32 %. L’objectif a été atteint grâce aux liaisons avec les partenaires et notamment la DGI pour le contrôle des ressources.
40 Ceci étant posé, l’institution a aussi beaucoup réfléchi sur le contrôle sur place réalisé par les 554 contrôleurs de la branche, mobilisés pour vérifier l’authenticité des déclarations des allocataires sur des situations sensibles comme la condition d’isolement donnant droit à des prestations comme l’allocation de soutien familial et allocation de parent isolé, ou le RMI.
41 Dur métier que celui des contrôleurs, confrontés parfois à la fraude, aux quartiers sensibles où il ne fait pas bon pénétrer, au foisonnement de la vie privée, à l’assistanat. Dur métier où l’on peut être cloué au pilori pour ingérence dans la vie privée ou taxé d’insuffisance de sagacité. Une charte de contrôle ci-jointe a été élaborée en concertation avec des responsables de CAF. Elle préconise une approche de visée de rectitude des droits en préservant les droits des allocataires. À leur vie privée. À leurs droits, tous leurs droits, rien que leurs droits.
42 Cette charte, vécue par les contrôleurs comme une contrainte, cette charte en émergence, a le mérite d’exister. Elle devra sans doute être approfondie, peaufinée, complétée, aménagée. Elle devra être comprise à l’heure de la deuxième convention d’objectifs et de gestion.
43 Elle marque le sens de la responsabilité d’une institution soucieuse de présence des libertés du citoyen. Elle devra être appropriée par le corps de contrôle. Elle pose, on en a conscience, le même débat — ou peu s’en faut — que la loi sur la présomption d’innocence. Le devoir de prise de rendez-vous avec l’allocataire n’élude pas le péril d’angélisme. Mais l’avancée doit être poursuivie.
44 Le contrôle n’implique ni faiblesse, ni acharnement. Le chemin est parsemé d’embûches. Mais qui ne s’y engage ne risque pas d’apprendre à doser ce qui est rectitude, déontologie, responsabilité. Aux concepteurs des textes et des politiques de donner plus de confort aux contrôleurs.
45 À ceux-ci de mesurer la limite réelle de leurs pouvoirs juridiques réels. Aux politiques et aux managers de mesurer leur devoir de clarté vis-à-vis de leurs gardiens des textes en évitant d’osciller entre humanisme niais et coups de mentons autoritaires et suspicieux.
46 Le citoyen n’y sera que gagnant.
IV – Prospective
47 Nous analyserons successivement les points suivants :
- Le passage à une nouvelle culture dans le domaine du recueil des informations.
- L’équilibre à trouver, dans la novation, entre la politique de contrôle et celle de l’accès aux droits.
- Les modalités de l’identification de l’allocataire des CAF.
IV.1 – La nouvelle culture du système déclaratif
48 Longtemps, les organismes publics, et les CAF comme les autres, ont eu une culture du système déclaratif assortie de méfiance. La demande de prestations, la déclaration de ressources, étaient déclaratives. Mais ceci était assorti de la nécessité de fournir un certain nombre de pièces justificatives (pas moins de 269…), censées conforter la déclaration de situation.
49 Ceci renvoyait et renvoie encore à une culture :
- de maniement de pièces papier,
- d’idée de complétude de dossier pour ouvrir un droit.
50 C’est une culture papier, très sécuritaire.
51 Il est vrai que ceci atteste du sérieux du travail accompli mais a l’inconvénient de provoquer :
- Des allers-retours avec l’allocataire pour compléter le dossier et donc des délais de traitement allongés, face à parfois des situations d’urgence, d’autant plus insoutenables quand la branche famille est entrée dans la gestion de la pauvreté et de la précarité.
- De scléroser le service public à l’heure de la communication téléphonique et d’internet.
52 La branche famille est en train de déployer une réforme de simplification des procédures, expérimentées sur quatre CAF (Périgueux, Agen, Mont de Marsan, Nanterre), qui conduit à :
- Réduire le nombre de pièces justificatives à fournir (32), après avoir vérifié que la prise du risque sur cette réhabilitation du système déclaratif était quasi nulle.
