CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Dans le cadre d’une thèse sur le vieillissement de la population et les organisations familiales en Inde, les relations de care ont été explorées auprès de familles brahmanes transnationales à Chennai et Coimbator [1]. L’outil des solidarités intergénérationnelles de Vern Bengtson a notamment permis de saisir les éléments qui structurent ces relations intrafamiliales entre ici et là-bas [2]. Le regard prend notamment en considération les variables de situation matrimoniale, de génération et de genre pour saisir le fonctionnement spécifique de ces relations. Un des résultats les plus saillants de cette recherche est qu’en dépit de la distance qui sépare les différentes unités résidentielles et des enjeux du « faire famille », les stratégies d’adaptations, d’innovations et de créations déployées semblent maintenir les relations de care par-delà les kilomètres. La notion de socioplastie proposée permet de saisir comment l’équilibre dynamique fait circuler des nouvelles pratiques au sein d’un même territoire, la famille, exprimée dans une configuration différente (la « sociologie formelle » de Georg Simmel). Introduire la terminologie plastique et parler de socioplasticité révèle une position qui veut mettre en avant les capacités et les mécanismes créatifs de la famille. Historiquement, si la question plastique se réfère d’abord aux activités neuronales (neuroplasticité), elle peut également être mobilisée dans les études de gérontologie sociale. Sur le plan médical, la plasticité décrit la modification de mécanismes par l’expérience (pratique). Au niveau des organisations sociales et de l’individu, il s’agit de proposer ici une plasticité des formes de la famille à travers l’étude des modalités de care qui varient, s’adaptent, inventent et innovent en fonction des données de contextes et de l’environnement dans lequel elles se développent. En considérant l’homme comme un système ouvert sur son milieu (système d’équilibre dynamique permanent en relation avec le monde extérieur), la « plasticité sociale » permet alors de décrire ces dynamiques. Aussi, les modifications structurelles externes et les recompositions des organisations familiales (en l’occurrence issues de la transnationalisation) transforment l’organisation des relations de care ainsi que les rapports sociaux et familiaux à la vieillesse – sans oublier les représentations internes et personnelles qui participent d’une ontologie de l’intime.

2 Pour éclairer cette notion de socioplastie, le modèle du « transnational care » est sollicité. Il atteste notamment des capacités d’adaptation permanentes des réseaux sociaux de la famille dans la situation explorée ici [3]. Ces réseaux s’ajustent constamment et l’utilisation d’intermédiaires (dans le sens de média), quels qu’ils soient, peut être réalisée dans le but de maintenir la dynamique et la cohérence du système afin qu’il soit le plus adapté possible à son milieu. Ainsi, dans cette recherche, le système des relations de care établi sur la cohabitation intergénérationnelle de la Indian Joint Family (partage du lieu de vie, capital économique, social et symbolique [4]) ne disparaît pas dès lors que cette fonction disparaît au moment de la migration des enfants. La famille, comme institution où s’expriment des comportements, n’est pas annihilée par les perturbations des relations traditionnelles de care. Des comportements innovants surgissent pour contourner et organiser de nouveaux parcours, de nouvelles relations de care. Dans cette perspective, la socioplastie familiale renforce les éléments à la faveur du « dynamisme stabilisé » proposé par Edgar Morin [5]. La famille s’envisage donc en système ouvert dans lequel les événements phénoménologiques constituent des facteurs d’inventions permanentes où de nouvelles logiques s’articulent dans le but de maintenir l’équilibre global du système. Au final, c’est donc la pérennité du modèle à soutenir (en l’occurrence familial) qui est en jeu à chaque fois que de nouvelles modalités entrent dans le système.

3 Dans cet article, nous pensons la famille comme institution socioplastique à part entière. Pour ce faire, certaines des stratégies de contournements mises en œuvre par les familles transnationales sont présentées. Elles ont pour objectif commun « l’équilibre » : à savoir garder le « sens de la famille », tout en ajustant les relations de care pour la prise en charge des parents vieillissants en Inde. Dans un premier temps, une de ces stratégies qui consiste à re-créer les conditions structurelles de la corésidence intergénérationnelle par intermittence est présentée. De cette manière, l’espace-temps du territoire familial transnational témoigne de la volonté de faire fonctionner la Indian Joint Family sur des modalités différentes – en dehors de la corésidence. Dans un second temps, les récits biographiques permettent de saisir comment l’idéologie fonctionnelle de la famille existe en dépit des distances. Enfin, pour conclure et revenir sur les conditions d’émergence de cette « socioplastie », une vision « deleuzienne » de la famille est proposée. Avec elle, la famille transnationale présente un modèle type de « territoire mobile » déterritorialisé – décodé.

