CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Réalisée à la demande du ministère en charge de la Famille, le premier document, une revue de littérature sur l’accompagnement des jeunes sortant du dispositif de protection de l’enfance, est bien plus qu’une synthèse des travaux existants en France et dans le monde sur le sujet, ce qui serait d’ailleurs déjà beaucoup.

2 Par les pistes de recherche tracées, c’est une invitation à travailler de manière pluridisciplinaire un domaine de la protection des personnes qui ne se situe plus dans le jeune âge ou l’adolescence, comme c’est le cas de la protection de l’enfance, ni bien évidemment dans le domaine de la protection des majeurs mais qui constitue le domaine d’une action sociale et éducative très spécifique que l’on appelle, faute de mieux, celle des « jeunes majeurs ». Dans ce champ déjà vaste, il est une question qui appelle une attention particulière : celle des jeunes majeurs sortant du dispositif de protection de l’enfance en accédant à la majorité ou en sortant d’un dispositif transitoire mis en place de manière facultative, comme c’est le cas en France pour les jeunes de moins de 21 ans. Dans l’étude, ces jeunes sont génériquement nommés selon l’expression anglaise de care leavers, globalement utilisée par les travaux internationaux et reprise ici afin d’éviter, selon l’auteur, l’expression française de « jeunes majeurs » qui a une définition spécifique dans le droit de l’action sociale (celle des prestations de protection, précisément offertes aux jeunes sortant des dispositifs de protection de l’enfance, en ce qui concerne les mineurs : voir le second rapport cité). À ce sujet, on peut penser que le choix du terme de « care » n’est pas seulement une commodité de langage, mais le signe d’une redéfinition du champ autour du care qui aurait mérité sans doute une petite explication.

3 Ce travail s’articule autour d’une passionnante « synthèse croisée » des différentes sources exploitées par l’auteur, qui elle-même se subdivise en une partie sur les « constats communs » aux différents travaux et une autre sur les propositions qui y sont développées. Cette synthèse est suivie d’une recension par pays (Angleterre, Allemagne, États-Unis, Espagne, Finlande, Irlande, Suède, Norvège, Roumanie) sous forme de fiche synthétique (indiquant successivement le type de recherche, les objectifs, la méthode et enfin les conclusions et résultats) dans laquelle le chercheur trouvera une matière de travail accompagnée d’une bibliographie citée abondante et complète.

4 Les constats communs à ces études portent sur trois points principaux : l’insertion sociale et professionnelle, l’hétérogénéité des parcours, l’organisation et le fonctionnement des services d’accompagnement. Les deux premiers sont assez connus, même si les études s’accordent toutes à dire qu’il ne faut en tirer une lecture déterministe des parcours de vie. Les difficultés d’insertion liées à un parcours dans la protection de l’enfance ont des origines diverses qui ne tiennent d’ailleurs pas toutes aux pratiques mais aussi au contexte juridique et culturel. Par exemple en Espagne où les mesures de protection sont principalement familiales, l’insertion est facilitée par un réseau familial fort ; en Angleterre ou en Irlande, à propos des jeunes filles, où la difficulté porte en grande partie sur des maternités précoces car celles-ci appellent une intervention plus spécifique. Sur le deuxième point, les études insistent sur un constat grandement partagé : la nécessité d’une continuité dans les interventions qui est encore moins évidente pour les majeurs que pour les mineurs, même si l’on sait que pour ces derniers, notamment en France, cette question reste centrale dans la refonte de la protection de l’enfance actuellement en discussion (proposition de loi « Dini-Meunier »). Le troisième point est plus original encore, car il aborde un domaine qui est aussi un gisement de recherches comparées et pluridisciplinaires, celui de l’organisation et du fonctionnement des services aux pratiques très hétérogènes car très dépendantes des structures publiques ou privées ayant en charge ces publics. Plusieurs niveaux de collectivités et de structures interviennent en effet en faveur de ces jeunes, aboutissant à un partage des responsabilités parfois d’une grande complexité.

