I – Exégèse générale (1 à 4)
2. Daniel Marguerat éd., La Bible en récits. L’exégèse biblique à l’heure du lecteur, Labor et Fides, Genève, 2003, 461 p.
3. Jacques Cazeaux, Histoire, utopie, mystique. Ouvrir la Bible comme un livre, « Initiations bibliques », Le Cerf, Paris, 2003, 244 p.
4. Vicente Collado Bertomeu (Éd.), Palabra, Prodigio, Poesia. In Memoriam P. Luis Alonso Schökel, S.J., Editrice Pontificio Istituto Biblico, Roma, 2003, 378 p.
11. Raymond Brown, Croire en la Bible à l’heure de l’exégèse.
2Signalons pour commencer ce petit ouvrage qui, tardivement traduit en français puisque paru en 1981 sous le titre significatif The Critical Meaning of the Bible, n’a rien perdu de sa pertinence tant dans le contexte américain pour lequel il fut rédigé, que dans le contexte français actuel, ainsi que tel ou tel ouvrage recensé dans ce Bulletin peut le montrer. Disons même qu’il préfigurait ce que la Commission Biblique allait dire dans son document de 1993, L’interprétation de la Bible dans l’Église, à propos des critiques subies par l’exégèse critique précisément. Ainsi, dès l’avant-propos, le regretté R. Brown situe bien l’enjeu : « Pour certains, le sens que l’on découvre par cette critique est un sujet strictement réservé au monde de la recherche et n’a guère de rôle à jouer dans le domaine religieux. Une telle attitude a conduit de nombreux croyants à opter pour une approche plus simple — voire littéraliste — de l’Écriture. En ce qui me concerne, je suis convaincu au contraire qu’une lecture critique de la Bible correspond à un point "critique", c’est-à-dire crucial, pour les Églises et tout chrétien qui réfléchit » (p. 7).
3Après deux chapitres de rappels fondamentaux sur « La parole humaine du Dieu tout-puissant » et « La parole biblique pour ses auteurs et pour nous », R. Brown, non parfois sans humour sinon ironie, aborde justement le « point critique » du problème dans deux chapitres respectivement intitulés de façon questionnante et pressante : « Les exégètes, adversaires de l’Église : réalité ou fiction ? » et « Pourquoi la recherche biblique ne fait-elle pas avancer l’Église plus rapidement ? ». En suite de quoi, il ne peut hésiter à « Inciter tous les chrétiens à réfléchir » allant dans les trois derniers chapitres jusqu’à inviter l’Église, toutes les Églises, à se réformer.
4Il y a quelque chose du langage des grands Humanistes dans ce petit livre, et dans R. Brown, quelque chose d’un Erasme sinon d’un Lefèvre d’Etaples. Est-il nécessaire d’ajouter que nous partageons entièrement son point de vue ? Mais la vigueur et la rigueur n’ont pas besoin d’apologètes.
52. Daniel Marguerat éd., La Bible en récits.
6Cet ouvrage rassemble les communications d’une trentaine d’exégètes européens (et un américain) au premier Colloque international d’analyse narrative des textes de la Bible (Lausanne, mars 2002). Organisé en deux parties et onze sections, il couvre un certain nombre d’aspects qu’induit la perspective « narrativiste ». La 1re partie, « Bible et narrativité : recherches et enjeux » offre d’abord « L’exégèse biblique à l’heure du lecteur » qui permet à Daniel Marguerat, qui fut un des maîtres d’œuvre du colloque comme de l’édition, de décrire « le déplacement de questionnement qu’introduit l’analyse narrative : pour le dire en une formule, l’intérêt passe de l’auteur du texte au lecteur » (p. 8). Une telle ouverture est heureusement complétée par « Vingt ans d’analyse narrative des évangiles. Nouvelles perspectives et problèmes en suspens » (pp. 73-93) de R. Alan Culpepper, d’Atlanta, Jean-Louis Ska ayant examiné au passage et à propos du livre de Ruth « l’art narratif biblique dans l’AT » (qu’il faut prolonger par son intervention en séminaire : « Un narrateur ou des narrateurs ? »). La seconde partie, « Champs de recherche », propose, comme il se doit, un certain nombre de lieux où l’analyse narrative ouvre ou déplace des thèmes et perceptions : fiction et historiographie dans l’AT, analyse narrative et histoire des textes, le narrateur « dans tous ses états », jusqu’à « Des récits engendrant d’autres récits ».
7Cet ouvrage est d’abord remarquable par son originalité qui dit aussi une certaine vigueur — retrouvée ? — de l’exégèse francophone. Le deuxième colloque, celui de Louvain-la-Neuve en avril 2004, devrait confirmer les ouvertures et recherches de ce champ « narratif ». Qui d’ailleurs pourrait contester l’importance de la narrativité dans le corpus biblique ? Même si l’accent semble mis sur « le lecteur », sur quoi, après D. Marguerat, sont revenus un certain nombre d’intervenants, d’autres composantes n’ont pas été secondarisées : narrateur (au pluriel comme au singulier), art narratif dans ses variations et ses différentes « formes » littéraires comme dans les implications de signification de celles-ci, problèmes d’historicité…
8On retiendra aussi l’évocation d’un certain nombre d’écrivains, de critiques littéraires et de philosophes qui, familiers ou non de la Bible, apportent ici la pertinence de leurs intuitions comme de leurs principes (Umberto Eco, Paul Ricœur, pour ne citer que ceux-là).
9Est-ce à dire pour autant qu’il y a dans ces propositions d’approche narrative (ou narrativiste) une aussi importante nouveauté que certains le pensent ? Il est à noter qu’en débat final de colloque quelques évocations « historiques » rappelaient certains noms qui n’étaient pas seulement de précurseurs, Gunkel notamment. Car dire qu’en deçà de certains oublis, voire de certaines errances méthodologiques d’hier, il y eut attention et propositions principielles et méthodologiques pour ce que l’analyse narrative déploie aujourd’hui, ne réduit en rien l’importance des propos ni l’originalité des accents ni a fortiori les apports vraiment nouveaux de certaines analyses et propositions de lecture.
103. Jacques Cazeaux, Histoire, utopie, mystique.
11Dans le cours d’une œuvre qui s’élabore depuis plusieurs décennies maintenant et qui, par delà des études sur Platon et Philon notamment, conduit son auteur dans le large champ biblique, celui de l’histoire royale en particulier (voir infra n° 8), J. Cazeaux nous offre une sorte de halte sur son chemin pour faire le point sur sa pratique, sur ce champ exploré et sur notre propre lecture. Ainsi établit-il un catalogue d’éléments jugés cruciaux, « Trois sacrements » (Chabbat, cadastre et rois, et Arche), « Trois rivets » (les poids des conclusions, de la Genèse aux livres de Samuel, le rôle du milieu, et les débuts ou l’énigme), et « Trois nœuds » (la succession de Saül à David, la refonte d’Israël en Exil, et la mort et la résurrection de Jésus « le roi des Judéens »). À chacune de ces trilogies correspond un principe qu’on pourrait qualifier ici de textuel, mais à condition de ne pas entendre ce terme de façon réductrice : « la prophétie de fond », « la stratégie littéraire » et « la trame de l’histoire ». Du coup, J. Cazeaux s’explique sur une méthode qu’il explicite sans doute, et sur une vision qui domine plusieurs de ses ouvrages, proposant ainsi des clés d’intelligence du mythos biblique, pour reprendre la terminologie de N. Frye, cet au-delà des composantes et de l’histoire rédactionnelle du corpus biblique, au-delà qui fait sens pour le lecteur en même temps qu’il donne sens à l’ensemble comme aux éléments qui le composent.
12Telle est l’ambition de J. Cazeaux dans cet ouvrage où il confirme en quelque sorte le choix d’un itinéraire, les procédés méthodologiques et naturellement la maîtrise qu’il a acquise dans une forme d’exégèse qui privilégie une voie littéraire, laquelle ne peut que conduire à l’intelligence d’un rédactionnel particulier au service certes d’une tradition « mystique », mais tout autant d’un lecteur.
13L’ouvrage s’ouvre par une réflexion sur « les complications heureuses » dans lesquelles entre l’évocation de l’ouvrage de I. Finkelstein et de N. A. Silberman, La Bible dévoilée (dont ce Bulletin nous a fait découvrir l’étonnante récurrence de référence (voir infra n° 9 et 12). Du moins permet-elle à J. Cazeaux de préciser son point de vue sur « Foi et objectivité », selon quoi, l’esprit libéré de soucis par trop historicistes (« Si la Bible n’a pas dit exact, elle, il reste qu’elle puisse encore dire vrai » p. 15), peut entrer dans un texte dont la richesse de sens va bien au-delà de ces seuls soucis.
14On ne peut évidemment contester l’intelligence du propos, très souvent séduisant, et dont on sort avec le sentiment d’avoir saisi de façon exclusive le projet biblique. Cette séduction tient aussi à la façon dont J. Cazeaux émaille ses analyses et ses réflexions d’allusions littéraires ou artistiques (telle l’allusion, qui vaut le détour, au « grand danseur russe Nijinsky », p. 32, n° 2). Mais est-ce trop dire que cet ouvrage manifeste une sorte d’autonomie, au sens étymologique du mot, qui se marque notamment par l’absence de toute référence et de tout appui bibliographique ? Car il n’y a pas que cuistrerie ou implicite aveu de faiblesse à se référer à ses pairs et prédécesseurs : nous pensons en particulier au très intéressant chapitre, qui nous a paru tourner court, sur « la stratégie littéraire » pour laquelle le lecteur, auquel l’auteur pense si fort, eût été heureux de trouver des références qui lui permettraient de déployer et de poursuivre une réflexion qui ne peut avoir la prétention d’épuiser la recherche ni se réduire à ses propres virtualités.
154. Vicente Collado Bertomeu (Éd.), Palabra, Prodigio, Poesia.
16Œuvre pour honorer un professeur fameux, l’ensemble des études qui sont ici rassemblées présente tout d’abord un effort d’unité qui, pour être limité, n’en mérite pas moins d’être signalé. Ainsi, l’ouvrage s’ouvre-t-il par cinq études sur des textes des onze premiers chapitres de la Genèse (de FL. Garcia Matinez, A. Wénin, J. Garci Recio, J. Sanmaartin Ascaso et J. Trebolle Barrera). On est loin cependant de ce qui a été fait pour les Mélanges d’A. de Pury sur le cycle de Jacob (voir RSR, 89/4, 2001, p. 533-534) ! Autrement dit, nous avons affaire là, pour l’essentiel, à une suite dispersée d’études (même s’il y en a trois sur le Cantique des cantiques, de G. Ravasi, Éd. Zurro Rodriguez et Gr. Del Olmo Lette) assez habituelle dans ce genre d’ouvrage. L’ensemble est cependant de bonne qualité, ce qui nous fait déplorer un peu plus l’absence de tout index de références bibliques, de thèmes et d’auteurs, dont la nécessité est encore plus urgente en ce genre d’ouvrage « éclaté » qu’en tout autre. Celui-ci y perd une part de sa valeur.
