CAIRN.INFO : Matières à réflexion
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1Dans le milieu intellectuel français contemporain, la pensée décoloniale se retrouve au centre d’une polémique s’articulant en termes binaires : pour ou contre le décolonial? Cette controverse s’ancre dans une époque où les luttes sociales et climatiques témoignent d’une puissante volonté de changement et où la diversité et la multiplicité œuvrent à subvertir le pouvoir en place. Un tel rejet de la pensée décoloniale est véritablement spécifique à la France et ne semble pas sans rapport avec la difficulté qui consiste à définir avec précision ou exhaustivité le mouvement décolonial français. L’emploi de ce néologisme par ses détracteurs témoigne itérativement d’une tentative de rassembler une multiplicité d’approches académiques, subjectives, sociales et politiques en une figure unique et factieuse. La pensée décoloniale française rassemble en réalité un mouvement intellectuel et politique caractérisé par une extrême hétérogénéité. Se rencontrent ainsi différents champs disciplinaires au sein desquels intellectuels, universitaires, artistes ou encore militants revendiquent des positionnements singuliers aussi nombreux que variés. Si le décolonial français est le fruit d’une hybridation entre différents mouvements de pensée qu’il serait important de distinguer dans leurs approches spécifiques et distinctes, tous se rassemblent dans une volonté commune de travailler à la déconstruction d’un discours contemporain marqué par la persistance d’une logique coloniale et raciale.

2Dès lors, la médiatisation d’attaques répétées à l’encontre de la pensée décoloniale semble avoir pour but de discréditer et d’inquiéter pour étouffer toute velléité de réflexion sur ce sujet. Le décolonial apparaît comme un corps étranger à expulser, parce que tenant une position subversive dans le champ du savoir. Une telle hostilité ne va pas sans rappeler celle rencontrée par le mouvement psychanalytique dès ses débuts. Notamment, la façon dont la psychanalyse s’est imposée comme discipline de la pensée, depuis la scène sociale, et alors même que les institutions de savoir rejetaient unanimement ses propositions théoriques aussi innovantes que révolutionnaires.

3Hormis cette similitude contextuelle, on rencontre de nombreuses affinités théoriques ou épistémiques entre ces deux disciplines comme, par exemple, le fait d’interroger le point de vue dans le discours ou de s’intéresser aux effets subjectifs et sociétaux de la naturalisation des rapports de domination. Dès lors, ces correspondances nous invitent à envisager la possibilité d’un dialogue mutuellement enrichissant entre ces deux disciplines. Ainsi, comment, depuis le point de vue analytique, penser la controverse au cœur de laquelle se retrouve la pensée décoloniale en France ? De quelle manière la rupture épistémologique proposée par les décoloniaux vient-elle questionner le positionnement propre à la psychanalyse dans le champ du savoir ? Enfin comment, à travers un questionnement partagé sur le processus de subjectivation politique, pensée décoloniale et psychanalyse permettent-elles de faire entendre les enjeux éthiques de la position épistémologique du chercheur ?

Les éléments d’une controverse

4Dans le milieu universitaire, c’est le modèle latino-américain qui fait référence à travers ses méthodes et hypothèses théoriques. Le concept décolonial apparaît en Amérique latine à la fin des années 90, porté par le groupe de théorie critique Modernité/Colonialité/Décolonialité (MCD) qui rassemble des chercheurs latino-américains et caribéens. Le projet de ce groupe interdisciplinaire est de conjuguer engagement social et recherche universitaire dans la perspective de dévoiler la violence coloniale intrinsèque à la modernité, point inaugural d'une supériorité hégémonique de l’Europe qui s’instaure à partir de l’exploitation et la déshumanisation de populations altérisées. À travers cette terminologie, il est question de rendre compte de la permanence d’une certaine forme de colonialité, à envisager comme matrice de pensée maintenue au-delà de la décolonisation et à distinguer de « la colonisation qui est un événement/période » (Vergès, 2019, p. 27). Les études décoloniales permettraient la résurgence d’une mémoire oubliée dont la réapparition obligerait à penser le fait colonial sous une nouvelle perspective mettant en évidence des rapports de domination jusqu’ici occultés.

