CAIRN.INFO : Matières à réflexion
« De toute façon, que ça soit un enterrement de jeune fille ou de garçon, pour moi, ça va avec le mariage. »
(Sabine)

1 Au début du XXIe siècle, la nuptialité régresse, l’âge au mariage recule et le célibat définitif estimé progresse [1]. Ce contexte affecte la signification historique du glissement du célibat au mariage. Les enterrements de vie de garçon et de jeune fille offrent un marqueur pertinent pour cerner certains liens entre ces deux états [2]. Le phénomène se caractérise par sa dimension rituelle et sa plasticité. Structurellement, les pratiques renvoient à une définition minimale commune : l’enterrement est un processus (composé d’un ou de plusieurs moments festifs), qui se déploie dans le temps (court, mais toujours référé au mariage par les acteurs) et l’espace (déplacement du cortège, circulation du groupe), impliquant des épreuves physiques et psychologiques auxquelles le promis ou la promise se soumet. Cette caractérisation n’est pas sans rappeler celle des rituels initiatiques décrits en anthropologie et qui accompagnent les passages tout au long du cycle de vie. Toutefois, elle n’épuise pas le sens des enterrements, la mise en valeur de leur spécificité. Pour préciser la nature de l’objet, il convient donc de questionner la diversité de sa traduction empirique, d’observer combien les activités changent (cf. encadré 2), tout comme les lieux où elles se déroulent, les objets qu’elles mobilisent, les acteurs qu’elles rassemblent – des ami(e) s et des membres de la parenté, le nombre de participants variant de quelques unités à une vingtaine d’individus (cf. encadré 1). Les représentations avancées pour justifier l’enterrement sont elles aussi à examiner, elles s’appuient principalement sur un argument explicite : il s’agit de faire la fête avant le mariage.

2 Cette explication ne va pas de soi. Comment ne pas remarquer sa correspondance avec une autre rationalisation qui veut que depuis trois décennies au moins, les mariés déclarent convoler pour faire la fête et « réussir » leurs noces [3] ? À l’instar du mariage, les enterrements ne font-ils que refléter la valorisation historique d’une sociabilité juvénile ? S’il ne s’agit pas de sous-estimer cette représentation récurrente et donc significative, il importe aussi de la relativiser. Que marque-t-on en enterrant le célibat ? Quelles sont les modalités de l’investissement dans le rituel, de son appropriation relative par des acteurs dont rien ne permet de préjuger l’unité des points de vue concernant le mariage ? Les travaux disponibles sur les enterrements sont encore rares [4]. Ils décrivent peu les formes et les manières concrètes dont le mort (le célibat enterré) saisit le vif (la vie de famille instituée) et questionnent plutôt la place des amis dans le rituel, la sociabilité amicale sexuée ou encore les spécificités régionales. Cet article explore autrement la pratique, en la réinsérant dans les configurations sociales qui lui donnent sens dans la phase prématrimoniale [5]. On suppose qu’un continuum rituel mène à l’institutionnalisation, un processus comprenant des séquences temporelles et relationnelles plus ou moins exclusives et facultatives – comme la Sainte-Catherine [6], les fiançailles et l’enterrement de vie de célibataire. En creusant le sillon des logiques relationnelles qui les structurent, il s’agira plus particulièrement de repérer les traces de la dimension socialisatrice des enterrements de célibat qui, au-delà de leurs apparences bariolées et excessives, expriment également le devenir conjugal et familial et instruisent à leur échelle la mise en ordre du monde.

Publicité du rituel et contrôle social de l’alliance

3 Les enterrements s’inscrivent dans une économie de l’événementiel, dans une société du spectacle et de la mise en spectacle. En attestent des sites Internet et des guides comme le Routard, pourvoyeurs de nombreux conseils et adresses pour « réussir » son enterrement. Cette médiatisation sert les intérêts d’un commerce inédit et soutient une définition normative des pratiques. Elle crée un écran pour le chercheur recueillant la parole de consommateurs de soirées clés en mains. Sans nier l’efficacité de cette marchandisation à défaut de pouvoir la chiffrer, il est possible d’analyser les enterrements de vie de célibataire en se situant du côté des pratiques des acteurs sociaux, qui choisissent ou non de suivre les recettes proposées par la presse et le web. Comme nombre de rituels, les enterrements ne sont pas des événements strictement privatisés, ils s’affichent volontiers sous la forme de cortèges plus ou moins voyants et bruyants. Les déguisements et l’ambiance brouillonne et joyeuse renvoient à une atmosphère enfantine [7] et carnavalesque. En ville et à la campagne, les espaces publics sont investis par des groupes de garçons et de filles. Les rues deviennent lieux de déambulations et les places offrent un territoire de ralliement. À Paris, les bandes se rendent le plus souvent dans les quartiers emblématiques des nuits festives et chaudes, prisés parce qu’ils incarnent une forme de permissivité. Bien des bars, restaurants avec karaoké, discothèques proposent des programmes spéciaux pour l’occasion. Les personnes rencontrées ont toutes insisté sur ces temps de déplacement dans les espaces urbains, sur ces formes de prise de possession ostentatoire du territoire. La publicité des enterrements s’impose à l’observateur le plus inattentif. Gilles n’avait jamais participé à un enterrement de vie de garçon, mais sa représentation était affectée par la perception qu’il en avait : « Si tu veux, certains soirs dans les bars, tu vois des bandes de mecs ou des bandes de filles qui débarquent et euh, tu comprends très vite que c’est un enterrement de vie de jeune fille ou de vie de garçon. » Dans ces conditions, le public non averti identifie et nomme aisément l’étrange pièce qui se joue sous ses yeux. Les indices en sont suffisamment explicites, suffisamment démonstratifs pour être repérables, un peu comme dans les rituels de communication politique étudiés par Marc Abélès [8] : les vêtements et les déguisements sont colorés, voire outrés, les visages sont généreusement maquillés, les accessoires ne passent pas inaperçus. Autrement dit, la scénographie définit l’événement et le construit sur un mode spectaculaire.

