CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Tenter de cerner la problématique du « discernement de l’enfant » est, pour le juriste, un défi sinon insurmontable, du moins risqué en ce que les mots discernement et enfant, bien qu’utilisés en droit, sont deux notions qui demeurent conceptuellement extérieures à la science juridique. Assurément, le terme « enfant » traduit plusieurs idées et revêt donc un caractère polysémique. Du latin infans (qui ne parle pas, nourrisson), on entend communément par enfant un « individu de l’espèce humaine qui est dans l’âge de l’enfance »[1]. Mais plus largement, le mot « enfant » exprime aussi l’idée d’une relation intergénérationnelle, dans le cadre de la parenté. Aussi parle-t-on de « l’enfant de X » pour nommer la fille ou le fils de Madame ou Monsieur X.

2 En droit positif, la notion d’enfant n’est pas clairement définie, puisqu’elle est exclusivement appréhendée en fonction de l’âge de l’individu. Au sens de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (ci-après : Convention de New York de 1989 ou CIDE), un enfant désigne « tout être humain âgé de moins de dix-huit ans », sauf stipulation législative nationale contraire [2]. Cette précision fournie par les Nations unies en 1989 aurait pu servir de « référent » aux autres instruments à vocation internationale ou régionale. Mais ceci n’est pas tout à fait le cas. En effet, en dehors de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant qui reprend peu ou prou la définition onusienne [3], les autres traités internationaux retiennent un seuil différent. Ainsi, la Convention européenne sur la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière de garde des enfants et le rétablissement de la garde des enfants entend par enfant « une personne, quelle que soit sa nationalité, pour autant qu’elle n’a pas encore atteint l’âge de 16 ans et qu’elle n’a pas le droit de fixer elle-même sa résidence selon la loi de sa résidence habituelle ou de sa nationalité ou selon la loi interne de l’État requis »[4].

3 D’après les auteurs de ce texte, la limite de 16 ans ne fait nullement référence à l’âge de la capacité juridique de l’enfant mais tient plutôt au « fait qu’une décision relative à la garde ne pourrait que difficilement être exécutée contre la volonté d’un enfant qui a dépassé cet âge »[5].

4 Quoi qu’il en soit, l’âge de 16 ans et le droit de fixer sa résidence sont deux conditions cumulatives dans la définition de la notion de l’enfant au sens de cette Convention. Au fond, l’idée d’autonomie-liberté a semblé jouer un rôle primordial dans le choix fait par les concepteurs de ce traité.

5 À l’opposé, le Code européen de sécurité sociale, adopté à Rome le 6 novembre 1990, qualifie d’enfant toute personne qui « n’a pas atteint l’âge auquel la scolarité obligatoire prend fin ou un enfant de moins de 16 ans » ou celle qui est « placé(e) en apprentissage, poursuit ses études ou est atteint d’une maladie chronique ou d’une infirmité le rendant inapte à l’exercice de toute activité professionnelle »[6].

6 Lorsque l’on confronte ces différentes définitions, on se rend vite compte que la notion d’enfant renvoie généralement à l’idée de fragilité ou de vulnérabilité et, en conséquence, à l’absence d’autonomie. C’est donc au regard de cet état de fragilité de l’enfant que se pose finalement la question de son discernement.

7 Entendu comme la « faculté de bien apprécier les choses », le discernement traduit l’idée de lucidité, de la conscience que l’on peut avoir des choses ou d’une situation. Or, l’enfant est un être en voie de structuration psychique et donc a priori susceptible de faiblesse devant la tentation ; il n’a pas toujours conscience de la portée de ses actes. En conséquence, et sauf exception, l’enfant est censé ne pas exprimer une volonté libre. Finalement, le discernement apparaît comme l’antipode même de l’enfant.

8 Mais malgré cette opposition apparente, le discernement a été érigé – tant au niveau international et européen que sur le plan des législations nationales – en standard juridique devant faciliter, d’une part, l’exercice par l’enfant de ses droits (I) et, d’autre part, la mise en jeu de sa responsabilité (II).

Le discernement, une condition préalable à l’exercice des droits de l’enfant

9 La vulnérabilité de l’enfant impose que les pouvoirs publics adoptent les mesures nécessaires à la protection et à la garantie de ses intérêts. Ce faisant, les différents instruments de protection des droits de l’enfant reconnaissent à tout enfant la capacité d’exprimer son point de vue sur les questions le concernant ou d’être informé des conséquences possibles de son opinion, dès lors qu’il est considéré comme ayant un discernement suffisant.

