CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Dans cet ouvrage, François Ansermet ne pousse pas un énième cri d’alarme face aux modifications sociétales et familiales induites par les avancées biotechnologiques en matière de conception des enfants. Son propos ne vise pas non plus à banaliser ou à idéaliser ces techniques apparues en France au début des années 1980 et qui, pour certaines comme la fécondationin vitro sont devenues presque banales alors que d’autres introduisent de véritables bouleversements dans la fabrique des enfants. L’auteur prend appui sur sa pratique de psychanalyste et sur son expérience au sein du Comité consultatif national d’éthique pour nous permettre de penser les effets de ces mutations sociales. Si François Ansermet compte à son actif d’autres titres et fonctions que les deux précités, il semble que ce soient principalement ceux-ci qui donnent le ton de l’ouvrage : ne pas être a priori dans une position de savoir, mais utiliser les théorisations psychanalytiques et anthropologiques comme des boussoles permettant de s’orienter en terre inconnue. Ajoutons néanmoins que la clarté du propos témoigne de capacités pédagogiques développées probablement par sa pratique de professeur de pédopsychiatrie à l’Université de Genève.

2 La construction du livre n’est pas une démonstration linéaire, l’auteur procède selon une méthodologie inspirée par la technique freudienne : comme s’il tirait des fils d’une pelote, il déroule et distingue les différents enjeux, nouveaux ou pas, induits par les procréations médicalement assistées et les avancées de la médecine génétique dans ses versants prédictif et préventif. Quatre parties composent l’ouvrage, les trois premières reprennent en précisant l’image du sentiment de vertige occasionné par l’angoisse suscitée par la vision de l’inconnu : celui du brouillage des repères identitaires familiers, si familiers qu’ils paraissaient intemporels et immuables. Cette démarche amène le lecteur à penser la complexité sans tomber dans des oppositions clivées. Si le sentiment de vertige demeure après la lecture de cet ouvrage, c’est parce que l’auteur, moins que quiconque du fait de son positionnement de psychanalyste, à savoir, situé dans l’après coup de l’expérience subjective, ne souhaite, ni ne peut, apporter de réponses certaines quant à l’avenir infigurable.

3 Revenons brièvement à la construction de l’ouvrage : après une introduction, montrant combien les récentes avancées biotechnologiques en matière de procréation contribuent à introduire de nouvelles connexions entre le vivant et la culture, le psychanalyste s’attache à montrer que du point de vue subjectif, c’est-à-dire en prenant appui sur les repères nécessaires au processus d’humanisation, les enfants mis au monde à l’aide de ces nouveaux procédés defabrication restent toujours confrontés aux mêmes énigmes : celles de l’origine, de la différence et d’être face à leur destin. Ces trois énigmes constituent les supports des trois premières parties du livre.

4 Quand bien même les mystères de leur conception seraient dévoilés par la connaissance des techniques de prélèvement et de sélection de gamètes, de lieu de fécondation, de modalités d’implantation des embryons, les enfants qui en sont issus sont néanmoins amenés à élaborerl’énigme des désirs parentaux qui ont présidé à la mise en œuvre de cette conception maîtrisée, et à élaborer ce que Freud a désigné par fantasme de la scène primitive. Par ailleurs, du côté des père et mère, la rencontre avec cet enfant qu’ils imaginent au plus proche de leurs représentations, les confronte néanmoins à un nouveau-né étranger. Qu’est-ce que le choix du sexe, de la couleur des yeux, etc. jusqu’au choix du moment et des modalités de sa venue au monde, peuvent déterminer d’un sujet ? Nouvelles données pour chacun dont la dimension de dévoilement du réel du commencement peut parfois s’avérer traumatique, mais qui ne résolvent pas le mystère de l’origine. Elles nécessitent, comme auparavant, d’être symbolisées par les sujets à l’aide des fictions généalogiques qui permettent de rendre imaginable le réel, ici celui de la reproduction.

5 La procréation produit du un à partir de deux, elle est différence. Si les diverses techniques médicales de procréation tendent à réduire les différences, jusqu’à penser les évincer dans le clonage, peut-on pourtant affirmer parce que « un » vient de « un », que « un » égale « un » (p. 115) ? Ce vertige face au risque de disparition de la différence, en particulier de la différence des sexes, a fait en France l’objet de nombreuses polémiques au moment de l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe. Il n’en reste pas moins que les enfants de ces couples actuellement conçus par ce que l’auteur nomme une procréation hétérologue (nécessitant un don de gamète en opposition aux procréations autologues, réalisées avec les gamètes du couple) se retrouvent eux-mêmes sexués, c’est-à-dire marqués par la section de la différence des sexes.