5Si on considère le décolonial d’abord comme questionnement scientifique, certains chercheurs décoloniaux français, parmi lesquels le philosophe Norman Ajari (2019), revendiquent le choix du signifiant décolonial non pas en référence au groupe MCD mais comme volonté politique de se situer en rupture face au paysage militant français (Ajari, 2019, p. 16). Ce dernier précise que c’est en 2008, à l’occasion de la « Marche décoloniale pour un mouvement antiraciste et décolonial autonome » que le terme décolonial est utilisé pour la première fois en France. L’emploi du vocable, s’inscrivant d’emblée du côté d’un militantisme politique, venait dénoncer la permanence d’une logique coloniale réactualisée à travers un colonialisme 5.0 qualifié de « racisme républicain ». Cette dimension politique semble participer de l’idée d’une infiltration des lieux de prestige par un corps étranger radical et dangereux, en ceci que l’irruption de ce mouvement de pensée dans le milieu de l’enseignement supérieur ou de la culture menacerait la République.

6Dans Le Point (2018), des intellectuels reconnus dénoncent une démarche idéologique, une « stratégie hégémonique » soutenue par une haine raciale, dont l’ambition serait en réalité de fouler aux pieds l’universalisme républicain afin de favoriser un communautarisme religieux. En 2019, ce sont quatre-vingts psychanalystes (Le Monde, 2019) qui feraient preuve d’originalité et de clairvoyance en refusant de s’abaisser à ce type de recherche érigée sur une pensée ségrégationniste « qui nie les processus toujours singuliers de subjectivation pour rabattre la question de l’identité sur une affaire de déterminisme culturel et social ». La stratégie des décoloniaux reposerait sur une diabolisation de l'État, taxé de racisme, et sur une discréditation systématique de tout opposant, lui interdisant de surcroît tout droit de réponse. Les pratiques de ces décoloniaux, « procéduriers » et « diffamatoires », relèveraient d’un « terrorisme intellectuel » (Le Point, 2018) visant à invalider toute liberté d’expression et à anéantir toute universalité. Leur arme première serait la culpabilisation par réactivation de l’idée de race qui engendrerait ségrégation et ressentiment.

La race

7Les opposants aux études décoloniales avancent l’idée que la société moderne est en voie de dépasser le racisme, et que l’usage des mots race ou racisme est contreproductif, en ce sens qu'il contribue à revigorer un passé chargé de préjugés et de discriminations, pourtant en passe d’être surmonté. Pour les journalistes de Marianne (2019), si la France coloniale était véritablement un pays raciste, c’est parce qu’elle était aux prises avec le système colonial, structurellement raciste. La décolonisation aurait mis un terme à un racisme exclusif d'une colonialité bornée temporellement. Toute tentative de réflexion autour du racisme apparaît dès lors comme un communautarisme qui ne vient qu’entretenir un mouvement de repli identitaire dangereux. Si le recours aux termes « racisé » et « non-blanc » est renvoyé à un prétendu racisme anti-blanc inhérent aux chercheurs décoloniaux, ces derniers s’en défendent et revendiquent une volonté de valoriser la race comme potentialité du divers.

8Cette conception se développe depuis celle proposée par Gilles Deleuze et Félix Guattari dans L’Anti-Œdipe (1972) et Mille Plateaux (1980). Si chez G. Deleuze et F. Guattari, il n’existe pas de définition stricte et univoque du concept de race, on peut néanmoins observer que celle-ci est toujours saisie au milieu d’une énumération éclectique de nombreux signifiants. Défilent ainsi « […] les races, les classes, les continents, les peuples, les royaumes, les souverainetés ; Jeanne d’Arc et le Grand Mongol, Luther et le Serpent aztèque. » (Deleuze & Guattari, 1972, p. 121) qui créent une configuration spécifique à travers laquelle la race est placée dans un rapport constant au divers. Cette profusion de signifiants entourant la race situe cette dernière à l’endroit d’une multiplicité, envisagée comme multiplicité de possibles. Pour G. Deleuze et F. Guattari, la race viendrait nommer une posture de constante mutabilité liée à des multiplicités bornées par deux pôles; un pôle schizophrénique et un pôle paranoïaque. Ces deux pôles viendraient encore redoubler la multiplicité de la race en multiplicités ouvertes du côté du pôle schizophrénique et multiplicités fermées pour le pôle paranoïaque. Dans cette conception, la race ne peut se réduire à une production de l’inconscient mais s’entend comme la matrice à partir de laquelle peut se développer l’inconscient. G. Deleuze et F. Guattari défendent l’idée selon laquelle c’est précisément le caractère indéfinissable de la race qui lui permet de s’instaurer comme matrice dans laquelle tout ce qui traverse le sujet, tout ce qui le constitue peut venir faire race. La race se considère donc comme un espace de possibles ou s’entrecroisent, s’articulent et se conjuguent les multiplicités.

