CAIRN.INFO : Matières à réflexion

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« [Mon ex-femme] a eu tout ce qu’elle voulait [...] Il n’y a pas de défense. Ce n’est pas juste, mais ça se fait comme ça. Je n’ai pas eu mon mot à dire. ».
Rémy, né en 1968, 2 enfants, divorce en 2007

2Dans les recherches sur les organisations financières des couples occidentaux, l’argent des hommes est décrit comme plus indépendant du budget du ménage que l’argent des femmes. Il est dépeint comme étant plus personnel car moins fongible dans les dépenses communes, et ce même dans les familles les plus modestes [1]. Il est également associé à des prérogatives (argent de poche, pouvoir de décision, etc.) que n’a pas l’argent féminin [2]. Le statut privilégié de l’argent des hommes a longtemps été justifié par le rôle de pourvoyeur principal des revenus occupé par ces derniers dans la majorité des ménages hétérosexuels. Des études portant sur les couples où les femmes disposent des revenus les plus élevés relèvent toutefois que c’est moins le rôle de pourvoyeur principal qui compte que le genre [3]. Ces couples s’arrangent en effet pour préserver le statut économique masculin en soulignant le prestige de l’emploi masculin ou encore son utilité sociale. Dans le même sens, ils privilégient des logiques de justice et de partage des dépenses différentes de celles des couples où l’homme est le principal pourvoyeur de revenu de manière à garantir l’accès masculin à de l’argent personnel, et ce indépendamment de l’apport financier des un∙es et des autres.

3Les recherches en sciences sociales sur les arrangements financiers post-conjugaux donnent une tout autre image de l’argent masculin. Il y est décrit comme un argent absent ou limité lorsque les maris et les pères se soustraient à leurs obligations financières [4]. Il est aussi présenté comme un argent menacé par la concupiscence d’ex-épouses [5], des nouveaux partenaires de l’ex-femme ou encore de belles-mères soucieuses de privilégier leurs propres enfants au détriment de ceux du premier mariage [6]. Cette représentation d’un statut économique masculin fragilisé par le divorce est également présente dans les tribunaux et les cabinets des juges, avocats et notaires [7]. Elle est relayée par les médias qui titrent sur la ruine des pères divorcés ou encore leur endettement [8].

4S’appuyant sur des entretiens menés en Suisse romande auprès de femmes et d’hommes divorcés ainsi que de leurs enfants, cet article tente de mettre en lumière les mécanismes de production des représentations rattachées à l’argent des hommes séparés. Nous verrons qu’à l’argent masculin menacé sont associées d’autres représentations genrées comme celles du père divorcé perdant et généreux qu’on oppose symboliquement à la mère divorcée gagnante et vénale. Nous chercherons également à mieux comprendre quelles conséquences ces représentations ont sur les arrangements financiers contractés entre les ex-conjoints et entre ces derniers et leurs enfants. En ce sens, ce travail s’inscrit dans le courant de recherche initié par Viviana Zelizer sur les significations sociales de l’argent [9]. Selon elle, les individus « marquent », pour reprendre un de ses termes, l’argent. Ils lui attribuent un sens, une fonction et des usages qui varient selon les partenaires de l’échange et la relation qu’ils entretiennent. Dans cet article, nous verrons que l’argent circulant dans la sphère privée est « marqué » par le processus de séparation conjugale.

5Il prend des connotations morales inédites : ce que les hommes, les femmes et leurs enfants considèrent comme juste ou injuste, légitime ou illégitime change avec la séparation. Nous discuterons des conséquences économiques, émotionnelles et sociales de ce marquage pour les principaux concernés, soit les divorçant∙es et leur progéniture. Enfin, nous montrons comment les arrangements économiques adoptés contribuent à réaliser cette fiction sociale d’un argent masculin menacé et généreux.

Divorce et difficultés financières masculines

6Comparativement aux femmes, la situation économique des hommes divorcés est relativement peu étudiée car jugée peu problématique. En Suisse, comme dans la majorité des pays occidentaux, les femmes connaissent une plus grande baisse de leur niveau de vie et un risque plus élevé de pauvreté que les hommes suite à une séparation, surtout si elles sont à la tête d’une famille monoparentale [10]. La division sexuée du travail au sein des couples préserverait les hommes de l’appauvrissement que connaissent les femmes après un divorce. En effet, pour ces dernières, les versements privés et publics, le retour à l’emploi ou l’augmentation du travail rémunéré ne suffisent pas à corriger les effets d’une spécialisation des tâches [11].

7La séparation conduit toutefois nombre d’hommes à compenser les inégalités économiques suscitées par une répartition sexuée du travail. En Suisse, 96 % des personnes qui versent des contributions d’entretien sont des hommes et 97 % qui en reçoivent sont des femmes [12]. Bien qu’il soit maintenant admis que leur détermination ne tient qu’imparfaitement compte des frais qu’elles sont censées couvrir [13], les contributions alimentaires pèsent lourdement sur les budgets masculins également grevés par la fin des économies d’échelle liées à la vie de couple. Elles représentent en moyenne 23 % des dépenses du ménage débiteur [14], soit à peu près autant que les contributions aux assurances sociales, impôts et primes d’assurances maladie. En d’autres termes, après un divorce presque la moitié du revenu brut du ménage débiteur est absorbé par des frais fixes. Le taux d’insatisfaction financière et les risques d’endettement plus élevés des pères divorcés peuvent pourtant difficilement s’expliquer uniquement par des difficultés économiques. Après la rupture conjugale, ces derniers bénéficient du revenu annuel net ajusté (soit le revenu pondéré par le nombre de personnes dans le ménage après paiement/ réception des pensions alimentaires et autres versements) le plus élevé comparativement aux pères en couple et aux mères en couple ou séparées [15]. Autrement dit, les dépenses à la charge des pères séparés ne suffisent pas à justifier le sentiment d’un argent masculin menacé et la figure du perdant décrite précédemment.

Méthode et population

8On peut grossièrement distinguer deux courants d’études francophones sur les arrangements économiques post-conjugaux. Le premier porte sur les procédures et pratiques judiciaires du divorce que ce soit en Suisse avec l’étude pionnière de Laura Cardia-Vonèche et Benoît Bastard dans les années 1980 et plus récemment en France [16]. Le second s’appuie sur les récits des divorçant∙es afin de mieux saisir les mesures prises autour de l’entretien de l’enfant [17]. Cette recherche s’inscrit au croisement de ces deux courants. Elle se fonde sur le point de vue croisé des divorçant∙es et de leurs enfants [18] pour mieux comprendre les processus qui se jouent hors de l’arène judiciaire et qui, par conséquent, ne sont pas référencés dans le premier type d’études mentionné. Récolter le récit rétrospectif des principaux intéressé∙es permet également de compléter l’apport du second courant en montrant que les arrangements financiers contractés entre adultes et entre adultes et enfants sont intrinsèquement liés car ils sont façonnés par les représentations genrées rattachées à l’argent du divorce.

9Cet article s’appuie sur une vingtaine d’entretiens semi-directifs de type compréhensif récoltés en 2019 en Suisse romande auprès de pères et de mères divorcés ainsi que de jeunes adultes dont les parents se sont séparés lorsqu’ils étaient mineurs [19], et sur un nombre identique de récits recueillis entre 2009-2011 auprès de parents divorcés [20]. Pour le recrutement, nous avons privilégié un éventail de profils sociodémographiques variés mais avec une expérience commune [21] : un divorce. Celui-ci a eu lieu entre 2002 et 2017, soit après la révision du droit du divorce suisse de 2000 qui a conduit notamment à l’abandon de la notion de faute. Notons toutefois que la majorité des personnes rencontrées sont issues des classes populaires et moyennes (à titre indicatif, les revenus des ménages variaient entre frs. 3 000.- et frs. 13 000.- net par mois). Dans la totalité des ménages, l’homme était le pourvoyeur principal de revenu, ce qui est la situation de 9 ménages hétérosexuels sur 10 avec enfant(s) en Suisse [22].