II – Histoire d’Israël (5 à 12)
6. William G. Dever, Who were the Early Israelites and where did they come from ? William B. Eerdmans Publishing Company, Grand Rapids, Michigan/Cambridge, U.K., 2003, 268 p.
7. Bernard Forthomme, La folie du roi Saül, Les Empêcheurs de penser en rond/Le Seuil, Paris, 2002, 282 p.
8. Jacques Cazeaux, Saül, David, Salomon. La Royauté et le destin d’Israël, « Lectio divina » 193, Le Cerf, Paris, 2003, 417 p.
9. Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman, La Bible dévoilée. Les nouvelles révélations de l’archéologie, traduit de l’anglais (États-Unis) par Patrice Ghirardi, Bayard, Paris, 2002, 432 p.
10. V. Philips Long, David W. Baker & Gordon J. Wenham Editors, Windows into Old Testament History. Evidence, Argument, and the Crisis of « Biblical Israel », William B. Eerdmans Publishing Company, Grand Rapids, Michigan/Cambridge, U.K., 2002, 204 p.
11. Jean-Louis Ska, Les énigmes du passé. Histoire d’Israël et récit biblique, traduit de l’italien par Elena Di Pede, « Le livre et le rouleau », Éditions Lessius, Bruxelles, 2001, 145 p.
12. Pierre Deberge (sous la direction de), La Bible et ses personnages. Entre histoire et mystère, Bayard, Paris, 2003, 343 p.
175. Uta Zwingenberger, Dorfkultur der frühen Eisenzeit in Mittelpalästin.
18Que peut dire la « culture villageoise » (ou plus exactement peut-être, la « civilisation villageoise ») telle qu’elle ressort des tells du territoire palestinien de l’âge du Fer I et II ? Tout d’abord ce que les archéologues, avant toute hypothèse et surtout avant toute confrontation plus ou moins intempestive au texte vétérotestamentaire, lisent dans des pans de murs, des tracés de foyers, d’enclos et de demeures : le choix des sites, l’alimentation, l’organisation de la vie, les fonctions… La cartographie qui peut être dressée, soit de petites surfaces, soit de régions, est elle aussi révélatrice. Aussi les 137 premières pages de l’ouvrage nous ont-elles paru particulièrement importantes : affichant délibérément une démarche scientifique tant dans la pratique de la morphologie des lieux et les implications géographiques placées en priorité, que dans la référence aux différents archéologues depuis Albright dans les années 20 du xxe siècle jusqu’à Finkelstein en passant par Abel, Aharoni, Mazar, Neaehl…, U.Z. place sa démarche sous le signe de la prudence, voire d’une légitime hésitation. À partir de là, elle entre dans les Details des exhumations des principaux sites palestiniens, en fonction de quoi elle examine tour à tour l’habitat, la vie de village, les conditions d’existence, cuisine, vêtement, manufacture, culte… sans jamais se départir de cette prudence qui refuse toute extrapolation.
19Au terme de son parcours, elle s’attarde sur quelques positions d’archéologues, Amihai Mazars, Joseph A. Callaways et Israel Finkelstein, le tout complété, sur quarante pages, par une abondante bibliographie, soit générale, soit liée à chacun des tells évoqués et naturellement aux œuvres des auteurs et archéologues cités.
20Avant d’aborder des ouvrages plus avenants quant à la présentation sur les origines d’Israël et l’état des lieux, et selon un rapport plus ou moins justement établi entre le texte biblique et les sites, tel l’ouvrage de W.D. De-ver (cf infra, n° 6), il n’est pas inutile d’affronter l’ouvrage d’Uta Zwingenberger qui se tient d’abord assez rigoureusement aux données d’une archéologie qu’on pourrait dire ici « sans parole ». C’est dire qu’avec son inévitable austérité, cet ouvrage a quelque chose de fondamental pour quiconque veut s’enquérir du terrain palestinien et des données de ce terrain à une époque où l’on y cherche encore, parfois désespérément, parfois avec un zèle intempestif, des données « archéologiques » un peu trop vite rattachées aux livres de Josué ou des Juges, quand ce n’est pas à ceux de la Genèse et de l’Exode !
216. William G. Dever, Who were the Early Israelites and where did they come from ?
22Dans un souci pédagogique explicite qui se veut particulièrement adapté à la sensibilité du public américain, l’ouvrage de W.D. Denver suit la construction chronologique de l’AT pour tenter de dire les origines d’Israël et ses droits sur un territoire. L’Exode, la conquête de la Transjordanie puis de la rive occidentale du Jourdain sont confrontés à tout ce que l’archéologie peut révéler, mais aussi à ce qu’on peut aujourd’hui ressaisir du contexte du Proche-Orient ancien. En outre, il ressaisit les sites nommés dans les livres de l’Exode, mais surtout des Juges et des premiers livres de Samuel pour voir dans quelle mesure s’harmonisent fouilles archéologiques et données bibliques.
23Devons-nous avouer notre déception ? Elle ne tient pas d’abord aux discussions dans lesquelles entre l’auteur avec d’autres archéologues, et notamment avec Finkelstein dont manifestement il suit les travaux depuis plusieurs années. Ceci est légitime et permet au lecteur d’apprécier la valeur des arguments, voire d’avancer. Notre déception tient plutôt à une sorte de concordisme qui joue d’un entre-deux au demeurant invérifiable. Ainsi, pour l’histoire de Joseph par ex., Dever concédera que, si l’archéologie et l’histoire de l’Égypte n’en assurent rien, on ne peut lui refuser des « bases » ou un « noyau historique »… À force de vouloir apaiser les esprits ou de rassurer les « faibles », à force de s’appuyer sur le possible ou le vraisemblable, non seulement on ne garantit rien, mais on laisse de côté la véritable signification des textes dans leurs véritables et vérifiables dimensions, littéraires certes, mais aussi religieuses, politiques, etc.
247. Bernard Forthomme, La folie du roi Saül.
25Disons d’entrée qu’avec cet ouvrage nous n’avons pas affaire à l’œuvre d’un exégète, bien que l’auteur manifeste des connaissances suffisantes de l’arrière-pays critique, mais d’un philosophe qui saisit une « rédaction » comme œuvre de sens et donc d’interrogation sur la nature humaine, le pouvoir politique et leurs rapports. Ainsi, la « folie du roi Saül n’est pas une folie parmi d’autres ». Liée à la jalousie, elle l’est aussi à la royauté ; par là elle devient « une aliénation paradigmatique susceptible d’éclairer l’esprit humain lui-même » (Liminaire, p. 9 et 10 passim). Ainsi, plutôt qu’une « tragédie de Saül », il y a pour B. Forthomme un « Mystère de Saül » qu’il commence par explorer dans un premier chapitre intitulé « La jalousie comme Visitation : l’immanence de l’insaisissable », et par rapport auquel la figure de David joue un rôle essentiel. Car il ne s’agit rien moins que de ce qui se joue à travers le roi et l’avènement de la monarchie : « L’émergence de la figure royale est inscrite non seulement dans la nécessité d’une logique politique, mais d’un langage religieux, de la présence divine permanente par la médiation filiale. Présence qui, en contrecoup, unifie le peuple par l’autorité commune reconnue. Autrement dit, la fonction royale contribue à universaliser le singulier mais, en outre, à favoriser la perception de sa singularité, comme celle de son unité. Si la figure de Saül annonce, en un sens, celle de David… l’impuissance que manifeste le roi Saül (séparé de Samuel) à communiquer avec un Dieu personnel trahit à quel point un tel roi fait échec à la fonction royale idéale, à sa réalité messianique ou filiale. D’où le rattachement de la figure du Christ plutôt à David qu’à Saül, lui qui est nommé pourtant le premier Messie ! » (p. 39). Après un deuxième chapitre où « Les angoisses de la Loi » disent « la rigidité agressive du roi » comme son impuissance, le « Tetrapharmakon » ou « La quadruple cure messianique » (cure musicale, cure vocale et discursive, cure séparatrice et cure rectificative) débouche (inévitablement ?) sur « L’échec » du chapitre IV, échec qui se dit à travers la régression, la mort violente, le démembrement et l’impasse du non dynaste.
26Pareil ouvrage, qu’il est impossible de résumer dans la mesure où non seulement il fait appel à des concepts philosophico-politiques mais où il poursuit une réflexion de type théologico-politique (établissant en particulier des liens originaux avec le NT), n’en rend pas moins compte de la puissance de signification de la narrativité ultime du cycle de Saül, tant pour l’intelligence de la monarchie israélite que pour le rapport entre les deux Testaments.
278. Jacques Cazeaux, Saül, David, Salomon.
28C’est en suite de deux ouvrages antérieurs qu’il faut prendre ce nouvel ouvrage de J. Cazeaux, même si du point de vue de la chronologie de l’histoire l’un le précède et l’autre le suit, Le refus de la guerre sainte. Josué, Juges et Ruth (Le Cerf, Paris, 1998), et La guerre sainte n’aura pas lieu. Maccabées, Judith, Esther (id., 2001) : en effet, une sorte de thèse en continu sous-tend les trois ouvrages. Du point de vue du strict contenu, celui-ci se présente comme un commentaire des livres de Samuel et des premiers chapitres du 1er livre des Rois en fonction de ses trois héros. Cette lecture, attentive au moindre détail du texte reçu prioritairement comme une œuvre littéraire à intentionnalité claire, ne peut d’abord qu’encourager à s’y reporter comme à une sorte de référence sûre et paisible. Rappelons-en les attendus tels que l’auteur les rappelle lui-même dans son Introduction : « Nos deux ouvrages qui précèdent celui-ci ont montré que les textes offensifs de la Bible, ceux qui embarrassent aujourd’hui parce qu’ils ont l’air de raconter ou de prôner le nationalisme et le racisme et la guerre, faisaient à l’inverse le lit de la paix, de la tolérance, d’un universalisme réglé » (p. 7). Il y a là évidemment, bien que ce ne soit pas toujours perçu ou reçu, un réalisme littéraire qui n’est pas dupe du « cri », littéraire justement, à la fois signe d’impuissance et déni d’une réalité peut-être souhaitée mais qui ne cesse de se dérober. Cependant J. Cazeaux va plus loin : « Qui lit sans préjugé et d’un seul tenant l’histoire haletante d’Israël revient chaque fois, au bout de chaque unité littéraire, au centre de la forêt d’où partent en étoile toutes les rédactions. Ce centre est l’obsession du rédacteur ultime, qui, en quelques mois, peut-être, a réécrit tous les fragments d’épopées ou de contes, pour mettre en garde les fils de Juda contre la volonté de puissance inscrite dans le cœur de chacun » (p. 9).
