CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 L’extraordinaire développement des séparations conjugales depuis le début des années 1970 peut être considéré comme un indicateur de la réorganisation des rapports au sein de la sphère privée mais aussi de ces rapports à l’ensemble de l’organisation sociale, au même titre que la montée des unions libres ou des naissances hors mariage. Cette réorganisation est souvent vue comme exprimant une véritable mutation des rapports familiaux ou privés, voire une « révolution » anthropologique ou culturelle, dans la mesure où elle vient profondément troubler un ordre antérieur, certes violemment inégalitaire, mais qui avait le mérite d’assigner de façon claire et sans équivoque des places, des rôles et des fonctions à tout un chacun, dans une structure sociale qui en était vraiment une, c’est-à-dire où la place de chacun était définie au regard de celles qu’occupaient les autres. Cette conception structurale de la société avait trouvé en ce qui concerne la famille ses hérauts : Claude Lévi-Strauss, pour une anthropologie qui annonçait dévoiler les « structures élémentaires de la parenté » [2), et Jacques Lacan, pour une psychanalyse qui portait une vision essentialiste des fonctions parentales, organisant un ordre symbolique censé rendre compte de la réalité des familles [3].

2 Ce que l’évolution de la société a montré, exemplairement du point de vue de l’organisation de la sphère privée, c’est que la pertinence de cette vision structurale n’a duré qu’un temps et que nous sommes aujourd’hui à propos de la famille dans un conflit de représentations et un conflit normatif sans doute sans précédent, où les dimensions de l’union conjugale et de la désunion apparaissent révélatrices d’une transformation radicale du paradigme normatif. Certes, dans la période antérieure les contestations à l’égard de la norme familiale dominante pouvaient être violentes, tant au niveau théorique que pratique, mais la prégnance sociale et juridique de la norme instituée était telle que toute déviance se retrouvait marginalisée et stigmatisée (ce dont rend bien compte une expression comme « fille-mère » pour désigner les mères célibataires). À la fin des années 1960, suite aux multiples évolutions (économiques, culturelles, scientifiques, politiques...) marquant l’après-guerre en France, se manifeste une contestation générale du modèle jusque-là dominant (se traduisant aussi bien par la montée de l’union libre que par celle des divorces), qui se réfère à une nouvelle normativité, que porte la génération du baby boom. Mais cette transformation ne s’effectue pas sans heurts, comme il a pu être observé à de multiples reprises ces dernières décennies lors de moments d’exacerbations de conflits normatifs dont la violence a pu parfois surprendre...

3 L’objet de cette article sera d’essayer de pointer la dynamique en jeu dans ces tensions, la façon dont les conflits de normes sont susceptibles de se réguler, aussi bien que les soubassements psychiques et sociaux qui peuvent leur servir de base, notamment lorsque se pose la question de la réorganisation des rapports familiaux après une naissance [4], ou après une séparation. On sait en effet que cette situation constitue un révélateur des conflits de normes qui agitent notre société, tant au niveau des conceptions des rapports conjugaux et familiaux qu’à celui des résistances que les évolutions des mœurs peuvent provoquer.

4 Ce qui fait résistance à l’évolution des conceptions concernant l’organisation de la sphère privée vers ce que l’on a coutume d’appeler une « démocratisation » de la famille tient aux multiples bénéfices symboliques, affectifs et matériels, que beaucoup retiraient de l’organisation antérieure et qu’ils ne sont pas prêts à remettre en cause, même s’ils affichent parfois un accord de façade avec les nouveaux principes d’ordre mis en avant : l’égalité des individus (quels que soient leur sexe, leur âge ou leur place) et l’autonomie des personnes (au regard des assignations institutionnelles et sociales). Conséquence de ce jeu entre des rapports de force, les régulations juridiques qu’expriment l’évolution des lois s’avèrent à la fois traduire partout une même tendance évolutive d’individualisation des droits et d’égalisation des places, et le faire d’une façon à chaque fois spécifique pour chaque pays au regard de sa propre histoire. Mais cette évolution s’inscrit dans une temporalité longue qui, en lui servant de cadre, lui fournit un angle d’interprétation historique. La laïcisation des sociétés occidentales qui court depuis le XVIIIe siècle s’accompagne, avec l’industrialisation, d’une affirmation de la séparation des sphères publique et privée [5], préalable à ce que certains ont appelé une « détraditionnalisation »[6], qui s’appuie sur un mouvement de reconfiguration normative, que nous allons dans un premier temps essayer de retracer, pour ensuite donner quelques éléments sur ce qui peut en constituer des soubassements.

La montée d’une société de la norme

5 Michel Foucault a identifié ce mouvement caractéristique du développement des sociétés modernes comme le passage du régime de la loi au régime de la norme, en d’autres termes, il a relevé « l’importance croissante prise par le jeu de la norme aux dépens du système juridique de la loi »[7]. S’est progressivement effectué le passage d’une société où la loi, d’autant plus lorsqu’elle était d’origine divine, imposait le cadre strict à l’intérieur duquel les relations sociales pouvaient se développer, à une société où la norme, bien que toujours contraignante, émanait de la société et de ses acteurs eux-mêmes, et pouvait donc à la fois laisser place à une négociation et être susceptible d’évoluer. Ce qui nous oblige à préciser les rapports entre lois et normes, car si la plupart des normes sociales sont suffisamment partagées pour ne pas avoir besoin d’être formellement explicitées, un certain nombre d’entre elles servent de cadrage à l’organisation sociale, en se voyant strictement délimitées par un système juridico-institutionnel sous la forme de lois. Au tournant du XVIIIe au XIXe siècle, la mise en place d’un bio-pouvoir, centré sur la préservation et la régulation de la vie et prenant appui sur la médecine moderne naissante, contribue à une transformation de la loi, telle que conçue sous l’Ancien régime, dans le sens où son caractère strictement répressif s’estompe au bénéfice de son aspect régulateur. Ainsi, on peut dire que « la loi fonctionne toujours davantage comme une norme, et que l’institution judiciaire s’intègre de plus en plus à un continuum d’appareils (médicaux, administratifs, etc.) dont les fonctions sont surtout régulatrices »[8]. Les lois sont donc des normes particulières, souvent identifiées sous le vocable de normes juridiques, qui possèdent une définition hautement spécialisée, et des caractéristiques précises, tant au niveau de leur forme que de leur opérationnalité, mais qui peuvent participer, sous leur forme actuelle, au processus de normalisation de la société.

6 La formule de Foucault signifie donc que l’on passe progressivement d’une société où l’organisation des relations entre ses membres était stricte et injonctive, celle de la discipline, à une société où l’organisation devient plus complexe, polymorphe et suggestive, celle de l’individualisme citoyen et marchand, où le règne de la norme suppose son intériorisation, ou encore mieux son incorporation [9]. Une société dont la capacité d’évolution rapide (tant au niveau de la production matérielle qu’à celle des idées) débouche sur des conflits et des décalages normatifs entre tenants des anciennes et nouvelles normes. Ce qui s’exprime notamment depuis les années 1970 au niveau de la sphère privée dans les fonctionnements conjugaux et familiaux, et au niveau des conceptions de la gestion sociopolitique dans la montée d’un néolibéralisme qui promeut la responsabilisation croissante des individus par intériorisation des normes. Cette réorganisation normative suppose une adaptation des désignations aux nouvelles situations produites par cette évolution.