10L’objectif de ces recherches n’était pas de proposer des résultats généralisables mais plutôt de repérer les expériences similaires de manière à mettre en lumière les modèles communs significatifs et les variations intrinsèques [23]. Fondées sur la grounded theory et la démarche compréhensive, ces études exploratoires visaient à mieux comprendre le processus de « désunion économique » [24], c’est-à-dire la manière dont se construisent les arrangements financiers découlant d’une séparation. Nous partions du postulat que ces arrangements sont le fruit d’un processus qui commence quand le couple est encore marié et se termine bien après la prononciation du divorce [25]. C’est pourquoi nous avons privilégié le terme de divorçant∙e plutôt que celui de divorcé∙e dans la suite de ce texte. Nous montrons que loin de se résumer au seul « affrontement d’intérêts bassement matériel » [26], il existe différentes logiques pratiques qui structurent et légitiment les prises de décision économiques [27].

Le divorce en Suisse

En Suisse comme en France, environ 4 mariages sur 10 s’achèvent par un divorce. Le traitement juridique est différent mais on retrouve des points communs sur les grands principes régissant les contributions versées à l’ex-époux ou épouse et aux enfants. Le droit suisse est toutefois plus proche du droit allemand [28]. Le droit à la prestation après divorce est de type alimentaire : il s’agit de pallier le déficit de revenu subi après la séparation. Pour ce faire, sont examinées les ressources personnelles plus généralement de la créancière et ses charges. En ce sens, l’obligation de solidarité entre les conjoints ne disparaît pas après le divorce mais elle est limitée à un délai au terme duquel il paraît équitable d’exiger de l’ex-époux∙se dans le besoin suite à la dissolution du mariage qu’il assume seul son entretien (principe du « clean break »). Les contributions à l’enfant sont fixées selon les ressources des parents et les besoins de l’enfant jusqu’à sa majorité ou la fin de sa formation. Dans les deux cas, on parle communément de « pensions alimentaires » car les versements prennent généralement la forme de rentes mensuelles. La loi prévoit également que les ex-époux se répartissent la prévoyance professionnelle (ou caisse de retraite) accumulée durant le mariage. Comme on le verra plus loin dans le texte, une certaine marge de manœuvre leur est toutefois octroyée (art. 124b CC).

Rupture, reconfiguration de l’échange économico-familial et émergence de la figure du perdantt

11La figure du perdant masculin semble émerger dès les premiers arrangements contractés après la prise de décision de se séparer. Nous pouvons distinguer deux événements concomitants qui vont contribuer à la faire apparaître : la décohabitation et la transformation des échanges économico-familiaux.

12Depuis 2014, l’autorité parentale conjointe est la règle en Suisse mais dans 9 cas sur 10 les enfants de moins de 18 ans vivent principalement avec leur mère [29]. Il s’agit dans la plupart des cas du choix des divorçant∙es qui poursuivent ainsi la division sexuée du travail domestique et familial qu’ils connaissaient lorsqu’ils étaient en couple [30]. Cette organisation est souvent mise en place rapidement. À titre indicatif, en France, deux mois après avoir pris la décision de se séparer, trois quart des conjoints ne vivent plus ensemble [31]. Or, la garde des enfants est positivement corrélée avec la conservation du domicile conjugal [32]. Ainsi, à l’exception d’un cas, tous les pères que nous avons rencontrés ont quitté le domicile familial pour s’installer ailleurs. Par souci d’économie ou par nécessité financière, un certain nombre d’entre eux emménagent dans un appartement relativement modeste.

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« Pour moi, c’était très dur. [Avant la séparation] je voyais [mes enfants] au quotidien et j’ai fait une erreur. J’ai pris un petit appart, un studio. Ils n’avaient pas beaucoup de plaisir à venir, ça m’avait blessé. Ce n’était pas contre moi mais voilà il n’y avait pas beaucoup de place et puis du coup, je me disais : “Mais voilà, moi je n’ai rien. Je me retrouve avec rien. Elle, elle a l’appartement, elle a sa vie d’avant et puis moi, rien”. C’est rude [...]. Pour moi, ça aurait été un problème de devoir payer pour mon ex. [...] Je ne veux pas parler à la place des femmes mais [...] la plupart du temps, c’est la femme qui reste là avec les enfants donc [...] tu as tes enfants autour de toi, tu as ton environnement. Ça change quand même par rapport à un homme qui se retrouve du jour au lendemain avec rien. ».
Paul, né en 1967, 2 enfants, divorce en 2010

14Le choix du logis a des conséquences multiples qui vont contribuer à faire émerger un sentiment de perte chez les hommes. D’une part, il a des effets sur les relations familiales. Comme le relève Paul, lorsque l’habitat est petit, l’accueil des enfants est rendu plus difficile et le séjour moins attractif pour ces derniers. Cela contribue sans doute au relâchement des liens entre les pères et leurs enfants et à l’isolement des premiers constaté par ailleurs [33]. D’autre part, choisir un appartement à bas prix a des effets économiques pervers à plus long terme. L’attribution de la garde à la mère est positivement corrélée avec le versement d’une pension alimentaire par le père [34]. Or, le coût de l’appartement est inclus dans le montant du revenu disponible pris en compte dans le calcul des contributions d’entretien. Autrement dit, les soucis d’économie des hommes peuvent se retourner contre eux car ils vont payer des contributions d’entretien plus élevées que s’ils avaient choisi un appartement plus grand, plus accueillant et plus cher. Et une fois qu’elles sont fixées, il semble épineux de justifier une baisse des contributions par un déménagement dans un appartement plus vaste. Autrement dit, les efforts masculins pour réduire les dépenses d’hébergement ne sont pas reconnus par les instances judiciaires qui, au contraire, pénalisent symboliquement ceux qui en fournissent en les crédidant aux femmes et aux enfants.

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« Il m’a dit : « Je ne veux pas te payer pour tout ce que tu ne travailles pas ! ».
Mona, née en 1965, 2 enfants, divorce en 2006

16Dans l’esprit de beaucoup de divorçant∙es, la décohabitation qui suit la rupture conjugale marque aussi le passage d’une logique de mutualisation des biens et des ressources à une logique de réciprocité immédiate fondée sur un échange de prestations jugées équivalentes [35]. Or, nombre de pères rencontrés estiment que leur contribution post-séparation n’est pas payée en retour. Cette perception se comprend si on considère les échanges conjugaux et post-conjugaux sous l’angle de ce que Paula Tabet a appelé les échanges économico-sexuels [36]. Lors du mariage, au revenu du pourvoyeur principal répondait une contrepartie féminine généralement implicite en soins, en prise en charge du travail domestique et familial, voire en fidélité [37]. Avec la séparation, cette contrepartie n’a plus lieu d’être. Autrement dit, la conception juridique des compensations financières (qui se fonde sur la logique de mutualisation des biens propres au mariage, à savoir que les prestations d’entretien à l’ex-conjoint∙e ne sont dues que s’il a effectivement besoin de la participation financière de l’autre pour vivre et que cette situation est la conséquence du mariage dissous [38]) est en décalage avec la logique de la rupture : celle de la réciprocité immédiate. Le fait que l’on entre dans une comptabilité de l’immédiateté implique que les décisions précédentes en matière de répartition sexuée du travail, généralement prises d’un commun accord, ne sont pas comptabilisées. Le sentiment de perte sera par conséquent tout particulièrement prononcé chez les hommes qui versent des contributions d’entretien à leur ex-épouse sans estimer recevoir de contreprestation équivalente.

17Le concept d’échange économico-sexuel caractérise les échanges entre les adultes. Il ne permet pas de rendre compte des échanges « économico-parentaux », soit des échanges symboliques, matériels et affectifs qui ont lieu entre les parents et les enfants. C’est pourquoi il serait plus juste de considérer la rupture comme la reconfiguration des échanges économico-familiaux dans leur ensemble, soit des différents types d’échanges qui relient les divorçcant.es entre eux mais aussi les enfants entre eux et les enfants avec leurs parents. La décohabitation parentale ne marque pas la fin de tout échange économico-familial mais elle contribue à en modifier la temporalité et les modalités. Les pères non gardiens peuvent s’estimer désavantagés lorsqu’ils notent que leur contribution financière est contrebalancée par moins d’activités et de temps partagés, voire moins de proximité affective avec leurs enfants qu’avant la rupture [39]. Certains d’entre eux peuvent se sentir dépossédés de leur rôle parental en ayant l’impression que leur engagement se résume à des questions matérielles comme le versement d’une pension alimentaire [40].

