1 À lui seul le titre, Parents après 40 ans, donné à l’ouvrage des sociologues Marc Bessin et Hervé Levilain suscite déjà la réflexion. Ainsi, malgré l’augmentation de la durée de vie et le report d’entrée dans l’activité professionnelle lié à l’allongement des études, l’accès à la parentalité au-delà de la quarantaine resterait hors normes. À travers l’étude de cette forme de parentalité, les auteurs nous amènent à interroger un certain nombre de normes, qui restent encore très fortes, malgré d’importants changements dans les manières de fonder une famille.
2 Une de ces normes est celle de l’âge de la mère, une parentalité tardive est en fait une maternité tardive. Si, du point de vue médical, une grossesse tardive augmente les risques médicaux pour la mère et pour l’enfant, les auteurs soulignent que la borne de 40 ans comme limite souhaitable pour ne plus enfanter est une représentation que l’on retrouve dans de nombreuses enquêtes. Cependant, du point de vue des normes sociales, la conception tardive semble moins poser question quand il s’agit d’un père. Toutefois, les auteurs rappellent qu’en raison de la persistance d’une « logique » d’écart d’âge entre les hommes et les femmes au sein du couple, les mères dites tardives sont en couple avec des pères encore plus tardifs : ceux-ci sont en moyenne dix ans plus âgés que leur compagne. Au-delà de la prise en compte des risques médicaux, on peut se demander si l’intériorisation d’une limite d’âge pour la mère n’est pas renforcée par les stéréotypes présents dans la société à son égard. Si les auteurs ne développent pas précisément ce point, la lecture de leur ouvrage nous apporte des éléments de réflexion.
3 L’étude de Bessin et Levilain repose à la fois sur une enquête démographique de l’Insee portant sur l’histoire familiale (EHF-99), et sur une recherche qualitative menée auprès d’une cinquantaine d’hommes et de femmes devenus parents tardivement. Soulignons que, pour une fois, les hommes se sont largement saisis de l’espace de parole qui leur était proposé, ce qui donne à cet ouvrage un intérêt supplémentaire. L’analyse effectuée par Bessin et Levilain bouscule quelques préjugés et nous dépeint des hommes et des femmes aux prises avec leur époque. De nombreux témoignages illustrent leurs propos et rendent l’ouvrage accessible à un public pas nécessairement rompu aux théories sociologiques.
4 Les parentalités tardives ne proviennent que marginalement d’un choix délibéré de repousser les limites des calendriers de fécondité. Un examen historique montre que les parentalités tardives ne sont ni nouvelles, ni en forte progression et présentent une diversité de profils. Si leur nombre a légèrement augmenté depuis les années 80, elles ne sont proportionnellement pas plus nombreuses qu’au début du XXe siècle. Comme à cette époque, les parentalités tardives sont composées de familles nombreuses ou de couples restés jusqu’alors sans enfant auxquels s’ajoutent aujourd’hui des familles recomposées. Si elles ne sont pas nouvelles, les parentalités tardives ne sont pas vécues par les mères et les pères comme au début du XXe siècle. Les avancées en matière de contrôle de la procréation ont participé à modifier la donne : alors qu’elles étaient le plus souvent subies, avec un sentiment de honte pour les femmes de ne pas avoir su refreiner leurs ardeurs, les maternités tardives reposent aujourd’hui sur un choix qui s’inscrit dans un projet.
5 Différentes logiques sont à l’œuvre : une inscription dans la continuité pour les familles nombreuses, une volonté d’ajournement pour les primo-parents ou encore un désir de refondation de la nouvelle famille dans les recompositions familiales. Si elle existe, la primo-parentalité tardive n’est pas du point de vue statistique de grande ampleur, tant certaines normes du faire famille restent prégnantes, comme celle d’un cadre conjugal et professionnel stables pour avoir des enfants. Seule une maternité sur dix correspond à l’image d’une femme, carriériste ou refusant de vieillir, qui profiterait des avancées techniques dans le champ de la procréation pour devenir mère au-delà de la norme d’âge. De fait, la parentalité tardive concerne majoritairement des personnes déjà parents, que ceux-ci aient déjà eu des enfants ensemble (familles nombreuses) ou lors d’une union précédente (recompositions familiales). On pourrait même dire que ce sont ces dernières qui caractérisent les parentalités tardives contemporaines.