4 Ce qui est aussi visuellement manifeste, c’est la cohésion des participants. Les membres peuvent porter une tenue identique – par exemple un tee-shirt à l’effigie de la future épouse ou du futur époux – chacun(e) se conformant au jeu du costume qui uniformise. C’est en tant que collectif que le groupe produit du sens, un sens éphémère ou plus ancré dans la durée. L’unité s’affiche autour de la figure centrale de celle ou de celui qui enterre sa vie de célibataire et que la troupe accompagne. Sur ce point également, c’est l’apparence physique et la tenue qui permettent de distinguer parmi les participants l’individu célébré et d’énoncer publiquement son statut matrimonial en devenir. Aude rapporte qu’elle portait un tee-shirt affichant de face « un horrible bonhomme » légendé « l’homme de ta vie ». Dans le dos, une photographie de son conjoint s’expose, accompagnée d’un commentaire en écho contradictoire du premier : « Non, c’est lui. » Parfois, l’accent est mis sur le statut de reine d’un jour : la jeune femme est parée d’emblèmes princiers. Nadia raconte que si elle a revêtu une robe et des escarpins pour parfaire sa tenue, ses amies lui ont fait mettre un diadème et des gants : « En effet, elles ont tout fait pour que ça se voit que c’est moi la mariée. » Ce procédé n’est pas propre aux enterrements de vie de jeune fille. Le jour de la Sainte-Catherine, le 25 novembre, la catherinette se voit remettre un chapeau vert et jaune. Cette coiffe rituelle est là pour signaler sa disponibilité et favoriser la rencontre du futur époux. Ces deux rituels ont en commun de préparer au mariage. Certes, toutes les tenues arborées par les enquêté(e) s ne font pas aussi clairement référence à la cérémonie du mariage, toutes renvoient cependant à la conjugalité et, en particulier, à la sexualité. Et si ces formes expressives peuvent sembler jouer la carte de la provocation, elles garantissent la publicisation du phénomène, elle-même renforcée par le cheminement du groupe dans l’espace et plus encore par les jeux – quêtes ou gages – qui contraignent la (le) futur(e) marié(e) à s’adresser au public pour le solliciter, à se mettre en scène dans des situations délicates qui font dire à certain(e) s que ces festivités se rapprochent d’un bizutage [9]. L’événement prend les allures d’une sanction sociale, il exprime l’authentification publique de la transformation statutaire du célibataire. Les pairs et les passants deviennent les acteurs/témoins de ce passage. La publicisation du rituel est l’un des marqueurs de sa dimension sociale. Elle participe de la définition du processus de conjugalisation et familialisation en réaffirmant l’intérêt collectif à la res conjugiales, au contrôle social de l’alliance. Aujourd’hui encore, il semble possible d’adhérer à la formulation de Claude Lévi-Strauss : « le mariage n’est pas, ne peut pas être une affaire individuelle »[10]. De ce point de vue, l’enterrement de vie de célibataire apparaît bien comme un rituel qui intègre les individus dans l’ordre social institué par le cadre matrimonial.

La réaffirmation d’un ordre familial et générationnel

5 À partir de l’analyse de douze mariages « en blanc », Florence Maillochon [11] repère une « intrication forte des réseaux familiaux et amicaux » dans les fêtes de mariage et pointe la place inédite des amis dans le scénario festif – les amis du couple, mais aussi ceux de leurs parents – signe de la transformation du rituel. On peut penser que les enterrements de vie de célibataire sont partie prenante de cette redéfinition des places relatives des publics assistant au mariage. On s’aperçoit alors rapidement que le préjugé réduisant l’enterrement à un moment strictement amical est mis à mal. La présence de membres de la famille et/ou la publicité ultérieure de ce qui a été fait au cours de l’enterrement expriment régulièrement le lien existant entre ce rituel et le mariage, même lorsque cette liaison est niée par des protagonistes répétant qu’ils voulaient simplement faire la fête. Plusieurs arguments soutiennent la proposition. On repère tout d’abord une continuité matérielle et objective entre les deux rituels, le second rappelant en écho celui qui l’a précédé, devant de nouveaux publics, les familles notamment. Le jour du mariage sont ainsi exposées ou offertes les photographies et/ou les vidéos de l’enterrement de célibat. Xavière soutient que « cela permettait de faire un montage pour que tous ceux qui n’étaient pas là passent un bon moment aussi au mariage ». Les amis de Guillaume ont projeté lors de son mariage le film de l’enterrement, du moins sa « version soft » et « censurée » obtenue après montage. Mais il y a bien diffusion. Tout se passe comme si les publics pluriels du premier moment étaient insuffisants et que la caution du public du mariage permettait de clore l’enterrement, de le dilater du moins. Dans le cas de Corinne, les photographies ont été affichées sur un panneau dans la salle du mariage, elles sont demeurées visibles toute la soirée. Ce jour-là, les amies de Corinne lui ont par ailleurs remis un « diplôme », où était inscrit le nombre de kilogrammes de garçons qu’elle avait embrassés lors de son enterrement de vie de jeune fille. La mobilisation du terme diplôme exprime les épreuves surmontées, les efforts couronnés de succès. En même temps, elle vient souligner l’étiquetage, l’acte social qui sanctionne le comportement de la future mariée tout en lui octroyant un grade. Un autre signe matériel est observable avec Sabrina. Le costume qu’elle portait pour l’enterrement est exhibé sur le mur, au milieu du décor festif du mariage, celui de son mari était paraît-il trop sale pour être exposé.