De nouveaux termes pour un nouvel ordre

7 Si le père de famille est évoqué dans le droit français par le terme latin pater familias, c’est bien que le droit romain a longtemps été la source d’inspiration de notre réglementation en matière de vie privée et familiale, y compris dans la refonte du droit qu’a représentée le code Napoléon. Pater familias signifie bien sûr père de famille, mais selon une certaine inflexion, celle qui fait que dans beaucoup de formulations, notamment locatives, il est indiqué que le postulant doit se comporter en « bon père de famille » ! De fait, cette acception du terme signifie bien que le père est le chef de la famille, qu’il bénéficie pour cela d’une puissance paternelle, qui signifie que non seulement ses enfants mais aussi sa femme sont considérés comme juridiquement mineurs. Très importante en droit, la puissance paternelle ne sera que progressivement et lentement limitée dans le droit français : en 1889, sous la IIIe république, est votée la loi sur « la déchéance des pères indignes », puis en 1935 est votée la loi sur l’abolition du « droit de correction ». Mais surtout, c’est en 1970 que le droit marque un basculement fondamental en remplaçant la notion de puissance paternelle par une autorité parentale exercée conjointement par le père et la mère dans la famille conjugale (c’est-à-dire unie). Il n’y a plus de chef, et tout un ensemble de lois et mesures juridiques vont formaliser l’égalité entre hommes et femmes et l’émancipation de celles-ci. On peut dire qu’alors les normes juridiques ont suivi les normes sociales [10]. Cependant, ce passage à un point de vue égalitaire entre femmes et hommes sous la pression des mœurs est loin de s’effectuer de façon uniforme et homogène dans le rapport à l’enfant. Si, formellement, l’égalité parentale est affirmée sous la bannière de l’autorité parentale conjointe, elle est loin d’être mise concrètement en œuvre en toute situation, et de façon très manifeste en ce qui concerne les situations post-séparation.

8 Certes, avec la loi de 1975 est reconnue la nécessité de faciliter le divorce et de recentrer sa gestion sur la question de l’enfant [11], mais en même temps l’impact de la spécialisation antérieure des rôles de sexe demeure très fort, notamment au niveau parental, tant au niveau de l’imaginaire social (la mère y demeure la spécialiste incontestée du soin et de l’éducation concrète de l’enfant) que des pratiques de garde (9 enfants sur 10 résident chez leur mère après séparation). Il faut attendre la prise de conscience par le législateur des risques de désaffiliation paternelle post-rupture [12] pour qu’avec les lois de 1987 et 1993 sur l’autorité parentale soit affirmé le principe de coparentalité, vu comme maintien des liens de l’enfant à ses deux parents après une séparation. Principe qui fait éclater la notion de garde en distinguant la désignation d’une résidence habituelle de l’enfant chez un parent de l’affirmation du maintien d’une autorité parentale conjointe malgré cette séparation (hormis cas particuliers). La nouvelle loi sur l’autorité parentale de 2002 confirmera l’importance du principe de coparentalité, notamment en légitimant la possibilité d’une résidence alternée au même titre que la résidence chez l’un des parents. On peut dès lors dire que les cadres juridiques normatifs permettent l’expression d’une coparentalité effective en toutes situations, même si les pratiques sont loin de toutes y advenir, compte tenu de la persistance de l’asymétrie des rapports sociaux de sexe.

9 Si cette évolution est fondamentale, elle reste cependant limitée, compte tenu du poids des rapports sociaux antérieurs et de la persistance de comportements familiaux traditionnels, notamment pour certains milieux (couches populaires et grande bourgeoisie, mais aussi pratiquants des religions). Ce qui amène à préciser les motifs de résistance à la démocratisation familiale et les écarts entre droit et pratiques effectives.

L’envers de la domination masculine, le pouvoir maternel

10 S’il apparaît difficile de nier que la plupart des organisations sociales se sont construites sur le principe d’une domination masculine sur la vie sociale et sur la vie familiale [13], celle-ci a pris des formes très variées aussi bien qu’évolutives, et son appréhension critique laisse souvent dans l’ombre l’importance de la place des femmes dans la façon dont l’équilibre social s’est réalisé, et en quoi cette place est aussi un lieu de pouvoir s’appuyant sur la maternité. L’occultation fréquente de cette dimension tient notamment au fait que la critique féministe, largement inspirée des analyses de Simone de Beauvoir, dénonce l’annexion du corps procréateur des femmes par les hommes pour asseoir leur domination. C’est le propos, par exemple, de Françoise Héritier, lorsqu’elle énonce : « Si les femmes sont cette ressource rare qu’il faut utiliser au mieux pour produire des fils, il faut à la fois se l’approprier et la contenir dans une fonction. »[14] Cette formulation, qui veut rendre compte d’un principe transversal aux différentes sociétés humaines, rejoint l’idée de Simone de Beauvoir selon laquelle l’assignation du corps féminin à la maternité participerait d’une dépossession de soi, le corps maternel se retrouvant instrumentalisé par les nécessités de la reproduction. C’est ce qu’évoque avec véhémence le titre d’un ouvrage collectif paru en 1975 : Maternité esclave...

11 Cette analyse a participé à déconstruire efficacement la logique patriarcale, mais aujourd’hui, à l’heure d’une émancipation en actes (bien qu’inaboutie), s’appuyant aussi bien sur les évolutions socio-économiques, politiques, culturelles et de mœurs que sur les progrès d’une médecine qui a délié la sexualité de la procréation [15], il est possible de reconnaître l’importance du fait maternel, en tant que prototype relationnel et premier espace de socialisation [16], sans remettre en cause le processus d’émancipation. Les analystes de l’humanisation comme Serge Moscovici ont avancé que l’échange des femmes par le mariage qu’a décrit Claude Lévi-Strauss, « a pour effet une plus-value : le lien social »[17]. Sans revenir sur cette affirmation peut-être un peu trop rapide [18], on peut dire que l’enfantement a pour effet une autre plus-value : le lien psychique. Les cliniciens ont épinglé cette importance en parlant avec Winnicott de « préoccupation maternelle primaire » [19] et développant l’analyse de ce qui fut nommé la « dyade mère-enfant ».

12 Il est vrai que depuis la fin du XVIIIe siècle, un double mouvement d’exhaussement de la relation mère-enfant et de valorisation sociale de la fonction maternelle n’avait pas arrêté de se développer. Jean-Jacques Rousseau, avec notamment Émile, ou De l’éducation (1762), avait posé les prémisses de la valorisation maternelle qui allait pleinement se développer au XIXe siècle, en mettant l’accent sur le caractère naturel du soin donné par la mère à l’enfant, et s’opposant à l’éducation pour les filles, dont la mission restait de s’occuper de leur foyer et élever leurs enfants. Dès le début du XIXe siècle s’était développé un discours hygiéniste et médical, qui dénonçait les nourrices mercenaires, mettant en danger la vie de l’enfant, et qui prônait l’allaitement maternel [20]. Toute une rhétorique de l’amour maternel fut mise alors en place, comme émanant d’un « instinct maternel » et d’une « nature féminine », que vont déconstruire dans les années 70 les auteurs féministes comme Monique Wittig, Nicole-Claude Mathieu ou Colette Guillaumin [21] ; déconstruction qui atteindra le grand public avec le succès du livre d’Élisabeth Badinter, L’amour en plus, paru en 1980.

13 Le début du XXe siècle constitue ainsi le moment où se généralise le modèle de la famille patriarcale et bourgeoise, à laquelle correspondent des rôles sexués et parentaux très différenciés et asymétriques. Normes juridiques et normes sociales sont alors en phase, et Freud et la psychanalyse vont produire la théorisation la plus aboutie de ce modèle relationnel. La place maternelle y sera particulièrement étudiée par des auteurs comme Winnicott, Bion, Lebovici, Dolto, Bydlowski... qui, chacun à leur façon, mettent en évidence l’importance du lien mère-enfant induit par la période de gestation ; alors que si le lien père-enfant peut se révéler tout aussi fort il apparaît pour beaucoup moins direct, plus construit, moins « instinctif » en quelque sorte.

14 Ainsi, il a fallu attendre Simone de Beauvoir, puis les écrits féministes et les travaux critiques des années 1970 et au-delà pour que la représentation sociale naturaliste des fonctions et rôles parentaux soit déconstruite et puisse se développer une autre conception des rôles [22]. Celle qui préside à l’idée d’autorité parentale conjointe et de possibilité pour l’enfant confronté à la séparation de ses parents de résider alternativement chez l’un puis chez l’autre, celle qui rend concevable aussi la possibilité d’être élevé par plus de deux parents [23] ou encore par des parents de même sexe [24]... Est-ce à dire pour autant que ce nouvel idéal relationnel [25] se révèle facile à mettre en œuvre ?