10 Toutefois, si la législation internationale affirme sans ambages le principe de la consubstantialité de la capacité de discernement avec l’exercice par l’enfant d’un certain nombre de ses droits (A), l’évaluation de l’aptitude de l’enfant au discernement relève en principe de la compétence des États (B).

? La consubstantialité de la capacité de discernement de l’enfant avec l’exercice de ses droits

11 La Convention de New York de 1989 impose à tout État partie l’obligation de garantir « à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant »[7]. En application de cette disposition, la Convention européenne sur l’exercice des droits des enfants confère à l’enfant ayant un discernement suffisant la possibilité d’exercer ce droit dans les procédures familiales le concernant. En conséquence, un enfant a le droit, dans les procédures devant une autorité judiciaire, de demander et de « recevoir toute information pertinente, être consulté et exprimer son opinion, être informé des conséquences éventuelles de la mise en pratique de son opinion et des conséquences éventuelles de toute décision »[8].

12 Mieux encore, la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant reconnaît à tout enfant capable de communiquer un droit équivalent à celui d’un adulte. En substance, la Charte africaine exige que « tout enfant qui est capable de communiquer se verra garantir le droit d’exprimer ses opinions librement dans tous les domaines et de faire connaître ses opinions, sous réserve des restrictions prévues par la loi »[9].

13 Les droits fondamentaux de l’enfant consacrés dans les trois traités que l’on vient d’évoquer paraissent ne pas se suffire à eux-mêmes, puisque les concepteurs de ces Conventions ont jugé utile de renvoyer aux autorités étatiques l’appréciation de la capacité de « discernement » ou de « communiquer » de l’enfant [10].

14 Mais si laisser aux États la liberté d’apprécier la capacité de discernement ou de communiquer d’un enfant n’est pas en soi critiquable, une grande marge d’appréciation nationale risque néanmoins d’amoindrir, dans certaines circonstances, la protection des droits conventionnels ainsi protégés et garantis.

15 C’est certainement pour éviter une telle distorsion dans son application au sein des ordres juridiques internes que la Convention de Luxembourg concernant la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière de garde des enfants et le rétablissement de la garde des enfants oblige les États parties à « prendre connaissance du point de vue de l’enfant, à moins qu’il n’y ait une impossibilité pratique, eu égard notamment à l’âge et à la capacité de discernement de celui-ci »[11]. Ici, l’âge de 16 ans est le seuil fixé pour la prise en considération de l’opinion de l’enfant car, comme on l’a déjà précisé, les rédacteurs de ce texte avaient jugé qu’un enfant ayant atteint l’âge de 16 ans pourrait plus facilement s’opposer à l’exécution d’une décision le concernant qu’un enfant plus jeune [12].

16 S’inscrivant dans la même logique, la Convention européenne en matière d’adoption des enfants, dans sa rédaction issue de la révision de 2008, encadre la marge d’appréciation des autorités nationales en considérant que tout enfant doit être considéré comme « ayant un discernement suffisant, lorsqu’il atteint l’âge prévu par la loi, qui ne doit pas dépasser 14 ans »[13]. Ceci revient à dire que, si les pouvoirs publics étatiques jouissent de la compétence de fixer l’âge à partir duquel l’enfant doit consentir à son adoption, le consentement doit toujours être requis pour celui ayant atteint l’âge de 14 ans, la seule dispense admise ne pouvant être justifiée que par « l’intérêt supérieur de l’enfant ».

? La pratique des États

17 Au niveau des ordres juridiques internes, la variabilité conceptuelle et interprétative de la notion de capacité de discernement apparaît comme la suite logique du manque de précision et de lisibilité des différents instruments internationaux relatifs à la protection des droits de l’enfant. En France, la législation sur ce point est absolument confuse et incohérente. En règle générale, la loi exige que « les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité »[14]. L’application effective de ce droit de l’enfant à être associé aux décisions le concernant est fonction de la nature du droit en cause.

18 En ce qui concerne les droits matériels ou substantiels, le droit positif français fixe, dans certains cas, un âge-plancher pour l’exercice des droits par un enfant. Ainsi, le consentement de l’enfant ayant atteint l’âge de 13 ans est requis pour l’acquisition de la nationalité française [15], le changement de nom [16] ou encore dans le cadre de l’adoption plénière [17]. En revanche, pour réclamer la nationalité française par déclaration [18] ou pour prétendre à son émancipation [19], l’enfant doit être âgé de 16 ans révolus.