6 La continuité entre enterrement et mariage ne se lit pas seulement dans les traces objectives qui « passent » d’un rituel dans l’autre. Elle peut également être isolée dans les caractéristiques des acteurs qui participent à ces deux séquences, amis (toujours mobilisés) et parents (spontanément moins visibles). Plusieurs résultats peuvent être mis en évidence. Premièrement, les enterrements impliquent des membres de la parenté plus souvent qu’il n’y paraît. Sur 29 entretiens pour lesquels est connue de manière assez précise l’assistance au rituel, 16 font référence à au moins un membre de la parenté, soit plus de la moitié [12]. Si la taille de l’échantillon n’autorise aucune généralisation, le résultat est néanmoins tranché. Frères, sœurs, cousin(e) s sont fréquemment présents. Ils sont certes soigneusement choisis : tous les frères et toutes les sœurs ou tout(e) s les cousin(e) s ne sont pas convié(e) s, la dimension élective du choix de celui ou de celle avec qui on fera la fête est sensible. Mais elle n’efface pas le fait essentiel, la famille n’est pas censurée par principe [13]. C’est net dans le cas – rare et exemplaire il est vrai – d’Estelle, qui enterre son célibat avec conjoint et familles « pour permettre aux deux familles de se rencontrer et se connaître déjà avant le mariage, après, quand les personnes se retrouvent au mariage, c’est plus convivial ». Le rituel devient ici galop d’essai.

7 Il est cependant un tabou à ne pas transgresser et, deuxièmement, l’association des familles ne saurait enfreindre la norme de la séparation des générations reléguée dans une sorte d’impensé, tout comme la séparation des sexes. Sur les 29 références à une position généalogique repérées dans les entretiens, 25 renvoient à un pair d’âge (9 sœurs, 9 cousines et 7 belles-sœurs) et seulement 4 à une autre génération (2 belles-mères, 1 tante et 1 mère). Si Estelle et son futur mari sont réunis et entourés d’une vingtaine de personnes – ami(e) s, frères et sœurs et cousin(e) s – il lui apparaît évident de rétorquer en réponse à une relance : « Pas les parents ! Non non, les parents c’est exclu ! » Quand ce thème est évoqué, la mère, la belle-mère, voire la tante, sont implicitement exclues. Elles ne sont pas de la même génération et représentent sans doute le principe de réalité domestique, le long travail éducatif et non l’invitation au plaisir. Leur présence provoque de la gêne, surtout lors de certaines situations comme les strip-teases. Aude ne pouvait imaginer sa mère lui dire toutes les trente secondes « encore une coupe de champagne, encore un verre. [...] Ma belle-mère, même si je la trouve super, c’est pareil. Il y a des gens plus de l’ancienne école ou de la famille ». Quand une belle-mère est tolérée, elle a la caractéristique... d’être jeune. Si Aude ne souhaitait la présence ni de sa mère, ni de la mère de son futur mari, elle a accepté celle de la deuxième compagne de son père, son aînée de six ans qu’elle n’a de ce fait jamais vraiment considérée comme une belle-mère, « ça a été vraiment une copine, une confidente. Donc c’est vrai que ça a été une bonne surprise qu’elle soit là, au grand regret de ma mère, c’est pas grave, ma mère voulait être là ». Cet exemple révèle un trait général des enterrements. La mère n’est pas et ne peut pas être une passeuse dans le cas des enterrements, elle n’est nécessairement pas de la même génération que sa fille. Seuls des jeunes peuvent enterrer « une certaine jeunesse », comme le dit Guillaume, selon qui « on clôt une étape de notre vie, on clôt un peu l’étape adolescent-jeune adulte et on va vers quelque chose de plus sérieux, voilà ». Troisièmement, soutenir que la présence de la famille est affaire de génération ne suffit pas. En effet, la référence à une participation familiale est féminine. Sur 29 personnes enquêtées évoquant les membres participants à l’enterrement, 13 femmes sur 16 ont cité un membre de la famille contre 1 garçon sur 12 qui mentionne deux cousins – aucun père n’apparaît dans notre échantillon, même par défaut pour exclure la possibilité de sa présence [14]. L’ouverture aux proches parents apparaît genrée, sans qu’elle soit pour le moins revendiquée. Enfin, quatrièmement, si l’enterrement signe moins la fin de l’amitié que de la jeunesse, il traduit peut-être aussi autrement la parenté. Les organisateurs du rituel sont généralement les meilleur(e) s ami(e) s du protagoniste, ses témoins [15], ses demoiselles ou garçons d’honneur, ceux qui sont institués tels par les futurs mariés et qui investissent en retour la préparation de la cérémonie dont ils sont publiquement les garants sociaux, qu’ils cautionnent en signant l’acte de mariage inséré dans le registre éponyme. Or, le choix électif du témoin anticipe ou, lorsque des enfants sont déjà nés, fait souvent suite à la définition d’une parenté affine, les enfants des conjoints pouvant être marrainés ou parrainés par les témoins de mariage.

8 On le voit, le rituel brouillon et polymorphe des enterrements se révèle à l’étude structuré, animé par des publics et des passeurs mis en relation pendant et après l’événement pour autoriser socialement le mariage et le guider, y compris en matière sexuelle.