- Réaménager les imprimés de demandes de prestations pour les rendre plus lisibles, plus attractifs, mieux écrits et au bout du compte plus complets.
- Organiser la prise en compte, à l’initiative du technicien, d’informations par téléphone.
53 avec toutes garanties de traçabilité, de rectifications éventuelles par l’allocataire. L’interactivité organisée a permis de constater que la démarche, loin de « fragiliser » le système, le fiabilisait !
- Faire basculer le contrôle, la maîtrise des risques, a posteriori.
54 On parle à juste raison de changement culturel. Et c’est justifié. Entre le passage du recueil de données papier et le recueil électronique (la demande d’allocation de logement étudiant sur internet), s’incruste le recueil d’informations par la parole. Nous dirons : la parole donnée. Par déclaration écrite pas forcément confortée par la pièce justificative. Par communication téléphonique.
55 La branche famille entame une relation de confiance, a priori, ex ante avec ses allocataires. Elle n’y accroche au passage aucune naïveté puisqu’elle déploiera, au cours de la deuxième convention d’objectifs et de gestion, une politique globale de maîtrise des risques, ciblée sur les maillons faibles de la gestion.
56 La réussite du déploiement de la réforme passe par l’appropriation par les techniciens, les contrôleurs de ce changement substantiel. Elle passe donc par l’appui informatif, l’appui en formation, la mise en place dans les plus gros organismes d’une organisation et d’un management de proximité performant. La CNAF organisera donc très sérieusement le déploiement de la réforme au service d’une vision partagée.
IV.2 – La politique de contrôle et l’accès au droit
57 L’ancien agent payeur des CAF assumait assez bien la synthèse en la matière. Il payait les prestations sur place, dans la famille, contrôlait de facto la situation, informait sur les droits. Son action conduisait à faire coïncider l’image administrative de l’allocataire et sa situation réelle.
58 Avec sa disparition, l’agent de contrôle est là pour vérifier les apparentes contradictions du dossier administratif. Il appelle d’autres pièces. Avec son rapport, il ramène à la CAF des tranches de vie.
59 Il lutte plutôt bien contre la fraude. Il sait informer sur les droits.
60 Sa fonction demeure indispensable. Il faudra mieux l’inscrire dans la démarche politique d’ensemble de la caisse. En bref, il faudra lui renvoyer l’image adéquate de sa fonction. Ni « cow boy », ni ange gardien.
61 Lui forger la doctrine de l’institution : tous les droits, rien que les droits.
62 Parallèlement, la communication, l’informatique, le mailing, développeront encore davantage la prospection des droits, l’accès aux droits. Ce sont parfois les plus démunis qui échappent aux prestations conçues pour eux.
63 Ceci renvoie à une problématique, non tranchée sérieusement à ce jour. La branche famille avec ses 15 ou 16 000 règles de droit, ses combinatoires multiples de prestations, la variété des situations qu’elle gère, n’a-t-elle le droit d’appeler que les strictes informations nécessaires à la prestation demandée, ou plus… ?
64 Les pouvoirs publics, la COSA, la CNIL, sont plutôt sur la ligne de l’information nécessaire, juridiquement fondée. Et avec le juste souci de la protection de la liberté du citoyen.
65 Pourtant, si les CAF, à titre d’exemple, étaient fondées à appeler l’information systématique sur les charges de logement existantes ou non avec l’appel des ressources, elles pourraient prospecter automatiquement le droit aux aides personnelles au logement.
66 Tout ceci mérite donc débat.
67 Répétons-le : le strict nécessaire, ou le plus ?
68 Là aussi, la deuxième COG devrait permettre d’éclairer les choses.
69 Au-delà du dossier administratif, la tranche de vie. Les travailleurs sociaux en recueillent. La mettent-ils toujours au service de l’accès aux droits ? À sa rectitude ? Nouvelle question. Récurrente. Il faudra savoir répondre en la matière. En clair avoir une politique.