19 Quant aux droits procéduraux, la loi française prévoit simplement que, « dans toute procédure le concernant, le mineur (l’enfant) capable de discernement peut, sans préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son consentement, être entendu par le juge ou, lorsque son intérêt le commande, par la personne désignée par le juge à cet effet. Cette audition est de droit lorsque le mineur en fait la demande »[20].

20 En tout état de cause, les juges nationaux semblent apprécier la capacité de discernement in concreto, veillant à ce que l’intérêt de l’enfant puisse toujours primer.

21 Ainsi, le Tribunal fédéral suisse a décidé qu’une enfant de cinq ans ne pouvait pas être jugée capable de discernement et, en conséquence, n’était pas à même de se prononcer sur le droit de visite de son père que, de surcroît, elle ne connaissait pas [21].

22 En Belgique, l’article 319, § 3 du Code civil dispose que : « Si l’enfant est mineur non émancipé, la reconnaissance n’est recevable que moyennant le consentement préalable de la mère. Est en outre requis le consentement préalable de l’enfant s’il a quinze ans accomplis. »

23 Appelée à se prononcer sur la conformité de cette disposition au principe d’égalité et de non-discrimination contenu dans les articles 10 et 11 de la Constitution, la Cour d’arbitrage (devenue Cour constitutionnelle) a jugé la disposition contestée contraire à la Constitution en ce qu’elle exclut la prise en compte par le juge du consentement d’un enfant de moins de quinze ans, alors même qu’il serait capable d’exprimer son avis avec discernement. Plus explicitement, le juge constitutionnel belge considère que « l’âge de quinze ans constitue (simplement) un critère objectif, (et) il ne saurait être considéré comme pertinent au regard de la mesure en cause. Rien ne peut (donc) justifier que le juge saisi d’une demande de reconnaissance de paternité prenne en considération l’intérêt de l’enfant lorsqu’il est âgé de plus quinze ans et qu’il ne puisse en tenir compte lorsque l’enfant a moins de quinze ans »[22].

24 Au fond, le juge vient ici affirmer que l’examen de la capacité de discernement doit nécessairement s’opérer non pas au regard de l’âge de l’enfant mais bien plutôt en fonction de sa maturité. Autrement dit, l’âge représente en réalité « une (simple) indication raisonnable de l’indépendance »[23] de l’enfant. Ce qui importe, en définitive, est le fait que l’enfant doit être apte à prendre ses décisions en toute liberté et en toute connaissance de cause.

25 Ce raisonnement fondé sur la maturité de l’enfant plutôt que sur son âge est le plus souvent retenu par les hautes juridictions nationales pour écarter la thèse de la présomption irréfragable de l’incapacité de l’enfant à accepter ou refuser un traitement médical. Partant, le Tribunal fédéral helvétique a admis la capacité de discernement d’une adolescente, en tenant compte de son aptitude « à comprendre les renseignements donnés successivement par chacun des deux praticiens, à saisir la lésion dont elle souffrait, à apprécier la portée du traitement proposé, ainsi que son alternative, et à communiquer son choix en toute connaissance de cause »[24].

26 Dans cette affaire, il s’agissait d’une jeune fille âgée d’un peu plus de 13 ans qui avait été soignée pour une lésion du coccyx, suite à une chute lors d’un cours de gymnastique. Pour corriger la position du coccyx, sa mère avait accepté l’intervention d’un ostéopathe. Mais la jeune fille manifesta clairement son opposition en suppliant l’ostéopathe de cesser le traitement. Celui-ci n’en tint pas compte et procéda à deux manipulations successives, en dépit des cris et de l’opposition renouvelée de la jeune patiente. Par suite, la mère de la jeune fille porta plainte auprès de la Société vaudoise de médecine, et le praticien se vit infliger une sanction disciplinaire pour négligence dans l’exercice de sa profession. Bien entendu, l’ostéopathe contesta cette décision, au motif que « l’état de santé de la patiente l’empêchait de consentir valablement au traitement, de sorte que sa mère pouvait décider à sa place ».