15 Loin s’en faut, on le sait, et les résistances à cette façon de voir s’appuient sur au moins deux choses différentes. L’une, plus sociale, réside dans les bénéfices que beaucoup retirent du statu quo antérieur et la force des convictions qui y sont attachées ; l’autre, plus psychique, tient sans doute à la façon dont le psychologique s’arcboute sur le biologique pour y trouver une origine et une justification. C’est là que la loi s’est clairement détachée de la persistance des normes traditionnelles, ou plus exactement, que la norme juridique visant de plus en plus à suivre l’évolution des mœurs [26] a dû prendre position dans les conflits normatifs en cours, en encadrant le basculement dans un autre ordre symbolique que celui qui s’appuyait sur l’institution du mariage [27].

Une normativité renouvelée, mais toujours présente

16 Ce basculement s’est particulièrement affirmé avec l’entrée dans la seconde période de la modernité familiale [28], dans les années 1970, amenant à ce que l’ancien cadre juridique que représentait le mariage comme organisateur des relations conjugales, de la pratique sexuelle et du rapport à l’enfant soit mis à mal. Avec la désinstitutionalisation de la conjugalité qui s’affirme l’autorité devient « dialoguante » et partagée, et le système de normes antérieur éclate. La norme juridique, même si elle suit les mœurs, ne fait plus consensus, alors même que la régulation relationnelle est beaucoup moins statutaire, s’appuyant sur l’institution, et beaucoup plus contractuelle entre les personnes, s’appuyant sur un accord entre eux sur la façon d’interagir. Les nouvelles normes d’interaction (liberté individuelle, authenticité relationnelle, plaisir, égalité) ont en quelque sorte pris le dessus sur la norme institutionnelle, à tout le moins pour une bonne partie de la génération du baby boom.

17 Irène Théry a judicieusement pointé au niveau de la sexualité ce passage d’une régulation statutaire, appuyée sur la loi, à une régulation contractuelle s’appuyant sur un accord mutuel entre partenaires [29], basé sur le partage de normes communes. La légitimité de la pratique sexuelle ne dépend plus du cadre donné par la loi qui, par le mariage, la définissait, mais du libre consentement réciproque des deux partenaires [30], autrement dit de l’intériorisation des normes de liberté et d’égalité par les deux acteurs de la pratique. En ce sens, la norme, lorsqu’elle s’émancipe du cadre juridique, continue à constituer ce que le Dictionnaire de la culture juridique nomme « un standard tant prescriptif que descriptif »[31], mais ce standard, s’il participe des nouvelles représentations sociales légitimes, ne fait plus forcément consensus. En effet, la situation devient de plus en plus complexe, au fur et à mesure que la norme juridique, institutionnelle, perd de son importance, au profit de l’intériorisation des normes relationnelles participant d’un imaginaire collectif, qui sont censées réguler les interactions. Car si la norme de consentement réciproque est bien reconnue par tous comme fondatrice de celle-ci, d’autres normes sociales antérieures, comme l’organisation de la conjugalité et de la famille par le mariage, qui ont perdu la base objective sur laquelle elles s’appuyaient, en l’occurrence le contrôle de la fécondité féminine, continuent à perdurer du fait de leur prise dans un système normatif, ce que certains appellent l’ordre social ou l’ordre symbolique...

18 En matière de vie sexuelle et conjugale, l’une des plus manifestes est la norme d’exclusivité sexuelle dans la conjugalité. Traditionnellement plus rigoureuse envers les femmes, du fait du risque de grossesse dite illégitime, sa raison d’être objective a presque disparu, du fait de la diffusion des moyens de contraception modernes et la dissociation entre sexualité et reproduction, pourtant elle est restée des plus vivaces. Charlotte Le Van dans son enquête sur les visages de l’infidélité en France et Marie-Carmen Garcia dans la sienne sur l’extraconjugalité durable [32] montrent la force qu’elle continue à représenter pour les couples et l’importance de sa place dans l’imaginaire collectif, prenant paradoxalement aujourd’hui plus d’importance [33], alors que s’est ouvert le champ des rencontres possibles [34]. Dès lors, « la disparition du discours moral répressif sur l’infidélité, bien loin de signifier l’évacuation de normes anciennes, pourrait, au contraire, indiquer leur intériorisation »[35]. On serait ainsi passés selon Michel Bozon « d’une sexualité construite par des contrôles et des disciplines externes aux individus à une sexualité organisée par des disciplines internes »[36].

19 De fait, la remise en cause du mariage-institution est loin de s’être accompagnée d’une remise en cause de la valeur du couple, et de la norme relationnelle qui définissait l’institution : la fidélité, qui reste fortement intériorisée. Ce qu’on continue d’appeler l’infidélité, pour désigner les relations extraconjugales même s’il n’y a pas eu mariage, constitue toujours la première cause de séparation [37]. Même si l’union n’est plus fondée sur un serment de fidélité, à l’image du mariage, et même si la base objective de cette exigence que représentait le risque de grossesse extraconjugale a disparu avec les moyens de contraception, la norme de fidélité demeure très présente, bien que de plus en plus implicite dans la relation. Car la caractéristique d’une régulation par la norme, qui s’appuie sur son intériorisation, est bien d’être implicite, sauf à ce que les conflits normatifs sous-jacents ne poussent à leur explicitation.

20 Là comme ailleurs, on retrouve ce qui fait la force de l’intériorisation normative, son caractère quasi inconscient. De ce fait, les normes intériorisées peuvent apparaître comme émanant des individus. Ce qu’illustre la norme désormais incontournable de l’amour dans le couple. « Pour être intelligibles, les comportements amoureux doivent rendre observables les normes culturelles qui les orientent. Cependant, pour produire de l’affect et de la réciprocité, cela doit être fait de manière à ce que les comportements soient attribués aux penchants émotionnels plutôt qu’aux normes et aux conventions. »[38] L’infidélité ne sera donc pas vécue comme contrevenant à un norme sociale mais comme une atteinte personnelle. Conséquence, la très grande fréquence des séparations pour « infidélité » et l’arrivée massive dans une polygamie ou polyandrie diachronique, et non synchronique, autrement dit, une succession de séquences amoureuses avec des partenaires s’enchaînant de façon plus ou moins systématique. Ce qui ne manque pas de poser de multiples questions, par exemple, sur l’autorité du partenaire, éventuel beau-parent, à l’égard des enfants présents... Cette continuité normative met en évidence le poids de la dimension subjective dans la configuration des normes intériorisées, et en quoi l’imaginaire social fait écho dans les imaginaires individuels.

21 De multiples autres exemples pourraient l’illustrer, évoquons celui de l’autorité éducative à l’égard de l’enfant, que cette autorité soit dévolue au parent, à l’enseignant ou à l’éducateur. La définition de l’autorité éducative tend à minoriser la dimension statutaire (sous tendue par la position généalogique, le parent, ou institutionnelle, l’enseignant) au profit de la compétence à tenir sa place reconnue par l’éduqué à l’éducateur [39]. La norme est là une norme d’interaction demandant à ce que les rôles soient tenus, alors même que ces rôles sont en redéfinition. De ce fait, comme pour le couple, le dialogue est devenu une référence centrale de la régulation, qui vise à expliciter les normes de façon à pouvoir les auto-administrer. On est entré dans une époque où la nécessité de l’intériorisation des normes d’interaction et de positionnement dans l’espace social est devenue beaucoup plus forte, et où vont se développer les stratégies politiques de responsabilisation des individus, caractéristiques de l’affirmation du néolibéralisme comme principe de gestion sociale. Mais l’affaiblissement du caractère contraignant du cadre donné par la loi ne signifie pas que les attitudes et les pratiques ne seraient plus cadrées. Il convient cependant d’ajouter que cette évolution générale va dans le sens du modèle ainsi promu, celui de la démocratie familiale, même si celui-ci ne touche pas toutes les personnes et toutes les situations avec la même intensité, et ne produit pas une adhésion généralisée.