IV.3 – L’identifiant
70 Symbole de l’autonomie des CAF en gestion au sein de la Sécurité sociale depuis 1949 (autonomie arrachée de haute lutte), l’allocataire a un identifiant qui n’est pas le NIR. C’est le numéro allocataire… Chaque CAF le modélise à sa façon. Il n’y a pas de fichier national allocataire, de fichier enfants.
71 Pourtant, le développement de la politique de contrôle de l’institution par liaisons avec les partenaires a entraîné la connaissance du NIR. Sous le contrôle solide de la CNIL.
72 Le syndrome SAFARI joue encore. Beaucoup de gens ont peur de l’arrivée de l’identifiant unique. Partenaires sociaux compris. Et on peut comprendre.
73 Ceci étant posé, reste que le service à l’allocataire passe sans doute par une nouvelle modélisation des fichiers. Quelques bonnes raisons :
- Le découpage territorial des caisses ne permet pas toujours le bon accès aux droits. À la périphérie d’un département, la CAF la plus proche peut ne pas être ma caisse administrative. Mon droit de citoyen est peut-être celui de mobiliser l’antenne d’une autre caisse.
- Un département comme celui du Nord, morcelé en plusieurs caisses, a sans doute intérêt à mutualiser son action en termes administratifs et sociaux.
- La politique de contrôle qui, provoquant presque autant de rappels que d’indus, par ses processus de liaisons avec la DGI et les ASSEDIC, entre autres, achoppe sur les identifiants. À titre d’exemple, on escompte, grâce à l’utilisation du NIR, une efficacité accrue de la liaison CAF/administration fiscale de 20 % environ.
- L’utilisation du numéro INSEE permettrait aux CAF de mieux connaître les caractéristiques de leur population allocataire au niveau géographique et de mieux territorialiser leur action sociale, y compris en zone urbaine.
74 L’allocataire y perdrait-il ses libertés fondamentales ? Pas si sûr…
75 L’allocataire à qui la CAF téléphone le soir (cela arrive !), pour compléter un dossier, l’informer, le guider dans ses droits, est plutôt heureusement surpris. Il y voit une modernité de service public proche de la modernité des entreprises privées qui ont pourtant d’autres objectifs.
76 La peur de « big brother » ne doit pas écarter les potentialités de service des nouvelles technologies.
Conclusion
77 La branche famille de la Sécurité sociale protège plutôt bien la liberté individuelle de ses allocataires. Imaginative, inventive, elle abrite une vraie passion de service public. Parfois dans un désordre sympathique. À l’échelon national en tradition de concertation avec l’échelon local, de cadrer la route, d’obtenir de l’État le droit adéquat à ses ambitions.
78 Avec le passage d’une société rurale à une société urbaine, la branche famille est face à un allocataire qui a muté en individuation. C’est-à-dire plus éclaté, plus multiple, avec ses transparences et ses secrets. Ce n’est pas tenir en la matière un discours philosophique. En à peu près 10 ans, la proportion des familles monoparentales des CAF est passée de 12 à 19 % !
79 L’individu est hyper sensible à ce qu’il livre de lui, aux uns et aux autres. Et ce n’est pas toujours les mêmes données. On joue à être ou ne pas être. La société rurale connaissait tout ou presque de l’individu. La société urbaine connaît des bribes de données. Les CAF travaillent sur une partie de celles-ci. Et le droit les protège. On veut parler des données bien sûr.
80 Qui en est propriétaire ? Énorme question. On pourrait avancer que cela demeure l’allocataire. Il a un droit de rectification. Il a le droit de savoir si elles seront communiquées à des tiers. Les CAF sont propriétaires de leurs statistiques, ce qui renvoie à la construction de données non nominatives (même indirectement selon la jurisprudence de la CNIL) qui servent à la connaissance, à l’éclairage à la décision.
81 Parce que l’on ne peut parler de propriété sur les données nominatives, les CAF sont dépositaires au bout du compte de secrets qui leur permettent de gérer des droits. C’est cela la garantie fondamentale des citoyens en termes de liberté.
La charte de la politique de contrôle de la branche famille
82 1. Les contrôles peuvent concerner tous les allocataires. Ils sont déclenchés :
- dans le cadre du plan annuel des contrôles obligatoires pour toutes les CAF,
- lorsque l’attribution d’une prestation ou la poursuite d’un paiement nécessite un complément d’information,
- sur signalement émanant de services publics.