9Cette potentialité métaphorique du concept de race est revendiquée par N. Ajari dans son usage des signifiants blanc et non-blanc, qu’il envisage comme le moyen de dénoncer l’emploi de guillemets autour du signifiant race. Selon lui, cette habitude typographique ne viendrait rendre que plus visible un « surinvestissement imaginaire » (Ajari, 2019, p. 11-12) et témoignerait d’une fantasmatique à l’œuvre, d’un « attachement inconscient » à celui-ci. Pour Françoise Vergès (2019), il ne s’agit pas de considérer le blanc ou le non-blanc dans un rapport à la couleur de son épiderme mais comme des catégories construites socialement dans une hiérarchisation des rapports intersubjectifs instaurés par la matrice coloniale. Autrement dit :

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[…] prôner l'existence des races est faux sur le plan scientifique. […] En revanche, la race existe si on entend par là l'une des modalités sociales de production des inégalités entre les groupes et si l'on reconnaît que les sociétés, même quand elles se définissent comme non racistes, continuent à en être tributaires et à reposer sur des hiérarchies qui ont une dimension raciale.
(Mazouz, 2020, p. 26)

11Ainsi, le contournement qui consisterait à éviter l’emploi du mot race et donc une réelle réflexion autour de ces questions, viendrait promouvoir l’illusion d’égalité que revendique l’universalisme républicain.

De la race à la question de l’universalité

12Cette dimension trompeuse de l’universalisme est aussi développée dans la conceptualisation théorique de Walter Mignolo (2015), co-fondateur du groupe MCD, qui avance l’idée selon laquelle l’esprit rationnel de l’Europe du XVIIe siècle procèderait d’une double substitution. D’une part l’idéal colonial de civilisation viendrait recouvrir et dénier la différence coloniale et, d’autre part, ce ne serait qu’au prix de sa soumission à cet esprit universel que le sujet se garantirait de son inscription dans l’humanité. Autrement dit, si l’homme peut se reconnaître homme parmi les autres c’est au prix de l’absorption de sa différence dans une normativité universelle.

13Dans La Politique du Voile, Joan Scott (2017) s’est intéressée à l’idée française d’universalisme républicain, notion dans laquelle, selon elle il y aurait quelque chose de mensonger. Ainsi, l’usage politique de la contradiction emblématique entre l’Occident et l’islam permettrait en réalité de dissimuler des problèmes se rapportant aux genres et aux inégalités entre les genres. Il s’agirait de les attribuer à l’islam pour ne pas avoir à les regarder en face, pour ne pas observer que les modèles d’égalité, tels qu’établis en France par le modèle républicain, reposent sur le maintien d’exclusions se rapportant à des positions minoritaires de genre ou de culture. Pour l’auteure, les réponses politiques ne prennent pas en considération ce qui est au travail dans ces questions, à savoir la négociation des différences dans un monde de globalisation, et échouent donc à résoudre ce problème. Les solutions apportées passent à côté de cette difficulté essentielle qui est l’existence de particularités qui rendent différents chacun de nous, les uns par rapport aux autres. L’enjeu est de reconnaître ces différences comme ce sur quoi repose la condition humaine et de les envisager autrement que dans une hiérarchisation de celles-ci, car cette hiérarchisation implique des rapports de pouvoir. Elle propose qu’au lieu de penser un être commun, où en quelque sorte chacun vivrait comme les autres, nous pensions à mettre en commun nos différences. Si on pense la différence comme le socle indispensable et à revendiquer comme tel de ce qui peut être défini comme condition humaine, alors on ne peut plus penser la différence comme outil nécessaire à la structuration du pouvoir. Les différences seraient donc à revendiquer comme potentialités qu’il convient de ne pas gommer dans une volonté de répondre au désir de faire de l’Un.