Du perdant à la gagnante

18Comme cela a déjà été démontré par ailleurs, le système de représentations genrées fonctionne en catégories binaires antagonistes et hiérarchisées [41]. À la figure du père divorcé perdant est généralement opposée la figure de la mère gagnante. Cette vision dichotomique rend compte des positions de genre les plus fréquentes dans le circuit de redistribution économique propre à la séparation : celles du débiteur et de la créancière. Elle s’explique aussi par la conception largement répandue du divorce comme d’un jeu à somme nulle : ce que l’un perd, l’autre est censé le gagner [42]. Cette représentation d’une perte financière masculine et d’un gain féminin, dont nous verrons plus loin qu’elle est partagée par nombre d’acteurs et d’actrices du divorce, est dans une certaine mesure confirmée par le système fiscal. En Suisse comme en France [43], il permet à celui qui verse une contribution à l’entretien de l’ex-époux et des enfants mineurs de la déduire de ses revenus imposables alors que celui, ou plus généralement celle, qui la reçoit doit la déclarer comme un revenu supplémentaire fiscalement imposable.

19À ces représentations genrées dichotomiques sont également associées un certain nombre de caractéristiques morales antinomiques. À l’homme perdant est souvent rattachée la générosité qui va dans le sens d’une perception des versements masculins post-conjugaux comme d’un don dont le contre-don est incertain. À l’opposé, c’est la vénalité qui peut potentiellement être associée au supposé gain féminin. « [Après notre divorce] Madame s’est construit une villa, s’est acheté une bagnole. [...] Elle pleure encore misère », relève un père. « Elle m’a tout pris », renchérit un autre. « Une de ses plus grandes peurs, c’était que je le plume », confirme une des femmes rencontrées. À la question de savoir comment ses parents s’étaient arrangés financièrement au moment du divorce, Yan réplique en riant : « En gros, que le mari perdait tout ? »

20On peut parler de stéréotype car l’attribution de ces dispositions morales découle d’une appréhension partielle et partiale [44] des gains et des pertes post-rupture. Ces stéréotypes vont toutefois fournir une explication aux comportements observés et susciter une évaluation et une réaction d’approbation, de rejet ou de discrimination. Selon nous, ce système de représentations ne naît pas spontanément. Il prend la suite d’autres représentations genrées présentes chez certains couples hétérosexuels comme celle de la femme dépensière et de l’homme généreux [45]. En d’autres termes, la dichotomie perdant/gagnante, générosité/vénalité prend ses racines dans la dépendance plus ou moins grande des femmes à l’égard de l’argent des hommes que l’on retrouve dans nombre de couples hétérosexuels. À la différence que dans le contexte de la séparation, cette dépendance n’est contrebalancée par aucune contrepartie, ce qui la rend par conséquent d’autant plus illégitime et moralement condamnable.

Représentations genrées et conséquences sur les négociations financières menant au divorce

21Pour faire face à des situations inédites (par ex. la mise en couple, en ménage ou la séparation), les actrices et acteurs concernés recourent aux représentations communes à disposition afin de savoir comment agir, et notamment comment organiser et adapter leurs échanges économiques [46]. En fournissant des codes de conduite et des clés d’interprétation, les représentations genrées rattachées à l’argent du divorce participent à la production de la réalité [47]. Elles vont contribuer à influencer les arrangements financiers pris lors de la rupture.

22Dans nos entretiens, nous avons ainsi relevé plusieurs cas où les femmes se dessaisissent volontairement de leurs droits. « Je ne voulais rien soutirer », confirme l’une d’entre elles. Selon une étude déjà ancienne, en Suisse, près de la moitié des conventions de séparation s’écarterait du partage de l’épargne retraite par moitié prévu par la loi et dans un tiers des divorces, les conjointes y renonceraient [48]. Ce renoncement peut s’expliquer par une forme de naturalisation du don de soi [49] ou comme une stratégie visant à conserver de bonnes relations avec l’ex-conjoint ou à préserver la relation entre le père et ses enfants [50]. Plusieurs indices donnent toutefois à penser que les femmes comme les hommes partagent, pour reprendre les termes de Bourdieu [51], le même dispositif symbolique. En ce sens, le renoncement à ses droits peut aussi être perçu comme une stratégie mise en place par les femmes pour contrer la menace du stéréotype de la femme vénale : « Je n’étais pas fâchée avec lui au point de vouloir sa mort sociale ou financière », précise une mère. « Je n’ai jamais cherché à lui nuire, par exemple en prenant son argent », renchérit une autre.

23Comme le relèvent les études sur les règlements juridiques de la séparation, les tribunaux se contentent souvent de valider les arrangements contractés dans la sphère privée [52]. L’absence de temps, des procédures juridiques peu intrusives pour les classes moyennes, les conduisent à entériner des arrangements financiers inégalitaires [53], quand bien même les magistrats seraient en désaccord.

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« Je me suis bagarrée avec le juge pour qu’il soit d’accord avec notre convention de divorce. [...] Moi, je pars d’un autre principe : le boulot à papa aide à subvenir aux besoins de ses enfants mais dès l’instant où on est divorcés, il ne doit plus rien à la maman. Donc moi, c’est ce que j’avais expliqué au juge. [...] Si on enlève tout au papa sous prétexte qu’il doit tout donner et puis encore des pensions pour la maman ! [...] Puis le juge m’a dit : “Mais vous ne vous en sortirez pas !” ».
Émilie, née en 1972, 3 enfants, divorce en 2011

25Le renoncement des femmes à leurs droits n’est pas pour autant la conséquence d’une adhésion naïve à un dispositif de représentations qui les désavantagerait. D’une part, cette décision est confortée par deux facteurs : la norme de l’indépendance financière féminine très présente chez les acteurs et actrices du divorce [54] et le désir d’émancipation que certaines femmes revendiquent en divorçant [55]. Refuser l’argent masculin s’inscrit par conséquent dans une volonté délibérée de se dégager de tout lien économique et, par ricochet, de tout contrôle de la part de l’ex-conjoint [56]. « Comme je voulais garder mon autonomie à 100 %, je n’ai pas demandé de pension », confirme une de nos interlocutrices. « J’ai maintenant cette liberté de me dire que je peux gérer les choses comme je veux. [...] Je ne suis pas tributaire, je ne suis pas en lien avec lui. [...] Je peux vivre ma vie », relève une autre. D’autre part, les femmes ne sous-estiment pas les conséquences d’une séparation. Elles sont conscientes que renoncer à leurs droits implique une baisse de leur niveau de vie non négligeable mais, comme le signifie Alba (née en 1980, 2 enfants, divorce en 2017), elles le considèrent comme « le prix à payer » pour accéder à l’indépendance qu’elles recherchent :

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Ma liberté, c’était d’avoir moins de contacts avec lui, de ne pas devoir lui rendre de comptes sur ce que je faisais et de ne pas lui demander de l’argent. [...] Ça signifie que, de toute façon, il y a des injustices... mais c’est le prix à payer. [...] J’ai payé ma liberté en renonçant à certains droits. »

La rhétorique de l’homme généreux : une construction du système juridique

27Deux normes rattachées aux devoirs des parents séparés confortent la représentation d’un argent masculin individuel, personnel et à préserver car potentiellement menacé : celle du maternage féminin et celle du pourvoyeur masculin de ressources [57]. Pour les instances et les professionnel∙les du droit, le devoir du père séparé est avant tout de participer aux coûts de l’enfant [58]. Toutefois, le statut de pourvoyeur de revenu prime sur le devoir paternel d’entretien. La fixation des contributions alimentaires se base sur les ressources disponibles des débiteurs et pour les plus précaires, sur la préservation d’un certain montant à vivre. Il s’agit de protéger le statut de pourvoyeur masculin de revenu en ne décourageant pas l’insertion professionnelle en retirant une part trop importante de salaire [59] et en veillant à ne pas déstabiliser un budget où chaque dépense compte [60]. Autrement dit, du point de vue institutionnel, les pertes sont envisagées uniquement sous l’angle du débiteur, soit l’homme dans la plupart des cas. En Suisse, cela se concrétise par le fait que les pensions alimentaires ne sont pas fixées en fonction des besoins de l’ayant droit mais avant tout en fonction des possibilités économiques du débiteur dont le revenu minimum de subsistance est préservé [61]. Le déficit éventuel est alors à la charge du créancier, plus généralement de la créancière. Implicitement, la préservation du revenu masculin est au centre des décisions juridiques.