La mise en scène de la composante sexuelle de la conjugalité ordinaire

9 La sexualité se publicise dans les enterrements de vie de célibataire comme dans d’autres rituels matrimoniaux, traditionnels et contemporains. Ce sont à la fois la vie sexuelle du célibataire et celle du couple marié en devenir qui sont questionnées. Les hommes se métamorphosent en figures exceptionnelles et fascinantes (roi, super-héros, etc.) ou inquiétantes – le loup n’est-il pas celui qui initie le Petit chaperon rouge du conte ? Ils peuvent adopter des apparences plus troublantes, comme celle du flic gay. Ici, la virilité exprimée renvoie à « un style homosexuel » et non au modèle hétérosexuel supposé concerner le jeune homme célébré. Les femmes se métamorphosent pour leur part en femmes sexy, séductrices et libertines – certains cadeaux, comme les sex-toys, sont sans équivoque. Sabrina énumère les siens, ces « conneries habituelles » : « menottes avec la moumoute », « zizi sauteurs », mais aussi « le jeu de dés où t’as : “j’embrasse ou je fais...’’, je sais pas quoi... des trucs et des jeux en fait un peu érotiques ». Quand ce ne sont pas les cadeaux, ce sont les gages qui se rapportent à la sexualité : Muriel passera dans un sex-shop, chantera « Annie aime les sucettes » dans un bar tabac pour obtenir une sucrerie, puis embrassera l’équivalent de deux tonnes de garçons – ses amies ont apporté un pèse-personne pour l’occasion. Comme la consommation d’alcool, les femmes semblent se rapprocher des standards masculins en matière de sexualité, elles sont invitées par leurs consœurs à afficher une sexualité désinhibée. Le déguisement rend plus visible encore la dimension sexuelle du rituel. Sabine a été grossièrement maquillée, porte une culotte sur un pantalon, un tee-shirt avec une inscription renvoyant à un « truc sexuel ». La blouse blanche d’infirmière portée par Corinne ne suffit pas à effacer les traits érotiques associés à des bas panthères, un maquillage excessif et une coiffure en pétard. En même temps, la mise en scène de l’hypersexualité rassure métaphoriquement sur l’existence d’une sexualité ordinaire et, aussi, sur la potentialité de fertilité et donc de reproduction des conjoints lorsqu’ils n’ont pas encore d’enfants. Certaines pratiques trouvent sans doute une signification dans ce contexte. Ainsi, en contradiction avec son apparence érotisée, Corinne devait aller chercher un certificat de virginité au commissariat [16]. Bien que symbolique, cette authentification de la moralité de la candidate au mariage apparaît comme l’expression ludique d’une interrogation sur l’existence d’une vie sexuelle. La dimension extrême de la fête s’affiche ainsi comme la contrepartie de la dimension routinière du quotidien. Les normes sociales s’expriment et s’imposent aux yeux de tous et montrent que la maturité sexuelle adulte s’acquiert par étapes, transformant en quelque sorte les figures du jeune homme viril et de la minette sexy en des figures masculines et féminines expérimentées mais socialement rangées. Ajoutons que les gages renvoyant plus ou moins explicitement à la sexualité ne se rapportent pas strictement à cette dimension. Si elle devait peser des garçons dans la rue après leur avoir fait la bise et vendu des oranges, Corinne avait aussi à vendre des préservatifs : or, de nos jours, ces derniers figurent une sexualité contrôlée et respectueuse de l’autre.

10 Il reste à évoquer un aspect associé à la manière dont peut être vécue cette publicisation de la sexualité. Le ridicule ne tue pas, dit l’expression, il violente toutefois le sujet concerné qui exprime parfois directement sa gêne. Julie revient sur l’« horreur » de son déguisement : remaquillée, elle a été obligée d’enfiler une robe trop petite et trop courte, qui la faisait « s’asseoir sur ses fesses ». La ritualisation de l’obscénité provoque de l’inconfort et est, le cas échéant, vécue comme une épreuve inacceptable. Aude raconte en ce sens : « Il y avait des choses que j’avais bannies d’office du genre chippendale. Il y a des femmes qui ont besoin d’enterrer leur vie de jeune fille avec un beau mâle tout nu, bah moi ça c’était pas mon truc. » Une enquêtée rappelle qu’autrefois, les hommes ne se contentaient pas d’un spectacle de strip-tease personnalisé, ils allaient chez les prostituées. Une des personnes rencontrées raconte que son futur époux a bien failli passer par le bois de Boulogne, haut lieu de prostitution parisien. La figure de la prostituée revient dans le discours des hommes comme des femmes. D’après Antoine, la strip-teaseusecontemporaine serait la version soft de la prostituée d’antan. Curiosité ou recherche d’un plaisir clandestin, il reste que l’on peut s’interroger sur le sens actuel de ces pratiques. Selon Sabrina, « avant, parce qu’ils n’avaient jamais fait l’amour[17], avant, il fallait que ce soit... en général, c’était pas une strip-teaseuse, c’était plutôt une prostituée qu’ils allaient voir... Donc, je pense que c’est une tradition qui est restée ». Mais elle ajoute qu’aujourd’hui, pas de dérives possibles, les témoins surveillent. Les groupes de participants se chargent de réfréner les excès, quand ce n’est pas l’individu lui-même qui s’autocontrôle. S’il accepte le regard bienveillant de ses pairs (amis, fratrie...), il craint plus le regard de la famille, comme Sabine durant une séquence de strip-tease : « j’étais plus gênée par rapport à ma belle-mère », commente-t-elle. Romain craignait de son côté les jugements des cousins de sa future femme...

11 Les excès caractérisent la fête et ils sont d’autant plus admis qu’ils marquent ici l’entrée dans l’ordre conjugal. Ils sont les indices de la transformation, du passage du célibat à la conjugalité instituée. On observe à travers ce langage symbolique une tension entre la conduite excessive mais autorisée du célibataire et la conduite raisonnée attendue des futurs mariés, entre une hypersexualité libre et une sexualité ordinaire supposant la fidélité sexuelle au conjoint. Les formes ritualisées du passage, parce que ambiguës, provoquent au sein du couple quelques dilemmes quant à la manière de dire ou non son comportement durant l’enterrement.

Ordre domestique sexué et anticipation de la vie familiale : un adieu à la liberté ?