29À chacun d’apprécier la pertinence de la thèse pour en mesurer l’efficacité. Avouons cependant notre gêne : pas plus que dans les ouvrages antérieurs, il ne se réfère à d’autres « lecteurs » et « lectures », ne retenant que G. von Rad (et sa Théologie de l’Ancien Testament) par rapport auquel, tout en reconnaissant « un maître », il prend ses distances, lui reprochant d’avoir trié « entre le point de vue religieux et le point de vue de la politique ou des questions sociales ». Si personnellement nous ne sommes pas aussi fortement sûr de la caducité de ce « tri » dans la complexité de la rédaction biblique, fût-elle finale, nous éprouvons quelques difficultés devant cette « autonomie » que nous avons signalée à propos de l’autre ouvrage de J. Cazeaux retenu dans ce Bulletin (supra n° 3). Encore une fois, si nous savons d’expérience qu’il y a une érudition livresque qui n’apporte pas grand-chose aux lecteurs, il y a également des débats confraternels ou collégiaux productifs : au niveau auquel se situe J. Cazeaux, personne ne peut s’ériger en autorité exclusive de son propre propos, aussi légitime et souhaitable soit l’originalité de l’auteur. Une rivière court moins le risque de l’oubli et de l’assèchement dans un paysage verdoyant, fut-il parfois menaçant, que dans un désert…
309. Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman, La Bible dévoilée.
31Paru en 2001 sous le titre The Bible Unearthed, qui évoque une Bible « déterrée », faisant quelque peu regretter son titre français, cet ouvrage est l’œuvre de deux archéologues. Si l’introduction des auteurs s’impose selon son titre « La Bible et l’archéologie », elle n’en déborde pas moins d’entrée les limites ainsi induites, par les questions d’ouverture auxquelles il est répondu assez vite : « Comment et pourquoi la Bible fut-elle écrite ? Quel rôle a-t-elle joué dans l’histoire étonnante du peuple d’Israël ? Ces questions sont étroitement liées au récit fascinant des découvertes scientifiques modernes (…) Plus de deux siècles d’études attentives du texte hébreu de la Bible et l’exploration, encore plus minutieuse, des moindres recoins de la région située entre le Nil, le Tigre et l’Euphrate ont permis de commencer enfin à comprendre quand, pourquoi et comment la Bible a pris naissance » (p. 15). Et la construction de l’ouvrage révélera des questions d’ordre proprement exégétique, voire historico-critique : une première partie traitant de l’« historicité de la Bible », des Patriarches à la conquête de Canaan, la deuxième, de l’« émergence et la chute de l’ancien Israël », la troisième partie enfin abordant la question, encore plus éminemment exégétique s’il est possible, de « Juda et la création de l’histoire biblique ». Suit un épilogue de près de cinquante pages s’attardant, hors cadre, sur quelques points particuliers impliqués par les sujets traités auparavant, telles les « théories relatives à l’historicité des patriarches », la « quête du Sinaï », etc.
32La première partie, sur les « informations » du Pentateuque (et de l’Hexateuque), n’apporte pas de révélation particulière, l’exégèse critique ayant depuis longtemps exploré et dégagé le terrain du texte, et étant plus ou moins parvenue à faire accepter ses conclusions quant aux questions d’historicité de ces époques et de ces lieux. C’est à propos de la première époque royale que l’ouvrage a le plus marqué — et a été le plus remarqué —, c’est-à-dire avec la deuxième partie intitulée « L’émergence et la chute de l’ancien Israël ». Ici, on ne peut tout d’abord que se féliciter de la riche information archéologique fournie par nos auteurs. Ils sont là dans leur domaine, et tant d’un point de vue positif que négatif, sur les « vides » ou les « silences » contraignants du terrain, ils ne sauraient être contestés que par leurs pairs tant sur le plan de l’élaboration des hypothèses que sur l’interprétation des résultats. Ce faisant, et au risque d’étonner sinon de scandaliser, ils ont heureusement vulgarisé des conclusions que les exégètes échangeaient depuis une bonne vingtaine d’années, sinon avant, dans leurs revues savantes et leurs congrès. Quant à la troisième partie intitulée « Juda et la création de l’histoire biblique », elle relève à proprement parler de l’histoire et de l’histoire de la composition des livres bibliques concernés par le sujet.
33Sans contester la compétence des auteurs dans leur domaine, il convient cependant de tenter de débrouiller un propos qui nous paraît mêler sinon confondre des pratiques et des domaines qui, pour être proches étant donné la communauté d’objet, n’en sont pas moins différents dans leurs approches, leurs méthodologies et leurs possibilités de conclusions. Une limite de l’ouvrage nous paraît être dans la façon de traiter le texte biblique. En bref, et malgré un objet et un but longtemps communs, l’exégèse et l’archéologie ne relèvent pas des mêmes implications, ce qui oblige leurs praticiens à quelques prudences à l’égard de la discipline de l’autre. Ainsi, affirmer tout de go en prologue que la « saga historique que nous conte la Bible — depuis la rencontre entre Dieu et Abraham » jusqu’à « l’émergence et la chute d’Israël et de Juda — ne doit rien à une quelconque révélation miraculeuse ; elle est le brillant produit de l’imagination humaine » (p. 11), c’est tout simplement établir le lecteur dans une confusion immédiate des catégories comme des données à étudier ; ce que confirme, en quelque sorte, un Prologue quelque peu hâtif imposant avant l’Introduction et avant toute question, un « Au temps du roi Josias » (pp. 11-14) qui mérite tout de même quelques préparations et nuances… D’autre part, si nous faisons confiance à la compétence archéologique des auteurs, nous ne pouvons que regretter une certaine prise du texte au pied de la lettre, sans soupçonner apparemment qu’un texte relève également d’une archéologie propre. Et que dire de l’emploi de « l’imagination humaine », aussi brillante fut-elle, le mot induisant de multiples possibilités de création en sus d’une acception péjorative à laquelle l’esprit du lecteur ne pourra ici échapper ?
34En résumé, sans contester la qualité de l’ouvrage ni ses apports, nous devons regretter que I. Finkelstein et N. A. Silberman en soient les seuls auteurs. Ils citent judicieusement plusieurs exégètes. Ils auraient pu aller plus loin dans l’implication de ces derniers : jusqu’à une collaboration avec l’un ou l’autre, jusqu’à une co-signature.
3510. V. Philips Long, David W. Baker & Gordon J. Wenham Editors, Windows into Old Testament History.
36« Il n’est pas rare aujourd’hui d’entendre dire que les études bibliques en général et les études de l’AT en particulier, sont en état de crise ». Ainsi se trouve introduit le projet de cet ouvrage par un de ses maîtres d’œuvre. Ainsi sur plus de vingt pages, V. Ph. Long décrit-il les symptômes de cette crise, laquelle, si on en croit la bibliographie, affecterait les études bibliques depuis un peu plus de vingt ans. Mais plus précisément, et dès les premières lignes de cette introduction, sont citées les universités de Copenhague et Sheffield, « two of the most highly regarder centers of biblical studies in Europe » (p. 1), comme les sièges principaux d’un « scepticisme » minimaliste sur les traditions prémonarchique d’Abraham aux Juges (« essentialy fictionnal »), jusqu’à considérer pareillement les récits de l’époque royale comme inventions de nouvellistes des périodes perses et hellénistiques. Le projet de l’ouvrage ainsi affiché consiste à retrouver une certaine mesure, non sans exposer les différents attendus de ces conclusions et des positions et méthodes qu’elles induisent ou mettent en œuvre. Aussi s’agit-il de « détecter les véritables revendications (« Truth Claims »), vérifier la valeur véritable des principes et des entreprises, et de clarifier les enjeux fondamentaux.
37Pour cela, la première étude, de Jens Bruun Kofoed, porte sur l’épistémologie et la méthode historique de l’« École de Copenhague » dont il voit la meilleure expression chez Niels Peter Lemche, Thomas L. Thompson et, « à un moindre degré », Fred Cryer. Mais c’est surtout à l’œuvre de Thompson qu’il s’attache et à son Early History of the Israelite People (1992), sans négliger la série d’articles de 1995-1996. Il conclura qu’en fin de compte ni Thompson ni les auteurs de sa mouvance n’ont fourni des arguments définitifs en faveur d’une composition d’époque perse et hellénistique, ni corrélativement contre des « témoignages » de l’époque israélite du Fer, tout en respectant l’ouverture au débat qu’ils ont créée.
38La deuxième contribution examine le « défi » qu’a voulu relever Baruch Halpern à partir du livre des Juges dans sa monographie The First Historians : The Hebrew Bible and History de 1988. N. Winther-Nielsen, en s’attachant à l’étude du lien entre « Fact, Fiction and Language Use », entend assumer le fait que la narrativité historique dans la Bible hébraïque relève d’un matériau « inextricablement tissé » de fils historiques, littéraires et idéologiques, en quoi, selon Halpern, se joue dans le récit une communication selon ces trois dimensions. Il serait trop long de détailler ici une étude qui nous a paru de grande finesse. Signalons seulement une ultime conclusion selon laquelle l’auteur de l’article reste devant une sorte de perplexité, car après tout, au vu des analyses d’Halpern, on ne peut décider si la Bible est « fact or fancy », le discernement entre réalité et imaginaire relevant d’une « décision » qui engage celui qui parle comme celui qui entend, aucune évidence ne pouvant être définitivement assurée.
39Plus brève, l’étude de Richard S. Hess sur Literacy in Iron Age Israel conclut d’évidence quant à l’écriture dans l’Israël ancien entre 1200 et 586 : à preuve, les 485 textes de 47 sites comptés par Millard dans son article de 1995, « The Knowledge of Writing in Iron Age Palestine », mais Hess précisant qu’ils sont à dater de la double époque monarchique d’Israël et de Juda, ce qui nous éloigne quelque peu de 1200… sans compter les sceaux.
40Parmi les autres études, retenons surtout celles de Kenneth A. Kitchen sur « The Controlling Role of External Evidence in Assessing the Historical Status of the Israelite United Monarchy », et de lain W. Provan, « In the Stable with the Dwarves : Testimony, Interpetation, Faith, ant the History of Israel ».
41De façon générale, il nous faut louer le sérieux de l’ensemble de ces études qui témoignent de la vivacité du débat certes, mais aussi de sa vitalité dont n’est évidemment pas absent l’enjeu qui le sous-tend : l’exigence de vérité historique pour des religions, le Judaïsme et le Christianisme, qui se sont élaborées sur elle, et de façon plus vaste, la question du rapport de l’homme au passé, à sa mémoire et au dire de ce passé et de cette mémoire. L’intérêt de cet ouvrage réside aussi dans le souci de ne pas exclure l’historiographie biblique du champ de l’historiographie en général.