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« Le juge nous a vus après [le jugement] les 4. Il a dit que c’était vraiment génial, qu’il fallait que tous les divorces se passent comme ça. Moi, j’avais le ventre vissé parce que même si la convention [était signée], à la fin du mois, j’avais 300 francs et lui 2500 francs. Et le juge disait [ton emphatique] : “Ceci ne me semble pas injuste !” [Silence]. C’est peut-être ce qui m’a permis de me libérer de cet homme, c’était vraiment un divorce d’usure, c’était de pouvoir lâcher aussi l’aspect financier. ».
Élise, née en 1972, 3 enfants, divorce en 2011

29« Lâcher l’aspect financier » n’est pas qu’un moyen pour les femmes d’en finir avec une procédure qui peut devenir très longue. C’est aussi un processus qui est conforté par la norme de maternage féminin qui fait désormais écho à l’injonction contemporaine de coparentalité [62]. Les femmes des classes moyennes et supérieures sont invitées à demander des pensions alimentaires pour les enfants. Toutefois, il est attendu qu’elles soient raisonnables dans leurs demandes, et notamment dans les demandes financières qui les concernent, afin de ne pas envenimer les relations avec le père [63]. Gardienne des liens sociaux, la bonne mère est censée privilégier l’intérêt de l’enfant au sien. Or, pour les instances judiciaires, l’intérêt de l’enfant consiste à ce qu’il entretienne des liens constants avec le parent non gardien. Cette valorisation relativement récente du rôle affectif et relationnel des pères se traduit financièrement pour les femmes par une réduction des pensions pour les enfants lorsque le père non gardien s’en occupe [64]. S’il s’agit de valoriser une plus grande implication paternelle, ce mode de calcul confirme la centralité du revenu masculin dans les arrangements financiers post-conjugaux. Celui-ci est préservé par tout un ensemble de mécanismes institutionnels qui prennent en compte la capacité financière mais aussi temporelle des pères à s’occuper de leurs enfants. La prise en compte des mères apparaît en négatif. Au contraire des hommes, leur disponibilité est peu questionnée car elle va de soi. Et peu importe le niveau de revenu du ménage qui se sépare, c’est moins leur revenu qui est pris en compte dans l’établissement des contributions alimentaires que leurs dépenses [65].

L’homme perdant : des enfants complices ?

30Or, les dépenses que l’on attribue aux mères divorcées, et dont une partie va potentiellement être imputée aux pères, sont étroitement liées à celles des enfants dont elles ont la garde. Selon le droit suisse, à partir de 11 ans, les enfants peuvent être reçus par le ou la juge afin d’exprimer leur souhait en matière de garde [66].

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« Mon père a dit qu’on avait menti au juge ! [...] Comme quoi ma mère nous aurait monté la tête pour qu’on mente au juge. Parce que d’après lui, ce n’était pas vrai ce qu’on avait dit. [...] Tu es là, on te pose des questions, tu réponds. Tu ne comprends pas pourquoi. On ne voyait pas ce qu’on avait fait de mal. Nos auditions ont déclenché un vrai tremblement de terre. ».
Joan, née en 1995, parents divorcés en 2006

32En auditionnant les enfants, le ou la juge cherche à connaître leurs intérêts afin de les préserver au mieux. Cependant, cette procédure peut avoir des effets pervers rarement anticipés sur les relations que les enfants entretiennent avec leurs parents [67]. Ce qui se dit lors de l’audition est confidentiel, néanmoins il n’est pas rare que le parent qui estime avoir été désavantagé par le jugement demande à ses enfants de s’expliquer. La plupart des parents interrogés affirment ne pas avoir voulu mêler leur progéniture aux tractations financières inhérentes à un divorce. Cela se vérifie pour les tout-petits mais ce n’est pas toujours le cas pour les plus grands. Les propos tenus durant l’audition pouvant avoir des conséquences économiques non négligeables sur l’attribution de la garde et, par ricochet, sur les pensions alimentaires, la procédure juridique place indirectement les enfants les plus âgés au cœur des enjeux financiers.

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« [Mon père] a réussi à se persuader que le problème ne vient pas de lui. Lui, c’est la personne lésée dans l’histoire. C’est à lui qu’on a volé tout l’argent. C’est lui qui reste tout seul. C’est impressionnant comme il a vraiment réussi à se convaincre de ça. C’est comme ça que ça s’est passé. Nous, on est horribles. On s’est fait manipuler par notre maman, on est contre lui, on se ligue contre lui. Et lui, c’est le Calimero dans l’histoire. [...] Il est à fond dedans : “Vu que je suis l’homme, c’est moi qui ai tout gagné, maintenant on me vole tout...” ».
Jodie, née en 1996, parents divorcés en 2006

34Lorsqu’ils sont rendus responsables de la décision du juge, les enfants peuvent être suspectés d’association avec le parent créancier, soit la mère dans la plupart des cas. Cela contribue sans doute à renforcer le sentiment particulièrement élevé d’isolement et de solitude des pères qui n’ont pas la garde de leurs enfants [68] car ils vivent alors une triple défaite : statutaire, les enfants affirmant leur préférence pour une cohabitation avec leur mère ; économique, cette cohabitation impliquant généralement le versement d’une pension alimentaire ; judiciaire et symbolique, les tribunaux entérinant ce qui peut être perçu comme une double privation.

Les pensions alimentaires destinées aux enfants : renforcement des figures de la femme vénale et de l’homme généreux

35En tant que principale gardienne des enfants mineurs, la plupart des mères sont récipiendaires des pensions alimentaires qui leur sont destinées. Qu’elles aient renoncé ou non à des contributions pour elles-mêmes, elles conservent par conséquent des liens économiques avec leur ex-conjoint. Elles sont amenées à réclamer le versement des contributions lorsque celles-ci tardent ou encore à solliciter leur ex-conjoint pour les frais qui ne sont pas ou incomplètement inclus dans le calcul des pensions alimentaires comme les dépenses extraordinaires, certains frais courants, médicaux et scolaires [69]. « Quand elle m’écrit, c’est pour me demander de l’argent », confirme un père. Toutefois, les positions sont asymétriques. La poursuite de la répartition sexuée des responsabilités financières rattachées aux enfants place les femmes en situation de demanderesse et les hommes dans celle d’accepter ou de refuser les sollicitations féminines. En ce sens, renoncer à des contributions pour soi ne suffit pas à annuler tout rapport de pouvoir entre les ex-conjoints ni à détourner complètement le stéréotype de la femme vénale.