6 Par souci de rigueur, les auteurs ne manquent pas de nous rappeler l’influence des facteurs socio-économiques dans la typologie de ces familles. Ils constatent ainsi une bipolarisation des maternités tardives avec, d’un côté plus de familles nombreuses issues de catégories populaires où la mère est généralement inactive et, de l’autre, une population diplômée où père et mère, tous deux actifs, auront contrôlé leur fécondité afin de concilier calendriers professionnels et familiaux. Une des données de cette étude est de montrer qu’hommes et femmes ne sont pas sur le même plan, du fait d’une période de fécondité plus brève pour les femmes. Ainsi, la fameuse horloge biologique rappelle aux femmes que conjuguer engagement professionnel et vie familiale ne peut pas se poser dans les mêmes termes pour les deux sexes.
7 La question du vécu différencié de la temporalité nous amène à reprendre la question des rapports au sein du couple, un autre point important de cet ouvrage. En effet, la survenue d’une grossesse tardive va mettre ces couples, de manière plus aiguë que les autres couples contemporains, face au choix de poursuivre ou d’interrompre la grossesse. Cette alternative, devant laquelle se trouve chacun des membres du couple, va nécessiter un temps de négociation à la recherche d’un compromis entre les désirs personnels et le nous conjugal. Si chacun va prendre appui sur son histoire singulière, des facteurs sociaux (notamment le niveau de formation et l’emploi) vont interférer et contribueraient à différencier la manière dont hommes et femmes peuvent appréhender cette parentalité tardive. Quelle que soit son issue, poursuivre ou non la grossesse dans ou hors du couple, le passage par une négociation fait partie aujourd’hui des modalités du faire famille. Un des effets de l’égalisation des droits des hommes et des femmes dans la famille et la société est d’ouvrir à la parole et à l’expression du désir. Entrer dans l’échange implique ce que les auteurs nomment un travail biographique, à savoir un travail d’interprétation et d’élaboration des évènements de vie afin de leur donner un sens, de les inscrire dans une continuité de vie. Ce travail biographique semble incontournable aujourd’hui où il est attendu de chacun qu’il fasse les « bons » choix, qu’il ait le contrôle de son parcours comme l’indiquent les diverses déclinaisons du terme projet, professionnel, parental...
8 Pour finir, comment ces parents, père ou mère, vivent-ils leur âge ? Tout d’abord, être parent tardif ne les libère pas de la pression de la norme d’âge, cependant, l’analyse des entretiens montre que cette norme est élaborée. Ainsi, l’âge est repris par certains comme une donnée positive en faisant valoir leur expérience personnelle et une plus grande disponibilité psychique et matérielle à offrir à leurs enfants. Mais il peut leur apparaître aussi comme un marqueur négatif quand ils évoquent l’énergie nécessaire pour assumer au quotidien de jeunes enfants ou des adolescents. En somme, ils découvrent qu’en matière de paternité ou de maternité, l’âge ne fait rien à l’affaire ; ni totalement bons, ni totalement mauvais, ils sont des parents comme les autres, avec leurs désirs et leurs manques.
9 Voici quelques points qui ont retenu notre intérêt, le lecteur l’aura compris ; les parents dits tardifs sont des hommes et des femmes du XXIe siècle aux prises avec les transformations sociales et familiales contemporaines. Les parentalités tardives condensent un certain nombre d’enjeux contemporains à l’œuvre dans la parentalité et interrogent les modalités du parcours d’âge dans nos sociétés contemporaines.