Pour une épistémologie mineure

14Pour W. Mignolo (2015), il est indispensable de travailler à l’élaboration d’un universel réinventé permettant de dépasser cette vision européocentrée reconnue comme valeur absolue. À cette fin, les études décoloniales proposent une rupture épistémologique qui permettrait de dévoiler et d’empêcher la pérennisation de ce système de semblant républicain intrinsèque à la colonialité. Les approches y sont intersectionnelles et cherchent à analyser les nouages à l’œuvre entre différentes formes de domination (sexe, race et classe).

15La colonialité se définit comme :

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[…] un des éléments constitutifs et spécifiques du modèle de pouvoir capitaliste. Elle s'appuie sur l'imposition d'une classification raciale/ethnique de la population mondiale qui constitue la pierre angulaire de ce modèle de pouvoir et elle opère à tous les niveaux, matériels et subjectifs, dans tous les milieux et toutes les dimensions de l'existence sociale quotidienne, ainsi qu'à l'échelle sociétale.
(Quijano, 2000, p. 342)

17Ainsi, les études décoloniales cherchent à révéler ce qui survit de l’ancien système colonial, dans la société actuelle, « un peu à la façon symbolique dont le mot « colonisation » se retrouve avec un préfixe dans celui qui l’a déplacé. » (Mannoni, 1966, p. 290). Dès lors, il s’agit d’entreprendre une interrogation éthique sur l’opposition présente entre les valeurs républicaines et humanistes prônées par la République et la manière dont la réalité coloniale vient les démentir. Il est question de penser non pas à partir d’un temps colonial mais d’un système colonial s’appuyant sur des rapports de domination en perpétuelle mutation afin que puisse advenir une pensée transmoderne et transcoloniale, ouvrant à une multiplicité de possibles.

Hybridation des savoirs

18L’épistémologie décoloniale s’inscrit à la jonction d’une « pensée frontalière » et d’une « conscience immigrante », qui permettent de la distinguer des « épistémologies territoriale et impériale reposant sur des politiques de connaissances théologiques (Renaissance) et égologiques (Lumières) » (Mignolo, 2013, p. 181-190) et qui, dans une prétendue quête d’universalité, rejettent toute prise en considération des expériences géo-historiques ou sensibles du corps.

19À travers les concepts d’« épistémologie frontalière » et de « désobéissance épistémique», W. Mignolo (2015, p. 25) entend souligner l’importance d’une épistémologie s’appuyant sur une connaissance située et singulière dans une articulation simultanée à d’autres regards, qui permettent une réflexivité sur ce savoir singulier, que la présence même du corps exclut de toute objectivité. Cette entreprise nécessite de reconnaître la légitimité de chaque chercheur tout en travaillant à s’émanciper d’une épistémologie héritée de la colonialité, et ce, afin de quitter toute binarité ou position de surplomb et de pouvoir adopter une position critique. Dans une telle démarche, il est indispensable d’engager une contre-analyse du modèle supposé se substituer au modèle dominant afin de rester vigilant face à toute tentation d’idéalisation susceptible de générer de nouveaux modèles hiérarchisants ou de nouveaux modèles d’exclusion (Boulbina, 2012, p. 147). Cela suppose également que la pensée décoloniale ne se situe jamais comme vérité centrale (Maesschalck, 2011), mais comme une vérité périphérique, en ceci que c’est dans les échanges avec d’autres vérités périphériques que quelque chose de collectif pourra émerger. Cette place de vérité centrale se doit de rester vide, vacante, pour qu’elle puisse se constituer comme un espace d’échange entre ces vérités.

20Cette profusion de points de vue empêche toute systématisation car elle repose sur une constante hybridation entre différentes formes de savoirs, différentes disciplines universitaires. Selon Thamy Ayouch (2018), on ne peut se prémunir contre une démarche néocoloniale qui projette des valeurs occidentales, blanches, sur d’autres sphères culturelles, en mettant en avant l’idée d’une spécificité altérisée. À l’heure de la globalisation et après tous les mouvements décoloniaux, il n’y a pas d’identité spécifique qui échappe à un brassage constant. L’hybridité introduit l’idée d’une mutabilité et d’une transformabilité constante, et permettrait donc d’éviter ces deux essentialisations que sont l’universalisme et l’altérisation. Il s’agit de permettre la coexistence de singularités plurielles, hétérogènes, de se détourner de toute tentation de réduction des individus à une identité unique et fixe pour pouvoir prendre en considération les différences et construire une pensée transmoderne et transcoloniale.