42Est-ce à dire que sa lecture soit satisfaisante ? Regrettons tout d’abord une certaine dramatisation du débat dans l’Introduction de V. Ph. Long (comme dans le sous-titre the Crisis of ’Biblical Israel’). Qu’il y ait des tensions dans l’aire anglo-saxonne et notamment aux USA sur ces problèmes d’histoire et d’historicité, nous n’en doutons pas. Dans l’aire francophone, les choses paraissent plus sereines (les émois sur ce thème relevant davantage de lecteurs d’une grande presse qui jette régulièrement en pâture quelques scoops bibliques). Ce dernier constat nous permet de signaler une carence qui est rien moins que significative.
43En dehors d’un ridicule intitulé « The French Connection » pour une très rapide évocation de l’École des Annales (pp. 27-28), en dehors de l’évocation du « modèle » de Braudel et de trois ou quatre allusions à Ricœur, il faut reconnaître l’ignorance des travaux francophones particulièrement nombreux et importants en la matière ces dernières années. Il nous semble que tenir compte de ces travaux auraient sans doute apporté quelques nuances à un diagnostic général exagéré. Regrettons aussi que n’aient pas été davantage prises en considération les conditions d’écriture de l’histoire dans l’Antiquité, telles que Moses I. Finley par ex. nous les a rappelées dans son Ancient History. Evidence and Models, (Londres, 1985) : la Bible n’échappe pas à ces conditions (carences d’archives, impossibles vérifications et comparaisons, confiance en des documents trop divers, etc.). Ainsi, des tessons, des stèles, des sceaux, aussi nombreux soient-ils, des « ambiances » de villages et des références à des « royaumes » contemporains, laisseront toujours le lecteur de la Bible devant l’incertitude. Enfin, la critique littéraire, et pas seulement historique, devra continuer de jouer à plein dans l’appréciation même historique de tel récit, de telle allusion sous peine de confusions et de contresens. Mais par toutes ces réserves aussi bien que par des apports positifs, ces Windows into Old Testament History entrent justement dans le débat et la recherche qu’exigent les questions d’histoire dans le cadre de l’intelligence de l’AT.
4411. Jean-Louis Ska, Les énigmes du passé.
45D’abord publié en italien en 1999, ce livre de modestes dimensions regroupe conférences et échanges de séminaires d’introduction à la lecture de l’AT. il s’agit donc dans une certaine mesure d’un ouvrage de vulgarisation. Mais l’approche par le « récit biblique » et l’importance de l’œuvre de l’auteur autorisent à le signaler dans le cadre de ce Bulletin. Ajoutons qu’après les ouvrages sur l’historiographie et l’archéologie « bibliques » dont nous venons de traiter, celui-ci remet un certain nombre de choses au clair, tout en entendant proposer « une voie moyenne » entre une « historicité fondamentale » des récits bibliques, et « une critique effrénée » de toute l’histoire biblique. Encore faut-il pour cela « se pourvoir de quelques outils indispensables », et « la première chose à enfiler dans son bagage est une connaissance de ce qui s’est passé au xixe siècle dans le domaine de l’étude de l’histoire biblique » (p. 6), même si, comme le rappelle J.-L. Ska, « il faudra utiliser cette connaissance avec la prudence requise ». Autrement dit, « les récits bibliques ne nous disent pas grand-chose sur le monde qu’ils décrivent (le "monde du texte"). Ils nous disent bien plus sur le "monde des auteurs" ». Or cette « distinction simple entre "monde du récif et "monde de l’auteur" est fondamentale » (pp. 6-7 passim).
46Selon les caractéristiques d’un manuel d’introduction, celui-ci procède par commentaires de textes choisis. Après un certain nombre d’ouvrages durcis dans des critiques et réserves paralysantes à propos de l’histoire dans l’AT, celui-ci est à prendre comme une source d’eau fraîche, indispensable justement pour une approche intelligente et apaisée du corpus biblique.
4712. Pierre Deberge (sous la direction de), La Bible et ses personnages.
48Les dix conférences données dans le cadre de la Faculté de théologie de Toulouse, qui constituent cet ouvrage, traitent de quatre grandes figures de l’AT (Abraham, Moïse, Salomon et Élie), et de sept du NT (Jean Baptiste, Marie de Nazareth, Marie Madeleine, Jacques, le frère du Seigneur, Jean, le disciple bien-aimé, Pierre et Paul). Si au simple intitulé on peut regretter au passage une certaine hâte à identifier Jean au disciple bien aimé, ce par rapport à quoi l’auteur, Bernadette Escaffre, prend immédiatement distance, on ne boudera pas son plaisir devant la vigueur de l’ensemble.
49Placé sous le signe du « trouble » qu’ont pu provoquer « l’ouvrage décapant de I. Finkelstein et N. A. Silberman » (voir supra n° 9), et un autre ouvrage qui, à notre avis, ne mérite nul honneur étant donné non seulement sa « radicalité », mais le caractère à la fois farfelu et traditionnel (depuis trois siècles) de sa thèse (Les secrets de l’exode. L’origine égyptienne des hébreux), ce recueil se tient avec justesse entre intelligente vulgarisation et rigueur d’analyse. Certes, les enjeux théologiques induits par le principe d’incarnation, tant dans le judaïsme que dans le christianisme, ne peuvent laisser passer à pertes et profits les questions d’histoire et d’historicité. Et il ne suffit pas d’affirmer d’entrée, comme c’est le cas dans l’ouvrage de Finkelstein et Silberman, que « la saga historique que nous conte la Bible (…) est le brillant produit de l’imagination humaine » pour que la cause soit entendue. Aussi est-ce un des principaux mérites de ce recueil que d’affronter immédiatement le problème sans céder pour autant à une sorte de récupération par l’ambiguïté ou le flou : les analyses montrent, si l’on peut dire, l’art des constructions littéraires et théologiques des textes qui dressent ces figures et qui, du même coup, en assurent fécondité de sens, ce que ne suffit jamais à assurer la certitude historique qui peut se réduire à un anecdotique insignifiant. Signalons au passage l’intéressante confrontation du texte biblique et de la « relecture » coranique de la figure d’Abraham (pp. 51-56) : ce n’est pas s’engager beaucoup que d’affirmer qu’il risque d’y avoir là, dans les prochaines années, cause de tension, les problèmes que soulèvent les textes dans leur production chronologique étant pour le coup difficilement réductibles par le seul souci d’intelligibilité doctrinale…
50Les références bibliographiques, tant dans le cours des exposés qu’en finale de l’ouvrage, confirment le sérieux de l’entreprise, même si on doit, une fois de plus, regretter l’absence d’index de noms et de références bibliques.
III – Canon et Théologie biblique (13 à 27)
14. J.M. Auwers, H.J. de Longe (Edited by), The Biblical Canons, BETL 163, Leuven University Press, Uitgeverij Peeters Leuven, 2003, 718 p.
15. Jean-Michel Poffet (Sous la direction de), L’autorité de l’Écriture, Lectio divina hors série, Le Cerf, Paris, 2002, 302 p.
16. Raymond Kuntzmann (Sous la direction de), Typologie biblique. De quelques figures vives, « Lectio Divina » hors série, Le Cerf, Paris, 2002, 278 p.
17. André Lemaire, Naissance du monothéisme. Point de vue d’un historien, Bayard, Paris, 2003, 194 p.
18. Otto Kaiser, Zwischen Athen und Jerusalem. Studien zur griechischen und biblischen Theologie, ihrer Eigenart und ihren Verhältnis, BZAW 320, Walter de Gruyter, Berlin, New-York, 2003, 334 p.
19. Othmar Keel und Erich Zenger (Herausgegeben von), Gottesstadt und Gottesgarten. Zu Geschichte und Theologie des Jerusalemer Tempels, Quaestiones disputatae 191, Herder, Freiburg, Basel, Wien, 2002, 288 p.
20. Camille Focant (SOUS la direction de), Quelle maison pour Dieu ? Lectio divina hors série, Le Cerf, Paris, 2003, 470 p.
21. Hubert Tita, Gelübde als Bekenntnis. Eine Studie zu den Gelübden im Alten Testament, Orbis Biblicus et Orientalis 181, Universitätverlag Freiburg Schweiz, Vandenhoeck & Ruprecht, Göttingen, 2001, 251 p.
22. Ralf Miggelbrink, Der zornige Gott. Die Bedeutung einer anstössigen biblische Tradition, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt, 2002, 168 p.
23. Hermann Spieckermann, Gottes Liebe zu Israel. Studien zur Theologie des Alten Testaments, Mohr Siebeck, Tübingen, 2001, 234 p.
24. William P. Brown, Editor, Character and Scripture. Moral Formation, Community and Biblical Interpretation, William B. Eerdmans Publishing Company, Grand Rapids, Michigan/Cambridge, U.K., 2002, 440 p.
25. David Instone-Brewer, Divorce and Remarriage in the Bible. The Social and Literary Context, William B. Eerdmans Publishing Company, Grand Rapids, Michigan/Cambridge, U.K., 2002, 355 p.
26. Françoise Mies (éd.), Bible et sciences. Déchiffrer l’univers, Lessius, Bruxelles, 2002, 199 p.
27. Françoise Mies (éd.), Bible et économie. Servir Dieu ou l’argent, Lessius, Bruxelles, 2003, 171 p.
5113. Lee Martin McDonald, James A. Sanders Editors, The Canon De-bate.
5214. J.M. Auwers, H.J. de Longe (Edited by), The Biblical Canons.
5315. Jean-Michel Poffet (Sous la direction de), L’autorité de l’Écriture.
54Même si inévitablement ces trois ouvrages se recoupent, tel et tel collaborateurs ayant même collaboré aux deux premiers pour des contributions, il est vrai, différentes, ils ne se distinguent pas moins quant à la problématique générale et quant à l’ensemble des contributions. Pour débat et pas seulement pour mémoire, il serait d’ailleurs intéressant de comparer ces deux premiers ouvrages dans leurs différences même avec l’ouvrage, vieux de treize ans maintenant, du Centre Sèvres, Le Canon des Écritures. Études historiques, exégétiques et systématiques (sous la direction de Chr. Theobald, Lectio divina 140, Le Cerf, Paris, 1990). Ainsi que le rappellent les éditeurs dans l’Introduction au The Canon Debate, c’est depuis une quarantaine d’années surtout qu’on s’intéresse plus particulièrement aux problèmes de canonicité, bien au-delà de la classique Redaktiongeschichte de Gunkel. Et d’évoquer pour commencer les travaux précurseurs de H. E. Ryle, Alexander Souter, Heinrich Graetz, Moses Sutart et Edward Reuss. Après quoi, sont posées les « questions majeures » dont la moindre n’est pas celle de l’idée d’un canon au moment de l’enseignement du Christ, ainsi que celle de la durée des premiers siècles du Christianisme, où le canon ne parut pas toujours être une question. Question chrétienne sans doute, mais qui ne peut exclure celle d’un rapport au Judaïsme dans l’inventaire de ses Écritures à ce moment-là, pas plus qu’elle n’exclut la question des implications réciproques entre Canon et Écritures justement.