Espace-temps du territoire familial transnationalisé

4 Les médias du modèle du « transnational care » et les outils de communication permettent de saisir les moyens utilisés pour faire fonctionner la famille transnationale au quotidien [6]. Ces éléments indiquent une temporalité familiale commune le temps d’un échange téléphonique notamment. Faire exister l’unité familiale dans des logiques déterritorialisées, voilà tout l’enjeu des pratiques de care transnationalisées. L’analyse des pratiques de mobilité indique comment des stratégies d’adaptation se développent dans l’intention de (re)créer des moments particuliers de cohabitation résidentielle intergénérationnelle. Comment faire vivre cette famille transnationale ? Que reste-t-il d’ailleurs de la famille par-delà les kilomètres ? Les défis temporels et spatiaux sont à relever. Interroger les mobilités résidentielles permet une mise en lumière des dynamiques, des ajustements et des contournements et souligne l’inventivité institutionnelle de la famille pour faire face aux changements – coping capacities.

5 Le fonctionnement d’un territoire familial diffus s’organise autour des mobilités résidentielles des parents chez leurs enfants (là-bas) en plusieurs étapes et des enfants chez leurs parents (ici). Concrètement, lorsque plusieurs enfants résident à l’étranger, les parents se rendent successivement chez les uns et les autres pour « rentabiliser les frais de déplacement et le temps du voyage » comme en témoignent la plupart des personnes interrogées. Pour pallier ces conditions de voyage, certains NRI choisissent d’accompagner physiquement les parents âgés. En visite à Chennai pendant leurs vacances scolaires, les petits-enfants de L. ont profité du retour au Canada pour accompagner leur grand-mère. Cette solution est très appréciée de L. qui ne « s’occupe de rien à part faire sa valise », c’est un confort et une sécurité sans lesquels elle ne se déplacerait peut-être plus, « à 74 ans, c’est plus confortable de voyager avec quelqu’un, j’aurais peur de me perdre toute seule ». Arrivés chez leurs enfants, les grands-parents s’occupent de leurs petits-enfants (trouvant de nouveau une position de pourvoyeur de care). Ces mobilités montrent par ailleurs les rouages qui permettent aux familles transnationales de garder un imaginaire commun, et des traits de caractère partagés par ces flux que représentent les visites. Au-delà de l’imaginaire familial « déterritorialisé », ces visites assurent la fonction de redonner à la famille un corps physique. Cette matérialité du territoire familial apparaît essentielle, elle est souvent attendue par les personnes âgées. Le territoire se recompose et la famille communautaire reprend son sens le temps des visites sous forme d’une Indian Joint Family par intermittence. Le concept d’espace résidentiel prend ainsi tout son sens puisqu’au-delà du lieu de résidence principale, il est « défini comme la configuration de lieux incluant, d’une part, la résidence secondaire, d’autre part, les résidences des parents et des proches. C’est justement cette circulation entre plusieurs logements appartenant aux membres de la parenté qui fait sens. Il se construit au cours du temps, un système résidentiel qui devient une sorte d’analyseur du groupe de personnes ainsi reliées »[7]. Il faut rappeler ici que le système de la Indian Joint Family fonctionne dans un contexte social patriarcal [8]. Aussi, la mise en lumière d’un territoire résidentiel circulatoire se pose alors en paradoxe du fonctionnement habituel des relations de care. Au-delà de la position dans la hiérarchie familiale, les visites s’effectuent chez tous les enfants NRI (séjours chez les fils et les filles). Si la distance peut créer des tensions au sein du groupe familial elle ne peut se résumer à une frontière perméable lorsque la volonté d’unité familiale résiste [9]. Cette volonté est très marquée en Inde où la famille indivise reste un modèle largement admis, qu’il s’agit d’adapter au quotidien [10]. En dépit d’une nette fragilisation structurelle des solidarités intergénérationnelles, les dimensions affectives et associatives indiquent des relations fortes entre les parents vieillissants à Chennai et leurs enfants [11]. Les visites et les outils de communication ne peuvent pas abolir totalement les conséquences structurelles de la migration. Ils représentent une stratégie de contournement et d’ajustement familial que les personnes âgées rencontrées semblent accepter, ou dont elles semblent tout au moins se satisfaire. D’après le « transnational model » développé par Loretta Baldassar [12], ces visites sont organisées en flux bidirectionnels, va-et-vient entre ici et là-bas, et la réciprocité est le principe le plus important dans ce processus de négociation et d’organisation des obligations (responsabilités) familiales. Dans ce sens, les familles transnationales indiennes ne sont pas différentes des autres familles (indiennes et/ou transnationales) puisque ce principe de réciprocité est maintenu à travers d’autres médias de transaction. Si les dynamiques familiales et la mobilité en particulier impactent les modes de gestion du vieillissement, ces tendances structurelles ne remettent pas en cause la nature des solidarités intergénérationnelles, mais leurs formes. La spécificité des pratiques de ces familles de caste brahmane se révèle dans leur fonctionnement qui tend traditionnellement à l’orthodoxie [13], alors que les stratégies relevées font preuve d’originalité et d’une forte adaptation face à l’éloignement. Comment interpréter que la catégorie, usuellement garante des comportements, se permet de déroger à la règle sociale ? Cette tendance renforce-t-elle l’exception brahmanique en fortifiant par là même la supériorité hiérarchique sociale déjà affirmée par une complexité familiale caractéristique au Tamil Nadu ? Cela participe-t-il au contraire d’un mouvement de légitimation plus large des nouvelles pratiques de care à l’attention des aînés ?

