1Sur les 330 000 enfants pris en charge annuellement par la Protection de l’enfance, la moitié bénéficient d’une mesure ou d’une prestation éducative à domicile, qu’elle soit administrative (avec l’accord des parents) ou judiciaire (imposée par le juge mais avec la recherche de l’adhésion des parents), l’autre moitié étant placée par l’Aide sociale à l’enfance (ASE), principalement en institution ou en famille d’accueil. Parmi eux, moins de 3 000 sont reconnus pupilles de l’État et peuvent bénéficier d’un projet d’adoption, mais 65 % seulement sont effectivement adoptés (sachant que 10 % sont restitués à leur famille d’origine, notamment dans la période de deux mois suivant l’accouchement sous le secret), compte tenu, selon les auteures, de la complexité du processus d’adoption [1]. Ainsi, estiment les auteures, 10 à 15 % des enfants placés sont en rupture de liens avec leurs parents, soit environ 20 000. C’est à eux que les auteures s’intéressent, tout d’abord en évoquant les mesures actuellement à l’œuvre (placement en établissement, chez un tiers digne de confiance, en famille d’accueil). Si cette dernière solution semble plus profitable que la première, elle est loin d’être toujours possible (notamment pour les plus grands), et il est clair que pour les enfants qui ne pourront répondre à l’idéal porté par l’institution de retour dans la famille d’origine, le projet de vie n’est pas facile à définir ni à mettre en œuvre, car « L’idéologie est encore celle, mythique, de la “voix du sang” » (p. 29). L’objectif du livre est alors de mettre en lumière toutes les raisons et dimensions de ces difficultés, y compris celles qui tiennent aux contradictions et incohérences de la Protection de l’enfance, qui tente de gérer l’ensemble si disparate des situations au regard du seul grand principe de maintien des liens, qui rend si compliquée à mettre en œuvre l’adoption que souhaiteraient réaliser un certain nombre des accueillants...
2L’ouvrage réalise alors un panorama des principaux statuts possibles : parrainage de proximité, statut de tiers, adoption simple ou plénière, en montrant leur intérêt et leurs limites et la possibilité offerte à l’enfant d’évoluer au sein de ces différents statuts d’accueil (du parrainage à l’adoption, en passant par le statut de tiers digne de confiance). La dernière partie s’attache à mettre en évidence l’évolution en cours et ses perspectives, notamment avec la loi du 14 mars 2016, centrée sur un intérêt supérieur et les besoins de l’enfant, souvent bien difficiles à évaluer. Apportant indéniablement une amélioration, elle peine à trouver sa pleine application, car « reste à donner aux services concernés les moyens de son application » (p. 136), cette formule renvoyant aussi bien aux manques de moyens, aux résistances rencontrées qu’aux disparités territoriales. Ainsi, l’ouvrage propose de prendre au sérieux les propositions constructives de la loi de 2016 pour envisager comment les différents statuts possibles peuvent prendre le relai d’une logique d’adoption plénière saturée, et qui s’appuie sur une méconnaissance des conditions d’exercice de la parentalité et des connaissances actuelles sur l’attachement, et sur une certaine frilosité institutionnelle, qui bloque l’adoptabilité de nombre d’enfants qui devraient pouvoir en bénéficier. Assez technique et présentant clairement les différentes possibilités, ce livre pâtit un peu d’un manque d’ancrage théorique et conceptuel, que les bons sentiments ne peuvent, seuls, remplacer [2]. Il constitue cependant un support utile pour le développement d’une critique constructive et la mise en œuvre de nouvelles positions et de nouvelles pratiques pour sortir de l’impasse actuelle où se retrouve la fraction la plus problématique des enfants placés. Pour cela l’ouvrage conclut sur une triple évolution souhaitable, « celle des services sociaux, qui doivent envisager une plus grande variété d’accueils possibles [...], celle de la justice, de sa lenteur et de sa frilosité à retirer un enfant à des parents nocifs ou totalement abandonniques ; enfin, celle des actuels candidats à l’adoption, qui ignorent trop souvent tout ce qui n’est pas l’adoption plénière » (p. 151).
Notes
- [1]Pour les chiffres exhaustifs, voir ONPE, La situation des pupilles de l’État. Enquête au 31 décembre 2018, La Documentation française, juin 2020.
- [2]À cet égard, nous rappelons deux publications récentes : Catherine SELLENET, Vivre en famille d’accueil - À qui s’attacher ?, Belin, 2017 ; et la recherche soutenue par l’Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE) : Nathalie CHAPON, Gérard NEYRAND, Caroline SIFFREIN-BLANC, Les liens affectifs en familles d’accueil, érès, 2018.