27 Le Tribunal fédéral rejeta cet argument car la présomption irréfragable d’incapacité d’accepter ou de refuser un traitement médical avait privé cette jeune adolescente de son autonomie décisionnelle, d’autant plus que, d’une part, « il n’y avait aucun intérêt thérapeutique à poursuivre l’intervention sans l’accord et la collaboration de la patiente » et, d’autre part, « le fait qu’elle avait mal et qu’elle pleurait ne l’empêchait pas de saisir l’enjeu du traitement, ce d’autant que celui-ci a été présenté par deux fois et qu’avant l’intervention de l’ostéopathe, la patiente avait reçu un analgésique et eu un moment de réflexion. [...]. L’ostéopathe aurait donc dû respecter la volonté de la jeune fille, qui devait être considérée comme prépondérante par rapport à celle de sa mère ». Pour le juge helvétique, l’adolescente disposait donc de toutes les facultés requises pour être considérée comme capable de discernement au moment de l’acte et, par conséquent avait le droit de prendre la décision concernant le traitement qui avait été proposé.

28 Allant dans le même sens que le Tribunal fédéral suisse, la Cour suprême du Canada donne des indications encore plus précises. Tout en reconnaissant la difficulté à définir et à déterminer le concept de « capacité de discernement » ou de « maturité », la haute juridiction canadienne a néanmoins dégagé un certain nombre d’éléments constituant le faisceau d’indices sur lequel le juge de fond doit s’appuyer lors de l’examen de la capacité de discernement d’un enfant. Ces éléments sont les suivants : « la nature, le but et l’utilité du traitement médical recommandé, ainsi que ses risques et bénéfices ; la capacité intellectuelle de [l’enfant] et le discernement requis pour comprendre les renseignements qui lui permettraient de prendre la décision et d’en évaluer les conséquences possibles ; l’opinion bien arrêtée de [l’enfant] et la question de savoir si elle reflète véritablement ses valeurs et croyances profondes ; l’impact que pourraient avoir le style de vie de [l’enfant], ses relations avec sa famille et ses affiliations sociales sur sa capacité d’exercer tout seul son jugement ; l’existence de troubles émotionnels ou psychiatriques et les incidences de la maladie de [l’enfant] sur sa capacité de décider. Il faut également prendre en considération les renseignements pertinents fournis par des adultes qui connaissent [l’enfant] »[25].

29 On peut inférer, de ce qui précède, que la notion de discernement est une notion à la fois relative et contingente. En conséquence, la capacité de discernement de l’enfant ne peut s’apprécier qu’au cas par cas et concrètement, en fonction de la nature et de l’importance ou de la gravité de l’acte considéré.

30 Partant de ces considérations, la Cour constitutionnelle de Hongrie a su privilégier l’intérêt de l’enfant sur son droit de participer à des associations. Plus exactement, la question posée au juge constitutionnel était de savoir si la participation d’un enfant âgé d’un peu moins de 18 ans à des associations « se rapportant à l’homosexualité » était compatible avec l’article 67.1 de la Constitution, lequel fonde le droit de l’enfant « à la protection et aux soins qui sont nécessaires pour son développement physique, psychique et moral ».

31 Tout en se gardant de porter un jugement de valeur à cet égard, la Cour constitutionnelle hongroise a, cependant, estimé que l’homosexualité pouvait modifier de façon décisive l’avenir d’un enfant qui s’engage dans cette voie sans avoir la maturité nécessaire pour prendre une décision sur des questions aussi vitales. Au regard des risques éventuels et des conséquences des choix de l’enfant sur sa propre personnalité, les pouvoirs publics ont l’obligation de restreindre la participation de l’enfant à de telles associations en lui interdisant, « du moins dans le domaine public, de mener certaines activités ou de prendre une décision sur certains sujets lorsqu’il n’est pas suffisamment mûr pour prendre position avec discernement, car prendre position publiquement peut être décisif pour son développement physique, psychique et moral et son avenir »[26].

32 Le discernement, en tant qu’élément essentiel d’appréciation de l’autonomie de l’enfant, intervient avec beaucoup plus d’acuité lorsque se pose la question de l’engagement de la responsabilité de l’enfant.

Le discernement, un critère de mise en jeu de la responsabilité de l’enfant

33 La responsabilité est un principe qui s’inscrit aussi bien dans une dimension interindividuelle, c’est-à-dire entre Soi et Soi, que dans une approche d’altérité, autrement dit entre Soi et l’Autre, de même qu’entre Soi et la Société [27].