21Le projet décolonial s’appuie sur une énonciation plurielle (en ce qu’elle n’est pas réductible à une localisation unique et figée) et entend prendre en considération une parole subalterne jusqu’alors rendue muette ou dévalorisée, lui permettant ainsi de s’émanciper du discours économique et politique dominant. Ainsi, les écrits autobiographiques apparaissent simultanément comme les témoignages d’une expérience singulière, subjective et un appui pour une élaboration théorique dans une épistémologie « corpo-politique ». (Mignolo, 2015, p. 39)

Penser au singulier

22La logique d’infériorisation raciale moderne, coloniale, date du XVe siècle et avait pour but d’exclure du champ de la connaissance, sous prétexte d’infériorité, toute langue qualifiée d’impropre à l’intelligence rationnelle. N’étaient approuvés que le latin, le grec et les six langues européennes modernes. Les personnes ne parlant pas les langues élues se voyaient disqualifiées et n’avaient d’autres choix que de se reconnaître inférieures ou de tenter de prouver qu’elles appartenaient à la même humanité que ceux qui les avaient reléguées au rang d’humains de seconde catégorie. W. Mignolo propose une troisième voie par laquelle le sujet en se reconnaissant comme « personne frontalière » (Mignolo, 2015, p. 183), serait en mesure de s’émanciper de cette perspective binaire le réduisant à l’assimilation ou à la résignation. Pour W. Mignolo il est essentiel de garder une position d’« étranger sur sa propre terre » (Mignolo, 2015, p. 13), toujours dans la réinvention depuis ce point de vue de corps étranger qui pense et agit dans la visée de son propre dépassement. Ainsi, c’est parce que le chercheur décolonial est appelé à répondre de sa place, depuis sa position d’être toujours questionné sur sa légitimité à être, qu’il s’engage dans un retournement lui permettant de soutenir une position de chercheur voire de militant, en tout cas d’être questionnant.

23Il s’agit pour lui, de s’appuyer sur son expérience propre et la revendication de ce savoir comme condition d’une théorisation. L’enjeu est d’élaborer une forme hybride fondée sur l’articulation entre l’universel des concepts proposés par la théorie et les spécificités singulières et multiples. Le projet est d’approcher un réel, au sens de l’inélaboré du questionnement, et s’étend à la sphère sociale en permettant que faire et théorie se rencontrent.

24Dans cette perspective, N. Ajari (2019) considère qu’il est primordial de travailler à l’élaboration d’une nouvelle discursivité, ne pouvant s’instaurer que dans la rencontre entre élaboration d’une pensée théorique et expérience vécue. Cette nécessité d’une expérience sensible, corporée, répond également au constat de Marc Maesschalck (2015) pour qui la matrice coloniale repose précisément sur la séparation entre l’épistémologie et l’aesthésique [1] : le sentir. Dès lors, une des dimensions essentielles de la rupture proposée par la pensée décoloniale repose sur la revalorisation du sentir, et ceci dans une volonté de mettre fin à l’illusion de neutralité et d’objectivité scientifique instaurée par le dogme épistémologique moderne. C’est précisément ce que met en œuvre N. Ajari (2019) dans sa manière de s’impliquer dans ses écrits et de faire de la philosophie une expérience sensible en mêlant propositions théoriques et témoignage de sa propre expérience de chercheur français métis, racisé. Ce double positionnement permettrait, selon lui, de se dégager d’un universel abstrait pour se le réapproprier dans l’événement singulier.