6 La troisième partie s’intéresse au vertige du destin, il est essentiellement déployé ici autour du recours à la médecine génétique souvent présentée à travers les effets d’un usage prédictif des connaissances génomiques. S’il ne nie pas l’existence de risques dans la manipulation génétique, de risques de dérives éthiques, l’auteur veut également rappeler que la prédiction génétique se limite à repérer une prédisposition génétique et que l’on se trouve moins face à une certitude de la prédiction que face à une certitude de la probabilité qui, elle, reste cause d’incertitude. Les différentes analyses et exemples proposés par François Ansermet ne cessent de nous mettre face in fine à l’aspect illusoire de ces procédés de maîtrise du vivant. Il n’en reste pas moins que la mise en œuvre de ces nouvelles technologies de fabrication des humains place chacun, singulièrement et selon sa place dans le groupe social, face à des questions d’ordre éthique et anthropologique.

7 Après avoir proposé des repères pour penser les enjeux contemporains introduits par la médecine procréative, François Ansermet achève son ouvrage en s’adressant plus particulièrement aux cliniciens, psychanalystes et psychologues. Si son propos a permis de nuancer la portée de certains changements, il n’a pas pour effet de minimiser leur impact, parfois traumatique. Le vertige demeure, et les sujets qui y font face dans leur propre identité peuvent requérir un accompagnement dans l’élaboration de leur histoire. C’est bien une des fonctions, si ce n’est la fonction, du clinicien référé à la théorie psychanalytique, que de permettre à un sujet de se situer dans un rapport dialectique avec les coordonnées de son histoire, de reconnaître sa responsabilité dans l’invention de ses réponses afin de se positionner comme sujet. François Ansermet rappelle ici que la posture du clinicien, d’une certaine façon plus confortable que celle du législateur, est d’accompagner les sujets dans les voies de leur désir, qui sont toujours singulières, parfois tordues, toujours marquées de contingence et de bonnes ou mauvaises rencontres. Il proposede s’engager dans une clinique du devenir, c’est-à-dire d’ouvrir un espace à l’imprévisible. Il appelle le clinicien à prendre appui sur le réel qui fait effraction pour aider le sujet à inventer sa propre solution subjective.

8 Beaucoup de questionnements sont encore développés dans ce livre, nous recommandons au lecteur préoccupé par les enjeux psychiques et sociaux induits par les nouvelles techniques en matière de procréation, qu’il soit profane, professionnellement ou personnellement concerné, de les découvrir.

Anne Thevenot
psychologue clinicienne, est professeur de psychologie clinique à l’Université de Strasbourg dans le laboratoire de Psychologie et psychopathologie cliniques (EA 3071 : Subjectivité, lien social et modernité). La spécificité de ses recherches centrées sur l’étude de la construction subjective en lien avec les mutations sociales est de mettre l’accent sur l’articulation entre des problématiques psychiques singulières et les enjeux repérables dans les discours collectifs. Ses recherches prennent appui dans le champ social sur l’évolution de la législation familiale depuis 1970 et dans le champ clinique en étudiant différentes modalités d’exercice de la parentalité (familles d’accueil, recompositions familiales, homoparentalité). Elle a notamment publié « Fragilisation de l’interdit de l’inceste au sein de configurations familiales sans liens biologiques », Le divan familial, 2014 ; « De quelques malentendus dans la professionnalisation de l’accueil familial », L’évolution psychiatrique, 2014 ; « Homoparentalité, que nous apprennent des recherches récentes ? », La pensée, 2013 ; « Professionnalisation des assistantes familiales et intérêt de l’enfant accueilli », Pratiques psychologiques, 2012 ; « Étude de cas d’un adolescent pris dans les jeux vidéo, mort de la socialisation traditionnelle ? », Études sur la mort, 2011 ; « Instabilité psychomotrice des enfants : trouble ou symptôme ? », Psychologie clinique, 2010.
Mis en ligne sur Cairn.info le 08/03/2017
https://doi.org/10.3917/rf.014.0169
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