83 2. Le contrôle peut prendre trois formes :
- l’échange automatisé et systématique d’informations, après autorisation de la CNIL, avec des services publics détenteurs de renseignements indispensables à l’appréciation des droits (ASSEDIC, Direction générale des impôts, CNASEA, etc.),
- une recherche de pièces justificatives et de renseignements auprès de l’allocataire ou des services autorisés à les communiquer,
- une intervention d’un agent de contrôle assermenté se déplaçant au domicile de l’allocataire ou auprès des divers services autorisés à communiquer des informations.
84 3. Les contrôles de situation à domicile sont effectués par des agents assermentés, mandatés par leur organisme, titulaires d’une carte professionnelle.
85 4. Lorsqu’il effectue un contrôle à domicile, le contrôleur prend en compte la situation dans sa globalité, et précise à l’allocataire ses droits et ses obligations à l’égard de la CAF.
86 5. En principe, l’allocataire est avisé préalablement par la CAF de toute visite à son domicile d’un contrôleur, et ce quel que soit l’objet du contrôle.
87 6. Le lancement d’un contrôle ne peut avoir pour effet de suspendre le versement des prestations. Néanmoins, le paiement des prestations peut être interrompu dans les cas suivants :
- lorsque l’allocataire ne fournit pas les justificatifs nécessaires à la poursuite d’un droit, après une ou plusieurs relances de la CAF,
- lorsqu’un contrôleur ne peut effectuer une enquête au domicile de l’allocataire, après une ou plusieurs tentatives infructueuses dûment signalées par un avis de passage.
88 7. Quel que soit le type de contrôles (sur pièces ou au domicile), la CAF recueille des informations objectives, fondées sur des justificatifs ou des attestations. Dans l’hypothèse où ces documents font défaut ou font état d’informations contradictoires, les conclusions du contrôle reposent sur des indices multiples, précis et concordants.
89 8. La CAF a le souci de préserver la vie privée de l’allocataire. Les investigations sont donc limitées à ce qui est strictement nécessaire pour la gestion des droits.
90 9. En cas de contrôle sur place, le contrôleur fait connaître à l’allocataire les informations dont il dispose, ainsi que les constats qu’il est éventuellement en mesure d’établir, pour que ce dernier fasse connaître ses observations.
91 10. L’allocataire est informé des résultats et des suites d’un contrôle à domicile, même si ses droits à prestations ne sont pas modifiés.
92 11. Les contestations de l’allocataire font l’objet d’un examen dans le cadre de procédures de recours hiérarchique ou amiable avant toute procédure contentieuse.
93 12. Sur sa demande, l’allocataire peut consulter son dossier, dans les conditions arrêtées par la commission d’accès aux documents administratifs.
Histoire d’Alfred et de Paul
94 En ce temps-là, l’homme était un, l’homme était complet. On savait que l’Alfred de l’Eugène, il achetait son papier à cigarette Zig-zag chez la mère Potier, qu’il allait boire un canon le dimanche avec Albert et Maurice pendant que la Denise allait à la messe. On savait qu’il avait douze vaches et six moutons, une moissonneuse lieuse et Désirée sa jument.
95 Il allait chaque trimestre à Château-Chinon toucher la retraite du combattant. Sachant combien valait la betterave et combien valait le seigle, on connaissait plus ou moins le magot de l’Alfred. Il crachait dru et pissait loin et portait les mêmes bretelles depuis l’année de la fièvre aphteuse. Le seul moment où l’Alfred et la Denise avaient fait quelques fantaisies — la Denise notamment en s’achetant des dessous en thermolactyl — ç’avait été quand ils avaient touché les allocations grâce au Paul et à la Jeanine. L’Alfred dansait encore avec la Denise, lorsqu’il y avait le parquet, le jour de la Sainte Andoche.
96 La Jeanine s’est mariée avec le fils du maréchal ferrant. Le Paul, lui, est parti pour la ville. Forcément, il avait eu le certificat du premier coup.