55À partir de là, l’ouvrage se divise en deux parties, la première sur le Canon de l’Ancien/Premier Testament, la seconde sur le Canon du Nouveau/Second Testament. S’il n’est pas question de rendre compte de toutes les contributions dont aucune ne nous a paru inutile ou superficielle, attirons l’attention sur telle ou telle. Pour commencer, Eugene Ulrich en propose une très didactique et donc indispensable sur la notion et la définition de canon. Après quoi, Ph. R. Davies traite du canon juif « in Cultural Perspective », J. Blenkinsopp pour la formation du canon de la Bible hébraïque s’attarde sur « Isaiah as a Text Case », et A. C. Sundberg Jr. traite à propos de l’inévitable Septante, de la Bible du Judaïsme hellénistique. À partir de ces bases, seront traitées les questions des manuscrits de la Mer Morte, les origines du canon tripartite de l’AT. Comme il était également indispensable, J. P. Lewis fait le détour par un « Jamnia Revisited » où il rappelle l’élaboration de l’« hypothèse » de l’assemblée de Jamnia, le phénomène de consensus autour de cette hypothèse puis, après avoir passé en revue les différentes étapes de la remise en question, conclut avec A. Sundberg et Lee McDonald que l’hypothèse est cette fois bien morte ; qu’en dehors de la reconnaissance du Cantique et de Qohélet, il n’y a pas grand-chose à en retenir. Quant à la fixation du canon en trois parties, elle doit être établie « entre 70 et 135 » (p. 162). Signalons encore les études sur l’apparition du codex et son influence sur la conscience du canon (R. A. Kraft), et le statut du texte massorétique dans les éditions modernes (Emmanuel Tov). James Sanders conclut avec « The Issue of Closure in the Canonical Process ».
56De façon générale, la plupart des questions concernant le canon du NT, ce qui n’est pas notre sujet, sont traitées soit de façon historique et générale, soit de façon interne au NT tel que nous le possédons (signalons pour ce dernier point, l’étude de Fr. Bovon « The Canonical Structure of Gospel and Apostle »). Enfin de précieux appendices ferment heureusement l’ouvrage sur les « sources premières » ou sur les listes de catalogues des collections de l’A. et du NT. Signalons également de nombreux index.
57Avec The Canon Debate nous disposons d’un ouvrage complet qui nous paraît un indispensable instrument pour le travail tant de l’exégète que du théologien. Documents, histoire, enjeux théologiques, tout nous paraît évoqué de façon pertinente et constitue pour un bon moment un point sur une question à la fois fondamentale et ultime dans l’étude de la Bible.
5814. Produit des importantes « Journées bibliques de Louvain/Bijbelse Studiedagen », plus précisément celles du 25 au 27 juillet 2001, ce recueil d’actes de colloque se distingue de ce fait de l’ouvrage précédent dont la construction, plus didactique, présentait une sorte de somme sur le sujet. Même si on y retrouve la plupart des thèmes abordés dans le précédent, ce recueil vient en contrepoint complémentaire. On ne saurait trop évidemment inviter les lecteurs à confronter les études de celui-ci à celles de celui-là ; il y a là une précieuse occasion de prolonger et compléter le « débat » ouvert et voulu dans l’ouvrage de L. M. McDonald et J.A. Sanders. Signalons la place accordée au psautier dans la perception des problèmes de canonicité pour l’AT (études particulièrement suggestives de J.-M. Auwers et de Erich Zenger). « L’apport des Pères de l’Église » de G. Dorival complètera heureusement les contributions sur les IIe et IIIe siècles chez L. M. McDonald et J.A. Sanders. Pour le NT, signalons « La naissance de la notion d’Écriture dans la littérature johannique » (J. Zumstein) ainsi que « Die Sammlung der Paulusbriefe im 1. und 2. Jahrhundert » (A. Landemann). De façon générale, c’est peut-être sur le NT que ce recueil d’actes de Leuven nous a paru le plus original et, de ce fait, plus complémentaire de l’ouvrage précédent.
59Quoi qu’il en soit, ce recueil nous paraît fondamental et indispensable, et devrait être inséparable de celui de L. M. McDonald et J.A. Sanders. Avec Le Canon des Écritures du Centre Sèvres, nous avons là, sur une dizaine d’années, un ensemble qui devrait exclure à la fois les fausses évidences et les consensus caducs sur ce thème important. C’est aussi une des meilleures façons d’ouvrir à ces questions fondamentales de la réception et de l’inspiration des Écritures dans le Christianisme dont le colloque 2004 des RSR voudraient explorer les enjeux.
6015. L’autorité des Écritures, sous la direction de J.-M. Poffet, directeur de l’École biblique de Jérusalem, rejoint naturellement ces deux ouvrages puisqu’il traite largement du Canon des Écritures et des questions de canonicité. Il s’agit d’un ensemble de contributions à un colloque organisé à l’École biblique de Jérusalem en septembre 2000, avec en arrière-fond la perspective d’une « nouvelle édition de la Bible de Jérusalem tenant compte des acquis d’un demi-siècle d’exégèse ». L’introduction se place délibérément dans une perspective catholique avec le rappel du « défi de Vatican II » par la constitution Dei Verbum (ce qui vaut une pertinente réflexion sur certaines « difficultés » de ce texte…), et la classique remise en chaîne des trois documents, avec les encycliques Providentissimus (1893), de Léon XIII, et Divino afflante (1943) de Pie XII.
61Il serait dommage que cet ouvrage fasse figure de parent pauvre après les importants volumes précédents qui semblent avoir tout couvert sinon tout dit sur le Canon. Outre l’orientation de départ sur la perspective d’un travail nouveau de traduction de la Bible, outre la qualité de la plupart des contributions, cet ouvrage est important pour l’inquiétude qui fleure ici et là et ce, dès l’introduction : « Le texte scripturaire n’est plus… une seule trace du passé, il est semence de sens et de vie divine. L’événement rapporté a été non seulement vécu mais interprété, écrit et situé dans un corpus pour que… il continue de faire sens, d’interpeller la communauté chrétienne. Voilà donc esquissés quelques appels venant sinon de la majorité des exégètes, du moins de ceux qui tiennent à ne pas sacraliser la coupure radicale entre dogme et histoire, entre méthodes historiques et critiques et lectures anciennes de l’Écriture… » (p. 17).
62Par-delà les questions de canon et de canonicité, deux parties nous paraissent plus originales quant aux questions posées et aux enjeux envisagés, celle qui traite du « livre pour l’Islam et le judaïsme », et celle qui aborde les « problèmes modernes de lecture chrétienne ». Pourtant, à notre avis, ces deux parties pèchent par leur brièveté, car l’une et l’autre auraient justifié chacune à elle seule un véritable colloque. Pour la seconde surtout, les deux contributions, « Où est la parole de Dieu ? » et « Pour une critique des méthodes littéraires » nous ont paru parfois simplistes, voire confuses quant aux catégories évoquées, s’appuyant ici ou là sur des « évidences » qui n’en sont pas. Si l’on a quelque sens des origines de ce qu’on pourrait appeler la double crise de la lecture moderne de la Bible, au xvie siècle, plus doctrinale, et au xviie siècle, plus herméneutique, on ne peut tenir longtemps à une fantasmatique « méthode historico-critique » plus ou moins chargée de tous les péchés d’Israël. Et la référence donnée à l’appui de cette thèse (pp. 261 ss), à une contribution du Card. J. Ratzinger dans un ouvrage à la très discutable déontologie, loin de la confirmer, la fragiliserait plutôt… En réalité, l’ensemble des travaux qui marquèrent les xviie, xviiie, xixe et xxe siècles, entre la France, la Suisse, l’Allemagne, l’Angleterre et la Suède, révèle une nébuleuse autrement complexe et difficile à saisir que certaine paresse de pensée, en France surtout, tend depuis quelques années, à le dire à travers la discutable expression de « méthode historico-critique ».
63D’autre part, est-il si sûr et définitif que « la critique théologique des méthodes exégétiques se fait au nom de la foi et de l’autorité des Écritures, dont elle vise à préserver et à promouvoir la sacramentalité » (p. 260) ? Là encore, il faudrait se garder d’inverser les propositions : car la double crise de lecture à laquelle nous venons de faire allusion a été provoquée par des crises de la foi, de la théologie et de l’institution ecclésiale. En ce sens, l’exigence critique, qui fut aussi bien historique que littéraire ou linguistique, voire psycho-sociologique ou autre, tout au long de ces quatre siècles écoulés, a été avivée par des questions de type herméneutique et théologique. S’il est normal de demander des comptes aux différentes « méthodes », littéraires ou autres, cataloguées dans le document de la Commission biblique pontificale de 1993, il n’est nullement présomptueux de demander à la théologie de s’expliquer sur un certain nombre de ses propres catégories avant de la faire s’ériger en juge ultime. Car à notre sens, s’il y a eu carence de réflexion, tant à la fin du xviie siècle qu’à la fin du XIXe au moment de la crise Moderniste notamment, ce fut bien davantage du côté de la théologie que du côté de l’exégèse.
64On regrettera donc les limites de cet ouvrage qui apporte pourtant beaucoup, ne serait-ce que par les questions posées, les inquiétudes et soucis explicités. Tel quel cependant, il a le mérite de dire certaines urgences, certaines carences, et de faire souhaiter que sans trop tarder l’exégèse biblique et la théologie, au lieu de s’épuiser dans de vaines querelles de méthodes, d’écoles, de tendances ou simplement d’ignorances, se mettent sérieusement et humblement au travail d’inventaires et de confrontations menés dans une perspective constructive.
6516. Raymond Kuntzmann (Sous la direction de), Typologie biblique.
66« Notre groupe de travail — l’Équipe d’accueil 2328 de la faculté de théologie catholique de l’université Marc-Bloch de Strasbourg — a mené de 1997 à 2001 un plan quadriennal de recherche sur la typologie. » Ainsi présenté dans l’Avant-propos par le maître d’œuvre, le Professeur R. Kuntzmann, l’ouvrage qui a principalement rassemblé des professeurs de l’Université de Strasbourg, a également sollicité la collaboration de Th. Römer, de l’Université de Lausanne, et du regretté P. Beauchamp, des Facultés jésuites de Paris.