Soubassements psychiques et sociaux de la conflictualité normative

22 Beaucoup résistent à une telle évolution qui ne va pas dans le sens de leur socialisation antérieure, notamment au sein des milieux populaires ou des familles croyantes [40], et continuent à référer à un modèle de famille plus asymétrique et fusionnel, dit traditionnel. De fait, les modèles de référence susceptibles de servir d’organisation à la vie personnelle se sont succédé sans complètement se remplacer, se sédimentant en quelque sorte, produisant de ce fait une profusion de références normatives, qui sont loin de toutes aller dans le même sens tant les évolutions ont touché différemment les milieux, les genres et les personnes. Les débats houleux sur le mariage pour tous en France sont un bon exemple de ces divergences normatives [41]. La référence à la science, ce principe moderne de légitimité sociale posé en norme, y apparaît à chaque fois très controversée, a fortiori s’il s’agit de sciences humaines et sociales.

Chassez le naturel, il revient au galop !

23 La biologie est ainsi souvent invoquée pour légitimer les positions les plus traditionnelles en matière de famille. Or, ce qu’a permis, entre autres, le développement des neurosciences a été de quantifier ce que les sciences sociales affirmaient déjà. Ainsi, il est connu aujourd’hui que 90 % des connexions nerveuses – les synapses – se mettent en place après la naissance et que les cerveaux des nouveau-nés, filles et garçons, fonctionnent de la même façon [42]. Cela ne fait que corroborer ce que les historiens, les anthropologues et les sociologues ne cessent de mettre en évidence : l’extrême diversité des attitudes humaines d’un lieu à l’autre et d’une époque à l’autre [43], et l’importance fondamentale du processus de socialisation dans l’élaboration du sujet humain [44]. Si tout est affaire de conventions, il n’est pas étonnant que certaines puissent entrer en conflit avec d’autres, jusqu’à pousser parfois les humains à s’entretuer, vu l’importance qu’ils donnent à la signification des choses et l’irréductibilité de leurs croyances...

24 Ainsi, certaines personnes ne tiennent pas à remettre en question le fait que leurs attitudes seraient innées, directement dépendantes de leurs données biologiques et des pulsions qui en découlent, sans reconnaître le poids de la culture dans le façonnage de celle-ci. À cela au moins deux raisons : l’être humain n’a plus aucun souvenir de la période de façonnage intense de ses attitudes, aussi bien intellectuelles qu’affectives d’ailleurs, concentrée dans ses trois premières années de vie. Ce qui a été incorporé durant ces années est vécu comme naturel. Deuxième raison, on est d’autant plus attaché à ses croyances qu’on en retire des bénéfices psychiques manifestes, surtout quand les alternatives offertes ne semblent pas aussi gratifiantes. Être attachée à son rôle maternel au point de tenir le père à distance de l’enfant se comprend lorsque la maternité constitue le principal principe de légitimation de l’existence et que son absence de qualification ne permet pas d’envisager une activité professionnelle valorisante. Position que nous avons souvent rencontrée dans notre recherche sur les situations monoparentales précaires [45], en écho aux difficultés d’affirmation d’une position paternelle...

Le bio-psychique travaillé par la culture : pulsion d’attachement et volonté d’emprise

25 La difficulté parfois de l’approche sociologique est de vouloir tout expliquer par les facteurs culturels sans tenir compte de la matière humaine sur laquelle la culture s’applique. Cette tentation du sociologisme s’établit en miroir inverse de celle qui consiste à tout vouloir expliquer par l’individu et ses déterminations internes, le psychologisme, voire le bio-psychologisme... Freud était conscient de ce risque, dont il parle à de multiples reprises dans son œuvre, et propose d’employer à la place de la notion, irréductible, d’instinct celle, malléable, de pulsion. L’un des intérêts du croisement de la psychanalyse avec l’éthologie fut la constitution de l’idée de pulsion d’attachement, initialement formulée par Bowlby, et qui entraîna son élaboration par certains psychanalystes comme Didier Anzieu et Bernard Golse [46], nous la compléterons par l’idée de volonté d’emprise induite par cette pulsion, comme notions susceptibles de rendre compte d’éléments fondamentaux du processus d’hominisation, ou de socialisation des nouveaux nés, qui seront amenés à pouvoir être sollicités pour rendre compte de certains comportements conjugaux et parentaux.

26 Si l’on tient compte du fait que de tout le règne animal l’être humain est celui qui naît de loin le plus prématuré, son évolution l’ayant amené à se positionner sur ses deux pattes arrières, raccourcissant ainsi le temps de gestation, l’entourage du bébé se révèle d’autant plus primordial. De ce fait, il développera un attachement puissant à l’égard de ceux qui prendront soin de lui et dont dépend sa survie. Sa mère est au départ la mieux placée pour cela, mais l’on sait désormais que d’autres figures d’attachement sont possibles et que même la figure maternelle peut être remplacée [47]. De nos jours, dans les situations classiques, l’attachement se manifeste à l’égard des deux parents, et parfois plus... Toujours est-il que la future vie affective de l’enfant, puis de l’adulte, est marquée par ce processus ; et les empreintes laissées au regard des personnes concernées et de la qualité de l’attachement à leur égard seront primordiales pour l’équilibre affectif futur, notamment pour ce qui concerne la vie amoureuse.

27 Mais obtenir des soins de l’autre prend un sens différent lorsque le bébé accède au troisième temps de constitution de cette pulsion (après la première phase de recherche de l’objet susceptible de satisfaire, comme le sein ou le biberon, et la deuxième phase, où le constat de l’intermittence de la satisfaction pousse au retournement vers soi de la pulsion et la recherche de l’autosatisfaction, avec la succion du pouce). En effet, « ayant accédé à l’intersubjectivité, l’enfant devient désormais capable de s’offrir lui-même comme objet de la pulsion de l’autre »[48]. Il mettra, nous dit Bernard Golse, les doigts dans la bouche de sa maman, provoquant ainsi le rire et le plaisir de l’échange, en même temps qu’il teste leur dépendance réciproque.

28 C’est à cette troisième phase de l’élaboration de la pulsion d’attachement que je rattacherais la volonté d’emprise, qui vise par l’interaction à fixer l’autre dans son statut d’objet de satisfaction, c’est-à-dire à le faire fonctionner comme un réservoir de satisfactions possibles à réactiver. Il s’agit pour cela de le rendre dépendant de soi dans l’interaction en se positionnant soi-même en réservoir de satisfactions. Cette volonté d’emprise, inscrite dans l’archaïque de la constitution de l’attachement trouvera, on le sait, des destinées différentes selon le type d’attachement (sécure ou insécure) mais aussi selon le genre et la configuration culturelle qui le caractérise dans une société, un milieu et à un moment donnés. Toujours est-il que la volonté d’emprise aura tendance à s’établir différemment pour l’homme et pour la femme, et ce jusque dans ses outrances, notamment dans les cas les plus pathologiques, pouvant conduire au meurtre d’un.e conjoint.e ou d’un enfant. Ainsi, si les meurtres conjugaux sont très majoritairement le fait des hommes [49], les meurtres à l’encontre des bébés [50] concernent plus souvent les mères, pour des raisons qui combinent souvent des troubles psychiques (psychose puerpérale) et des difficultés sociales.

29 Si le lien à l’autre peut être considéré comme constitutif de la condition humaine, c’est de s’« originer » dans la demande primaire de soins, la nécessité d’obtenir l’attention et l’intérêt de l’autre pour pouvoir rester en vie. Mais si ceux qu’on appelle les parents ont ce pouvoir de maintenir l’enfant en vie, différemment selon l’affectation de leurs rôles, ils se trouvent ainsi positionnés dans une dépendance à l’égard du désir de l’enfant, qui peut parfois devenir tyrannique. La « parentalisation », c’est-à-dire l’élaboration du lien parent-enfant, psychique [51] et social [52], est ainsi traversée d’emblée et à son insu par une logique de pouvoir, qui, selon les modèles culturels en vigueur, se configure diversement au regard des sexes, des milieux et des générations. Les formes traditionnelles d’emprise masculine (par domination familiale et sociale) longtemps fortement différentes des formes d’emprise féminines (par séduction et par proximité à l’enfant) se trouvent aujourd’hui remises en question par la diffusion d’un nouveau modèle social d’organisation des relations entre les sexes et les générations, considéré comme plus démocratique. Au regard de cette concurrence normative, les configurations de pouvoir familial se sont suffisamment diversifiées pour que leur complexité obscurcisse la compréhension qu’on peut en avoir, jusqu’à provoquer des dissensions interprétatives marquées au sein d’une même orientation de pensée...