97 Paul, il vit dans le quinzième dans une petite chambre de bonne. La concierge ne l’aime pas beaucoup vu qu’il a tout de suite aimé les Chaussettes Noires et qu’il fait brailler son électrophone. Son chef aux chèques postaux, par contre, lui fait en fin d’année de gentilles appréciations parce qu’il ne débarrasse pas sa table comme les autres cinq minutes avant l’heure.
98 Paul aime bien Émile, mais avec lui il sait qu’on ne peut parler que de foot. Émile ne dit plus rien quand Paul lui parle des filles. Forcément, ça limite la conversation.
99 La crémière trouve que Paul est un garçon très gentil parce qu’il prend toujours les œufs frais à 54 centimes. L’épicier par contre trouve que Paul a mauvais genre avec ses cheveux longs.
100 Au régiment le serpatte trouvait que Paul était un type à poigne qu’aurait pu avoir du galon s’il l’avait voulu.
101 Françoise, elle, trouve que Paul est trop timide même s’il a un jour cherché à lui caresser les seins.
102 Marx, il trouve que Paul a l’esprit trop individualiste mais il s’en fiche sachant que les contradictions internes du capitalisme vont faire disparaître les paysans par la concentration des exploitations.
103 Freud, il dit que le Paul a dû trop aimer sa mère la Denise qu’était autoritaire à la maison et que c’est pour cela que Paul il ose pas coucher avec Françoise. Il dit que c’est aussi à cause de ça que Paul est méticuleux au travail, sachant que la Denise ramassait toujours soigneusement les miettes sur la toile cirée pour les donner aux poules.
104 Garaudy dit que Paul y fait quand même partie des forces progressistes. Marcuse ajoute que s’il n’y avait pas des types comme lui, pas tout à fait dans le système, tout serait foutu.
105 Mao pense que l’on peut compter sur Paul pour enterrer définitivement le confucianisme.
106 Franco ne peut plus rien penser. Lacan voit dans Paul l’illustration même d’un mauvais vécu du stade du miroir. Il pense donc que l’Alfred devrait vite se faire manifester la loi du père. D’ailleurs, l’autre jour à Dieppe en collant son oreille à un bigorneau, il s’est exclamé que çà parlait.
107 Deleuze et Guattari misent sur Paul pour refuser la triangulation et disent que c’est un assez joli cas d’éparpillement, de brisure, de cassure et d’éclatement d’un bonhomme.
108 D’ailleurs, ils font remarquer que Paul a cassé la glace qu’il utilisait le matin pour se raser. Lefebvre pense que Paul utilise un métalangage parfait. Le PSU pense que Paul devrait prendre l’auto-décision de coucher avec Françoise afin de mieux autogérer les travaux ménagers. Ils disent que Paul ne fait jamais le ménage.
109 Kate Millett, paraphrasant Simone de Beauvoir sans le savoir, dit que cela vient de la répartition des rôles entre l’Alfred et la Denise. Elle trouve significatif le coup du bistrot et de la messe.
110 Kovacs pense qu’Émile a une meilleure conception du foot que Paul qui est un supporter inconditionnel de Saint-Etienne.
111 Crozier dit que Paul en ne débarrassant pas sa table cinq minutes avant l’heure aux chèques postaux se crée sa marge de liberté vis-à-vis de son chef mais contribue à augmenter la bureaucratisation du pays.
112 Musil dit que si Paul est si morcelé c’est parce qu’il n’a pas découvert une idée.
113 Tous ont décidé de se réunir en colloque pour réunifier Paul. Mais le système SAFARI perfectionné et porté au plus haut niveau d’intégration possible a communiqué à Paul sa fiche. Il s’en est trouvé du coup tout ragaillardi, le brave Paul, et il a décidé d’acheter une nouvelle glace pour se voir de nouveau en entier. Il n’y a qu’Alfred qui n’arrive pas à compléter les papiers que lui envoie sa caisse vieillesse pour reconstituer sa carrière et liquider ses droits. Au village personne n’est plus au courant du problème bien que la télé ait décidé de travailler au renouveau des veillées en passant sur les trois chaînes un feu de cheminée.