Maintenir l’idéologie fonctionnelle de la famille au-delà des kilomètres

6 Les récits de vie permettent d’explorer plus en détail les rouages des parcours biographiques transnationaux. Une des hypothèses de recherche suggérait que la migration des jeunes adultes impactait les modalités de care de leurs parents vieillissants en Inde. Cette correspondance est faite même s’il s’agit davantage de causalité diffuse : une seule variable ne saurait expliquer à elle seule les situations observées.

Récits biographiques : parcours, trajectoires et transitions

7 De la même manière que le médecin et neurologue Jean-Pierre Changeux considère que le processus de « la mémoire chez l’homme [fasse] intervenir non seulement la mise en place de traces, mais la relecture de ces traces », on comprend ici la notion de vieillissement comme un processus, un parcours [14] identifié par des traces et des marqueurs temporels – dans une approche phénoménologique des faits sociaux [15]. Aussi, le choix des parcours de vie comme outil d’analyse de ces processus permet de montrer ces traces et ces marqueurs comme autant de révélateurs de la pluralité des expériences recueillies. Les récits de vie font effectivement « appel à la perspective du parcours de vie [qui] peut aider à tenir compte de la diversité, des interprétations subjectives...[et peut par ailleurs] rendre compte de l’impact des expériences pertinentes et des événements historiques au cours de la vie »[16]. L’objectif des analyses de ces récits est de faire ressortir par le concret le changement social [17]. La perspective du parcours de vie donne alors une autre dimension dans l’analyse des problématiques liées à l’âge, à la vieillesse et au vieillissement. Un des aspects essentiels de l’analyse des parcours de vie recueillis correspond à la notion de transition, soit, « des changements de statuts discrets et limités dans le temps, mais qui peuvent avoir des conséquences à long terme », alors que les trajectoires sont considérées comme « des modèles de stabilité et de changement à long terme comportant souvent de multiples transitions qui se distinguent aisément des autres modèles »[18]. Les transitions donnent l’impulsion initiale des trajectoires observées ensuite. C’est au regard des transitions cumulées qu’une lecture en termes de trajectoire peut alors s’envisager. Il s’agit donc de lire chaque trace phénoménologique comme un changement et une transition possible, marquant plus ou moins le mouvement d’ensemble de ce qui fera la trajectoire biographique dans sa totalité.

8 Deux aspects de la temporalité se dégagent de l’analyse de ces récits, la linéarité (évolution, naissance, mort) et la cyclicité (les jours, les saisons). La régularité de certains événements ou marqueurs donne effectivement un aspect cyclique au fonctionnement d’ensemble (les visites par exemple). La migration des enfants est donc davantage une transition dans la mesure où les conséquences sont visibles à long terme, quand elle est corrélée à d’autres éléments de nature transitoire (comme la mort du conjoint, des accidents de santé, ou des pertes de mobilité et d’autonomie). À la lecture de l’ensemble des parcours biographiques des parents vieillissants en Inde en situation de famille transnationale, des observations semblables apparaissent. Des similitudes de transition sont en effet constatées pour ces familles transnationales, au final un modèle de trajectoires semble se dessiner. Parler de trajectoire devient possible lorsque les expériences individuelles et la lecture des parcours sont cumulées, en juxtaposant les calques pour observer les moments de transition (décès, maladie, perte d’autonomie). Autrement dit, la lecture croisée des représentations individuelles des parcours de vie dessine les contours d’une même trajectoire. La mobilité transnationale ne peut donc être directement reliée à telle ou telle forme de prise en charge, il s’agit néanmoins d’une transition déterminante à long terme. « Dans leur parcours de vie, les individus vivent diverses transitions qui marquent le début de nouveaux rôles et de nouvelles étapes de vie, qu’il s’agisse, par exemple, de la naissance d’enfants, de l’entrée dans la vie adulte ou de la retraite. »[19]

9 Il n’y a donc pas de causalité immédiate entre, d’une part, la mise en migration des enfants (la nature transnationale de la famille) et les modalités de care. En revanche, cela devient plus apparent quand il s’agit de lire cette migration au regard des formes résidentielles. Ce n’est pas le départ (la mise en migration) qui impacte aussitôt les réseaux de care. Il s’agit d’un élément déterminant qui aura des conséquences fortes lorsque la situation maritale évoluera. Autrement dit, la migration en soi ne bouleverse pas instantanément les modalités de care des aînés. En revanche, cette décohabitation résidentielle déstabilise le care lorsque l’un des deux parents décède. Ainsi, la modification de la situation maritale (le veuvage) conjuguée à l’absence des enfants-migrants devient décisive dans la manière de reconsidérer le care. Il n’y a donc pas de causalité directe, mais une relation différée dans le temps. Corrélées ensemble, ces variables « migration » et « décès du conjoint » (changement de structure familiale) deviennent explicatives des modalités de care des parents vieillissants en Inde. La liaison entre ces deux variables a un poids important dans le système d’ensemble.