30 Il serait alors illusoire de contester, comme le font certains ou certaines, que dans les interactions humaines sont en jeu ces rapports de pouvoir, dont Erving Goffman a montré toute l’importance [53], et que Michel Foucault a identifié comme des micro-pouvoirs qui traversent nos existences. Si l’être humain est, par définition, social, c’est qu’il attend des rapports à autrui les conditions de sa survie, pas seulement biologique mais peut-être avant tout psychique. Ce qui le positionne dans une logique d’emprise à l’égard de son prochain, dont il a besoin pour se réaliser en tant que sujet humain. Et bien évidemment, la relation conjugale, d’une part, et la relation parentale, de l’autre, constituent les supports privilégiés de cette emprise, qui relève davantage d’une nécessité que d’une réelle volonté, du moins au départ. Ces deux cadres relationnels présentent à l’évidence beaucoup de liens, aussi bien dans la perspective diachronique d’une histoire qui se déroule et voit le parent succéder à l’enfant qu’il demeure pourtant, que dans celle, synchronique, de situations qui se superposent et s’imbriquent. Toutefois, compte tenu de l’histoire et du contexte culturel des pays occidentaux, la dominance reste celle d’une pulsion d’emprise de l’homme envers la femme et de la femme envers l’enfant, alors même que la réciprocité est de mise et que tous les cas de figure sont possibles, comme l’illustrent les figures caricaturales de la « dominatrice » ou du « papa poule ».

31 On comprend mieux, dès lors, les difficultés sociales et individuelles qu’ont pu connaître en France toutes les pratiques novatrices, depuis la résidence alternée jusqu’à l’homoparentalité [54]. La mise en place d’une solution de résidence des enfants après séparation comme la résidence alternée a posé problème parce qu’elle plaçait les parents dans une logique de symétrie ; en effet, si nombre d’entre eux tendent vers l’égalité, ils sont loin de pouvoir assumer la position de symétrie que supposerait ce type de résidence, dans la mesure où elle impliquerait tout un remaniement de cet archaïque incorporé, qu’il est si difficile pour beaucoup d’envisager de mettre en perspective...

32 En définitive, on peut dire que si le pater familias a été aboli sur le plan du droit, il reste encore très présent dans les mœurs, au même titre que son pendant, la toute-puissance maternelle sur l’enfant. L’analyse du lien qui résiste entre le masculin et la domination sociale, aussi bien qu’entre le féminin et la toute-puissance maternelle, nous permet ainsi de comprendre que si cette logique considérée comme dépassée perdure c’est bien parce qu’elle trouve son enracinement dans une configuration de l’histoire des sujets, qui allie l’individuel de la logique pulsionnelle et le collectif de la logique normative. De ce point de vue, les positions des pères et des mères se situent à l’intersection de l’histoire culturelle et de la logique pulsionnelle [55], en ce lieu qu’on appelle l’imaginaire (dans ses versions sociale et individuelle).

33 Cette configuration des rapports entre sujet et société est d’autant plus difficile à réguler que son incorporation et ses effets, en termes d’attitudes ou en termes d’habitus, sont devenus inconscients, plaçant souvent de ce fait en contradiction la logique culturelle des représentations, qui tend à l’égalité et à la promotion de nouvelles pratiques, avec la logique archaïque de la socialisation des pulsions, qui, elle, reste marquée par la distinction de sexe [56] et l’incorporation des normes séculaires.

Une pluralité de références normatives pour organiser la vie privée

34 Mon approche de cette complexification du mode de fonctionnement de la sphère privée, liée au double mouvement de prévalence de la norme sur la loi, et parallèlement de diversification de la norme, se situe tant au niveau de la parentalité, que de la conjugalité ou de l’enfance [57] ; mais ce qui apparaît avec force et qui semble faire le lien entre les trois est que cette évolution normative qui touche en premier lieu les couples a eu un impact majeur sur la situation des enfants, notamment lorsque cela débouche sur la séparation de leurs parents.

35 En cas de séparation, en effet, coexistent aujourd’hui une très grande diversité de situations des enfants. Les recherches sur la question ont montré à quel point les choses s’étaient complexifiées. De nos jours en France environ 20 % des enfants sont impliqués dans une résidence alternée. Dans les 80 % en situation monoparentale : 67 % des enfants de parents séparés résident avec leur mère et 13 % avec leur père. Ces chiffres sont à la fois révélateurs d’une évolution et tendent à masquer une réalité. Une évolution, en effet, puisque s’affirme, bien que lentement et avec difficulté, la norme désormais officielle de coparentalité après la séparation. Ce n’est plus 10 % des pères qui, comme dans les années 1970, voient régulièrement leurs enfants, mais plus de 30 % ! En même temps, cette évolution masque la grande diversité des situations, qui dépendent à la fois du milieu social, du genre du parent gardien et du type de séparation conjugale. Car, il faut bien reconnaître que cette norme de coparentalité, portée désormais par le droit, émane des couches moyennes et leur modèle relationnel affirmant l’égalité des personnes tout en préservant leur autonomie, un modèle qui suppose le dialogue et la négociation comme principe de régulation, et qui se révèle bien mal adapté au fonctionnement des couples de milieux populaires ou qui vivent un grave conflit, les deux allant fréquemment de pair.

36 Ce modèle de fonctionnement peut poser question, confronté à la normativité en vigueur dans certains milieux, qui font référence à des modèles de famille bien différents du modèle associatif valorisé par les couches moyennes cultivées, celui de la « démocratie familiale ». Ainsi, pour Benoit Bastard, « les couples qui se démarquent du modèle associatif et qui fonctionnent dans un modèle de type “fusionnel” ne peuvent pas comprendre ce qui est attendu d’eux ni en voir la pertinence : ils n’ont pas l’expérience préalable de la négociation, qui n’avait pas cours dans leurs habitudes de couple. Ils ne voient pas comment faire une place, après la rupture, à un conjoint, le père en général, qui « ne fait plus partie de la famille »[58]. Si bien qu’on se retrouve devant deux rôles bien différents de beau-père en cas de recomposition familiale : un beau-père par substitution au père dans les familles autrefois fusionnelles et un beau-père additionnel dans les familles associatives [59].

37 D’où le paradoxe relevé par Bastard : « Ce qu’on attend des partenaires est peu aisé à comprendre : il leur faut être capable de se penser séparés, tout en restant en lien avec leurs enfants et en lien entre eux, à propos de ces enfants. N’est-ce pas la quadrature du cercle ? » Ce qui l’amène judicieusement à conclure que l’on se trouve là en présence d’une nouvelle police de la parentalité, celle qui vise à conformer les parents au nouveau modèle politiquement correct de la relation familiale, celui qui est censé s’appuyer sur l’intérêt supérieur de l’enfant, préserver les liens de l’attachement, promouvoir le dialogue familial et la mise en œuvre de solutions consensuelles pour le bien-être de l’enfant... La chose est ardue, et les normes qui s’affrontent produisent parfois des effets opposés, du genre de ceux que les psychologues désignent par le terme d’injonctions paradoxales, productrices de ces double bind dont Bateson a montré toute l’ambivalence.

38 La parentalité se trouve bien ainsi confrontée à une plurinormativité, qui trouve l’écho de ses contradictions aussi bien chez les parents que chez les professionnels chargés de les soutenir, qu’ils soient du droit, de la psychologie ou de l’intervention sociale... Peuvent s’y retrouver en conflit des normes divergentes selon le milieu, le genre, le mode de séparation, son type de gestion. Selon le modèle normatif de famille en jeu, fusionnel et asymétrique, ou associatif et égalitariste, les formes des attachements parents-enfant et les formes d’expression d’une volonté d’emprise se révéleront bien divergentes, positionnant les enfants sur un axe allant de l’exclusivité non contestée de leur résidence chez la mère à une pratique apaisée de la résidence alternée [60] (la résidence exclusive chez le père se situant en deçà de ces références normatives, et participant souvent d’un dysfonctionnement au regard de l’idéal référenciel, qui fait que le père apparaît comme le seul parent en position de s’occuper de l’enfant).