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« Mon père m’a dit que je m’étais fait arnaquer parce que depuis plusieurs années j’ai donné [ma pension] à ma mère et qu’avec tout cet argent, j’aurai pu en économiser une bonne partie. Étant donné que mon assurance, la nourriture, le téléphone, enfin mes dépenses n’étaient jamais aussi élevées que la pension, et que ma mère n’avait jamais économisé l’argent de la pension pour moi et pour ma sœur. Il m’a fait comprendre que tout le surplus de la pension, elle se l’est gardée pour elle. ».
Alizée, née en 1996, parents divorcés en 2009

37Comme l’indique l’extrait ci-dessus, même en l’absence de sollicitations de leur part, les mères peuvent continuer à être perçues comme insatiables financièrement lorsque les pensions alimentaires versées aux enfants apparaissent comme leur étant profitables. Comment expliquer la perception du père d’Alizée, qui est loin d’être le seul dans ce cas, alors même que les pensions intègrent rarement l’ensemble des dépenses enfantines [70] ? D’une part, on peut y voir une conséquence de la division sexuée des responsabilités financières qui existait lorsque le couple vivait ensemble. Les femmes y étaient souvent les principales responsables des dépenses courantes et des frais rattachés aux enfants [71]. Certains pères en méconnaissent par conséquent le coût. Celui-ci est parfois aussi sous-évalué car les dépenses rattachées au quotidien sont plus invisibles et jugées plus compressibles que d’autres frais [72]. D’autre part, la séparation conduit les hommes à perdre la maîtrise des montants qu’ils versent à leur ex-épouse et à leurs enfants ainsi que le contrôle sur l’usage qui en sera fait. Cette perte de pouvoir économique peut être associée à un sentiment d’insécurité rendu d’autant plus vif que plane la menace de la femme vénale. Chez certains hommes, cela se traduit dans le vocabulaire utilisé : ils « ont peur » de ces femmes qui cherchent à « leur nuire » en « s’en prenant à leur argent » ou en tentant de le leur « voler ». Le sentiment d’être démuni face au danger s’exprime tout particulièrement chez les hommes qui estiment avoir été les victimes d’une alliance entre les principaux acteurs et actrices du divorce : leur ex-femme, leurs enfants et les tribunaux.

La représentation d’un argent masculin menacé et ses conséquences sur la suite du processus de désunion économique

38Ces craintes masculines peuvent avoir un effet domino sur la suite du processus de désunion économique. Afin de préserver leurs revenus, certains pères vont être particulièrement attentifs à évaluer le bienfondé des sollicitations financières dont ils font l’objet. Ils vont également chercher à estimer l’adéquation des contributions versées aux besoins de l’enfant. Cela les conduit notamment à réclamer des précisions quant à ses dépenses. Dans un contexte où la séparation va de pair avec une volonté d’autonomisation, certaines femmes perçoivent ces demandes comme une intrusion intolérable dans leur sphère privée. Pour la contrer, elles vont rechigner à rendre des comptes confortant indirectement le soupçon d’abus. À ce stade, on peut en conclure que peu importe à qui est destiné l’argent masculin. Tant que l’argent va des hommes aux femmes, le soupçon que ces dernières pourraient en profiter persiste. Ainsi certains pères séparés des classes moyennes et supérieures financent volontiers un achat ou un loisir extraordinaire directement à leurs enfants [73]. Ils feront également en sorte que le temps passé avec eux soit exceptionnel et précieux, en proposant par exemple des activités ludiques parfois très coûteuses. Par contre, ils peuvent se montrer intraitables à l’égard de toutes les dépenses enfantines qui impliqueraient de verser davantage d’argent aux mères.

39

« Mon papa ne payait que les pensions. Tous les autres frais, de dentiste par exemple, il ne payait pas. Il n’a jamais rien payé, tout ce qui était écolage non plus. Ma maman a toujours tout gardé et à la fin, ça faisait des milliers de francs qu’il lui devait. ».
Jodie, citée plus haut

40Dans un contexte où elle ne couvre pas l’entièreté des frais enfantins, considérer la pension comme solde de tout compte renforce les inégalités économiques entre ex-conjoints en augmentant les charges des mères séparées. Ces pratiques ont aussi des implications sur le niveau de vie des enfants. Trois quarts de ceux que nous avons interrogés estiment qu’il a baissé après le divorce de leurs parents.

41Les conséquences de ces réticences masculines à entrer en matière sur les dépenses enfantines ne sont pas qu’économiques, elles sont également émotionnelles et relationnelles. Le désintérêt supposé des pères peut contribuer à les éloigner davantage de leurs enfants. Comme on l’a vu, la figure du bon père divorcé est étroitement rattachée au fait de pourvoir aux besoins de ses enfants. Le refus paternel de participer à certains frais contribue à activer une autre figure masculine présente dans les divorces, celle du mauvais père, absent et désintéressé du sort de sa descendance [74]. Ces refus masculins suscitent également des tensions dans des couples qui annonçaient initialement vouloir divorcer à l’amiable.

42

« Au début [ma mère] voulait juste le minimum. Elle disait : “Je ne veux pas d’histoire. Je veux juste que tu me verses la pension des filles, une pension correcte pour que je puisse continuer à vivre normalement”. [...] Au début, elle ne voulait pas faire chier quoi : « On partage ce qu’il y a, on vit simplement et c’est réglé. [...] Mais [mon père] ne l’a jamais fait. C’est lui qui s’est péjoré tout seul dans l’histoire. [...] Du coup, elle a dû prendre un avocat et c’est pour ça qu’il y a eu tout ça. C’est parce qu’il a refusé de faire quelque chose à l’amiable, parce qu’il ne voulait pas payer. ».
Justine, née en 1996, divorce des parents en 2009

43Il n’est pas rare que certaines séparations s’enveniment et conduisent alors les ex-époux devant les tribunaux [75]. Plusieurs de nos interlocutrices ont attendu un certain temps avant de se tourner vers le système juridique pour faire reconnaître leurs droits ou ceux de leurs enfants. Dans les entretiens, cette judiciarisation tardive du processus de désunion économique est justifiée par les normes de genre attachées aux parents séparés. Elle est expliquée par les réticences masculines à endosser le rôle de pourvoyeur des besoins des enfants et légitimée par la norme de maternage féminin. Initiée par les femmes, ces démarches conduisent toutefois à réactiver le stéréotype de la femme insatiable financièrement.

Les enfants, de nouveaux partenaires financiers qui instaurent la fin du processus de désunion économique ?

44Un moyen de désamorcer les conflits entre adultes et de conduire à des participations financières plus équilibrées consiste à ce qu’à leur majorité, les enfants se substituent économiquement au parent créancier [76]. C’est une solution privilégiée par la moitié des familles que nous avons rencontrées.

45

« Sandra ce n’est pas quelqu’un de mauvais. Je pense qu’elle est correcte. Elle sait que je suis correct mais [...] sitôt que [mes enfants] ont eu 18 ans, j’ai voulu, moi, leur donner. Pas que je n’avais pas confiance mais tu peux jamais trop savoir... ».
Pierre, né en 1967, 2 enfants, divorce en 2010

46

« J’ai mandaté Fanny de passer directement par son père car finalement, ça la concernait directement. [...] Au début qu’il versait, il disait : “Ah, elle fait des vacances !” Tu vois un peu : “Moi, je paye des pensions et je ne peux même pas y aller !” ».
Aline, née en 1970, 3 enfants, divorce en 2015

47En changeant l’un∙e des partenaires de l’échange, les ex-conjoints contribuent à « démarquer » l’argent du divorce du sceau du soupçon. Les hommes se libèrent du doute quant au réel destinataire de l’argent versé et de leur côté, les femmes se débarrassent de la menace du stéréotype de la femme vénale ainsi que du devoir de rendre des comptes. Autrement dit, ce nouvel arrangement favorise l’autonomie financière des divorçant∙es car ils peuvent désormais fonctionner comme deux entités économiques indépendantes concrétisant enfin le principe du clean break inscrit dans la loi. Le processus de désunion économique est-il pour autant achevé ? Non, car s’il l’est pour les femmes, il se poursuit désormais entre les pères et leurs enfants.