10 Les transitions biographiques font ici office de « nouveauté » dans le parcours biographique. Cette approche biographique des récits de vie provoque alors une différenciation à deux niveaux des parcours. Les parents vieillissants en Inde sont en décalage par rapport à leurs propres parents au niveau de la phase de retraite et par rapport à leurs enfants. La génération ayant précédé les parents rencontrés en Inde a vécu la cohabitation intergénérationnelle de la Indian Joint Family. La personne âgée d’aujourd’hui a donc pris en charge et soigné ses parents (ou beaux-parents dans le cas d’une femme). Une double divergence est donc observée à l’analyse des parcours du point de vue des personnes âgées en Inde. Dans ce sens, « les expériences des anciens n’ont guère de valeur d’orientation pour les jeunes »[20]. Les changements sociaux expérimentés par les familles transnationales rencontrées sont rapides et se traduisent par une refonte du fonctionnement du territoire familial. La distinction que Claude Lévi-Strauss propose entre les « sociétés froides » et les « sociétés chaudes » s’établit sur la rapidité de ces changements sociaux. Il convient d’envisager la situation des familles indiennes rencontrées en relation avec les « sociétés chaudes »de l’anthropologue. La vitesse du changement social de ces sociétés engendre in fine « une obsolescence culturelle du sens des biographies de la génération » des parents aux yeux de leurs enfants [21]. Dans ces conditions, le relâchement des liens intergénérationnels est-il inévitable ? Il s’agit de montrer clairement les liens entre les parcours migratoires des familles (ou d’un des membres seulement), le rôle des aînés (dans la hiérarchie familiale, dans les processus décisionnels, et dans les relations de care de manière générale), et les solidarités intergénérationnelles. Si des études récentes portent un intérêt particulier sur les réseaux transnationaux des familles migrantes, et sur les modifications des relations intergénérationnelles, aucune ne propose de solution quant à l’exploitation factuelle des données [22].

Divergences biographiques : relâchement générationnel ?

11 Des différences de perception apparaissent selon les générations lorsque les questions du vieillissement en Inde [23] et des prises en charge des aînés sont abordées. Très schématiquement, les NRI semblent pencher pour une option plus « individualiste » de care, alors que les parents vivent dans une représentation davantage ancrée dans la tradition de la Indian Joint Family du care et de la vieillesse. En pratique, les parents vieillissants en Inde dont les enfants ont migré vivent une réalité à distance du care, tandis que leurs expériences et projections restent attachées au modèle de leurs propres parents. De cette manière, un espace « tampon » de normes, de valeurs et des modalités de care s’installe entre ces « mondes » et ces manières d’appréhender le care. La dualité et la distance entre les discours, les pratiques et les comportements provoquent inévitablement des répercussions sur les représentations. Une distance s’installe progressivement entre la réalité des pratiques vécues par les aînés en Inde et les projections, les représentations et les discours de leurs enfants. Cet ensemble incertain peut créer des tensions, incompréhensions et finalement un malaise au quotidien pour les personnes vieillissantes dans un modèle qui ne correspond plus ou pas aux représentations de la position d’aînesse. Au-delà de ces constats, on peut se demander si les déséquilibres et la confrontation de modèles de care différents pourraient à long terme déstabiliser et « discréditer des pratiques culturelles et sociales traditionnelles » de la Indian Joint Family[24] ?

12 Au regard de l’analyse que propose Claude Lévi-Strauss sur les sociétés chaudes et froides (évolutions sociétales rapides/lentes), on peut dire que le changement social engendre une obsolescence culturelle du sens des biographies [25]. Les générations ne partagent plus les mêmes parcours, les mêmes transitions qui faisaient autrefois le ciment des évolutions biographiques (par exemple les modalités résidentielles de la Indian Joint Family). Ce décalage des parcours biographiques des générations ayant migré et des parents vieillissants en Inde favoriserait ainsi les risques d’incompréhensions et l’augmentation d’un écart générationnel (des normes et des valeurs). Sur le plan théorique, cela contribuerait alors à une certaine forme de relâchement des liens intergénérationnels, en tous les cas à une plus grande distance sociale. Ceci étant, dans l’étude de cas présentée, ce relâchement n’est pas si évident, et encore moins total. Il apparaît en effet que le « modèle de la famille reste actif », et s’il est possible de noter « une plus grande diversité des formes de cohabitation », il faut se méfier de conclure trop vite à « une dissolution de ce modèle » familial [26]. De cette manière, on peut en revanche dire que les formes familiales se diversifient en lien avec les spécificités plus fines des parcours biographiques. Les familles transnationales renforcent effectivement la distinction générationnelle des biographies, mais comment conclure à l’obsolescence culturelle alors qu’elles montrent leur attachement au fonctionnement de la Indian Joint Family. Cette volonté de faire une « Transnational Indian Joint Family » comme il est relevé à l’occasion de plusieurs entretiens s’avère parer l’argument de l’affaiblissement des relations intergénérationnelles.

