CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 S’intéresser dans un après-coup aux parcours des enfants suivis par les services de protection de l’enfance constitue l’apport particulier de la recherche doctorale menée par la sociologue Émilie Potin et publiée chez Érès dans la collection « Pratiques du champ social ». Si ce travail lui permet de repérer et de caractériser différents types de parcours, son objectif est de donner un aperçu de la réalité et du vécu des placements d’enfants mis en œuvre par les dispositifs de protection de l’enfance et permettre ainsi aux acteurs politiques et aux cadres administratifs de mieux comprendre pour mieux agir.

2 Son propos s’appuie sur un recueil de données approfondi. Son corpus riche et diversifié comprend l’analyse de 350 dossiers d’enfants pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) d’un département français et l’étude de 18 trajectoires d’enfants placés. L’originalité de son travail est de donner la parole aux différents protagonistes concernés par un placement : pour chaque situation elle a rencontré l’enfant ou l’adolescent ayant fait l’objet de la mesure de protection de l’enfance, son ou ses parents et au moins un professionnel de l’ASE. Cette méthode permet d’avoir accès à la diversité des points de vue et met en évidence la complexité des situations. Il faudra toutefois rester prudent dans la lecture des situations présentées car la dimension d’après-coup du recueil des données introduit un regard éloigné qui ouvre des perspectives de compréhension des situations sociales et psychiques pas forcément évidentes au moment où les décisions se prennent. Soulignons néanmoins que cette étude a le mérite d’amener le lecteur à s’interroger sur la notion d’urgence et de danger en particulier dans des situations de fragilité, qu’elle soit sociale ou psychique.

3 Comme dans toute recherche doctorale sérieuse, l’auteure contextualise l’objet de sa recherche par une présentation de la protection de l’enfance et de ses logiques de prise en charge. Cette première partie permet au lecteur de comprendre comment la notion « d’enfant en danger » et « à protéger » s’inscrit dans l’évolution de notre société, de notre vision de l’enfance et des attentes à l’égard des familles. Le propos s’appuie sur une analyse documentée des textes législatifs et juridiques soutenant la mise en œuvre des dispositifs successifs de protection de l’enfance depuis le XVIIe siècle. Le lecteur retrouvera dans la bibliographie les références qui ont permis d’étayer ce travail de synthèse.

4 Cette approche historique et sociologique permet ainsi à Émilie Potin de mettre en évidence les enjeux de contrôle social à l’œuvre à travers les définitions de l’enfance en danger. Elle montre comment on peut passer relativement aisément d’un enfant en danger à un enfant à risque pour la société... Elle nous rappelle qu’à travers les représentations de l’enfant et de l’enfance s’instaure un contrôle des familles et de la société dans son ensemble. Ainsi, penser la protection de l’enfance nécessite de concevoir les liens de l’enfant avec sa famille qualifiée, selon les orientations politiques et idéologiques, de : « naturelle », « d’origine », ou « de légale ». En effet, les enfants pour lesquels une mesure de placement est ordonnée, ces enfants « placés » sont d’abord des enfants que l’on a séparés de leurs parents. Ainsi rappelle-t-elle que Pierre Verdier a distingué trois mouvements dans l’histoire de la mise en œuvre de la protection de l’enfance en France : une volonté de se substituer aux parents défaillants en offrant un milieu plus favorable ; une logique de protection de l’enfant contre ses parents nocifs et dangereux ; et enfin, prédomine aujourd’hui une logique de soin du lien défectueux entre l’enfant et ses parents, le retrait de l’enfant de sa famille étant envisagé comme un déplacement transitoire, même si dans la réalité les situations prises en charge par les services de l’ASE sont éloignées de cet idéal de remédiation du lien familial. Cependant souvent le placement de l’enfant se prolonge, faute d’avoir été envisagé dans le long terme. Il peut se traduire en placements successifs et les enfants sont alors déplacés et replacés comme le souligne Émilie Potin, ce qui compromet le travail entrepris.

5 Le parcours des enfants pris en charge par la protection de l’enfance constitue la deuxième partie de l’ouvrage. À partir de l’analyse d’un corpus de dossiers de l’ASE et d’entretiens de type compréhensif, l’auteure propose une typologie des trajectoires de placement. Parler de parcours ne peut se faire que dans un après-coup. Toutefois, les éléments repérés par l’auteure peuvent éclairer les professionnels de l’ASE sur les facteurs de troubles ou d’amélioration. Sa lecture vise à comprendre comment s’articule la vie de l’enfant avec ses proches à partir du placement. L’analyse des 18 trajectoires lui a permis d’aller au-delà de l’étude statistique des dossiers en ayant accès aux pratiques et à la manière dont elles ont été vécues, notamment par les enfants.