67Dans la première communication, J.-M. Husser présente « la typologie comme procédé de composition dans les textes de l’AT », suivie par trois études donnant des exemples de cette pratique dans ce Testament : « la définition d’un type au fil d’une lecture intertextuelle (2 Ch. 20,5-13) » (R. Kuntzmann), « Typologie exodique dans les récits patriarcaux » (Th. Römer), « Y a-t-il une typologie de l’Exode en Isaïe 43,16-23 ? » (E. Bons). Après quoi, et comme en transition vers le NT, la contribution de Cl. Coulot, « La Nouvelle Alliance au pays de Damas » opère une sorte de double déplacement par le thème de l’Alliance et par l’étude d’un document de Qumran, à partir de l’« allégorie » du forage du puits en Nb 21,18. Ainsi, B. Renaud peut enchaîner sur « Jésus et la (Nouvelle) Alliance dans les récits de l’institution eucharistique ».
68Pour le NT, un passage était incontournable. D. Gerber s’attache donc à Ga 4,21 -31 pour s’interroger sur « l’indéfinissable méthode ». Et comme pour l’AT, trois cas sont ici étudiés : « La figure de Joseph dans le discours d’Etienne en Ac 7,9-16 : amorce d’une typologie christologique » (Nathalie Siffer-Wiederhold), « Déluge et typologie dans 1 P 3,19-21 » (J. Schlosser), « La Figure du Frère dans 1 Jn 3,12. L’audace de la typologie et ses clins d’œil au lecteur » (Michèle Morgen). Dans « Sagesse et Torah. Accomplissement et folie », P. Beauchamp rappelle le nécessaire « accomplissement » de la « Loi » (selon le vocabulaire chrétien) et pas seulement du prophétisme. Enfin, M. Deneken traite de « Jésus de Nazareth, fondement atypique de la typologie chrétienne ».
69S’il est difficile, en raison de la diversité des intervenants, de ressaisir la richesse de cet ensemble, citons du moins ces lignes de la conclusion générale : « …l’interaction textuelle et l’insertion de traditions anciennes dans un nouveau contexte idéologique et social font naître un monde textuel autonome et un champ symbolique neuf. La lecture de ce novum ne saurait se limiter à sa seule prise en compte symbolique. Elle est aussi une quête littéraire dans la profondeur des textes anciens et de leur fécondité. C’est un processus de Wirkunggeschichte, ni aveugle, ni débridé, mais créateur de novum » (p. 268). Sur une question complexe, fréquemment réfléchie depuis la virulente critique de l’allégorie à la fin du xve siècle et au début du xvie, cet ouvrage, précisément par la diversité des auteurs, des exemples et des accents, apparaît comme une importante contribution à l’intelligence du lien entre Ancien et Nouveau Testament comme au jeu fécond de l’intertextualité. Il ne peut pas être ignoré.
7017. André Lemaire, Naissance du monothéisme.
71C’est principalement une étude sur les origines et les évolutions du Yahwisme que nous propose A. Lemaire qui prend la peine, en introduction, de préciser un certain nombre de termes autour des désignations et manifestations du divin, polythéiste et monothéiste. Précisons que c’est aussi en épigraphiste qu’A. Lemaire complète une information à la fois exégétique et historique. La religion et le Dieu d’Israël sont évidemment au centre de l’étude qui utilise largement les données de l’AT, et ce, dès les « origines », c’est-à-dire à partir des traditions mosaïques et des premiers témoignages cisjordaniens. Il y a donc là, plus qu’un point de départ de l’étude, un véritable pôle, l’autre pôle se fixant sur les inductions de l’Exil. À partir de là, en effet, on touche à une incontestable évolution en direction d’un monothéisme exclusif appelé à un universalisme d’abord contestataire de toutes les formes de polythéisme.
72C’est un parcours classique qui nous est proposé dans cet ouvrage marqué par les grandes connaissances de l’auteur, nourri de références bibliographiques nombreuses, et garanti par une grande prudence, notamment en ce qui concerne une éventuelle parèdre de Yhwh (pp. 73-82 ; en quoi le talent de l’épigraphiste joue heureusement), ou à propos des origines de la synagogue (p. 147 et la précieuse note 1 pour la bibliographie). Mais ce parcours, par son classicisme même, laisse parfois le lecteur sur sa faim, et les conclusions prudentielles de l’auteur, accroissent paradoxalement une certaine tension : ainsi, pour les conclusions sur le « Yahvisme primitif » (pp. 38-40) en suite des trop prudentes généralités sur Moïse ; ou encore, à propos du prophétisme, où l’on retrouve la même prudence à l’égard des traditions sur Élie, et une insuffisante prise en compte, à notre sens, de la « théologie » des prophètes du viiie au vie siècle. En effet, il ne nous semble pas trop hasardeux de penser que, dans l’élaboration, voire dans la véritable naissance du monothéisme, et pas seulement israélite, ils ont été pour une part plus importante que ne le laisse croire l’ensemble de l’ouvrage.
73Il y a là cependant une sorte de petite somme qui permettra au plus grand nombre d’accéder avec des garanties suffisantes à un problème délicat, sachant que dans le domaine tant du monothéisme que du Yahvisme un important travail reste encore à faire.
7418. Otto Kaiser, Zwischen Athen und Jerusalem.
75La suite d’études que nous offre le Pr. O. Kaiser sous le double patronage d’Athènes et de Jérusalem n’a d’abord rien de systématique. Même si elle s’ouvre par une introduction générale sur « la signification du monde grec pour la théologie vétérotestamentaire » (pp. 1-38), suivie d’un long chapitre comparatiste entre Deutéronome et nomoi platoniciens (pp. 39-80), cette suite traite de façon spécifique du thème de la « puissance créatrice de la parole de Dieu » (pp. 153-166), des thèmes de la « beauté de l’homme comme don de Dieu » et de la liberté dans l’AT. Signalons aussi l’étude sur la « ligature d’Isaac » (pp. 199-224) selon les exigences de l’exégèse la plus classique du texte hébraïque (en l’occurrence, pour ce dernier cas, soigneusement traduit), ou selon les perspectives d’une « théologie » biblique préhéllénistique. En ce sens, l’ouvrage d’O. Kaiser fournit des approches intéressantes, richement référées, notamment à propos de la création.
76Il nous semble cependant que c’est avec la confrontation entre culture grecque et culture biblique que son ouvrage apporte le plus d’éléments, même si, malgré sa réflexion qui invite à une confrontation plus large, il propose quatre études qui ont trait quasi exclusivement à Ben Sira (dont une un parallèle avec Qohélet). Il confirme du coup que s’il y a eu jeu d’influence sur Israël, celui-ci ne peut vraiment être saisi qu’en matière de poésie et de pensée, de sagesse et de philosophie. Et même lorsqu’il convie Xénophon, c’est pour ce qu’il permet de confrontation quant à la piété, à la relation avec le divin dans la pratique des oracles, plutôt que dans l’historiographie.
77À notre sens, et malgré le très intéressant chapitre introductif sur monde grec et théologie vétérotestamentaire, O. Kaiser confirme les limites de la confrontation en même temps qu’il tente intelligemment de les repousser. Dans le domaine du prophétisme notamment, ce qui n’est pas très étonnant, mais dans celui de l’histoire surtout, et c’est plus troublant, il faut convenir d’une absence totale de relation entre Athènes et Jérusalem, comme si deux mondes n’étaient jamais parvenus à se rencontrer (ainsi que l’avait déjà signalé dans une perspective différente A. Momigliano). Peut-être vivons-nous encore de cette étanchéité, malgré les remarquables réflexions du Pr. Kaiser.
7819. Othmar Keel und Erich Zenger (Herausgegeben von), Gottesstadt und Gottesgarten.
7920. Camille Focant (Sous la direction de), Quelle maison pour Dieu ?
80Par hasard, ces deux ouvrages qui se recoupent pour une part dans leur thème comme dans l’intentionnalité théologique, ont été composés presque simultanément et de façon analogue : l’un, le premier, est constitué des actes du colloque de l’AGAT, qui s’est tenu du 28 au 31 août 2000 à St-Gabriel/Mödling, l’autre est le produit d’une série de réunions à Louvain-la-Neuve entre novembre 1998 et novembre 2002.
81Certes, l’histoire et la théologie du Temple de Jérusalem définissent une aire plus étroite que le motif d’une « Maison pour Dieu », d’autant plus que l’histoire des religions ouvre en quelque sorte le premier ouvrage avec l’étude d’Othmar Keel sur les formules de consécration du temple de Salomon. Or, l’arrière-fond est non seulement fait de textes en Gn ou en Jos, mais est établi aussi selon les catégories de l’histoire des religions, ce que confirme pour ainsi dire l’ultime étude de Silvia Schroer sur « les temples grecs au miroir des cosmologies et théologies de l’AT » (avec un cahier photographique final sur quelques temples hellénistiques). L’ensemble des études aborde quelques passages importants notamment du Second Isaïe, puis la thématique de la création (étude d’Ulrich Berges) et les deux visions du temple en Ez 40-48 (étude de Michael Konkel), sans oublier le thème de la destruction (dans les Lamentations par Christian Frevel) ou les enjeux identitaires en Esdras et Néhémie (Dieter Böhler).
82Dans Quelle maison pour Dieu ? le propos est certes plus large, puisque couvrant l’ensemble de l’AT et rejoignant le NT, s’ouvrant doublement sur Béthel avec la « découverte » par Jacob de la maison de Dieu (étude d’A. Wénin) et pour ce lieu le point sur « archéologie et histoire » (J.-M. van Cangh). Th. Römer conduit tout de suite après à la conception deutéronomiste de l’unique maison pour le Dieu unique. De la relecture psalmique de la promesse faite à David à la construction du temple par Salomon, des visions et conceptions du sanctuaire chez Jérémie, Ezéchiel et en Is 60 jusqu’au retour d’Exil, se trouvent envisagées les différentes représentations, matérielles, symboliques, spirituelles, théologiques de cette « maison pour Dieu » qui sera encore une question dans le NT : que ce soit par rapport au Temple de Jérusalem, ou par rapport à Jésus, jusqu’à l’Apocalypse. Outre l’index onomastique, le nombre impressionnant de références au corpus biblique confirme largement le souci des responsables de l’entreprise de le couvrir le plus complètement possible.
83En résumé, nous avons affaire, avec ces deux ouvrages, à une somme importante sur ce concept à la fois central et relatif qu’est le « temple » ou le « sanctuaire » en Israël d’abord, comme dans l’ensemble de l’A et NT. Les points de vue sont divers, non tant en fonction du nombre des collaborateurs, qu’en fonction de la complexité même du « thème » dans le corpus biblique. Et il est finalement heureux qu’au terme comme au commencement, et pour les deux ouvrages, se justifie l’interrogation qui marque le titre du second, tant la « maison de Dieu » fut une question récurrente pour Israël comme pour les disciples du Christ, sinon pour le Christ lui-même.