34 Dans son usage courant, la responsabilité s’entend de « l’obligation de répondre de ses actes », en en assumant toutes les conséquences afférentes. Elle postule donc l’existence d’un lien de causalité comme condition préalable et générale pour sa mise en œuvre. Juridiquement, la causalité est le critère qui justifie l’imputabilité et, par voie de conséquence, la répression des délits au sens général du terme. Mais pour qu’un acte lui soit imputable, encore faut-il que l’auteur dudit acte dispose de toutes ses facultés mentales et psychiques. Ceci signifie que l’examen de la capacité de discernement de l’auteur de l’acte devrait en principe précéder son imputabilité. À n’en pas douter, cette règle n’est pas d’application absolue pour les actes posés par des enfants. Quoi qu’il en soit, la notion de discernement de l’enfant n’est pas abordée à l’identique en droit civil (A) et en droit pénal (B).

? Discernement et responsabilité civile de l’enfant

35 La capacité de discernement de l’enfant n’est pas recherchée en matière de responsabilité civile, du fait de la présomption de responsabilité de ses représentants légaux en ce domaine. Ainsi, par exemple, le droit positif français instaure un régime de responsabilité présumée des parents, excluant par ce fait la question de la capacité de discernement de l’enfant dans la mise en jeu de la responsabilité civile. En substance, la législation française pose le principe selon lequel : « Le père et la mère, en tant qu’ils exercent l’autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux. [...]. La responsabilité ci-dessus a lieu, à moins que les père et mère [...] ne prouvent qu’ils n’ont pu empêcher le fait qui donne lieu à cette responsabilité. »[28]

36 D’après la jurisprudence établie de la Cour de cassation, la responsabilité des parents est présumée et de plein droit ; elle est automatiquement mise en jeu dès lors que le dommage invoqué par la victime a été directement causé par le fait, même non fautif, de l’enfant [29]. C’est dire tout simplement que, dans le cadre de l’engagement de la responsabilité civile, la capacité de discernement de l’enfant ne permet pas d’exonérer les parents de leur responsabilité au titre de l’article 1384, alinéa 4. Les juges du fond doivent dès lors prononcer la responsabilité des parents du fait de leur enfant, sans vérifier en amont si ce dernier « présentait un discernement suffisant pour que l’acte puisse lui être imputé à faute »[30]. Autrement dit, la présomption d’irresponsabilité civile de l’enfant s’avère a priori incontestable, à partir du moment où l’acte par lui commis et invoqué par la victime est la source directe du dommage subi. Dans ce contexte, le comportement de l’enfant – quel que soit son degré de maturité – est apprécié in abstracto. Il en va différemment du débat sur la question du discernement dans la mise en jeu de la responsabilité pénale de l’enfant.

? Discernement et responsabilité pénale de l’enfant

37 En matière pénale, la problématique de la capacité de discernement de l’enfant est prise en considération méthodiquement, car « nul n’est responsable pénalement que de son propre fait »[31]. En application de ce principe fondamental, l’enfant est susceptible d’engager sa responsabilité pénale si, au moment des faits, il avait la maturité requise pour réaliser la signification sociale de ses agissements et contrôler son comportement par rapport à ses actes.

38 Certes, la capacité de discernement de l’enfant est systématiquement évaluée par le juge pénal. Toutefois, certaines législations nationales ont prévu des cas d’irresponsabilité totale des enfants dans le domaine pénal. En effet, la CIDE exhorte les États parties, notamment, à « établir un âge minimum au-dessous duquel les enfants seront présumés n’avoir pas la capacité d’enfreindre la loi pénale »[32]. Dans son Observation Générale n° 10, le Comité des droits de l’enfant institué en vertu de cette Convention recommande aux États parties de ne pas « fixer l’âge minimum de la responsabilité pénale en dessous de 12 ans », les encourageant par ailleurs « à relever l’âge trop bas de la responsabilité pénale pour le porter à 12 ans, âge qui constitue un minimum absolu, et à continuer de le relever progressivement »[33].

39 En dépit des recommandations du Comité des droits de l’enfant, on constate encore de nos jours que l’âge de la responsabilité pénale des enfants n’est pas uniforme au sein des systèmes juridiques étatiques.

40 Le panorama des législations pénales dans les États européens laisse apparaître une variabilité de seuil à partir duquel un enfant est considéré comme suffisamment âgé pour pouvoir répondre de ses éventuelles infractions.