6 Émilie Potin repère ainsi des placements vécus comme positifs par les enfants. Il s’agit d’enfants dont le parcours se caractérise par la stabilité et la continuité de l’accueil. Les enfants ont été séparés précocement de leurs parents et la mesure a d’emblée été envisagée par les services sociaux dans le long terme au sein d’une famille d’accueil. La continuité de la prise en charge a permis à ces enfants d’être intégrés au fonctionnement de la famille et par là de les rassurer. Ils connaissent leurs parents mais ils privilégient les liens construits avec la famille d’accueil ce qui conduit l’auteure à les désigner comme représentatifs du « parcours des enfants placés ».

7 Tout autre est celui des enfants dits déplacés. Leur parcours se caractérise par l’instabilité et l’insécurité. Les enfants ont connu plusieurs lieux d’accueil sans retour au domicile familial. Leur difficulté à trouver une place sécurisante est renforcée par les conditions de mise en œuvre des différents déplacements. Parfois, ceux-ci sont liés à une forme de refus d’investissement du premier lieu d’accueil par l’enfant et sa famille qui n’ont pas compris et accepté la décision de placement. D’autres situations résultent malheureusement du fonctionnement – ou dysfonctionnement – dans le suivi des situations des services de l’ASE. L’absence de continuité dans le parcours de ces enfants les conduit à investir a minima les liens avec les lieux d’accueil successifs (familles ou foyers) ce qui contribue à les fragiliser dans leur intégration sociale, scolaire et professionnelle.

8 S’ils ont également connu des placements successifs, les enfants replacés sont perçus comme ayant construit des liens stables car ils ont toujours été inscrits dans la continuité de leur famille. Leur parcours de placement est marqué par des allers et retours au domicile familial. Ces situations nécessitent que les familles soient parties prenantes des décisions prises. Ils illustrent des placements qui ne sont pas vécus comme une disqualification sociale mais comme un soutien aux enfants et à leurs familles. Si ces parcours ne sont pas très stables, la convergence des points de vue et des représentations contribue à la mise en place d’une parentalité partagée permettant aux parents de se sentir reconnus à leur place.

9 Comme nous l’avons déjà souligné, cette modélisation permet de repérer des conditions facilitant ou défavorisant la réussite d’une mesure de protection de l’enfance. Toutefois, Émilie Potin nous invite à interroger les présupposés idéologiques et théoriques masqués par des contingences économiques qui orientent la politique sociale de protection de l’enfance et sa mise en œuvre selon notre conception de ce qui serait un bon environnement familial.

Anne Thevenot
psychologue clinicienne, est professeur de psychologie clinique à l’Université de Strasbourg dans le laboratoire de Psychologie et psychopathologie cliniques (EA 3071 : Subjectivité, lien social et modernité). La spécificité de ses recherches centrées sur l’étude de la construction subjective en lien avec les mutations sociales est de mettre l’accent sur l’articulation entre des problématiques psychiques singulières et les enjeux repérables dans les discours collectifs. Ses recherches prennent appui dans le champ social sur l’évolution de la législation familiale depuis 1970 et dans le champ clinique en étudiant différentes modalités d’exercice de la parentalité (familles d’accueil, recompositions familiales, homoparentalité). Elle a notamment publié « Instabilité psychomotrice des enfants : trouble ou symptôme ? », Psychologie clinique, 2010 ; « Étude de cas d’un adolescent pris dans les jeux vidéo, mort de la socialisation traditionnelle ? » Études sur la mort, 2011 ; « Professionnalisation des assistantes familiales et intérêt de l’enfant accueilli », Pratiques psychologiques, 2012 ; « Homoparentalité, que nous apprennent des recherches récentes ? », La pensée, 2013 ; « Fragilisation de l’interdit de l’inceste au sein de configurations familiales sans liens biologiques », Le divan familial, 2014 ; « De quelques malentendus dans la professionnalisation de l’accueil familial », L’évolution psychiatrique, 2014.
Mis en ligne sur Cairn.info le 08/06/2015
https://doi.org/10.3917/rf.012.0317
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