CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Dans le long cours d’une traduction versifiée des pièces françaises du recueil de Chypre (Torino, BNU J.II.9), les ballades VIII/10 et 99, dites à « rimes reprises », nous sont apparues comme le comble de l’art : les diamants noirs d’une poésie sonore défiant toute transposition, peut-être aussi toute interprétation. Nous les attribuons à un poète-compositeur anonyme et virtuose qui n’a pas encore trouvé sa place dans l’histoire littéraire et que, depuis 2014, nous avons nommé « Maître de chant » pour la qualité de son art. Ce premier jugement a pourtant évolué à mesure que nous apprivoisions la forme et en apprenions la technique dans l’exercice de son imitation, au point qu’on a cru percevoir, dans l’ingéniosité du procédé, une simplicité qui est aussi l’enfance d’un art, mémoire d’un temps où la dimension sonore du poème ne se dissociait pas du sens : c’est à quoi tend le propos de notre contribution.
Le procédé qui nous intéresse est ancien. En langue d’oc, il remonte au xiiie siècle, avec les rims capfinits et les coblas capfinadas des troubadours. Les unes et les autres associent l’anadiplose à une articulation métrique ou strophique ; le dernier mot du vers ou de la strophe est répété au début du vers suivant :
En langue d’oïl, un procédé similaire (echo rhyming) est attesté dès la première moitié du xiiie siècle chez le trouvère Robert de Reims qui associe la quadruple reprise de la même note à celle de deux syllabes (champestre/pestre) entrant dans la composition de deux mots distincts …

Français

L’analyse des deux ballades à « rimes reprises » du recueil de Chypre (c. 1420-1430) sous plusieurs angles, phonético-sémantique, métrique et musical, met en évidence l’accomplissement d’un idéal « sonore » fondé sur l’équivoque qui tire son sens de l’homophonie, par une bifurcation sémantique qui relance le poème à chaque début de vers. Un siècle après, le même procédé devenu incompréhensible chez Marot et Sébillet fait ressortir une rupture décisive entre poésie et musique à la charnière du Moyen Âge et de la première Renaissance française.

English

The height of art: poetics of repeated rhymes in Cyprus manuscript

The analysis of the two ballads with "repeated rhymes" of the Cyprus manuscript (c. 1420-1430) under several angles (phonetic-semantic, metrical and musical) highlights the achievement of a "sound" ideal based on equivocation which draws its meaning from homophony, by a semantic bifurcation which relaunches the poem at the beginning of each verse. A century later, the same process, which had become incomprehensible in Marot and Sébillet, brought out a decisive break between poetry and music at the hinge of the Middle Ages and the first French Renaissance.

Isabelle Fabre
Université Paris Nanterre, CSLF
Gilles Polizzi
Université de Haute-Alsace Mulhouse, ILLE
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Mis en ligne sur Cairn.info le 12/12/2022
https://doi.org/10.3917/rhren.095.0057
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