De l’indigne à la dignité

25Ainsi l’usage du témoignage autoriserait une réappropriation du passé par laquelle le sujet altérisé s’ouvrirait à la possibilité de dépasser une condition d’indigne à laquelle il aurait été assigné par l’Autre du discours dominant. L’indigne (Ajari, 2019, p. 65-131) est ici à envisager comme une condition constante par laquelle le droit à être et l’être lui-même, jusque dans son corps propre, sont immuablement niés. Pour N. Ajari il est question d’une « auto-affirmation de la dignité » (Ajari, 2019, p. 33), à valeur politique, en ceci qu’elle engage une reconnaissance du sujet dans sa dignité d’être humain et « force la société dominante à rompre avec ses propres modalités traditionnelles de reconnaissance.» (Ajari, 2019, p. 33). C’est-à-dire qu’en s’éprouvant corporellement comme exclu, dans la rencontre corporelle, physiologique de l’assignation générée par l’autre, le sujet s’engagerait vers la dignité comme potentialité subversive de l’ordre social.

26La dimension politique du décolonial ne peut être évacuée. Son projet est double : altérer le pouvoir en place et instaurer un espace de visibilité politique pour ceux dont la parole n’a pas été entendue. Il est question de penser les singularités aux prises avec l’histoire de l’humanité. C’est-à-dire, non pas d’envisager l’histoire dans sa continuité temporelle, mais dans la déconstruction des dispositifs discursifs, que ceux-ci relèvent du pouvoir politique, de « micro-pouvoirs » (Foucault, 1976) ou d’une parole singulière. Dans cette perspective, la démarche collective qui vise à la déconstruction de présupposés sociaux et politiques produits par une colonialité sans cesse réactualisée, ne peut se désolidariser de celle qui commande de questionner la manière, toujours singulière, dont la subjectivité du chercheur rencontre ces questions. En effet, il semble incontournable que le penseur décolonial, comme le psychanalyste, s’emploie avec la même exigence à s’interroger sur son propre positionnement subjectif, inconscient, dans le discours qu’il produit. Si le propre de la méthode analytique est de contribuer à faire entendre et reconnaître des vérités singulières, ce n’est que depuis une position résolument « pariasitaire » (Allouch, 2003) qu’elle peut concourir à la déconstruction des discours normatifs qui contribuent à empêcher toute subjectivation politique des minorités. Il s’agit pour elle de s’appliquer à rester à l’abri de tous discours de vérité, de tous savoirs figés pour écouter et rendre compte de la parole singulière des sujets altérisés en dehors de toute tentation de catégorisation ou d’essentialisation des sujets. C’est à ces conditions que la psychanalyse peut apporter son concours à l’élaboration du processus de subjectivation politique proposé par la théorisation décoloniale. Ainsi, entrer en dialogue avec la pensée décoloniale, discipline en construction, en questionnement constant, invite la psychanalyse à s’interroger sur la normativité dans laquelle elle s’inscrit et à aller vers la créativité dont elle doit faire preuve pour éviter toute attitude de prestance.

Subjectivation politique

27Si comme l'avance N. Ajari (2019), le mouvement de subjectivation politique exige un dépassement de la condition d’indigne, il introduit l'idée d'un remaniement subjectif à travers lequel le sujet aurait à passer de la honte liée à l’indigne à la fierté dans la dignité. Ainsi, il ne s’agit pas uniquement de se reconnaître comme indigne pour pouvoir s’émanciper d’une telle position. Il s’agit aussi de se situer dans ce rapport au divers, à une altérité radicale, à sa propre « hontologie » (Lacan, 1969-70, p. 209) comme le dit Lacan, qui invente ce néologisme dans une volonté de rendre compte de la proximité entre l’affect de honte et l’être profond du sujet. La honte renvoie ici à ce qui est non reconnu, innommable parce que hors signifié, et se rencontre à travers le réel saisi dans le regard de l’autre. Rappelons que pour Lacan, le réel est l’expulsé du sens qui se situe dans un en deçà du langage et ne peut se définir que dans un rapport au symbolique et à l’imaginaire.