12 La journée festive est dédiée au célibat, la formule qu’arbore Xavière sur son tee-shirt, « It’s Xav’ bachelor’s night » l’illustre, mais elle est principalement dédiée à la fin d’une période de sa vie. Si on l’enterre, c’est pour mieux en démarrer une autre inaugurant l’entrée de deux célibataires au sens de l’état civil dans une vie conjugale officielle, légalisée [18]. Contrairement à ce que l’on pourrait présupposer, l’existence d’une phase de cohabitation avant le mariage ne semble pas modifier le sens des enterrements de vie de célibataire sur ce point. Dans l’échantillon, 20 personnes sur 31 ont cohabité, 5 n’ont pas cohabité et se sont mariées directement – l’information fait défaut dans 6 cas. Le passage, ponctué d’étapes – célibat/vie en solo ou célibat/colocation, concubinage, mariage – induit surtout un resserrement sur la dynamique conjugale et la vie de famille, que les individus soient déjà en ménage ou non, voire parents. L’acquisition du nom d’épouse est en la matière un symbole qui n’échappe pas aux organisateurs des festivités. Ainsi, cette jeune femme appelée par haut-parleur sous son futur nom marital lorsque ses amies viennent la chercher sur son lieu de travail pour fêter son enterrement de vie de célibataire. Le mariage implique de devenir « la femme de » et c’est précisément ce qu’évoque Sophie (mariage direct) quand elle affirme qu’« une fois que tu es mariée, tu as vraiment une unité qui n’existait pas avant, d’un homme et d’une femme et, du coup, tu te vois moins sortir sans ton mari ou ta femme ». Les festivités lui permettent de profiter encore un moment de son statut, avant qu’il ne change : « que mes amies me voient une dernière fois toute seule et pas en tant que femme de Maxime, c’était voilà la fin d’une vie, c’était pour clôturer la fin de cette vie ». Ces propos confortent l’idée d’un passage à la vie conjugale, et pour ceux qui vivent déjà en couple, l’enterrement peut être vécu comme le moyen renouvelé de signifier l’engagement et la fidélité. Le rituel nuptial entérine ce que l’enterrement de vie de célibataire annonce, en particulier une vie de couple plus contrainte. Les copains de Sylvain (mariage précédé de cohabitation), comme lui, sont conscients que le mariage amènera moins de disponibilités de sa part, du fait de ses nouvelles responsabilités familiales. Il est « engagé ». Plus que la vie en couple, c’est le mariage qui est restrictif. Le quotidien s’organisera désormais autrement soutient Nadia (mariage direct) : « T’essayes de faire le maximum de choses en couple, c’est une évolution [...], par exemple maintenant, je ne vais plus en boîte, on privilégie plus des restos, des cinés, des musées. Comme je te l’ai dit, t’as une autre perception. Oui, il faut que je rentre faire mon ménage, il faut que je fasse tourner des machines, est-ce que toutes mes chemises sont propres, des choses comme ça. » Il faut d’une certaine manière rentrer dans le rang, telle est la perception quasi générale de nos enquêté(e) s. Ce sont ces conditions qui font percevoir l’enterrement de vie de célibataire comme un dernier moment de liberté avant d’« avoir la corde au cou ». Sabine (mariage précédé de cohabitation) y voit une occasion de faire ce qu’elle ne ferait pas d’ordinaire : « En gros, tout ce que j’avais le droit de faire avant le mariage. Il fallait le faire pour le grand jour une fois, comme ça c’était fini une bonne fois pour toutes [...]. Il y avait deux strip-teaseurs, c’était le fameux rite, l’obligation du rite. [...] Il faut justement le faire avant pour ne pas le faire après le mariage. » « Comme si c’était un passage d’une vie à une autre. »

13 Le rituel est là également pour assimiler les nouveaux rôles à tenir [19]. Les amies de Sophie (mariage direct) demandent au gérant du petit restaurant dans lequel elles déjeunent de l’autoriser à faire le service, affublée d’« un tablier blanc et toque ». Parfois, les jeux renvoient aux rôles sexués dans le couple. Xavière (mariage précédé de cohabitation) revient sur ce que des amis ont vécu : « Moi j’ai une amie, le soir même, le fiancé et la fiancée étaient chacun de leur côté et avec des épreuves et le tout a donné un montage vidéo qu’on a pu voir le soir du mariage et qui était excellent, c’était du style : éditer une liste de courses, donc la fille bien sûr la liste de courses, elle est impeccable, on lit tout, tout y est et le garçon y manque tout, quoi y a rien à manger ; faire sauter des crêpes... la fille impeccable, le garçon qui essaie de se dépatouiller ; changer une roue de voiture, le garçon, il a pas eu... c’était chronométré, ma copine finalement, elle s’est fait aider par un monsieur, elle a réussi [...], y avait des épreuves plus féminines, plus masculines et tout était chronométré, avec des points [...]. » Si le jeu renforce les stéréotypes sexués, l’identification semble efficace. Les jeux peuvent renvoyer certes au mariage, mais aussi à la future vie parentale. Dans une « chasse aux trésors », Nadia (mariage direct) doit trouver une jarretière, une fausse alliance, un voile de mariée, mais aussi une tétine pour bébé. Estelle (mariage précédé de cohabitation) évoque de son côté une séquence du rituel, plus provinciale semble-t-il, qui veut que l’on enterre un cercueil [20]. C’est « histoire d’anticiper », « une occasion de se retrouver et puis de se dire au premier enfant, on déterrera le cercueil et on refera la fête, ce sera encore l’occasion de se retrouver ». Une fois de plus, le sens de l’événement n’est pas nécessairement circonscrit dans son présent, il se dilate en se projetant sur le mariage et, au-delà, en désignant le temps de l’accès à la parentalité. Il arrive aussi que cette séance ait lieu un an après le mariage. Pensant aux couples infertiles, Corinne (mariage précédé de cohabitation) trouve « la tradition sympa au sens où on enterre quelque chose de notre vie passée, mais pour déterrer, la condition est moins sympa ». Cet exemple montre en tout cas que l’enterrement de vie de célibataire conduit à anticiper la réalité familiale et ses contraintes. Futur père, Thomas (mariage direct) explicite clairement l’impact de ce futur et nouvel engagement : « Je savais que fatalement, comme mariés on est moins tournés vers l’extérieur, enfin c’est normal [...], voir des gens souvent, sortir souvent. Ça, on le fait moins en tant que marié, on le fait encore moins quand la femme est enceinte et on le fait beaucoup, beaucoup moins quand on a un petit garçon ou une petite fille. »