13 Si les structures de cette famille sont à repenser dans des territoires dématérialisés, il n’en reste pas moins que le véhicule qu’est cet idéal-type de la Indian Joint Family (dans ses modalités concrètes autant que dans les imaginaires et l’idéal type qu’elle suppose) reste partagé en Inde et ailleurs. Les notions d’obligation et de réciprocité intergénérationnelle déjà exposées montrent par exemple des pratiques de care établi entre ici et là-bas. Au final, la Indian Joint Family est maintenue à distance et ses principes fondamentaux comme celui de la réciprocité intergénérationnelle (réciprocité de duty mis en lumière par la redevabilité des parents qui sont invités à visiter leurs enfants et qui participent aux activités de care de leurs petits enfants) semblent fonctionner au-delà de l’espace transnational de la famille. Il semblerait par ailleurs que l’aspect transnational apporte des éléments nouveaux dans le fonctionnement des relations de care entre les générations. Si dans le fonctionnement usuel de la Indian Joint Family, la prise en charge des parents vieillissants revient au fils aîné et à son épouse, on observe des arrangements différents pour les familles transnationales interrogées. Les mobilités s’effectuent en effet indifféremment chez les enfants-migrants fils et fille. Il n’est pas noté de durée de séjour particulière chez les fils. Cette nuance vaut pour les enfants résidants à l’étranger seulement. Il est possible de suggérer alors que la transnationalisation familiale favorise d’autant plus les nouvelles pratiques résidentielles.

Structure familiale : modèle flexible et restructuration des rôles dans la famille

14 Il est ainsi possible d’envisager le modèle traditionnel de la famille indienne d’une manière plus flexible en dehors du territoire national. La déterritorialisation des familles transnationales semble avoir un effet dynamique de restructuration des rôles. Si les rôles restent sensiblement les mêmes, les cartes sont redistribuées, et les règles redéfinies en dehors d’un référentiel strictement indien. Il faut dire avec Cora Baldock que les résultats de cette étude montrent que la fonction de caregiving lorsqu’elle est considérée dans sa dynamique transnationale, restructure les rôles familiaux [27]. La distance semble diminuer l’importance du genre dans la construction des relations de care. Cette dynamique s’appuie entre autres sur les observations des mobilités résidentielles (comme « dimension associative » de Vern Bengtson et du modèle « transnational care » de Loretta Baldassar). Les parents qui visitent leurs enfants à l’étranger procèdent à ce que nous avons qualifié de parcours circulaire. En effet, dans des situations familiales où plusieurs enfants ont migré, il est fréquent de noter que les parents rendent visite à leurs enfants (3 mois chez chacun par exemple). Il est dès lors possible de questionner le fonctionnement présenté comme strict de la société patriarcale indienne. Parallèlement, des parents vieillissants à Chennai rendent visite à leurs fils et à leurs filles résidant à l’étranger selon une même fréquence et pour une même durée. Le processus de mobilité résidentielle des personnes âgées semble ainsi s’inscrire dans un système bilatéral. Ces familles brahmanes transnationales semblent s’adapter aux conditions structurelles de distance qui leurs sont imposées, relativement « imposées » puisqu’il est également possible de penser cette situation transnationale comme relevant d’un choix. Les parents sont en définitive assez encourageants lorsqu’il s’agit d’envoyer les enfants à l’étranger dans le but de poursuivre une formation, terminer un cursus universitaire, ou travailler. Au moment de considérer les modalités de prise en charge des aînés, valeur centrale au moment de la retraite [28], les questions d’ordre moral viennent parfois remettre en cause les choix d’éducation. Si les valeurs héritées du passé d’une Indian Joint Family se retrouvent pour l’instant dans l’idéologie de ces familles multi-sites grâce à de nouvelles modalités de care, qu’en sera-t-il dans les années à venir ? Dans une époque marquée de plus en plus par les processus d’individualisation des pratiques, il semble que l’idéologie fonctionnelle de la Indian Joint Family s’adapte jusqu’ici aux valeurs introduites progressivement dans ces structures familiales transnationales.

Pour conclure, relations de care et « territoire mobile » de la famille

15 Si la famille laisse la place aux sociétés de services pour prendre en charge le care à l’attention des personnes âgées, il ne s’agit pas d’un transfert de responsabilités puisque le fils et son épouse en particulier (et la famille en général) semblent toujours être responsables des parents. Ils ne réalisent plus directement la seva quotidienne (service, care) mais ont recours à distance, à des sociétés de services payants [29]. Même à distance, le devoir est de prendre en charge financièrement au moins ses parents comme ils l’ont fait pour lui jusqu’à l’âge adulte. Via le marché, on retrouve donc le contrat intergénérationnel implicite de don et contre-don par lequel la jeune génération est redevable et responsable de l’ancienne. La Indian Joint Family traditionnelle joue encore son rôle de régulation et d’organisation du care en utilisant des moyens intermédiaires pour assumer cette fonction [30]. L’intervention des sociétés de services, des maisons de retraite et de toutes les institutions disponibles localement facilitent ce relais physique de care[31]. Les stratégies d’ajustements territoriales et temporelles dont font preuve les familles transnationales rencontrées témoignent de leurs dynamiques créatives et inventives pour faire fonctionner une Indian Joint Family à distance – ou mieux encore une Indian Joint Family « déterritorialisée » pour reprendre le vocabulaire deleuzien.