41 En Allemagne, en Autriche et en Italie, la loi pose clairement le principe de l’irresponsabilité absolue des enfants âgés de moins de quatorze ans. Au Danemark et en Suède, ce sont plutôt ceux âgés de moins de quinze ans, alors que le Portugal fixe l’âge de l’irresponsabilité pénale absolue à seize ans [34]. Dans ces différents États, la mise en jeu de la responsabilité pénale des enfants plus âgés dépendra forcément de « leur capacité de comprendre et de vouloir ».

42 En France, le législateur n’a pas prévu un âge minimal à partir duquel un enfant peut être considéré apte à répondre de ses actes. Bien au contraire, le choix a été fait de soumettre l’engagement de la responsabilité pénale d’un enfant à sa capacité de discernement [35].

43 En pratique, les tribunaux français présument qu’un enfant âgé de sept à huit ans est suffisamment discernant pour être déclaré pénalement responsable de ses actes. On s’accorde généralement à dire que la moyenne d’âge retenue en France se situe entre sept et huit ans [36]. Dans un rapport sur la réforme de la justice des mineurs, la Commission Varinard propose de clarifier le champ de la justice des enfants en fixant le seuil d’âge de la responsabilité pénale en France à 12 ans, ainsi que le recommandait le Comité des droits de l’enfant en 2007 [37].

44 La fixation d’un âge seuil de la responsabilité pénale des enfants ne règle pas en soi la question des critères d’appréciation du discernement. Il est vrai que, dans les États où le principe de l’irresponsabilité pénale des enfants est posé [38], les législateurs insistent plutôt sur la question de la présomption de culpabilité des enfants et la nature des sanctions à eux applicables, laissant au juge le soin de déterminer si, lors de la commission de l’infraction, l’enfant en cause était « d’après son développement moral et spirituel, assez mûr pour discerner le mal que constitue le fait et pour agir en conséquence »[39].

45 Ce faisant, la Cour constitutionnelle de Roumanie est venue préciser, dans une décision du 23 mars 1999, que « le caractère pénal du fait est écarté, [...], à la suite de l’écartement de la culpabilité du mineur dans l’accomplissement du fait, et la culpabilité du mineur est écartée, à son tour, à cause du développement insuffisant des facultés psychiques, rendant possible que le mineur ne comprenne pas le caractère et l’effet de ses faits et qu’il ne puisse pas les maîtriser. Toutefois, même si le fait antisocial commis par un pareil mineur n’attire pas sa responsabilité pénale, il doit constituer le bien-fondé pour la prise des mesures de protection vis-à-vis du mineur, lesquelles ont un double caractère : celui de protection sociale des mineurs contre des facteurs qui mettraient en péril le développement harmonieux de leur personnalité, ainsi que celui de la défense de la société contre le danger de la prolifération de tels faits »[40].

46 En réalité, la prétendue irresponsabilité pénale des enfants signifie tout simplement que ceux-ci bénéficient, eu égard à leur état de fragilité ou de vulnérabilité, des règles spécifiques dérogatoires au droit pénal commun ou général [41]. En tout état de cause, la présomption de « non-discernement » pouvant, par voie de conséquence, justifier son irresponsabilité pénale n’exclut pas l’imputabilité matérielle des faits à l’enfant. Elle vise plutôt une adaptation des sanctions à prononcer à l’encontre de l’enfant, du fait de son jeune âge. Il s’ensuit que l’enfant qui commet un délit ou un crime peut être déclaré pénalement responsable s’il est prouvé qu’il avait la capacité de comprendre et de vouloir le fait qui lui est reproché.

47 Au final, le « discernement » étant une notion plutôt d’ordre psychologique, elle s’avère difficilement utilisable par le droit. C’est ce qui pourrait expliquer que les différents systèmes juridiques aient érigé le « discernement » en condition sine qua non de l’exercice des droits et/ou de la mise en jeu de la responsabilité de l’enfant, sans pour autant déterminer en amont le sens à donner au mot « discernement ». Aussi pour combler cette lacune, les juridictions nationales apprécient-elles le discernement de l’enfant en se basant tantôt sur son degré de maturité, tantôt sur son âge. Sur ce dernier aspect, l’âge moyen pour considérer que l’enfant dispose d’un niveau suffisant de discernement semble être inspiré de la notion d’enfance, au sens de « période de la vie humaine qui s’étend depuis la naissance jusque vers la septième année, et dans le langage général, un peu au-delà, jusqu’à treize ou quatorze ans »[42].