14 Les enquêtés évoquent fréquemment ce que la vie de famille transformera, leur apportera ou leur retirera. La sociabilité entre amis se trouvera modifiée. Les festivités autour de l’enterrement de vie de célibataire deviennent alors le prétexte d’une rencontre essentielle. Pour Xavière (mariage précédé de cohabitation), il s’agissait bien « de se faire une dernière soirée filles et finalement, quand on y pense, ça a été vraiment la dernière soirée filles, j’en ai jamais refait avec autant de filles, une dizaine de filles ensemble où on consacre une soirée pour nous à s’amuser, voilà je l’ai jamais refait ». Nadia (mariage direct) a aussi changé ses habitudes : « Ou les sorties tu vois, tu vas boire un verre avec la copine, tu vas forcément consulter ton mari, ça passe pas spontanément, c’est pas tu sors du travail, t’appelles, tu fais quoi, viens on va prendre un verre. » En définitive, comme l’énonce Thomas (mariage direct), le mariage suppose de faire attention à l’heure à laquelle on rentre au domicile, à prévenir en cas de retard, à ne pas sortir n’importe quand et à organiser la cohabitation au quotidien. Il reste que pour certains, ce qui se joue le jour de l’enterrement de vie de célibataire n’est que dramaturgie, on feint la fin de la période, l’acte est davantage symbolique que réel. Selon Pierre [21], c’est la « fin d’une période de ta vie qui n’est pas négligeable, mais c’est un peu exagéré aussi. Tu vois le mot enterrement... » Les propos de Marc confortent ce point de vue : « Ça serait quelque chose comme une dernière fois, alors qu’on savait parfaitement tous qu’on peut quand même tous se retrouver et boire un verre ensemble [...]. Finalement, ça n’a pas été si différent d’autres sorties de la jeunesse [...] mais y avait comme une espèce d’arrière-pensée constante dans cette soirée. [...] C’était une fête avec des connotations. » Expression d’une rupture et de continuités, l’enterrement de vie de célibataire contribue à anticiper la concurrence des temporalités individuelles, conjugales et familiales.

15 Les conditions de passage à l’âge adulte se sont transformées mais, hier comme aujourd’hui, quoique pour des raisons différentes, le glissement du célibat au mariage demande socialement du temps. Les enterrements marquent symboliquement une étape sur le chemin de la conjugalité instituée, ils sont l’un de ces « petits pas »[22] qui familiarisent les futurs époux avec l’institution. Le rituel permet de s’entourer (être entouré) de ses guides, de ses tuteurs sur le chemin de la conjugalisation. Il ressemble à un rite de présentation sociale, d’intronisation, de reconnaissance d’un cheminement parcouru par le futur époux qui est exhibé, promené par ceux qui attestent de la trajectoire. En ce sens au moins, le rituel prépare aux yeux du public et du futur marié l’intégration matrimoniale. Sa mise en scène exacerbe l’incertitude statutaire en brouillant les états, chacun(e) rejouant au cours de la journée son présent de célibataire, la mort annoncée de ce célibat et son état matrimonial à venir (ce qui est, ce qui ne sera plus et ce qui adviendra). De plus, la cérémonie du mariage trouve ici une contrepartie. Car si l’organisation des enterrements implique une préparation relative, elle peut paraître spontanée et moins soumise à protocole que pour un mariage. Qui plus est, elle est le plus souvent prise en charge par les pairs et non par les futurs mariés. Quand la préparation du rite matrimonial officiel est vécue comme une contrainte, un événement fortement cadré, l’enterrement de vie de célibataire entre pairs et relativement privatisé peut être ressenti sur le mode du relâchement avant le mariage, comme un temps suscitant un plaisir individuel. Il n’empêche, aussi léger et symbole d’insouciance puisse-t-il paraître, ce rituel exprime une institution transformée, supposée réguler les pulsions sexuelles, organiser la division sexuée du travail et la vie familiale. Une institution en recul, mais dont il importe de mieux comprendre l’indéniable pouvoir d’attraction.

Encadré 1. Méthodologie

Les résultats présentés dans cet article renvoient à une enquête qualitative par entretiens réalisée en 2007-2008 dans le cadre d’un enseignement de méthodologie proposé à l’Université Paris Descartes. L’échantillon total intègre une population diversifiée de personnes ayant déclaré avoir enterré leur célibat et/ou avoir organisé un enterrement de vie de célibataire.
31 entretiens collectés auprès de 19 femmes et 12 hommes marié(e) s sont retenus ici. Les enquêtés ont ou n’ont pas cohabité avant de se marier, se sont ou non fiancés, ont ou non des enfants au moment de l’événement. S’ils résident le plus souvent en Île-de-France, certains ont une origine provinciale ou étrangère. Principalement issus des classes moyennes, ils ont en moyenne une trentaine d’années. La majorité des enterrements séparent filles et garçons, certains les réunissent au moins un temps. Ils se déroulent sur quelques heures ou sur la durée plus longue d’un week-end et ont lieu quelques jours ou quelques semaines avant le mariage (voire après le mariage civil en cas de mariage religieux). Toutes les personnes rencontrées étaient invitées à raconter leur enterrement (description des pratiques) et la manière dont elles l’avaient vécu (motivations, ressentis, représentations rétrospectives). Elles étaient aussi sollicitées pour restituer leur histoire conjugale et leur mode de vie. Les conclusions se rapportent au seul matériau analysé, ils n’expriment sans doute pas assez la variété sociale des modalités de pratiques. Une recherche complémentaire ciblant des strates sociales plus populaires serait nécessaire.

