1Professionnelle des sciences de l’information et de la communication, Élisabeth Baton-Hervé propose avec ce livre de sonder les représentations que se font les multiples professionnels de l’enfance quant aux effets sur les enfants et les adolescents des nouvelles techniques numériques de communication. La question étant pour elle d’évaluer les craintes de ces professionnels en matière d’impact négatif sur le développement et les éventuels espoirs qu’ils peuvent développer sur ce que serait un « bon » usage des écrans. Pour cela, elle se propose d’analyser quatre types de discours : théoriques, professionnels, politiques et journalistiques, en les confrontant aux discours des professionnels de santé et des praticiens de l’enfance et de l’adolescence, et les liens qu’ils font entre l’exposition intensive aux écrans et les comportements, difficultés ou symptômes présentés par les enfants. Une question traverse alors la recherche : est-ce que cette exposition intensive aux écrans entrave le processus de soutien du jeune patient ? Étant entendu que le positionnement des médias est mû avant tout par une visée marketing, s’appuyant sur la publicité pour induire des attitudes favorables aussi bien à leur propre consommation qu’à celle de ce qu’ils vantent, leurs préoccupations étant a priori plus marchandes que culturelles. L’hypothèse défendue est alors que « l’accompagnement parental, l’éducation aux médias et à l’information, les recommandations d’âge, sont des mesures insuffisantes pour prévenir des impacts néfastes d’un mésusage des écrans ». Ce que l’analyse va largement illustrer, sans pour autant se demander s’il s’agit bien d’un « mésusage », car l’usage visé par grand nombre de stratégies marketing n’est-il pas de préparer l’usager à recevoir favorablement la proposition de consommation (par exemple, d’une célèbre boisson gazeuse fortement sucrée, ainsi que l’avait souligné cyniquement le directeur d’une chaîne de télévision) ? Toujours est-il que les professionnels se positionnent effectivement souvent sur le registre de la dénonciation.
2Qu’il s’agisse de la violence, de la pornographie, de l’addiction (notamment aux jeux vidéo), de l’usage très précoce des écrans, ou des moyens de communication interactifs, il est clair que les professionnels, plus encore peut-être que les parents, sont conscients des impacts considérés comme problématiques de la multiplication des écrans et de l’individualisation de leurs usages dans une logique néolibérale qui fait bien peu de cas de la dimension éducative, tout en positionnant l’enfant ou l’adolescent en consommateur individuel sommé de privilégier sa liberté d’utilisation plutôt que toute autre considération.
3L’omniprésence des écrans s’en retrouve très difficile à réguler, y compris pour des parents qui sont eux-mêmes le plus souvent sous dépendance et ont du mal à connaître et évaluer les différentes dimensions de cette saturation. « Tout se passe comme si l’accélération technologique toujours en cours n’était ni pleinement intégrée ni suffisamment maîtrisée par les individus » (p. 108). L’hyper-individualisme produit par les médias donne alors l’illusion à l’individu, enfant ou parent, de maîtriser des choix qui échappent à son contrôle. Les discours professionnels alarmistes n’ont cependant que peu d’effets, et les multiples exemples évoqués détaillent tous les troubles susceptibles d’être produits, tant au niveau des acquisitions que des attitudes (langage, vision, sommeil, relations, dépendance, harcèlement...). La grande plasticité cérébrale des enfants permet cependant au sevrage à l’égard de la surexposition médiatique d’avoir des effets très réparateurs, la plupart des troubles disparaissant au bout d’une période suffisante, d’autant plus lorsque l’enfant est petit.
4Face à ces risques, définis par Ulrich Beck comme des risques civilisationnels « qui se dérobent à la perception humaine immédiate », de multiples réponses sont possibles, qui engagent diversement les professionnels dans une responsabilité partagée avec les parents, et interrogent les acteurs économiques et politiques. L’objectif est alors d’arriver à une cohérence éducative qui est pour le moins absente et demande à être véritablement pensée, pour déboucher sur ce que l’auteure appelle un usage profitable des écrans.