Notes

  • [1]
    Le Nouveau Littré, Paris, Editions Garnier, 2007.
  • [2]
    Article 1er de la Convention.
  • [3]
    Article 2 : « Aux termes de la présente Charte, on entend par “Enfant” tout être humain âgé de moins de 18 ans. »
  • [4]
    Article 1er. Nous soulignons.
  • [5]
    Rapport explicatif.
  • [6]
    Article 1er, h.
  • [7]
    Article 12, paragraphe 1er.
  • [8]
    Convention de Strasbourg du 25 janvier 1996, Article 3.
  • [9]
    Article 7. Nous soulignons.
  • [10]
    Article 12, paragraphe 1er Convention des Nations unies et article 3 Convention européenne.
  • [11]
    Article 15, paragraphe 1er, a.
  • [12]
    Voir infra, note 4.
  • [13]
    Article 5, paragraphe 1er, b.
  • [14]
    Article 371-1 du Code civil, dernier alinéa.
  • [15]
    Article 21-11, alinéa 2 : « [...], la nationalité française peut être réclamée, au nom de l’enfant mineur né en France de parents étrangers, à partir de l’âge de treize ans, la condition de résidence habituelle en France devant alors être remplie à partir de l’âge de huit ans. Le consentement du mineur est requis, sauf s’il est empêché d’exprimer sa volonté par une altération de ses facultés mentales ou corporelles constatée. [...] »
  • [16]
    Voir l’article 61-3 du Code civil : « Tout changement de nom de l’enfant de plus de treize ans nécessite son consentement personnel lorsque ce changement ne résulte pas de l’établissement ou d’une modification d’un lien de filiation. »
  • [17]
    Article 345 du Code civil : « L’adoption n’est permise qu’en faveur des enfants âgés de moins de quinze ans, accueillis au foyer du ou des adoptants depuis au moins six mois. [...]. S’il a plus de treize ans, l’adopté doit consentir personnellement à son adoption plénière. [...] »
  • [18]
    Article 21-11, alinéa 1 : « L’enfant mineur né en France de parents étrangers peut, à partir de l’âge de seize ans, réclamer la nationalité française par déclaration. [...] »
  • [19]
    Article 413-2, alinéa 1 du Code civil : « Le mineur, même non marié, pourra être émancipé lorsqu’il aura atteint l’âge de seize ans révolus. »
  • [20]
    Article 388-1 du Code civil. Pour plus de détails sur ce point, se reporter à la contribution de Blandine MALLEVAEY, « La parole de l’enfant en justice », dans ce numéro.
  • [21]
    Tribunal fédéral, Deuxième Cour civile, 22 décembre 1997 (voir résumé in http://www.codices.coe.int, rubrique SUI-1998-1- 001).
  • [22]
    Cour d’arbitrage (Belgique), 14 mai 2003, arrêt n° 66/2003, disponible in http://www.codices.coe.int, rubrique BEL-2003-2- 005. Dans le même sens, Cour Constitutionnelle (Belgique), 4 février 2010, arrêt n° 9/2010, disponible in http://www.codices. coe.int, rubrique BEL-2010-1-001.
  • [23]
    Cour suprême du Canada, 26 juin 2009, A.C. et autres contre Directeur des services à l’enfant et à la famille, décision disponible in http://www.codices.coe.int, sous rubrique CAN-2009-2-002.
  • [24]
    Tribunal fédéral, 2 avril 2008, x. c. Département de la santé et de l’action sociale et tribunal administratif du Canton de Vaud, décision 2C5/2008, extraits disponibles sur http://www.codices.coe.int, rubrique SUI-2009-1-001.
  • [25]
    Ibidem.
  • [26]
    Cour constitutionnelle (Hongrie), 17 mai 1996, arrêt n° 21/1996. Résumé in http://www.codices.coe.int, rubrique HUN-1996- 2-005.
  • [27]
    Pour aller plus loin, se reporter à Hans JONAS, Le principe responsabilité, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1998.
  • [28]
    Article 1384, alinéas 4 et 7 du Code civil. Dans le même sens, article 1384, alinéas 2 et 5 du Code civil de Belgique : « Le père et la mère sont responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs. [...]. La responsabilité ci-dessus a lieu, à moins que les père et mère [...], ne prouvent qu’ils n’ont pu empêcher le fait qui donne lieu à cette responsabilité ».
  • [29]