Encadré 2. Les pratiques d’enterrement de célibat, quelques exemples

Marion : ses amies viennent la chercher à son domicile parisien, trajet en voiture jusqu’à Disneyland, attractions, déjeuner (offert par les amies) dans un restaurant du parc, déambulation et « défis » (Marion doit demander des autographes à des personnages de Disney), dîner dans un restaurant Tex-mex (Marion insiste pour payer sa part car elle ne veut « pas trop abuser »), boîte de nuit jusqu’à quatre ou cinq heures.
Martin : après-midi paint-ball et rafting (près d’Arras où réside Martin), bar, retour au domicile de Martin où ses « potes » ont fait venir une strip-teaseuse, retour au bar où les potes cherchent à saouler Martin qui dit que se biturer, ce n’est pas trop son truc (c’est lui qui devra raccompagner ses copains « complètement déchirés »).
Carlos : ses amis viennent le réveiller (Paris), l’emmènent en voiture et lui bandent les yeux pour faire les derniers kilomètres, arrivée à un club de parachutisme près de Reims, saut en tandem avec un instructeur (le saut est filmé et le film est projeté le jour du mariage), déjeuner, après-midi paint-ball, soirée dans un restaurant près des Champs-Élysées, nouveau départ pour un bar de strip-tease. N’a rien payé.
Manuela : (premier jour) déguisée en vache (animal qu’elle affectionne), chasse au trésor avec énigmes, collecte d’argent glissé dans une tirelire en forme de vache, baptême de l’air en ULM, apéritif, dîner dans un restaurant portugais (avec danseuses brésiliennes et show masculin), nuit dans un gîte, (second jour) départ pour le terrain où la future maison du couple est en construction, enterrement du cercueil (le conjoint a lui aussi son cercueil, l’idée étant de les déterrer au terme d’une année de mariage ou lors de la naissance du premier enfant), arrivée des garçons (Romain enterrait son célibat de son côté) et des conjoints des participants et des familles de Manuela et Romain, barbecue, pétanque.
Charlotte : ses amies viennent la chercher, petit déjeuner, départ pour la résidence secondaire des parents de Charlotte, jeu de piste à Deauville où elle est progressivement déguisée en elastygirl, doit jouer de la flûte traversière pour recueillir un peu d’argent, le groupe des filles et le groupe des garçons se rejoignent, « on avait toujours dit qu’on ferait bien nos enterrements de vie de jeune fille et de jeune garçon ensemble [...], en fait, tous nos amis sont en commun parce qu’on est ensemble depuis dix ans ».
Romain : les amis viennent chercher le futur marié le vendredi soir après le travail, quittent Chartres en train (« moi, j’ai une bouteille qui m’est attitrée, il faut que je sois saoul quand je descends du train »), vont en discothèque le soir, gages dans la journée du samedi (Romain est déguisé en Superman, doit demander à des femmes quelle est leur position sexuelle préférée, doit mimer un acte sexuel avec une femme dans la rue, doit mimer un acte sexuel avec une statue, doit embrasser des filles, doit mordre un string, doit danser une valse dans la rue, doit promener un chien, prendre une bicyclette... (« Si tu n’arrives pas à faire tous tes gages, en général, tu dois boire des verres cul sec, on t’achève »), tournée des bars, retour le dimanche matin à Chartres, accueil des garçons par les filles à la gare (la conjointe enterrait son célibat de son côté la veille), enterrement d’un cercueil dans le jardin de Dorine et Romain, déjeuner-buffet avec les ami(e) s chez les parents de Dorine. Le futur marié ne paye rien.
Sandrine : une amie d’enfance vient la chercher et la conduit chez une amie de lycée où attendent les autres participantes, déguisement en tahitienne (le couple doit partir à Tahiti en voyage de noces), petit verre d’alcool « pour que ça passe mieux », départ en voiture pour Paris, massage dans un institut de beauté, promenade avec gages (embrasser une tonne de garçons, trouver un préservatif, une cigarette, un ticket de métro, une fleur, un timbre, un mouchoir, un tampon ou une serviette hygiénique), bar à strip-tease, boîte de nuit.