39 Parler, à ce sujet, de plurinormativité peut signifier deux choses différentes : que nous sommes confrontés à un modèle de conjugalité/parentalité, incluant une conception de la séparation et de sa gestion, qui est véritablement plurinormatif, c’est-à-dire qui articule un ensemble de normes (relationnelles, conjugales et parentales) extrêmement construit définissant le modèle du « politiquement correct », celui, égalitariste, de la démocratie familiale, entré en concurrence avec le modèle asymétrique traditionnel ; ou alors, la plurinormativité peut désigner la coexistence effective d’une grande diversité de normes concurrentes (selon les situations et les croyances), qui trouve écho dans les débats publics. Les deux interprétations sont loin de s’exclure, puisqu’on est à la fois dans une négociation une par une de chacune des normes relationnelles, et dans une opposition entre modèles qui articulent de façon divergente les différentes expressions de ces normes. Ce qui fait que, par-delà les conflits de modèles, les individus dans leur pratique quotidienne sont amenés à élaborer leur propre référentiel normatif en choisissant – de façon plus ou moins consciente – d’articuler diverses formulations des normes relationnelles pourtant peu compatibles sur le plan logique. D’où l’extrême diversification contemporaine des situations familiales, conjugales et parentales... et les difficultés des professionnels à mettre en œuvre une régulation satisfaisante [61]. La confrontation aux pratiques familiales contemporaines montrent en effet qu’aujourd’hui les différents ménages mettent en œuvre des modes de fonctionnement qui réfèrent souvent à des contenus normatifs éclatés, parfois contradictoires entre eux (a fortiori si existent entre conjoints de fortes divergences culturelles [62]), et provoquant une très grande dispersion des schémas familiaux [63] à l’œuvre.

40 Non seulement les individus inventent toutes sortes de façons de combiner les normes familiales (même si certaines de ces normes sont contradictoires), mais au cours de leurs propres trajectoires ces mêmes individus sont susceptibles de fonctionner selon des schémas familiaux très divergents, au gré de leurs rencontres et de leurs évolutions...

41 L’époque est à un tel bouleversement normatif que si certaines normes sont réaffirmées comme repères (l’exclusivité conjugale) d’autres, pourtant fondatrices, en arrivent à être contestées jusqu’au niveau de leur institutionnalisation juridique (la norme d’hétéroconjugalité, et bientôt de façon frontale celle de l’exclusivité de la bi-filiation), signe de la profondeur de la reconfiguration en cours.

Conclusion

42 La remise en cause de la normalité conjugale instituée que représentait le mariage-institution débouche sur la réorganisation des normes de parentalité, et la mise en perspective des normes de genre et des normes générationnelles, dans un contexte de bouleversement normatif profond, qu’exemplifie la mise en question de la norme jusqu’alors fondatrice de l’organisation familiale : l’hétéroconjugalité. Si les mouvements sociaux d’opposition au mariage des homosexuels ont été parfois si violents, c’est bien qu’était remis ainsi en question ce qui servait de socle au principe d’ordre antérieur, ce qui structurait et structure encore largement l’imaginaire social, la légitimité sociale de la bi-sexuation du couple, et encore plus de sa conséquence jugée par beaucoup inattaquable et fondatrice, la parentalité bisexuée : un papa, une maman, un enfant... Ce qui est en jeu tient à la force et l’enracinement des représentations du sexe et du genre attribué à tout individu dans une perspective ancestrale de complémentarité. Dès lors, « le cœur de la question est bien celui du“genre” comme « mode dominant de classification et d’identification des individus »[64]. Le paradoxe majeur de la loi du 17 mai 2013 instituant le mariage de personnes de même sexe est alors de redonner de la vigueur à une institution déclinante, le mariage, tout en la dépouillant de son caractère fondateur, la différenciation sexuée des conjoints. La norme s’y trouve ainsi à la fois profondément contestée et réinstituée... S’affirme ainsi l’ère du « trouble dans le genre » annoncée par Judith Butler [65] dès 1990, et qui a eu l’occasion depuis de se manifester de multiples façons. Nous vivons de fait une période de redéfinition normative qui produit tout aussi bien des contradictions (entre les acteurs, tenants des anciennes ou des nouvelles normes ; mais aussi au sein des nouveaux dispositifs relationnels, comme celui que représente le mariage homosexuel) que des décalages (entre milieux, entre genres, entre situations ; voire entre l’imaginaire individuel et l’imaginaire social, ou entre l’imaginaire et le symbolique, symbolique qui a besoin pour assumer sa fonction du temps nécessaire à la symbolisation, autrement dit à l’élaboration de symboles qui fassent sens au niveau collectif).

43 La norme désormais proclamée un peu partout de coparentalité peut participer à cette élaboration d’un nouveau consensus symbolique, mettant en avant les différentes expressions de la coparentalité comme affirmation du bien de l’enfant à ses parents. Ce peut être aussi bien dans le cadre d’une situation post-séparation conjugale, où l’autorité parentale est conçue comme devant rester partagée, que dans une situation de placement familial, où la parentalité doit être maintenue avec les parents d’origine tout en laissant la place à une parentalité d’accueil [66], ou dans une situation d’homoparentalité, à deux, à trois ou à quatre... illustrant ainsi la revendication prêtée à l’enfant par Éric Verdier [67] : « Laissez-moi tous mes parents ! »...