48

« [Mon père] m’a toujours dit : “Dès que tu auras 18 ans, je te verse la pension à toi. Et dès que j’ai eu 18 ans, j’ai dû en parler avec ma maman parce que ce n’est pas mon père qui allait en parler avec elle. [...] Du coup, c’est moi qui gère tout : l’assurance, tout ça. [...] Je verse encore frs. 300.- par mois pour la maison, pour la nourriture.” » .
Yasmine, née en 2000, parents divorcés en 2014

49Si ce nouvel arrangement semble convenir aux adultes, les enfants paraissent plus mitigés. Ils l’acceptent par loyauté vis-à-vis du parent débiteur et par volonté d’apaiser les tensions parentales. En se substituant à leur mère, ils lui permettent d’accéder à l’indépendance économique que certaines d’entre elles recherchaient dans la séparation. Ce faisant, ils endossent les responsabilités et le devoir de réciprocité qui étaient autrefois les leurs. Au niveau financier, ces très jeunes adultes sont désormais amenés à gérer leur budget et à prendre en charge une partie des frais du ménage si nécessaire. Ils doivent également rendre des comptes sur leurs dépenses, négocier la prise en charge de frais extraordinaires ou encore effectuer des rappels auprès de leur père en cas d’omission de paiement de sa part [77].

50Le devoir de réciprocité n’est pas qu’économique. Le sentiment d’effort, de privation, voire d’injustice, rattaché à la contribution d’entretien connote encore l’argent des pères. Celui-ci n’est souvent pas considéré comme un dû mais un don qui doit se mériter [78]. En ce sens, il est attendu des enfants un certain nombre de contreprestations. Celles-ci peuvent être de différentes natures : une gestion efficiente des ressources ; un contre-don relationnel comme des visites régulières au donateur ; la réussite scolaire [79] ; ou encore le fait que les enfants libèrent au plus vite le parent débiteur de cette charge financière [80].

51

« Si elle fait un apprentissage, elle va gagner de l’argent, donc la moitié de cet argent, c’est de l’argent de poche. Le reste, c’est pour contribuer au financement de sa nourriture, de la pension chez sa maman. Du coup, moi, ça diminue les pensions. ».
Raoul, né en 1968, 2 enfants, divorce en 2007

52Le système fiscal helvétique ne permet pas au parent débiteur de déduire les contributions d’entretien versées aux enfants majeurs. Par conséquent, certains pères vont chercher à s’en libérer au plus vite, voire à s’y soustraire. Le père d’une de nos interlocutrices décide unilatéralement d’arrêter de lui verser sa pension alors qu’elle est encore étudiante. Afin de faire reconnaître ses droits (la contribution est due par la loi jusqu’à la fin de la formation), celle-ci entame une procédure juridique à l’encontre de son père, ce qui ne sera pas sans conséquence sur leurs relations. Cette démarche semble toutefois plutôt rare. D’autres témoignages recueillis dans une précédente recherche sur le rapport des étudiant∙es à l’argent semblent indiquer que la plupart des jeunes concernés renoncent à une procédure qu’ils estiment extrêmement coûteuse en termes affectifs et relationnels.

53En se substituant à leur mère, les enfants contribuent à soutenir le processus de désunion financière entamé par leurs parents. Certains indices, que nous ne pouvons développer ici faute de place, donnent toutefois à penser qu’ils en paient le tribut. La limitation du soutien financier des pères au versement des pensions alimentaires et l’incapacité matérielle ou le refus de certaines mères de verser davantage pour les compléter ont des implications qui mériteraient d’être étudiées plus en détail. L’accès précoce à des responsabilités économiques d’adulte que ce soit en termes de gestion financière et de recherche de revenus complémentaires semblent en effet péjorer la scolarité, l’épargne, l’accès aux loisirs et à la consommation des jeunes concernés.

Conclusion

54Pour Viviana Zelizer, ce sont les relations interpersonnelles qui marquent l’argent [81]. Dans cette approche, le contexte dans lequel prennent place ces relations est peu pris en compte. Nous montrons ici qu’il est essentiel. Peu importe les relations interpersonnelles entretenues au début du processus de séparation, la rupture favorise l’érection d’une culture du soupçon autour des échanges économiques qui en découlent car elle offre un contexte propice à rendre pertinentes des significations sociales « prêtes à penser » quant aux rapports genrés à l’argent. Ces représentations ont valeur de prophéties autoréalisatrices. Qu’elles se vérifient ou non, elles contribuent à favoriser un climat de menaces plus ou moins latentes et de suspicion susceptible de mettre en doute la sincérité des engagements, d’orienter les pratiques financières et finalement de bouleverser les relations sociales et affectives. Autrement dit, on peut aussi observer le phénomène inverse à celui décrit par Zelizer, à savoir que certaines situations spécifiques – comme une séparation conjugale – contribuent à marquer l’argent des hommes et des femmes et que c’est ce marquage qui va connoter leurs relations interpersonnelles.

55Les processus que nous venons de décrire sont-ils généralisables ? Si nous pouvons difficilement l’affirmer, nous pouvons supposer que tous les transferts financiers post-conjugaux qui vont des hommes aux femmes, et ce peu importe le ou la destinataire final∙e, sont considérés comme potentiellement suspects. On n’observe par exemple pas de différences notables selon les différents niveaux de revenu ou d’éducation des personnes rencontrées. En ce sens, cette culture du doute et du soupçon cristallise surtout un rapport de genre dans lequel se retrouvent beaucoup de couples contemporains hétérosexuels : une inégalité économique et une répartition sexuée du travail rémunéré et non rémunéré ainsi que des responsabilités financières qui se perpétuent bien après la rupture.

56L’argent masculin occupe une part prédominante dans les récits croisés que nous avons recueillis. Il occulte l’argent des femmes et l’argent des enfants rendus quasiment invisibles dans les entretiens. Ceux-ci semblent rarement entrer en considération dans les comptes post-conjugaux renforçant par là-même le prestige symbolique de l’argent des hommes et du statut masculin de pourvoyeur de revenu. Les contributions masculines, féminines et enfantines ne se jaugent pas à la même aune. À l’argent masculin et aux efforts pour le fournir et le transmettre, on n’oppose pas les contributions féminines et enfantines et les difficultés inhérentes mais l’attente d’un contre-don. Cette comptabilité parallèle conforte la perception d’une générosité masculine qui ne semble pas payée en retour et qu’à cet argent masculin généreux répond l’argent immérité des femmes et des enfants. Elle cache également le rôle central des enfants dans le processus de désunion économique de leurs parents.