16 Pour conclure, faisons donc appel au « territoire mobile de la famille » proposé par Gilles Deleuze et Félix Guattari pour exprimer comment la famille transnationale exprime avec des supports variés les « codes », les « flux » de care qui lui sont propres. Cette externalisation des modalités de care met donc à distance des modalités de prise en charge des personnes âgées depuis la famille vers les sociétés privées. Ce mouvement procède avant tout d’une dynamique de déterritorialisation des pratiques – praxis – considérées comme des flux déterritorialisés, décontextualisées par la mise à distance des différents nœuds résidentiels transnationaux [32]. Pour saisir ces processus, la notion de socioplastie proposée, en accord avec la sociologie formelle de Georg Simmel, permet de comprendre comment des faits sociaux comme les relations intergénérationnelles adoptent des formes et des structures variées en fonction des contextes (résilience). Autrement dit, ce sont donc les pratiques et les représentations du vieillissement qui sont recomposées par la transnationalisation des familles. Les logiques de care à distance renforcent ici la condamnation d’une vision naturelle et structurante de la famille. Simmel faisait déjà la critique de cette posture et proposait par ailleurs une alternative à cette illusion statique en la remplaçant par ce qu’il appelle « une socialisation » (processus dynamique, vivant) [33]. En substance, la nature dynamique et la dimension tragique de la famille montrent qu’il ne peut pas être question de crise à proprement parler (construction et déconstruction permanente). Ou alors la crise reviendrait à stopper les processus créatifs de ce territoire. En effet, appréhender les problématiques de la famille en présupposant d’une crise revient à reconnaître les valeurs naturelles, traditionnelles, qui sont par nature contradictoires. Aussi, « au nom du principe relativiste stricto sensu, le sociologue allemand milite en quelque sorte pour la reconnaissance de la pluralité et du caractère éminemment mouvant des formes familiales »[34]. Pour reprendre les propositions de la sociologie critique de Simmel, la famille reste donc le territoire des processus de socialisation : « Il y a société là où il y a action réciproque de plusieurs individus. »[35] D’après cette sociologie formelle, les contenus de la famille ne sont pas encore modifiés par la structure transnationale, mais l’expression des formes et des modalités de care à l’attention des aînés est restructurée. Cette proposition soutient l’idée selon laquelle la famille est de nature socioplastique. Dans l’étude de cas des familles transnationales, un même contenu (le care) peut prendre différentes formes (expressions nuancées des solidarités intergénérationnelles).

Conclusion

17 En l’absence de travaux comparables, il n’est pas possible de poser de conclusions définitives sur l’organisation de ces familles transnationales brahmanes. Ces premiers matériaux permettent néanmoins de proposer des pistes de réflexion. Il est intéressant de se poser la question de savoir comment les variables des modalités de care ont des relations (ou non) avec la signification du vieillissement d’un point de vue culturel. On trouve pour l’instant peu d’études concernant « l’influence du parcours migratoire sur les rites et les croyances », le vieillissement et la mort. Il faut rappeler que « de nombreux éléments influencent la pratique religieuse, les croyances face à la mort et les rites funéraires d’une famille : l’origine ethnoculturelle, l’histoire familiale, la dimension générationnelle »[36]. Par ailleurs, dans la mesure où les modalités de care sont indexées par l’environnement culturel, économique, et que le rapport à la mort tout comme les « pratiques funéraires de la culture d’origine sont susceptibles de se modifier du fait de nouveau contexte »[37], il est logique d’envisager que les parcours migratoires des enfants influencent les pratiques, les rites, les croyances et les imaginaires des parents vieillissants en Inde [38]. Lorsque le territoire mobile de la famille se trouve mis dans une dynamique migratoire (pour une partie seulement des individus), les relations interpersonnelles se trouvent projetées dans un nouvel équilibre dynamique. Par ailleurs, si les relations de personnes et les modes de prise en charge se maintiennent pour ces familles transnationales, il sera intéressant de mesurer par la suite les conséquences de cette organisation à distance sur les secteurs économiques de services à la personne et des prises en charge. À défaut d’être présents au quotidien, les enfants font de plus en plus appel aux sociétés de service pour répondre aux besoins de leurs parents afin de pallier leur absence, favorisant ainsi la monétarisation des solidarités et des relations de care en général. Le développement des maisons de retraite, des sociétés de services et des réseaux sociaux à l’attention de parents isolés semble être un indicateur du dynamisme de ces nouvelles activités. Les conditions économiques et l’accessibilité des modalités de care payant font apparaître des logiques différenciées. Des distinctions nettes existent entre les réseaux familiaux transnationaux mieux dotés économiquement, techniquement et culturellement, en mesure d’utiliser des moyens de communication plus avancés, et ceux qui ne possèdent pas ces moyens [39]. Les conséquences de cette monétarisation des solidarités intergénérationnelles seront à analyser à plusieurs niveaux. Comment les relations intrafamiliales s’établissent-elles dans cet espace contractualisé ? Une logique de marché [40] – du care – peut-elle expliquer les stratégies de solidarités intergénérationnelles ? Quelles répercussions peut-on observer au niveau des territoires ?