5 Si ce rapport est précieux, c’est aussi parce qu’il met en exergue des préconisations portant sur trois points : la diversification de l’offre proposée par les services, le renforcement de la continuité et la cohérence des parcours et le développement d’une approche holistique et partenariale. La diversification de l’offre de service est un point essentiel mais qui semble devoir être combiné avec la nécessité d’une continuité dans le suivi des parcours, comme le soulignent toutes les recherches citées. Une fois encore, la réflexion sur les organisations est centrale. Comme c’est le cas des autres publics de l’action sociale, cette approche institutionnelle doit renforcer le principe d’une approche globale visant les besoins en matière d’éducation, de logement, d’emploi, de santé, et de sociabilité engageant des formes de partenariats innovants comme le proposent certaines études et certains pays étudiés.

6 Ainsi que le souligne avec raison l’auteur, si dans certains pays, le problème des jeunes care leavers est devenu un enjeu, voire une priorité nationale, dans d’autres c’est beaucoup moins le cas. Cette disparité dans le traitement d’une question plus vaste qui est celle de la jeunesse révèle très certainement une problématique autant d’ordre culturel que social ou économique. L’éducation et l’insertion devraient être au cœur de l’action publique et privée.

7 Cette revue de littérature complète, claire et d’une lecture aisée, insiste en conclusion sur la nécessité de développer les recherches en la matière « afin d’identifier avec davantage de précision les facteurs favorisant une insertion sociale et professionnelle réussie des jeunes qui sortent du dispositif de protection de l’enfance ». Il constitue une invitation bienvenue à explorer plus avant ce champ de recherche mais tous les champs connexes autour de ce qu’on pourrait qualifier de care leavers studies ou, dans la langue de Molière, les études des jeunes en sortie de dispositifs de protection (mais la traduction n’est-elle déjà une trahison ?).

8 À la suite de cette stimulante étude de littérature, le même organisme, l’ONED, toujours avec le soutien du ministère de la Famille, a publié un rapport d’étude, dont le titre marque l’abandon de cette terminologie au profit de celle, bien française des « jeunes majeurs » puisque restreinte au cadre juridique de la protection dessinée par le code de l’action sociale et des familles en direction des jeunes « confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre » (CASF, art. L. 221-1, 1°). Cette étude se fonde tout d’abord sur des données collectées sur la base d’un questionnaire envoyé aux directions Enfance-Famille des conseils départementaux. Elle est complétée par des analyses de documents relatifs aux schémas départementaux de la protection de l’enfance et aux « contrats jeunes majeurs ». Enfin, elle s’appuie sur une série d’entretiens avec des jeunes majeurs, des professionnels et des « personnes qualifiées ». Après une contextualisation socio-économique et une définition du public visé et des mesures et dispositifs concernés, l’étude pose deux questions qui structurent les développements : quelle(s) ambition(s) pour ces jeunes majeurs ? Quelle(s) perspective(s) d’évolution des politiques et des pratiques ? De ces analyses, où l’on retrouve beaucoup des thèmes déjà abordés dans la recherche sur la littérature française et internationale précitée, ce rapport tire des préconisations relevant successivement du domaine du droit, des pratiques, des institutions et de la recherche. On y retrouve en effet la nécessité d’une approche globale, d’une continuité et d’une meilleure coordination des interventions. À ce titre, on relèvera notamment parmi les propositions juridiques, l’idée très intéressante de garantir à tout jeune majeur âgé de 18 à 21 ans qui en fait la demande, le droit à une évaluation de sa situation par les services départementaux de l’aide sociale à l’enfance. Ces compétences élargies de l’aide sociale à l’enfance comme chef de file de la protection des jeunes majeurs ne vont certes pas dans le sens des restrictions budgétaires actuelles dans le domaine, mais cette proposition a en tout cas le mérite immense de rappeler à la nation tout entière la nécessité vitale de prendre en charge une jeunesse en difficulté et invite à ne pas déplacer sans cesse les problèmes dont le traitement social, économique et juridique sera infiniment plus complexe s’il est différé par une prise en charge à l’âge adulte.

Mis en ligne sur Cairn.info le 23/12/2016
https://doi.org/10.3917/rf.013.0109
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