CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 L’ensemble de textes sur le discernement de l’enfant qui sont présentés ci-dessous est issu d’un séminaire interdisciplinaire de recherche tenu à l’Université Catholique de Lille le 10 décembre 2010, pour marquer la création d’une chaire d’enseignement et de recherche « Droits et Discernement de l’enfant » [1].

2 L’idée de créer cette chaire, et de tenir ce séminaire inaugural, est née de la confrontation des regards de plusieurs chercheurs issus de disciplines universitaires différentes. Le discernement de l’enfant est, au départ, une notion de psychologie. C’est l’aptitude d’un enfant à comprendre la réalité, à exprimer des désirs, et à tenir un raisonnement logique. Critère de la possibilité d’exprimer une liberté, la notion de discernement de l’enfant est utilisée par les philosophes, les théologiens, les juristes pour fonder la prise en considération de la parole de l’enfant, ou la reconnaissance de la responsabilité issue de ses actes.

3 C’est ce passage d’une réalité de nature psychologique (Dominique Reniers : « Enfant et enfance. D’un discernement nécessaire... Approche psychologique ») à des constructions juridiques (Blandine Mallevaey : « La parole de l’enfant en justice »), philosophiques ou théologiques qui a paru être un objet de recherches riche de découvertes potentielles.

4 Ce premier séminaire a montré des convergences inattendues, et des interrogations persistantes. Convergences inattendues : la manière dont la théologie (Dominique Foyer : « Peut-on prendre au sérieux la parole d’un enfant ? Le regard de la théologie catholique et du droit canonique ») envisage le discernement de l’enfant est au fond fort semblable à celle du droit. La parole de l’enfant est prise au sérieux dans le domaine religieux, de manière variable selon les temps et les questions posées, mais dans des termes au fond assez semblables à ceux de la Convention Internationale des Droits de l’enfant (Placide M. Mabaka : « Le discernement de l’enfant dans les conventions internationales et en droit comparé ») !

5 Un autre rapprochement moins surprenant est celui entre la lecture historique de l’utilisation faite par la Justice du discernement de l’enfant afin de sanctionner la délinquance juvénile de la manière qui lui paraît opportune (Jean-JacquesYvorel : « Le discernement : construction et usage d’une catégorie juridique en droit pénal des mineurs »), et l’intervention en droit positif contemporain sur l’instrumentalisation du discernement de l’enfant par le législateur dans d’autres domaines juridiques (Françoise Dekeuwer-Défossez : « L’instrumentalisation du discernement de l’enfant »). Au lieu d’un raisonnement déductif, tirant de l’observation de l’existence du discernement de l’enfant la possibilité de prendre en compte l’expression de sa liberté, la Justice décide d’avance de retenir ou non l’existence du discernement de l’enfant en fonction d’un objectif préétabli.

6 L’étude de la manière dont les législateurs étrangers, notamment européens, envisagent le discernement de l’enfant pour prendre en considération sa parole révèle aussi une grande convergence dans la manière dont cette question est appréhendée dans les différents pays du monde.

7 Reste que les interrogations soulevées par ce séminaire dépassent, et de loin, les points de certitude.

8 La première, et la plus grave, est que le psychologue s’est bien gardé d’éclaircir la notion de discernement de l’enfant ! « Le psychologue clinicien [...] est avant tout confronté au déploiement d’une parole qui ne peut être réduite au contenu qu’elle possède. » Cette mise en garde doit absolument être entendue, car la Justice ne doit pas attendre du psychologue des certitudes qu’il ne peut lui donner, sauf à risquer des erreurs ou des catastrophes dont l’exemple est dans toutes les mémoires (cf. « Affaire d’Outreau »). Il faut donc savoir que, malgré tous les efforts déployés dans les procédures de recueil de la parole de l’enfant, aucun critère préétabli ne permet de définir l’existence d’un discernement garant de la fiabilité de cette parole.

9 La seconde est corrélative : il n’existe aucune méthode irréfutable et incontestable pour déterminer si un enfant est ou non doté de discernement. Le fait que le législateur et les juges, en droit canon comme en droit civil ou pénal, hésitent entre la fixation d’un âge préétabli ou l’examen concret du discernement de chaque enfant, les hésitations sur les « seuils d’âge », les incohérences souvent observées entre le traitement du discernement de l’enfant en fonction des circonstances et des questions posées, ne sont donc ni illogiques, ni nécessairement critiquables. On conviendra cependant que, dans un monde épris de certitudes et d’égalité, le traitement au cas par cas de paroles qui ne peuvent, selon la formule évoquée plus haut « être réduites au contenu qu’elles possèdent » est de nature à susciter des incompréhensions et des contestations.

10 La création de la chaire « Droits et discernement de l’enfant » permettra, nous le souhaitons, de continuer à travailler afin d’améliorer la compréhension réciproque entre les disciplines, seule manière de progresser dans la prise en compte de la volonté, et donc de la personnalité de l’enfant.

Notes

  • [1]
    NDLR : À noter toutefois que toutes les interventions lors de ce colloque inaugural ont été présentées à la revue Recherches familiales et ont suivi le même processus de sélection et de validation que les autres articles publiés dans la revue : lecture par deux ou trois évaluateurs ; discussion en comité de rédaction ; acceptation (éventuellement sous réserves de modifications) ou refus de l’article.
Françoise Dekeuwer-Défossez
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Mis en ligne sur Cairn.info le 19/03/2012
https://doi.org/10.3917/rf.009.0103
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