Notes

  • [1]
    Charlott NYMAN, Sandra DEMA, « An Overview : Research on Couples and Money », dans Modern Couples Sharing Money, Sharing Life, Janet STOCKS et al., New York, Palgrave Macmillan, 2007, pp. 7-29 ; Jan PAHL, « The Gendering of Spending within Household », Radical Statistics, 75, 2000, pp. 38-48 ; Delphine ROY, « L’argent du “ménage”, qui paie quoi ? », Travail, genre et sociétés, 15, 2006, pp. 101-117.
  • [2]
    Caroline HENCHOZ, Le couple, l’amour et l’argent. La construction conjugale des dimensions économiques de la relation amoureuse, L’Harmattan, coll. Questions sociologiques, 2008 ; Carolyn VOGLER, et al., « Money, Power and Spending Decisions in Intimate Relationships », The Sociological Review, 56 (1), 2008, pp. 117-143.
  • [3]
    Veronika TICHENOR, Earning More and Getting Less, New Brunswick, Rutgers University Press, 2005.
  • [4]
    Sylvie CADOLLE, « C’est quand même mon père ! La solidarité entre père divorcé, famille paternelle et enfant adultes », Terrain, n° 45, 2005, pp. 83-96 ; Agnès MARTIAL, « L’entretien de l’enfant au sein des constellations familiales recomposées », Enfances, Familles, Générations, n° (2), 2005, pp. 39-56.
  • [5]
    Aurélie FILLOD-CHABAUD, « La prise en charge des enfants par les membres de SOS papa : une analyse des conditions matérielles de la transmission culturelle », Droit et société, n° 1 (95), 2017, pp. 27-41.
  • [6]
    Sylvie CADOLLE, art. cit. ; Agnès MARTIAL, art. cit.
  • [7]
    Veronika NAGY, « Cher adultère. Transgression du devoir de fidélité, argent et biens dans les procédures de divorce pour faute » in Agnès MARTIAL, La valeur des liens : hommes, femmes, et transactions familiales, Presses Universitaires du Mirail, coll. Les anthropologiques, 2009, pp. 115-134 ; LE COLLECTIF ONZE, Au tribunal des couples. Enquête sur des affaires familiales, Odile Jacob, 2013 ; Céline BESSIÈRE, Sibylle GOLLAC, Le genre du capital. Comment la famille reproduit des inégalités, La Découverte, 2020.
  • [8]
    Aurélie FILLOD-CHABAUD, art. cit ; Boris WERNLI, Caroline HENCHOZ, « Les effets de genre de la séparation sur l’endettement des hommes et des femmes en Suisse : une analyse longitudinale », Recherches familiales, n° 15, 2018, pp. 77-94.
  • [9]
    Viviana ZELIZER, La signification sociale de l’argent, Seuil, 2005.
  • [10]
    Hans-Jürgen ANDRESS, et al., « The economic consequences of partnership dissolution. A comparative analysis of panel studies from Belgium, Germany, Great Britain, Italy, and Sweden », European Sociological Review, n° 22 (5), 2006, pp. 533-560 ; David VAUS, et al., « The Economic Consequences of Divorce in six OECD Countries », Australian Journal of Social Issues, n° 52 (2), 2017, pp. 180-199 ; OFFICE FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE, « Divorces », Démos, 1, 2020, pp. 1-20.
  • [11]
    Carole BONNET, et al., « The flip side of marital specialization : the gendered effect of divorce on living standards and labor supply », Journal of Population, 34, 2021, pp. 515-573.
  • [12]
    OFFICE FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE, art. cit., p. 13. Il n’est pas possible de discriminer les versements destinés aux ex-épouses de ceux destinés aux enfants.
  • [13]
    Céline BESSIÈRE, Sibylle GOLLAC, « Le cache-sexe de la théorie économique », Population, n° 71 (3), 2016, pp. 519-523 ; Anne-Marie LEROYER, « Réduire les asymétries de genre dues au divorce », Population, n° 71 (3), 2016, pp. 533-535 ; Ingrid VOLÉRY, « Le « couple relationnel » à l’épreuve des partages financiers : séparation conjugale, entretien de l’enfant et inégalités sexuées » in Aimer et compter ? Droits et pratiques des solidarités conjugales dans les nouvelles trajectoires familiales, Hélène BELLEAU, Agnès MARTIAL, Presses de l’Université du Québec, 2011, pp. 203-224.
  • [14]
    OFFICE FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE, art. cit., p. 15.
  • [15]
    Boris WERNLI, Caroline HENCHOZ, art. cit.
  • [16]
    Laura CARDIA-VONÈCHE, Benoît BASTARD, Les femmes, le divorce et l’argent, Labor et Fides, 1991 ; Veronika NAGY, art. cit. ; LE COLLECTIF ONZE, art. cit. ; Céline BESSIÈRE, Sibylle GOLLAC, art. cit.
  • [17]
    Par exemple : Sylvie CADOLLE, « Partages entre pères et mères pour la résidence en alternance des enfants et recomposition des rôles de genre », in Aimer et compter ? Droits et pratiques des solidarités conjugales dans les nouvelles trajectoires familiales, Hélène BELLEAU, Agnès MARTIAL, Presses de l’Université du Québec, 2011, pp. 163-182 ; Agnès MARTIAL, art. cit. ; Ingrid VOLÉRY, art. cit.
  • [18]
    Tou∙tes majeurs lors de l’entretien. Sachant que 94 % des couples avec enfant(s) commun(s) sont mariés selon l’Enquête sur les familles et les générations 2018 de l’Office fédéral de la statistique, cette étude ne porte que sur les divorces.
  • [19]
    Tous mes sincères et chaleureux remerciements à Jessica ANSERMET, Lucie BEDAT, Eva COTTER, Lea GILG, Agathe LAMBERT, Marie MEUWLY, Virginie MILAN, Sandrine PIGUET, Julie SCHMUTZ et Sofia STREIT – nommées ÉTUDIANTES dans un article cité plus loin – qui ont participé au séminaire de recherche de master mené à l’Université de Fribourg en 2019 qui a permis de récolter ces entretiens.
  • [20]
    Recherche financée par le fonds national suisse de la recherche scientifique sur les usages et significations de l’argent au sein de trois générations de couples, Université de Fribourg.
  • [21]
    Michael Q. PATTON, Qualitative evaluation and research methods, Thousand Oaks, CA, Sage, 1990.
  • [22]
  • [23]
    Michael Q. PATTON, art. cit.
  • [24]
    Terme emprunté à Veronika NAGY, « Exercer sa paternité, une lubie passagère ? Disqualification des prétentions judiciaires des pères séparés ou divorcés », Informations sociales, 176 (2), 2013, pp. 110-113.
  • [25]
    Paul R. AMATO, « The consequences of divorce for adults and children », Journal of Marriage and Family, 62 (4), 2000, pp. 1269-1287.
  • [26]
    Veronika NAGY, 2013, art. cit., p.116.
  • [27]
    Caroline HENCHOZ, « Ce que régler les comptes veut dire : le point de vue des conjoints séparés. Éléments pour une économie de la rupture », Lex Familiae. Revista Portuguesa de Direito da Família, n° 14 (27-28), 2017, pp. 149-155.
  • [28]
    Nathalie DANDOY, et al., « Les logiques implicites de la prestation compensatoire dans le divorce : approches comparées européennes », Canadian Journal of Law and Society, n° 31 (2), 2016, pp. 139-160. Pour une présentation du droit Suisse : Boris WERNLI, Caroline HENCHOZ, art. cit.
  • [29]
    OFFICE FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE, art. cit, p. 11.
  • [30]
    Pour un même constat, Céline BESSIÈRE, Émilie BILAND, Aurélie FILLOD-CHABAUD, « Résidence alternée : la justice face aux rapports sociaux de sexe et de classe », Lien social et Politiques, n° 69, 2013, pp. 125-143.
  • [31]
    Wilfried RAULT, Arnaud RÉGNIER-LOILIER, « Continuer à vivre sous le même toit après la séparation », Population & Sociétés, vol. 582, n° 10, 2020, pp. 1-4.
  • [32]
    Zakia BELMOKHTAR, « Une pension alimentaire fixée par les juges pour deux tiers des enfants de parents séparés », Infostat Justice, 128, 2014, pp. 1-4 ; Laurette CRETIN, « Résidence et pension alimentaire des enfants de parents séparés : décisions initiales et évolutions », Insee Première, 2015.
  • [33]
    Arnaud RÉGNIER-LOILIER, « Focus - Séparation et rupture des relations entre le père et l’enfant », Informations sociales, n° 176 (2), 2013, pp. 70-74 ; Pearl A. DYKSTRA, Tineke FOKKEMA, « Social and emotional loneliness among divorced and married men and women : Comparing the deficit and cognitive perspectives », Basic and Applied Social Psychology, 29 (1), 2007, pp. 1-12.
  • [34]
    Références note 32.
  • [35]
    Caroline HENCHOZ, 2017, art. cit.
  • [36]
    Paula TABET, « Échange économico-sexuel et continuum » in Christophe BROQUA, Catherine DESCHAMPS, L’échange économico-sexuel, EHESS, 2014, pp. 29-30.
  • [37]
    Veronika NAGY, 2009, art. cit. ; Caroline HENCHOZ, 2008, art. cit.
  • [38]
    Message du Conseil fédéral 15 novembre 1995 concernant la révision du Code civil suisse, FF 95.079.
  • [39]
    Agnès MARTIAL, art. cit.
  • [40]
    Germain DULAC, « Que nous disent les pères divorcés à propos des transitions familiales ? » in Quelle politique familiale à l’aube de l’an 2000 ?, Renée B. DANDURAND, Pierre LEFEBVRE, Jean-Pierre LAMOUREUX, L’Harmattan, 1998, pp. 175-189.
  • [41]
    Françoise HÉRITIER, Masculin/Féminin. La pensée de la différence, Odile Jacob, 1996 ; Pierre BOURDIEU, La domination masculine, Points coll. « Essais », 1998.
  • [42]
    Laura CARDIA-VONÈCHE, Benoît BASTARD, art. cit.
  • [43]
    Céline BESSIÈRE, Sibylle GOLLAC, art. cit.
  • [44]
    Georges SCHADRON, « De la naissance d’un stéréotype à son internalisation », Cahiers de l’Urmis [En ligne], 10-11, 2006.
  • [45]
    Caroline HENCHOZ, 2008, art. cit.
  • [46]
    Ibid.
  • [47]
    Peter BERGER, Thomas LUCKMANN, La construction sociale de la réalité, Meridiens Klincksieck, 1966, 1992.
  • [48]
    L’étude ne précise pas le sexe des personnes qui y renoncent. Compte tenu des chiffres indiqués précédemment, le terme a été féminisé. Katerina BAUMANN, Margareta LAUTERBURG, Divorce, caisse de pension, AVS/AI - Ce qu’il vous faut savoir. Une brochure d’information destinée aux femmes désirant divorcer, Conférence suisse des déléguées à l’égalité, Berne, Ackermann Druck AG, 2007.
  • [49]
    Sylvie CADOLLE, « La transformation des enjeux du divorce. La coparentalité à l’épreuve des faits », Informations sociales, n° 2 (122), 2005, pp. 136-147.
  • [50]
    Agnès MARTIAL, art. cit.
  • [51]
    Pierre BOURDIEU, art. cit.
  • [52]
    Émilie BILAND, « Une convergence divergente. Séparations conjugales et inégalités sociales en France et au Québec », SociologieS, 2019, pp. 1-19.
  • [53]
    Aurélie FILLOD-CHABAUD, Benoît COQUARD, Muriel MILLE, Julie MINOC, « Des familles au tribunal. Séparations conjugales et reproduction sociale des inégalités de sexe et de classe », Mouvements, n° 2 (82), 2015, pp. 58-65 ; Nicolas RAFIN, « Les contributions alimentaires en appel : Un renforcement des inégalités de classe et de genre », Droit et société, n° 1 (95), 2017, pp. 87-102.
  • [54]
    Sylvie CADOLLE, 2005, art. cit. ; Céline BESSIÈRE, Sibylle GOLLAC, art. cit.
  • [55]
    François de SINGLY, Séparée. Vivre l’expérience de la rupture, Pluriel, 2014, 2011.
  • [56]
    Caroline HENCHOZ, 2017, art. cit.
  • [57]
    Par exemple, Julie MINOC, « (Dés) ordres familiaux à la loupe. Les normes maternelles et paternelles au prisme de l’enquête sociale », Droit et société, n° 1 (95), 2017, pp. 71-86 ; Émilie BILAND, art. cit.
  • [58]
    Aurélie FILLOD-CHABAUD, art. cit. ; Muriel MILLE, Hélène ZIMMERMANN, « Des avocats et des parents. Demandes profanes et conseils juridiques pour la prise en charge des enfants au Québec », Droit et société, 1 (95), 2017, pp. 43-56 ; Julie MINOC, art. cit.
  • [59]
    LE COLLECTIF ONZE, art. cit. ; Céline BESSIÈRE, Sibylle GOLLAC, art. cit.
  • [60]
    Nicolas RAFIN, art. cit.
  • [61]
    Cela fait écho à ce qui a été observé en France : Émilie BILAND, Gouverner la vie privée, L’encadrement inégalitaire des séparations conjugales en France et au Québec, ENS Éditions, 2019.
  • [62]
    Muriel MILLE, Hélène ZIMMERMANN, art. cit.
  • [63]
    Ibid.
  • [64]
    Joanie BOUCHARD, Maxime FORTIN, Marie HAUTVAL, « Des droits des mères à ceux des enfants ? Les réformes du régime québécois de pensions alimentaires pour enfants », Droit et société, n° 1 (95), 2017, pp. 13-26 ; Aurélie FILLOD-CHABAUD, art. cit.
  • [65]
    Muriel MILLE, Émilie BILAND, « Ruptures de riches. Privilèges de classe et inégalités de genre au sein de la justice québécoise », Sociétés contemporaines, 4 (108), 2017, pp. 97-124 ; Muriel MILLE, Hélène ZIMMERMANN, art. cit.
  • [66]
    ATF 131 III 553/Jdt 2006 I 83.
  • [67]
    ÉTUDIANT∙E∙S, Caroline HENCHOZ (dir.), « Le divorce, l’argent et le rôle des enfants », REISO, Revue d’information sociale, mis en ligne le 14 octobre 2019, https://www.reiso.org/document/5037
  • [68]
    Pearl A. DYKSTRA, Tineke FOKKEMA, 2007, art. cit.
  • [69]
    Sylvie CADOLLE, 2011, art. cit.
  • [70]
    Ibid.
  • [71]
    Delphine ROY, art. cit.
  • [72]
    Caroline HENCHOZ, 2008, art. cit.
  • [73]
    Sylvie CADOLLE, 2011, art. cit. ; Aurélie FILLOD-CHABAUD, art. cit.
  • [74]
    Veronika NAGY, 2013, art. cit.
  • [75]
    Pour un constat similaire : Veronika NAGY, « Guerre et paix dans le divorce. La négociation sur les conséquences de la désunion au cœur des procédures ? », Négociations, n° 13 (1), 2010, pp. 63-75.
  • [76]
    Agnès MARTIAL, Agnès FINE, « L’argent dans les familles recomposées après divorce », Journal du droit des jeunes, n° 4 (214), 2002, pp. 35-38 ; Agnès MARTIAL, art. cit.
  • [77]
    ÉTUDIANT∙E∙S, Caroline HENCHOZ (dir.), art. cit.
  • [78]
    Sylvie CADOLLE, 2005, art. cit.
  • [79]
    Dans le droit suisse (art. 277 CCS), les pères et mères sont déliés de leur obligation d’entretien à la majorité de l’enfant ou à la fin de sa formation.
  • [80]
    ÉTUDIANT∙E∙S, Caroline HENCHOZ (dir.), art. cit.
  • [81]
    Viviana ZELIZER, art. cit.
Français