Notes

  • [1]
    Cet article s’inspire de plusieurs interventions : « Pater familias versus toute puissance maternelle », 7e colloque international HES-SO Valais-Wallis, Sierre (Suisse), 19-20 mai 2016 & « Plurinormativité et parentalité », colloque AIFI, 29-30 mai 2015, Lille.
  • [2)
    Claude LÉVI-STRAUSS, Les structures élémentaires de la parenté, PUF, 1946 [réédition Mouton, 1967] ; Anthropologie structurale, Plon, 1958.
  • [3]
    Jacques LACAN, « Le Complexe, facteur concret de la psychologie familiale », in Encyclopédie française, tome VIII, La Vie mentale, 1938, réédité dans Les complexes familiaux dans la formation de l’individu, Navarin, 1984.
  • [4]
    On sait que la venue des enfants a tendance à faire revenir les couples à fonctionnement égalitaire dans un mode de fonctionnement plus traditionnel, surtout si le contexte institutionnel s’appuie sur le modèle familial traditionnel. C’est le cas par exemple de la Suisse, au contraire des pays nordiques, alors que la France se trouve en position intermédiaire. Voir l’étude très intéressante portant sur l’exemple suisse : Jean-Marie LE GOFF, René LEVY (dir.), Devenir parents, devenir inégaux. Transition à la parentalité et inégalités de genre, Zurich, Seismo, 2016.
  • [5]
    Processus complexe dont Jürgen Habermas a montré toute l’importance dans L’espace public, Payot, 1978 1962.
  • [6]
    Ulrich BECK, La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, Aubier, 2001 [édition allemande : 1986] ; Anthony GIDDENS, La transformation de l’intimité. Sexualité, amour et érotisme dans les sociétés modernes, Chambon, éd. Le Rouergue, 2004 [édition anglaise : 1992].
  • [7]
    Michel FOUCAULT, Histoire de la sexualité. I. La volonté de savoir, Gallimard, NRF, 1976, p. 189.
  • [8]
    Ibid., p. 190.
  • [9]
    La notion d’incorporation vient préciser celle d’intériorisation en indiquant que cette intériorisation peut prendre la forme d’une inscription corporelle, participant à la formation d’habitus, et pointant la possibilité d’« apprendre par corps ». Cf. Pierre BOURDIEU, Le sens pratique, Minuit, 1980 ; Sylvia FAURE, Apprendre par corps. Socio-anthropologie des techniques de danse, La Dispute, 2000.
  • [10]
    Jacques COMMAILLE, L’esprit sociologique des lois, PUF, 1994.
  • [11]
    La loi du 11 juillet 1975 introduit, à côté du divorce pour faute, le divorce par consentement mutuel et diverses formes de divorce facilité. En outre, le principe de référence de la gestion de l’après-séparation devient pour les parents l’intérêt supérieur de l’enfant et non plus la faute d’un des conjoints.
  • [12]
    L’enquête Ined de 1986 indique qu’après séparation les enfants qui résident chez leur mère ne voient plus leur père dans 34 % de situations, et rarement dans 26 %. Enquête sur les situations familiales (ESF), Ined, 1986.
  • [13]
    Françoise THÉBAUD (dir.), Histoire des femmes. Le XXe siècle, Plon, 1992 ; Pierre BOURDIEU, La domination masculine, Seuil, 1998.
  • [14]
    Françoise HÉRITIER, « Privilège de la féminité et domination masculine », Revue Esprit : L’un et l’autre sexe, n° 273, mars-avril 2001, p. 85.
  • [15]
    En France, c’est en 1967 que la loi Neuwirth autorise la publicité pour les moyens modernes de contraception et favorise leur libre diffusion, cependant les résistances sont suffisamment fortes pour que le décret d’application ne soit, lui, voté, qu’en 1972. De même, c’est en 1982 que naît Amandine, le premier « bébé éprouvette ».
  • [16]
    J’ai développé une première analyse de cette spécificité dans Gérard NEYRAND, « La reconfiguration contemporaine de la maternité », in Yvonne KNIBIELHER, Gérard NEYRAND (dir.), Maternité et parentalité, Éditions de l’ENSP, 2004, pp. 21- 38. Voir aussi pour une approche plus analytique : ROSSI Patricia, « Éclosion du matriciel, expérience du féminin. Ce que le premier accouchement déclenche chez une femme », Dialogue : Accompagner les premiers liens : la prévention précoce, n° 157, 2002/3, pp. 51-58 ; Monique BYDLOWSKI, La dette de vie : itinéraire psychanalytique de la maternité, PUF, 1997.
  • [17]
    Serge MOSCOVICI, La société contre nature, UGE, 10/18, 1972.
  • [18]
    Ainsi, Maurice Godelier relativise cette affirmation en indiquant que si, effectivement, l’échange des femmes est un fait dominant, certaines sociétés mettent en œuvre un « échange des hommes » ou un échange réciproque. Cf. Maurice GODELIER, Métamorphoses de la parenté, Fayard, 2004.
  • [19]
    Donald W. WINNICOTT, « La préoccupation maternelle primaire » in De la pédiatrie à la psychanalyse, Payot, 1969 [en langue anglaise : 1956].
  • [20]
    Yvonne KNIBIELHER, Catherine FOUQUET, Histoire des mères du Moyen Âge à nos jours, Montalba, 1977.
  • [21]
    Nicole-Claude MATHIEU, « Homme-culture et femme-nature ? », L’Homme, n° 3, XIII, 1973 ; Colette GUILLAUMIN, « Pratiques du pouvoir et idée de Nature (1). L’appropriation des femmes », Questions féministes, n°2, février 1978, pp. 5-30.
  • [22]
    Gérard NEYRAND, Michel TORT, Marie-Dominique WILPERT, Père, mère, des fonctions incertaines. Les parents changent, les normes restent ? érès, 2013.
  • [23]
    Didier LE GALL, Yamina BETTAHAR (dir.), La pluriparentalité, PUF, 2001 ; Martine GROSS (dir.), Homoparentalités, état des lieux, ESF, 2005 2000 ; Agnès FINE, « Adoption et pluriparentalités : approche historique et anthropologique », in Christian ROBINEAU, L’adoption, un roman familial, érès, 2013.
  • [24]
    Anne CADORET, Des parents comme les autres, Odile Jacob, 2002.
  • [25]
    Gérard NEYRAND, Le dialogue familial. Un idéal précaire, érès, 2009.
  • [26]
    Françoise DEKEUWER-DÉFOSSEZ, Rénover le droit de la famille, La Documentation Française, 1999 ; Isabelle CORPART (dir.), Problèmes politiques et sociaux : Filiations : nouveaux enjeux, n° 914, juillet 2005.
  • [27]
    Irène THÉRY, Filiation, origines, parentalité. Le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle, Rapport au ministre des Affaires sociales et au ministre délégué à la Famille, 2014.
  • [28]
    François de SINGLY, Sociologie de la famille contemporaine, Nathan, 1993.
  • [29]
    Irène THÉRY, « Changement des normes de la vie privée et de la sexualité. De la question individuelle à la question sociétale », in Gérard NEYRAND, Michel DUGNAT, Georgette REVEST, Jean-Noël TROUVÉ (dir.), Familles et petite enfance. Mutations des savoirs et des pratiques, érès, 2006.
  • [30]
    Geneviève FRAISSE, Du consentement, Seuil, 2007 ; Gérard NEYRAND, Abdelhafid HAMMOUCHE, Sarah MEKBOUL, Les mariages forcés. Conflits culturels et réponses sociales, La Découverte, 2008.
  • [31]
    Otto PFERSMANN., « Norme », in Denis ALLAND, Stéphanie RIALS. (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, PUF, 2003.
  • [32]
    Charlotte LE VAN, Les quatre visages de l’infidélité en France, Payot, 2010 ; Marie-Carmen GARCIA, Amours clandestines. Sociologie de l’extraconjugalité durable, Presses universitaires de Lyon, 2016.
  • [33]
    Voir Gérard NEYRAND « L’impact conjugal du virtuel. Éclatement des façons de faire couple à l’heure d’Internet », Dialogue, n° 210, 2015.
  • [34]
    Gérard NEYRAND, L’amour individualiste. Comment le couple peut-il survivre ? érès, 2018.
  • [35]
    Charlotte LE VAN, op. cit., p. 28.
  • [36]
    Michel BOZON, « La nouvelle normativité des conduites sexuelles ou la difficulté de mettre en cohérence les expériences intimes », in Jacques MARQUET (dir.), Normes et conduites sexuelles. Approches sociologiques et ouvertures pluridisciplinaires, Academia Bruylant, 2004, p. 15.
  • [37]
    La dernière Enquête sur les valeurs des Européens de 2008 montre la grande importance accordée à la fidélité conjugale dans les différents pays européens comme facteur de réussite d’un mariage (plébiscitée par 84 % des Français, contre 72 % en 1981). De même, les estimations indiquent environ un tiers des demandes de divorce justifiées directement par l’infidélité (jurifiable.com).
  • [38]
    Caroline HENCHOZ, « La production quotidienne de l’amour en Suisse et au Québec », Sociologie et sociétés, vol. 46, n° 1, 2014, p. 23.
  • [39]
    Françoise HURSTEL, « Quelle autorité pour les parents aujourd’hui ? », Comprendre, 2, 2001 ; Abdelhafid HAMMOUCHE, « Les ressources de l’autorité éducative », Modys, 8, 2008, pp 19-53 ; Gérard NEYRAND, « L’autorité parentale, une composante sociologique », Le Journal des psychologues, n° 322, 2014/9, pp. 24-28.
  • [40]
    Voir l’analyse des raisons pour lesquelles le milieu ouvrier reste attaché au modèle traditionnel par Olivier SCHWARTZ (Le monde privé des ouvriers. Hommes et femmes du Nord, PUF, 1990). De même, relevons la présence des associations religieuses intégristes dans l’affirmation du modèle « PME » lors de la Manif pour tous.
  • [41]
    Michel MESSU, « Mariage et société des individus : “Le mariage pour personne” », Recherches familiales, Unaf, n° 12, 2015, pp. 289-306.
  • [42]
    Catherine VIDAL, Dorothée BORWAYES BENOIT, Cerveau, sexe et pouvoir, Belin, 2005 ; Sylviane GIAMPINO, Catherine VIDAL, Nos enfants sous haute surveillance : évaluations, dépistages, médicaments..., Albin Michel, 2009.
  • [43]
    Margaret MEAD, Mœurs et sexualité en Océanie, Plon, 1963 1929 ; Jean-Louis FLANDRIN, Amour et sexualité en Occident, Le Seuil, 1991.
  • [44]
    Muriel DARMON, La socialisation, Armand Colin, 2006 ; Gérard NEYRAND, « La reconfiguration de la socialisation précoce. De la coéducation à la cosocialisation », Dialogue, n° 200, 2013.
  • [45]
    Gérard NEYRAND, Patricia ROSSI, Monoparentalité précaire et femme sujet, érès, 2004.
  • [46]
    Didier ANZIEU, L’épiderme normal et la peau psychique, éd. Apsygée, 1990 ; Bernard GOLSE, « La pulsion d’attachement », La psychiatrie de l’enfant, vol. 47, 1/2004, pp. 5-25.
  • [47]
    Sylviane GIAMPINO, « La socialisation précoce : séparation et attachements multiples », in Développement de l’enfant et engagement professionnel des mères, STH, 1992 ; France FRASCAROLO, Nicolas FAVEZ, « Comment et à qui s’attache le jeune enfant ? », in Blaise PIERREHUMBERT (dir.), L’attachement, de la théorie à la clinique, érès, 2005.
  • [48]
    Bernard GOLSE, op. cit., p. 15.
  • [49]
    Maryse JASPARD et l’équipe Enveff : Elizabeth Brown, Stéphanie Condon, Jean-Marie Firdion, Dominique Fougeyrollas-Schwebel, Annik Houel, Brigitte Lhomond, Marie-Josèphe Saurel-Cubizolles, Marie-Ange Schiltz, L’enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (Enveff), Ined, Population et Sociétés n° 364, janvier 2001 ; Abdelhafid HAMMOUCHE (dir.), Violences conjugales : Rapports de genre, rapports de force, Presses universitaires de Rennes, 2012 ; Alice DEBAUCHE, Amandine LEBUGLE, Elizabeth BROWN et al., Enquête Virage et premiers résultats sur les violences sexuelles, Ined, Documents de travail, n° 229, 2017 ; Annik HOUEL, Patricia MERCADER, Helga SOBOTA, Psychosociologie du crime passionnel, PUF, 2008.
  • [50]
    OMS, La maltraitance des enfants, aide-mémoire n° 150, septembre 2016 ; Laurence SALMONA, « Les violences envers les enfants : un silence assourdissant et une non-assistance à personnes en danger », Médiapart, 5 octobre 2012 ; Coline CARDI, Geneviève PRUVOST (dir.), Penser la violence des femmes, La Découverte, 2017. Si le meurtre de bébés est très majoritairement maternel, cela met en jeu des déterminations qui peuvent être aussi bien psychopathologiques que culturelles. Ainsi, dans les pays (Chine, Inde...) où le statut des filles est inférieur, le meurtre (ou l’IVG) participe d’une stratégie consciente d’élimination d’un bébé non voulu, et porte majoritairement sur des filles. Cf. Françoise HURSTEL, Antoine CASANOVA (dir.), La Pensée, Enfance, quel avenir ?, 354, avril-juin 2008 ; Natacha VELLUT, Laurence SIMMAT-DURAND, Anne TURSZ, « Accoucher sans donner naissance : les néonaticides, des histoires tues », Recherches familiales, Unaf, vol. 12, n° 1, 2015, pp. 99-112.
  • [51]
    Sylvain MISSONNIER, Devenir parent, naître humain. La diagonale du virtuel, PUF, 2010.
  • [52]
    Caroline SIFFREIN-BLANC, La parenté en droit civil français, Étude critique, PUAM, 2009.
  • [53]
    Erving GOFFMAN, La mise en scène de la vie quotidienne, Tome I : La présentation de soi, tome II : Les relations en public, Éditions de Minuit, 1973 [1956 et 1971].
  • [54]
    Gérard NEYRAND, Chantal ZAOUCHE-GOUDRON (dir.), Le livre blanc de la résidence alternée. Penser la complexité, Toulouse, érès, 2014 ; Martine GROSS (dir.), Homoparentalités, état des lieux, ESF, 2005 2000.
  • [55]
    Vincent de GAULEJAC, L’histoire en héritage. Roman familial et trajectoire sociale, Desclée de Brouwer, 1999.
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    Irène THÉRY, La Distinction de sexe. Une approche de l’égalité, Odile Jacob, 2007.
  • [57]
    Gérard NEYRAND, L’enfant, la mère et la question du père. Un bilan critique de l’évolution des savoirs sur la petite enfance, PUF, 2011 2000 ; Gérard NEYRAND, Soutenir et contrôler les parents. Le dispositif de parentalité, Toulouse, érès, 2014 2011 ; Gérard NEYRAND, Sahra MEKBOUL, Corps sexué de l’enfant et normes sociales. La normativité corporelle en société néolibérale, Toulouse, érès, 2014.
  • [58]
    Benoit BASTARD, « Une nouvelle police de la parentalité ? » Enfances, familles, générations, n° 5, 2006.
  • [59]
    Didier LE GALL, « Recompositions du familial à la suite d’unions fécondes défaites », in Identités à l’épreuve de l’incertitude, Maison de la recherche en sciences humaines, Caen, 1994.
  • [60]
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  • [64]
    Michel MESSU, op. cit., p. 304.
  • [65]
    Judith BUTLER, Troubles dans le genre, Paris, La Découverte, 2006 1990.
  • [66]
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Français