8421. Hubert Tita, Gelübde als Bekenntnis.
85Même si le coup d’œil théologique n’occupe explicitement qu’une place restreinte dans la recherche de H. Tita sur « le vœu comme confession », la dimension théologique du thème lui-même justifie qu’on le réserve à cette section du Bulletin, quelle que soit par ailleurs la double dimension anthropologique et d’histoire des religions dont il relève également. Et selon les règles d’une thèse, HT commence par un état de la recherche en la matière, qui sans être exhaustif, ainsi qu’il nous en prévient, nous a paru pertinent quant au choix des auteurs, distinguant entre les monographies, les œuvres de « théologie biblique », et les dictionnaires.
86Si en 3e partie, le vœu dans les Psaumes se voit réserver la part du lion (pp. 105-199, soit près de la moitié de l’ouvrage), ce qui est normal, les autres parties examinent le vœu dans quelques textes narratifs (en Gn 28, le vœu de Jacob ; 1 S 1, le vœu d’Anne ; 1 S 14,24, le vœu imprécatoire de Saül ; et Jg 11,29-40, le vœu de Jephté), dans un texte prophétique postexilique (Is 19,21), et dans la littérature sapientielle, Qo 4,17-5,6. En réalité, c’est bien le corpus psalmique qui est pour ainsi dire paradigmatique de la problématique de HT, avec pour choix de base, le ps 116 pris justement à son tour comme paradigme de la structure action de grâces-confession-vœu. À partir de là, la démarche de l’auteur nous a paru assez originale, permettant de voir les implications de l’action même de l’écriture, œuvre seconde en tout cas, par rapport au processus existentiel de la demande. Ainsi, la « définition » du vœu comme confession peut justement venir en dernier lieu (pp. 226-228), lestée, pour ainsi dire, de l’acquis d’un long et original itinéraire.
87Qu’il nous soit permis cependant de regretter deux choses. Tout d’abord, à certains moments, la brièveté du propos et surtout la rapidité de l’enquête (notamment quant à l’évocation des « positions » des auteurs antérieurs : n’eût-il pas mieux valu être plus restreint, et du coup plus pénétrant par rapport à tel ou tel auteur ?) ; en second lieu, il nous a semblé que si l’auteur avait plus explicitement centré son travail sur les psaumes (les « psaumes de vœu » ?), son travail eût gagné en rigueur, les autres textes vétérotestamentaires venant en éclairage au lieu d’assurer l’insuffisant équilibre de l’ensemble. Mais ces réserves faites, l’ouvrage a plus que le mérite d’exister, celui d’apporter une contribution originale à ce thème qui rejoint l’inquiétude humaine face à Dieu.
8822. Ralf Miggelbrink, Der zornige Gott.
89L’essai de R. Miggelbrink sur la colère divine dans l’AT prend pour point de départ de sa première partie, selon une sorte de procédé dialectique, le témoignage et le langage des prophètes écrivains, ce qui le conduit directement à la théologie du Deutéronomisme. Après quoi s’impose le jeu d’une réaction, notamment avec le livre de Jonas et les questions que poseront l’Exil et le retour d’Exil. Enfin, l’attitude de Jésus et la réflexion paulinienne aboutissant dans l’examen de l’Apocalypse clôt, pour ainsi dire, ce cycle de la colère divine, des catégories étant empruntées au passage à St Anselme et à Luther.
90Dans les deux autres parties, plus rapides, R. Miggelbrink soulève le problème de cette colère comme problème d’une herméneutique théologique, pour y voir, en dernière partie, une sorte d’élément constitutif de la relation de Dieu au monde et à son histoire. Aboutissant, là encore, au Christ, il pose en terminant la question du langage pastoral dans l’Église quant à cette réalité biblique et évangélique.
91Ouvrage de théologie, cet essai n’ignore évidemment pas les théologiens, en particulier de l’époque moderne, qui se sont affrontés à ce langage biblique de la colère divine, que ce soit dans le protestantisme ou dans le catholicisme. Ainsi, pour ce dernier, fait-il une place à R. Schwager et K. Rahner, sans avoir oublié auparavant K. Barth.
92Tel qu’il se présente, l’ouvrage de R. Miggelbrink a à la fois quelque chose de complet et de déséquilibré. Avec sa première partie (pp. 13-102), nous avons affaire à ce qui pourrait être un remarquable article d’encyclopédie biblique, intelligemment construit selon une perception juste de l’élaboration de son thème à travers l’histoire vétérotestamentaire ; et son point de départ dans le prophétisme ne peut qu’emporter l’adhésion. Du coup, la deuxième partie (pp. 103-141), particulièrement importante dans l’économie générale de l’ouvrage, nous a paru un peu rapide. Il nous semble qu’elle aurait exigé des développements plus grands, d’autant plus que, pour cette question herméneutique, il convoque tant du protestantisme que du catholicisme des théologiens qui ont eu beaucoup à dire. La troisième partie enfin (pp. 142-161) ne devrait pas se distinguer de la deuxième sinon comme conclusion de l’ensemble.
93Que ces dernières remarques ne diminuent pas la valeur générale de cet ouvrage, valeur qui est grande. Car il y a là en tout cas, un des meilleurs essais qui soit sur un « lieu théologique » biblique aussi important que délicat à traiter.
9423. Hermann Spieckermann, Gottes Liebe zu Israel.
95Regroupant une série d’articles parus en divers lieux, le Professeur Spieckermann nous permet d’avoir accès à de précieuses études. Classés sous quatre rubriques, Grâce et Colère, Proche et Lointain, Justice et Châtiment, Amour et Obéissance, les douze articles ainsi réunis présentent une certaine unité. Sans doute, telle ou telle étude a-t-elle quelque peu et inévitablement vieilli, mais les éléments apportés, servis par deux bons index de références bibliques et de thèmes, en font une référence nécessaire.
9624. William P. Brown, Editor, Character and Scripture.
97À vrai dire, cet ouvrage relèverait tout aussi bien d’un Bulletin de théologie morale, tant y est manifeste la prégnance de l’inspiration morale et de ses enjeux. Mais dans la mesure où la Bible est ici considérée comme principe de structuration des comportements moraux dans l’aire chrétienne, pareil ouvrage est aussi à signaler dans le cadre de ce Bulletin. Quant aux collaborateurs au nombre de vingt-deux, neuf relèvent directement de disciplines bibliques. Pour l’ensemble, nous avons affaire à un ouvrage interdisciplinaire et œcuménique, même si la dominante est presbytérienne.
98L’ensemble des contributions se distribue en trois champs de réflexion : après une « vue sur l’étendue et les limites » du concept d’éthique, l’« interprétation biblique » se voit attribuée la part principale, soit seize articles ; enfin, trois exemples de « pratique » (en écologie et en éducation) achèvent cet ouvrage auquel ne manquent, et le fait est assez rare pour être remarqué, ni un index des sujets et des noms propres, ni un index des références scripturaires. La première partie situe assez justement à notre sens, dans l’article de Usa Sowle Cahill, l’originalité chrétienne, la communauté biblique et les valeurs humaines, au sens large. De ce fait, les articles qui suivent précisent le rapport aussi bien posé. Il nous semble qu’il y a là, pour le théologien, une bonne mise en place de catégories, certes, mais aussi un enracinement de ce que peut être une éthique théologique dans le champ chrétien étant donné ses racines bibliques. La seconde partie relève davantage de la recherche proprement biblique avec une série de monographies sur des points particuliers du corpus vétéro- et néotestamentaire. Riche sans aucun doute, cette partie risque aussi d’apparaître, dans le choix des références, arbitraire sinon décevante. Pourquoi privilégier, par ex., la séquence du discours prêté à David par le livre des Chroniques (1 C 29,1-25) à propos des offrandes, plutôt qu’un autre texte ? même si, par ailleurs, le cas de David est un bon exemple de complexité de caractère et de l’éthique de la complexité, selon R. G. Bowman. Mais ne boudons pas la valeur d’un ensemble qui entend, à travers psaumes et sagesse notamment, marquer les grandes lignes d’une dynamique morale et éthique à travers l’AT.
99Quant au NT, une bonne étude sur la formation du Pater et trois communications sur les épîtres de Paul fournissent des éléments pertinents sur ce qui allait ordonner les principes d’une morale chrétienne.
100En fait ce genre d’ouvrage sera toujours décevant au regard des grandes synthèses théologiques ; on ne peut donc lui en faire reproche. Dans le choix qu’il propose des thèmes ou des textes bibliques, entre inévitablement une part d’arbitraire. Il n’y a en pas moins de quoi puiser. Disons que cet ouvrage fournit un matériau suffisant, loin d’être négligeable, pour ancrer une éthique chrétienne dans une des sources principales de son inspiration, le Nouveau, mais aussi l’Ancien Testament.
10125. David Instone-Brewer, Divorce and Remarriage in the Bible.
102Cette étude sur le divorce et le remariage dans la Bible se présente classiquement comme un examen successif de ce que celle-ci présente : partant de l’idée de mariage comme contrat dans le Proche-Orient ancien, le certificat de divorce, selon le Pentateuque, induit la possibilité du remariage, même si les prophètes tardifs (Osée, Jérémie, Ezéchiel et le Second-Isaïe) condamnent toute rupture de mariage à travers leurs métaphores évocatrices de l’union de Dieu et d’Israël. La période intertestamentaire puis l’enseignement rabbinique marquent les droits de la femme ainsi que des arguments en faveur du divorce, le Christ et Paul à sa suite s’en tenant à une certaine rigueur qui n’exclut pas les acquis de l’AT, compte tenu pour ce moment-là d’influences hellénistiques et romaines. Les derniers chapitres disent l’orientation générale de l’ouvrage : un essai de réflexion sur divorce et remariage dans la perspective d’une pastorale chrétienne, ce qui était annoncé dès les premières lignes de l’Introduction précisant que « le projet de ce livre est de comprendre le sens de l’enseignement du NT sur le divorce et le remariage tel qu’il a été compris par ses premiers lecteurs », ce qui doit aboutir aux conclusions suivantes : « Tous les deux, Jésus et Paul, ont condamné le divorce (fait) sans raisons valables, et découragé le divorce (fait) même pour de bonnes raisons ; tous les deux ont affirmé les raisons vétérotestamentaires en faveur du divorce. L’AT a admis le divorce pour adultère, négligence ou abus. Tous les deux, Jésus et Paul, ont condamné le remariage après un divorce invalide, mais non après un divorce valide » (p. IX).
103Si, en terminant, est retracée une histoire du divorce dans le cadre de l’histoire de l’Église (et pour la fin, des Églises protestantes), on notera un intéressant chapitre intitulé « Different Ways to Understand the Biblical Text » avant des « Pastoral Conclusions ».