Notes

  • [1]
    Mathilde PLARD, Vieillissement et care dans les familles transnationales indiennes. Expériences de vie de brahmanes à Chennai et Coimbatore, Thèse de géographie sous la direction de Sébastien FLEURET, Christian PIHET, 2012, p. 336 ; voir également M. L. SHARMA, T. M. DAK, « Aging in India : challenge for the society », India HelpAge Delhi ; B. T., ASHOK, A. RASHID, « Aging research in India », Experimental Gerontology, 38 (6), 2003, pp. 597-603.
  • [2]
    Merril SILVERSTEIN, Vern L. BENGTSON, « Intergenerational Family Solidarity and the Structure of Adult Child-parent Relationships in American Families », American Journal of Sociology, vol. 103, n° 2, 1997, pp. 429-460.
  • [3]
    Loretta BALDASSAR, « Migration Monuments in Italy and Australia : Contesting Histories and Transforming Identities », Modern Italy, 11 (1), 2006, pp. 43-62.
  • [4]
    Christiane SINGER, Derniers fragments d’un long voyage, Albin Michel, 2007.
  • [5]
    Edgar MORIN, Le paradigme perdu : la nature humaine, 1973, p. 246.
  • [6]
    Mathilde PLARD, « Le care, secteur d’avenir au Sud ? Décohabitation intergénérationnelle et modes de prises en charge des aînés en Inde, transfert des solidarités familiales », Les numériques du CEPED : Vieillissement de la population dans les pays du Sud. Famille, conditions de vie, solidarités publiques et privées, État des lieux et perspectives, 2011.
  • [7]
    Catherine BONVALET, Éva LELIÈVRE, « Les lieux de la famille », Espaces et Sociétés, vol. 2 n° 120-121, 2005, pp. 99-122.
  • [8]
    Sarah LAMB, Aging and the Indian Diaspora. Cosmopolitan Families in India and abroad, 2009.
  • [9]
    Jennifer MASON, « Managing kinship over long distance : the significance of the visit », Social Policy and Society, vol. 3, n° 4, 2004, pp. 421-429.
  • [10]
    Sarah LAMB, « Live outside the family : gender and the rise of elderly residences in India », International Journals, 33 (1), 2009, pp. 43-61 ; Roland LARDINOIS, « Peut-on classer la famille hindoue ? », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 57-58, juin 1985, pp. 29-46.
  • [11]
    Les dimensions des solidarités intergénérationnelles sont largement présentées dans l’article suivant : Mathilde PLARD, « Familles transnationales et parents vieillissants à Chennai (Inde) : organisation des solidarités intergénérationnelles dans un espace intrafamilial mondialisé », Élodie RAZY, Virginie BABY-COLIN (dir.), Autrepart : Familles transnationales au quotidien, IRD, n° 57, 2011, pp. 163-181.
  • [12]
    Loretta BALDASSAR, art. cit.
  • [13]
    Madeleine BIARDEAU, Théorie de la connaissance et philosophie de la parole dans le brahmanisme classique, Mouton, 1964.
  • [14]
    Vincent CARADEC, « Les transitions biographiques, étapes du vieillissement », Prévenir, 35 (2), 1998, pp. 131-137.
  • [15]
    Jean-Hugues DÉCHAUX, Le souvenir des morts, Essai sur le lien de filiation, PUF, coll. « Le lien social », 1997.
  • [16]
    Amanda GRENIER, Ilyan FERRE, « Âge, vieillesse et vieillissement, définitions controversées de l’âge », in Michel CHARPENTIER (dir.), Vieillir au pluriel, pp. 35-54.
  • [17]
    Daniel BERTAUX, « Mobilité sociale : l’alternative », Sociology et société, vol. 25 (2), 1993, pp. 211-222.
  • [18]
    Amanda GRENIER, Ilyan FERRE, op. cit.
  • [19]
    Ibid.
  • [20]
    René LEVY, « Regard sociologique sur les parcours de vie », Cahier de la Section des Sciences de l’Éducation : Regards pluriels sur l’approche biographique : entre discipline et indiscipline, vol. 95, 2001, p. 3.
  • [21]
    Claude LÉVI-STRAUSS, Les structures élémentaires de la parenté, Mouton, Maison des Sciences de l’Homme, 1967 [1947], pp. 3-13 et pp. 548-570.
  • [22]
    Michèle VATZ-LAAROUSSI, « L’intergénérationnel dans les réseaux transnationaux des familles immigrantes : mobilité et continuité », in Roch HURTUBISE, Anne QUENIART (dir.), L’intergénérationnel : regards pluridisciplinaires, Presses de l’École des hautes études en santé publique, 2009, pp. 267-293 ; Josiane LE GALL, « Familles transnationales : bilan des recherches et nouvelles perspectives », Les Cahiers du Gres, vol. 5, n° 1, 2005, pp. 29-42.
  • [23]
    Lawrence COHEN, No aging in India Alzheimer’s, the bad family, and other modern things, 1998 ; Phoebe S. LIEBIG, Sebastian IRUDAYA, An aging India : perspectives, prospects, and policies, Haworth Press, 2003.
  • [24]
    Lucie DEJOUHANET, « L’Ayurveda, Mondialisation d’une médecine traditionnelle indienne », EchoGéo, n° 10, 2009.
  • [25]
    René LEVY, op. cit.
  • [26]
    Ibid.
  • [27]
    Loretta BALDASSAR, Cora Vellekoop BALDOCK, Raelene WILDING, « Families Caring Across Borders : migration, ageing and transnational caregiving », Palgrave MacMillan, 2006.
  • [28]
    Madeleine BIARDEAU, L’hindouisme : anthropologie d’une civilisation, Flammarion, 1995.
  • [29]
    Femida HANDY, From Seva to cyberspace the many faces of volunteering in India, 2011.
  • [30]
    Milton SINGER, The Indian joint family in modern industry, University of Chicago, Committee on Southern Asian Studies, 1968.
  • [31]
    Mathilde PLARD, « Familles transnationales et parents vieillissants... », art. cit.
  • [32]
    Gilles DELEUZE, Félix GUATTARI, Qu’est-ce que la philosophie ?, Minuit, 1991, p. 206.
  • [33]
    Georg SIMMEL, Sociologie. Études sur les formes de la socialisation, PUF, coll. « Sociologies », 1999 [1908].
  • [34]
    Vincent RUBIO, « La famille et la sociologie de la famille selon Georg Simmel », Recherches familiales, n° 3, 2006, pp. 137-148.
  • [35]
    Georg SIMMEL, op. cit.
  • [36]
    Lilyane RACHEDI et al., « Accompagner les familles immigrantes endeuillées : des connaissances sur les diverses visions de la mort et les rites dans les grandes religions et confessions au Québec », Bulletin synthèse n° 2, UQAM de Montréal, avril 2010.
  • [37]
    Agathe PETIT, « Des funérailles de l’entre-deux. Rituels funéraires des migrants Manjak en France », Archives de sciences sociales des religions, 2005, pp. 131-132.
  • [38]
    Véronique LEDUC, Lilyane RACHEDI, Gil LABESCAT, « Accompagner les familles immigrantes endeuillées... », art. cit., p. 16.
  • [39]
    Maurizio AMBROSINI, « Séparées et réunies : familles migrantes et liens transnationaux », REMI : Revue Européenne des Migrations internationales, (24) 3, 2008, pp. 79-106.
  • [40]
    Sharanjit UPPAL, Sarma SISIRA, « Aging, Health and Labour Market Activity : The Case of India », World Health & Population, 9 (4), 2007, pp. 79-97.
Français