    Cour de cassation, Assemblée plénière, 9 mai 1984, Fullenwarth, texte in Bulletin Cour de cassation, 1984, Assemblée plénière, n° 4 : « [...], pour que soit présumée, sur le fondement de l’article 1384 alinéa 4 du Code civil, la responsabilité des père et mère d’un mineur habitant avec eux, il suffit que celui-ci ait commis un acte qui soit la cause directe du dommage invoqué par la victime ; [...] ». Sur l’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation en ce domaine, voir Jean-Claude BIZOT, « La responsabilité civile des père et mère du fait de leur enfant mineur : de la faute au risque », in Rapport annuel de la Cour de cassation, 2002, Deuxième partie (Études et documents), disponible sur le site de la Cour.
  • [30]
    Arrêt précité.
  • [31]
    Article 121-1 Nouveau Code Pénal (NCP), France.
  • [32]
    Article 40, paragraphe 3, a.
  • [33]
    Comité des droits de l’enfant, Les droits de l’enfant dans le système de justice pour mineurs, Observation Générale n° 10 (2007), CRC/C/GC/10, version française du 25 avril 2007, point C, § 32.
  • [34]
    Pour plus de détails, voir Sénat, La majorité pénale, Les Documents du Sénat, n° LC 173, juin 2007 ; Sénat, La responsabilité pénale des mineurs, Service des affaires européennes, février 1999.
  • [35]
    Article 122-8 NCP : « Les mineurs capables de discernement sont pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils ont été reconnus coupables, [...] ».
  • [36]
    Parmi d’autres, Dominique VERSINI, « L’application de leurs droits peut-elle fragiliser certains enfants ? », Enfances et Psy, n° 43, pp. 77-84, 2009/2, p. 81 : « La jurisprudence retient en général l’âge de 7 ou 8 ans avec un souci d’adaptabilité à la situation des mineurs ». En ligne
  • [37]
    Commission Varinard, Adapter la justice pénale des mineurs. Entre modifications raisonnables et innovations fondamentales : 70 propositions, Paris, La documentation Française, 2008.
  • [38]
    Allemagne, Autriche, Danemark ou encore Italie.
  • [39]
    Article 3 de la Loi allemande sur les Tribunaux des mineurs.
  • [40]
    Cour constitutionnelle (Roumanie), Décision relative à l’exception d’inconstitutionnalité dispositions des articles 23-30 contenus au chapitre III de l’Ordonnance d’urgence du gouvernement n° 26/1997 relative à la protection de l’enfant en difficulté, texte in http://www.codices.coe.int, rubrique ROM-2000-1-001. Voir aussi Ramdane ZERGUINE, « Algérie/ La responsabilité pénale des mineurs dans l’ordre interne et international », Revue internationale de droit pénal, vol. 75, 2004/1, pp. 103-119.
  • [41]
    Voir Francis BAILLEAU, « La justice pénale des mineurs en France ou l’émergence d’un nouveau modèle de gestion des illégalismes », Déviance et Société, vol. 26, 2002/3, pp. 403-421 ; Anne PONSEILLE, « De l’évolution de l’atténuation légale de la peine applicable aux mineurs », Archives de politique criminelle, n° 30, 2008/1, pp. 45-62 ; Thierry MOREAU, « La responsabilité pénale du mineur en droit belge », Revue internationale de droit pénal, vol. 75, 2004/1, pp. 151-200.
  • [42]
    Dictionnaire Le Nouveau Littré.
Français

Bien que les termes « enfant » et « discernement » paraissent antipodiques d’un point de vue conceptuel, le droit positif soumet néanmoins la capacité d’un enfant à exercer personnellement ses droits, de même que l’imputation d’une quelconque responsabilité juridique à son degré de discernement. Seulement, les critères d’appréciation du niveau de discernement de l’enfant ne sont pas homogènes, puisqu’ils varient d’un système juridique à un autre, d’une convention internationale à une autre. Ce paradoxe explique toute la difficulté à laquelle le juriste peut être confronté lorsqu’il tente de décrypter la problématique du discernement de l’enfant.

Placide M. Mabaka
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 19/03/2012
https://doi.org/10.3917/rf.009.0143
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