Dans les recherches sur les organisations financières des ménages, l’argent masculin est souvent présenté comme un argent préservé, un argent puissant car associé à du pouvoir et à un certain nombre de privilèges. L’image qui en est donnée lors d’un divorce est tout autre. S’appuyant sur une quarantaine d’entretiens réalisés auprès d’hommes, de femmes et d’enfants de couples divorcés, cet article tente d’expliquer d’où vient la représentation largement partagée par les acteurs et actrices du divorce du père financièrement perdant et d’un argent masculin menacé par la séparation. Il montre que cette représentation a valeur de prophétie autoréalisatrice, car elle a des conséquences sur les arrangements financiers qui se mettent en place entre les femmes et les hommes mais aussi avec les enfants suite à une séparation. Ces échanges familiaux post-rupture vont contribuer à renforcer le prestige symbolique de l’argent masculin et à invisibiliser les contributions féminines et enfantines confortant la perception qu’à l’argent masculin généreux répond l’argent immérité des femmes et des enfants.

Caroline Henchoz
sociologue, maîtresse d’enseignement et de recherche à l’Université de Fribourg et professeure assistante à la Haute école de travail social, HES-SO Valais-Wallis, en Suisse. Elle dirige actuellement une étude financée par le Fonds national suisse de la recherche scientifique sur les liens entre le (sur) endettement et la santé ainsi qu’une autre sur les jeunes et l’économie digitale. Depuis sa thèse de doctorat en 2007 sur les usages et représentations de l’argent au sein du couple, elle développe notamment ses recherches sur les dimensions sociales des pratiques et des comportements économiques. Elle s’intéresse à la constitution, au fonctionnement et à l’évolution de l’économie du quotidien et de l’intime, à savoir tout ce qui circule et s’échange dans le champ des relations personnelles (argent, sentiment, care, valeurs, tâches ménagères ou encore biens matériels).
Mis en ligne sur Cairn.info le 30/06/2021
https://doi.org/10.3917/rf.018.0026
Pour citer cet article
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