À la croisée des recherches sur le vieillissement et les migrations internationales, le terrain d’investigation des familles transnationales offre de nouvelles pistes de réflexion sur les solidarités et les prises en charge des parents vieillissants. Des études de terrain effectuées en Inde auprès des parents (de haute caste brahmane) dont les enfants ont migré vers des pays occidentaux, ainsi qu’à Singapour et Toronto auprès de ces enfants désignés par le terme de Non Resident Indian (NRI), ont permis d’étudier l’organisation des relations de care (prises en charge au sens large, à la fois matérielle, physique, émotionnelle, et économique, ou seva en Inde) et de saisir les conséquences de la décohabitation résidentielle entre générations dans une nouvelle géographie familiale. L’analyse de l’espace-temps de ces familles transnationales est d’abord donnée pour préciser comment l’idéologie fonctionnelle de la famille existe en dépit des kilomètres. C’est finalement l’essence dynamique de l’institution familiale qui ressort de ces arrangements à distance. En accord avec la sociologie formelle de Simmel, la notion de socioplastie est proposée pour saisir comment des faits sociaux comme les relations de care adoptent des formes et des structures variées en fonction des contextes (résilience).

Mathilde Plard
Géographe, est chercheure au CNRS, au laboratoire Espaces géographiques et sociétés (Eso-UMR 6590). Après une thèse de géographie sur le vieillissement de la population en Inde et les pratiques de familles transnationales, elle questionne à l’occasion d’un post-doctorat les expériences du vieillissement de femmes immigrantes à Montréal. Elle s’intéresse depuis, aux impacts des processus migratoires sur les expériences de la fin de vie, en Inde notamment.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 23/12/2016
https://doi.org/10.3917/rf.013.0053
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