Notes

  • [1]
    France PRIOUX, Magali MAZUY, Magali BARBIERI, « L’évolution démographique récente en France : les adultes vivent moins souvent en couple », Population, 2010, 65 (3), pp. 421-474. Un peu plus de 245 000 mariages ont été célébrés en 2009, l’âge moyen au mariage s’élevant à 29,7 ans pour les femmes et 31,6 ans pour les hommes. L’indicateur de primo-nuptialité a chuté entre 2008 et 2009 : si les conditions de la nuptialité des célibataires en 2009 restent stables, près d’une femme et d’un homme sur deux ne se marieront pas dans les générations à venir.
  • [2]
    Une étude historique précise de l’usage sémantique des termes enterrement de célibat, enterrement de vie de garçon et enterrement de vie de jeune fille serait nécessaire.
  • [3]
    Jean-François GOSSIAUX, « Le sens perdu du mariage », Dialogue, 1986, n° 91, pp. 90-110 ; Michel BOZON, « Sociologie du rituel de mariage », Population, 1992, n° 2, pp. 409-434 ; Martine SEGALEN, « Comment se marier en 1995 ? Nouveaux rituels et choix sociaux », in Gérard BOUCHARD, Martine SEGALEN (dir.), Une langue, deux cultures. Rites et symboles en France et au Québec, Laval/Paris, PUL/La Découverte, 1997, pp. 149-166. En ligne
  • [4]
    Laurence HERAULT, « La cheville et le brandon. Rituels de fiançailles et de mariage dans le haut bocage vendéen », Terrain, 1987, n° 8, pp. 42-51 ; Martine SEGALEN, « L’invention d’une nouvelle séquence rituelle de mariage », Hermès, 2005, n° 43, pp. 159-168.
  • [5]
    Catherine CICCHELLI-PUGEAULT, « Le sens retrouvé du mariage ? Vers une nouvelle perspective théorique », in François de SINGLY, Être soi d’un âge à l’autre. Famille et individualisation, t. 2, Paris, L’Harmattan, 2001, pp. 155-166 ; Florence MAILLOCHON, « Le coût relationnel de la « robe blanche » », Réseaux, 2002/5, n° 115, pp. 51-90.
  • [6]
    Notamment, fête des jeunes femmes célibataires âgées de 25 ans – dites catherinettes. Cf. Anne MONJARET, La Sainte-Catherine. Culture festive dans l’entreprise, Éditions du CTHS, 1997.
  • [7]
    Il arrive en effet que les activités, les parcours dans la ville évoquent l’enfance du ou de la futur(e) marié(e). Le groupe invite à une sorte de retour en arrière, passant par des lieux clés de son histoire.
  • [8]
    Marc ABELES, « Rituels et communication politique moderne », Hermès, 1989, n° 4, pp. 127-141. En ligne
  • [9]
    On pourrait ajouter que l’ensemble s’apparente également au charivari en mêlant animation sonore, démonstration collective et publique.
  • [10]
    Claude LEVI-STRAUSS, Le regard éloigné, Paris, Plon, 1983, p. 75.
  • [11]
    Florence MAILLOCHON, art. cit., p. 86.
  • [12]
    Pour les 13 autres entretiens, il convient de rester prudent. Rien ne dit que le fait de ne pas avoir cité un membre de la parentèle implique nécessairement la non-présence effective d’un proche parent que l’enquêté(e) n’a peut-être pas pensé à qualifier sous ce registre.
  • [13]
    Une autre forme de participation familiale existe. Les protagonistes qui ont des enfants les font parfois garder par un membre de la famille qui reste en coulisse, mais contribue ce faisant à la réalisation du rituel. Grands-mères et belles-mères sont le plus souvent citées.
  • [14]
    Dans le cas de Romain, les deux cousins par alliance présents ont toutefois été imposés par la conjointe qui craint des débordements et compte sur ses proches pour contrôler la situation. Plus généralement, et comme pour la référence à la famille tous sexes confondus, resterait à vérifier que les garçons de l’échantillon n’omettent pas de citer des membres de la parenté qui auraient pourtant participé à l’enterrement. Au niveau déclaratif, le résultat est néanmoins net.
  • [15]
    Dans l’échantillon, on sait aussi que les témoins présents organisent l’enterrement dans au moins 11 cas sur 29, une demoiselle d’honneur dans 1 cas sur 29. Symétriquement, il n’y a que 3 cas pour lesquels on est certain que ce ne sont pas les témoins qui sont organisateurs.
  • [16]
    } Ce type d’acte n’est pas isolé. Anne Monjaret évoque un épisode similaire lors d’une fête de sainte Catherine dans une entreprise parisienne où un employeur demande ironiquement à son employée catherinette de lui fournir un certificat de virginité. Anne MONJARET, art. cit.
  • [17]
    Une vision de l’amour qui ne prend pas en compte la réalité des pratiques sociales passées mais qui vient soutenir l’argumentation de l’excès.
  • [18]
    Sur ce plan, le bilan de l’évolution démographique récente en France pointe un fait remarquable : la somme des mariages et des Pacs contractés en 2009 avoisine en effet le volume total des mariages recensés en 1972, année de rupture de la courbe de nuptialité. L’attrait d’une forme d’union légale demeure, bien que la forme prise par l’union se diversifie. Cf. France PRIOUX, Magali MAZUY, Magali BARBIERI, art. cit.
  • [19]
    Denise GIRARD, « Le Shower : enterrer sa vie de jeune fille », Ethnologie française, 2001, n° 4, pp. 472-479.
  • [20]
    Sur le cercueil des rituels d’enterrement de célibat, cf. Laurence HERAULT, « La cheville et le brandon. Rituels de fiançailles et de mariage dans le haut bocage vendéen », Terrain, 1987, avril, n° 8, pp. 42-51.
  • [21]
    Dans les cas de Pierre et de Marc, on ne sait pas s’il y a eu cohabitation avant le mariage.
  • [22]
    Jean-Claude KAUFMANN, Sociologie du couple, Paris, PUF, 2003.
Français

La nuptialité continue de reculer et le célibat définitif de progresser. Dans ce contexte, les enterrements de vie de garçon et de jeune fille forment un marqueur pertinent pour étudier les perceptions associées au changement statutaire impliqué par le mariage. Non strictement privatisés, ils s’affichent dans l’espace public sous la forme de cortèges voyants et bruyants. Au côté des ami(e) s, des membres de la parenté (frères, sœurs, cousin(e) s, belles-sœurs, voire belles-mères) accompagnent les futur(e) s marié(e) s sur le chemin de la conjugalisation. À cette occasion, la vie sexuelle et l’organisation domestique du célibataire et du futur couple marié sont symbolisées par des déguisements, des objets, des gages... Ces jeux exacerbent l’incertitude statutaire, en brouillant les états, chacun(e) rejouant alors son présent de célibataire, la mort annoncée de ce célibat et son état matrimonial à venir.

Anne Monjaret
Catherine Pugeault
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Mis en ligne sur Cairn.info le 19/03/2012
https://doi.org/10.3917/rf.009.0009
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