Dans une perspective pluridisciplinaire, l’auteur de cet article interroge, du point de vue du renouvellement du statut de la norme dans la gestion sociale, la reconfiguration des relations conjugales et familiales propre au passage dans la seconde modernité. D’une société où l’institutionnalisation des rapports sociaux s’exprime dans la rigueur octroyée à la loi, nous sommes passés à une société où les normes juridiques s’évertuent à encadrer les évolutions des mœurs, au regard de la diversification des normes sociales. Les séparations conjugales constituent un indicateur parmi d’autres de la difficulté, diversement exprimée selon les milieux sociaux et les genres, à un renforcement de la régulation sociale par intériorisation des normes, tant s’y entrechoquent le renouvellement des cadres de l’imaginaire social et ses expressions symboliques antérieures, la force des représentations sociales conscientisées et la prégnance de l’archaïque des investissements inconscients, les contradictions des rapports sociaux et leur rationalisation par le juridique...

Gérard Neyrand
sociologue, est professeur émérite à l’Université de Toulouse III, membre du CRESCO (EA 7419). Il est aussi directeur du laboratoire associatif CIMERSS (Bouc-Bel-Air). Il a abordé à de multiples reprises les effets des mutations sociales sur la sphère privée et sur les familles, tant au niveau du couple et des rapports de genre, de la parentalité et de la petite enfance, de l’adolescence et de la jeunesse, des relations interculturelles et des processus de précarisation, ainsi que des positionnements de la société civile, de la vie associative et des institutions à cet égard. Depuis une quinzaine d’années il met plus particulièrement en relief les liens étroits entre les fonctionnements privés et la dimension politique. À dominante sociologique, ses derniers travaux se situent dans une perspective pluridisciplinaire : L’amour individualiste. Comment le couple peut-il survivre ? érès, 2018 ; Malaise dans le soutien à la parentalité. Pour une éthique d’intervention, érès, 2018 (avec Daniel COUM et Marie-Dominique WILPERT) ; Les liens affectifs en familles d’accueil, érès, 2018 (avec Nathalie CHAPON et Caroline SIFFREIN-BLANC) ; Père, mère, après séparation. Résidence alternée et coparentalité, érès, 2015 (avec Gérard POUSSIN, Marie-Dominique WILPERT) ; Corps sexué de l’enfant et normes sociales. La normativité corporelle en société néolibérale, érès, 2014 (avec Sahra MEKBOUL) ; Père, mère, des fonctions incertaines. Les parents changent, les normes restent ? érès, 2013 (avec Michel TORT, Marie-Dominique WILPERT) ; Soutenir et contrôler les parents. Le dispositif de parentalité, érès, 2011 ; Le dialogue familial, un idéal précaire, érès, 2009 ; Les mariages forcés. Conflits culturels et réponses sociales, La Découverte, 2008 (avec Abdelhafid HAMMOUCHE et Sarah MEKBOUL).
Mis en ligne sur Cairn.info le 19/03/2018
https://doi.org/10.3917/rf.015.0109
Pour citer cet article
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