Détour par le stade du miroir

28Dans la conceptualisation lacanienne, le stade du miroir (Lacan, 1949), montre précisément comment au réel du corps morcelé de l’infans vient se substituer l’image spéculaire support de l’identification primordiale indispensable à l’instauration du Moi. Ainsi, le réel n’est pas aboli mais refoulé par l’image, à la fois aliénante et rassurante, qui vient mettre une forme sur ce réel multiple. Pour que l’unité se constitue dans l’image, pour que cette représentation imaginaire puisse se mettre en place, il faut que le sujet soit représenté par le langage, par le signifiant. C’est par le dire du parent le désignant dans cette image unifiée, que l’enfant peut s’identifier à cette unité imaginaire que lui renvoie le miroir et s'appréhender comme sujet. Le « Je » comme élément symbolique du langage, ne peut se mettre en place que dans la présence de l’Autre. Ce « Je » va représenter symboliquement, dans le langage, à la fois le côté réel et le côté virtuel, imaginaire, du sujet. Il marque la « dialectique du signifiant » (Lacan, 1969-70, p. 273) par laquelle il noue les dimensions du réel, de l’imaginaire et du symbolique. Ainsi, l’identification de l’enfant à cette image inversée et plate l’aliène en même temps qu’elle l’introduit à l’ordre symbolique.

29La stigmatisation, l’insulte, viennent remettre en cause cette image et les signifiants fondamentaux du sujet, l’Idéal du Moi du sujet, dans lesquels il n’est alors plus en mesure de se reconnaître. Le sujet se trouve déchu, dégradé dans sa valeur symbolique et imaginaire. L’Idéal du Moi n’est plus soutenu par le réseau des signifiants car un réel vient en opposition avec les coordonnées symboliques du sujet et engage une défaillance de l’unité psychique. Là où le sujet se rencontre comme indigne dans sa présence, c’est lorsque celle-ci est injustifiable, au sens où le sujet n’est pas reconnu par lui et par l’autre. Il manque à être et manque à avoir, et est donc indigne d’être tout court. Il devient un « toujours en trop » (Fanon, 1951, p. 659) dans le regard de l'autre.

30Pourtant, en même temps qu’elle place le sujet à cet endroit de vulnérabilité ontologique, l'insulte ouvre à la possibilité d’un remaniement subjectif. Pour Laurie Laufer (2015), si celle-ci situe le sujet à une place minorisée à l’intérieur du système produit par le discours dominant, elle l’autorise également à se reconnaître à cette place, c'est-à-dire à se reconnaître comme appartenant à un système hiérarchisé, à une place dévalorisée certes mais qui autorise le sujet à se situer conformément à la normativité ambiante. En cela, l’insulte est doublement efficiente car à la fois subjectivante et désubjectivante (Laufer, 2016, p. 22). Ainsi, le sujet doit pouvoir se reconnaître comme identifié à cette place désignée par l’autre pour s’en dégager en ceci que « l’indigne précède logiquement toute pensée de la dignité » (Ajari, 2019, p. 65). En se reconnaissant comme indigne d’être dans le groupe, il en fait partie (à la place qui lui a été désignée) tout en ne s’y réduisant pas (car il ne peut se reconnaître dans son être à cette place).

31C’est ainsi que le sujet peut se déprendre de son assignation pour s’inventer en tant que sujet indigne mais susceptible de soutenir son désir propre, Un-Digne comme potentiel d’une créativité s’ancrant dans la dignité.

La honte comme ressort de subjectivation

32Dans la cure analytique, le sujet remet en jeu ce qui lui a été adressé sous la forme d’éléments imaginaires et symboliques, dans une dialectique entre le réel et les dimensions symboliques et imaginaires. Si un réaménagement psychique s’élabore, c'est à partir d’aller-retour qui ne peuvent se faire que par le biais de l’inscription du sujet dans le langage, dans le symbolique. Cette dialectique, parce qu'elle engage un retour au multiple du réel, donne au sujet l’occasion de rencontrer sa honte. Celle-ci est alors à envisager comme ce qui surgit comme réel à la jonction entre l’imaginaire, le corps et le symbolique, le discours de l’Autre. C’est au prix de l’éprouver, physiquement et psychiquement, que le sujet pourra apprendre de sa honte. Dès lors, la prise dans le corps de la honte, le ressenti de honte, s’impose comme la marque de l’instauration d’une imaginarisation possible d’un morceau de réel, c’est-à-dire d’un passage possible dans l’imaginaire élaborable (Tisseron, 1992). Le ressenti de honte viendrait sortir le sujet d’une zone de non-être infligée par le signifiant via le corps. Il serait la marque et l’effet de l’introjection de ce signifiant comme possibilité de se reconnaître dans ce rien, et ouvrirait à la possibilité d’une réappropriation créative du signifiant.

Conclusion : honte et éthique

33 À travers le néologisme « hontologie », le projet de Lacan n’est pas uniquement de saisir la honte comme valeur indispensable à une sauvegarde psychique et ontologique mais d’abord de la reconnaître comme condition éthique. Pour Lacan, la honte ne se rapporte pas exclusivement à une honte d’être, car le sujet affecté par la honte l’est aussi en ce qu’il se découvre « faire tache dans le spectacle du monde » (Lacan, 1973, p. 89). C’est-à-dire que c’est précisément parce que le sujet appartient à l’humanité et que sa présence au sein de cette humanité est prise dans un tableau général qu’il a à répondre de cette figure humaine qu’il contribue à faire exister. Aussi revendique-t-il une inévitable traversée de la honte pour l’analyste (Lacan, 1969-70, p. 211). Cette incursion dans la honte s’inscrit dès lors dans une double potentialité ; permettre à l’analyste de se dégager d’une position où les enjeux subjectifs peuvent venir entraver voire invalider la démarche intellectuelle et renforcer une posture épistémologique d’écriture. C’est en ce point précis que le positionnement du chercheur décolonial rejoint celui de l’analyste et l’indispensable réflexivité dans laquelle tous deux doivent se placer par rapport à eux-mêmes et à leurs disciplines.

34La posture épistémologique du chercheur décolonial l’invite lui aussi à rencontrer sa honte et à travers elle la violence du réel qu’il ne peut garder brute. En effet, pour se reconnaître dans la dignité qu’il fait sienne le chercheur décolonial doit affronter un point ontologique aux abords d’un réel terrifiant, pour ensuite s’en décaler par la symbolisation. Ce faisant, il se détourne également du positionnement épistémique prévalant qui tend à garder le sujet pensant à bonne distance, et c’est potentiellement en cela qu’il peut être désigné comme menace à l’ordre établi. En effet, dans la perspective décoloniale, la nécessaire prise en considération de l’interaction continue entre le chercheur et son objet de recherche vient faire chuter l’illusion d’une connaissance absolue. À travers son analyse singulière, le chercheur met l’objectivité scientifique à l’épreuve d’une subjectivité, d’une humanité qui participe depuis une position minorisée, au système étudié. S’il est question que la production de savoir s’émancipe d’une normativité implicite à toute démarche scientifique, il s’agit également de ne pas être dupe des biais de pensée qui peuvent influencer le chercheur dans son intelligence de l’objet. Autrement dit, afin qu’une posture d’écriture puisse s’instaurer dans un rapport éthique, le chercheur décolonial, comme le psychanalyste, doit œuvrer conjointement à la déconstruction de toutes hiérarchisations présentes entre les différentes formes de savoirs qui seraient légitimées depuis une objectivité mensongère, et à l’objectivation des processus subjectifs à l’œuvre dans les interactions qu’il entretient avec son objet de recherche.

Notes

  • [1]
    Aesthésique vient du grec aisthêtikos et signifie : qui a la faculté de sentir.
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À travers les études décoloniales, il est question d’inventer un pluriversel susceptible de considérer le divers, la différence, de penser l’être en commun plutôt que le faire communauté. Dans la rupture épistémique proposée par les chercheurs décoloniaux, se rejoue quelque chose du positionnement théorique défendu par la théorie psychanalytique, dans la réalité contemporaine des corps minorisés. Pour que l’histoire singulière puisse devenir appui théorique, le chercheur décolonial doit, comme le psychanalyste, se déprendre de ses préjugés. Plus précisément, un tel positionnement, en dépit de l’écart réflexif qu’il suppose, ne peut tenir sans une réelle prise en considération de sa subjectivité et un travail visant à transformer la violence inhérente à la traversée de son histoire singulière.

Mots-clés

  • decolonial
  • psychanalyse
  • épistémologie
  • subjectivation
  • honte

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Salima Boutebal
Doctorante contractuelle en « Recherches en Psychanalyse et Psychopathologie », Université de Paris.
Université de Paris
UFR IHSS
Bâtiment Olympe de Gouges
8, rue Albert Einstein
75013 Paris
France
Mis en ligne sur Cairn.info le 11/01/2021
https://doi.org/10.3917/rep2.030.0165
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