104Redisons-le, si sur un plan exégétique, cet ouvrage n’apporte pas d’éléments nouveaux, rassemblant plutôt les acquis d’une lecture honnête des textes, il apportera des éléments intéressants aux théologiens moralistes ainsi qu’aux pasteurs, dans un langage clair, ce qui n’est évidemment pas négligeable.
10526. Françoise MIES (éd.), Bible et sciences.
10627. Françoise MIES (éd.), Bible et économie.
107Nous nous devons de signaler ce double ensemble de conférences données dans le cadre des cycles annuels des conférences bibliques organisées par les Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix à Namur, les premières en octobre-novembre 2001, les secondes à la même époque l’année suivante. La compétence des différents conférenciers soit en exégèse biblique, soit en sciences ou en économie, soit parfois dans les deux domaines, garantit largement la qualité des textes. Signalons plus particulièrement, pour le premier, la contribution de Dominique Lambert sur « Teilhard et la Bible », et celle de P.-M. Bogaert à propos des « Interprétations de la Bible et avancée des sciences » ; et pour le second, les contributions d’Étienne Perrot sur « L’argent. Lectures bibliques d’un économiste », et d’Édouard Herr, sur « Bible et mondialisation » (avec notamment confrontation avec les théories d’A. Sen et de M. Albert).
IV – Bible et littérature (28 à 37)
29. Robert Alter, L’art de la poésie biblique, traduit de l’anglais par Christine Leroy et Jean-Pierre Sonnet, « Le livre et le rouleau » 11, Éditions Lessius, Bruxelles, 2003, 307 p.
30. Olivier Millet (Études réunies et présentées par), Bible et littérature, Honoré Champion, Paris, 2003, 240 p.
31. Marshall D. Johnson, Making Sense of the Bible. Literay Type as Approach to Understing, William B. Eerdmans Publishing Company, Grand Rapids, Michigan/Cambridge, U.K., 2002, 161 p.
32. Daniel Marguerat (Sous la direction de), Quand la Bible se raconte, « Lire la Bible » 134, Le Cerf, Paris, 2003.
33. Les Mystères de la Procession de Lille, Édition critique par Alan E. Knight, Tome I, Le Pentateuque, Tome II, De Josué à David, « Textes littéraires français », Droz, Genève, 2001 et 2003, 630 et 668 p.
34. Sébastien Casteillon, La Genèse, 1555, Édition introduite et annotée par Jacques Chaurand, Nicole Gueunier, Carine Skupien Dekens, avec la collaboration de Max Engammare, « Textes littéraires français », Droz, Genève, 2003, 323 p.
35. Bernard Grasset, Les Pensées de Pascal, une interprétation de l’Écriture, Éditions Kimé, Paris, 2003, 354 p.
36. Magda Motte, « Esthers Tränen, Judiths Tapferkeit ». Biblische Frauen in der Literatur des 20. Jahrhunderts, Wissentschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt, 2003, 343 p.
37. Serge Molla, Jacques Chessex et la Bible. Parcours à l’orée des Écritures, Labor et Fides, Genève, 2002, 210 p.
10828. Robert Alter et Frank Kermode (sous la direction de), Encyclopédie littéraire de la Bible.
109Si pour le public américain et anglo-saxon, cet ouvrage paru en 1987 sous le titre The Literary Guide of the Bible, n’est plus, comme on dit, un événement, pas plus que ne l’est cet autre ouvrage de Robert Alter analysé ensuite (cf. infra 29), sa traduction — tardive ! — en français ne dispense pas d’y revenir tant il a marqué et continue de marquer une sensibilité relativement nouvelle à la dimension littéraire de la Bible. N’oublions pas, en effet, qu’après les époques patristiques et médiévales, sous l’impulsion, à partir de la Renaissance, de l’imprimerie et des traductions, la Bible et les auteurs bibliques ont longtemps subi, dans la culture européenne, les déconsidérations d’un certain nombre de critiques littéraires. Aussi pouvons-nous parler, à l’époque moderne, d’une laborieuse reconquête de l’estime esthétique de la Bible, qui ne se fit pas sans heurts ni reculs. Le camp de Robert Challes, de Diderot et de Voltaire devait résister longtemps face à celui de Lowth, de Gunkel et sa « poétique vérité » de la Bible. C’est dire la portée, aujourd’hui en traduction française, de l’œuvre de Robert Alter, dans la mouvance et le prolongement d’E. Auerbach (plutôt que dans celle de Northrop Frye), et l’héritage plus lointain de l’oxfordien Lowth et du maître de Giessen.
110Cette « encyclopédie » (qui nous fait regretter le mot anglais de « Guide », à notre sens plus exact pour définir ce livre) est l’œuvre sans doute de deux maîtres, mais aussi d’une pléiade d’auteurs qui se distribuent selon l’ordre de tous les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament (regrettons pourtant ici le choix du canon protestant qui exclut des études, qui n’eussent pas manqué d’être intéressantes et hautement pertinentes quant à la dimension littéraire, les livres des Maccabées, du Siracide et de la Sagesse ! Sous l’autorité de Robert Alter, qui « accepte » le Nouveau Testament, ces manques paraissent encore plus étonnants).
111Chacun des collaborateurs a manifestement profité de la liberté qui lui a été laissée quant au traitement du livre ou des livres désignés (J.-P. Fokkelman assure la Genèse et l’Exode, Jack M. Sasson Ruth et Esther, Shemaryahu Talmon Daniel, Esdras et Néhémie et les Chroniques). Ainsi Fokkelman marque d’entrée la « pluralité de formes » et la « discordance » du livre de la Genèse avant de tenter d’en saisir la « poétique » propre, ce qui lui permet, avec l’Exode, d’aller plus vite au « langage poétique dense et puissant » du début du livre et d’en marquer les rythmes proprement littéraires. C’est dire aussi la variété des approches, malgré l’« autorité » des maîtres d’œuvre, de Robert Alter en particulier. Il ne faut donc pas s’étonner de ce que telle ou telle contribution réserve quelque déception, souffrant par ex. de la comparaison avec telle ou telle autre de R. Alter lui-même. D’autre part, malgré les attendus clairement énoncés dès le départ ou dans les annexes, il faut reconnaître une certaine relativité sinon subjectivité quant à l’appréciation esthétique, voire un certain flou dans le langage de tel ou tel auteur. Même si une part de subjectivité est inévitable, voire bonne, elle ne doit pas empiéter sur un minimum de précisions exigeantes, voire exclusives. En ce sens, les essais d’un Lowth au xviiie siècle et d’un Auerbach au xxe restent des modèles quant à la part de règles et de repères objectifs qui peuvent être déterminés en matière d’esthétique et donc de critique littéraire, surtout lorsqu’il s’agit d’œuvres du passé. Cependant, dans son ensemble, pareil ouvrage relève de la grande classe et ne saurait être négligé tant par le lecteur de la Bible que par l’exégète ou l’enseignant.
112Ouvrage ancien, avons-nous rappelé, tardivement traduit en français, certes ; mais outre qu’il n’est jamais trop tard pour en profiter étant donné sa qualité, il nous faut dire un mot de la présente édition. Car les responsables ont accompli là un remarquable travail d’actualisation et d’adaptation. Ainsi, la précieuse Introduction de R. Alter est précédée d’une pertinente Préface de Jean-Pierre Sonnet. On appréciera donc les actualisations bibliographiques et en particulier l’introduction d’ouvrages en français dont il n’est point calomnie de rappeler de trop curieux et fréquents oublis de la part des auteurs anglo-saxons. Si on doit également apprécier les « Essais généraux » de l’édition américaine, en particulier ceux de Jonas C. Greenfield sur « la Bible hébraïque et la littérature cananéenne », et naturellement de R. Alter sur les « Caractéristiques de la poésie hébraïque ancienne », on ne soulignera pas assez le remarquable ajout sur « La Bible en français » de Pierre-Maurice Bogaert, chef-d’œuvre d’érudition et d’intelligence, qui manifeste une belle liberté quant à l’évolution des principes de traduction dans un contexte français (et catholique) qui nous a valu ces derniers temps d’étranges considérations.
113En résumé, il y a là ce qu’on peut appeler un « ouvrage incontournable » qui doit être pris en complément de toute approche approfondie de la Bible dont une des désignations et spécifications premières est précisément celle d’« Écriture(s) ».
11429. Robert Alter, L’art de la poésie biblique.
115Il y a donc près de vingt ans, en 1985, que Robert Alter nous a donné ce magnifique ouvrage en parallèle de The Art of Biblical Narrative publié quatre ans plus tôt (et traduit par Paul Lebeau et Jean-Pierre Sonnet, également aux éditions Lessius en 1999). Ainsi que nous venons de le signaler à propos de l’Encyclopédie littéraire de la Bible, on ne s’étonnera pas de ce que cette œuvre s’ouvre sur la mémoire de Robert Lowth et de son De sacra poesi Hebraeorum (1753) puisqu’Alter fonde en quelque sorte son travail (Chapitre I) sur « La dynamique du parallélisme » dont on sait que l’évêque d’Oxford fut un des « inventeurs », au sens archéologique du terme. Naturellement, et même s’il regrette qu’une « bonne partie du travail accompli à la suite de Lowth a toutefois eu pour effet de compliquer ses catégories, et non de les affiner ou de les développer » (p. 275), il apporte sa propre contribution à cet art poétique biblique en le situant d’abord dans une démarche originale du processus biblique proprement dit. En effet, si comme il le manifeste dans L’art du récit biblique, le narratif est de présence majoritaire dans l’Ancien Testament, il n’empêche que la « plus étonnante des particularités bibliques, lorsqu’elle est comparée aux littératures de la Méditerranée, est sans doute sa manière d’éviter le récit » (p. 45) ! Autrement dit, le récit se trouve régulièrement « congédié », ce qui révèle une intentionnalité particulière dans et par cet « art poétique », et libère, pour ainsi dire, aux yeux du lecteur, des « structures d’intensification » (Chapitre III) particulièrement efficaces. Si la preuve apportée est convaincante à propos de Job et des Psaumes (Chapitres IV et V), elle nous a paru l’être davantage encore — et pour un apport décisif sur le plan de l’exégèse — dans le chapitre (VI) sur « Prophétie et poésie », notamment à propos du Deutéro-Isaïe. Le chapitre à propos du Cantique intitulé « le jardin de la métaphore » est sans doute moins original étant donné une suffisante tradition d’intelligence. Cependant, faisant résonner tel psaume ou tel passage de Job à l’occasion de sa lecture du Cantique, Alter donne de la métaphore « hébraïque » une conception particulièrement intéressante.
116Après quelques siècles de plus ou moins grande ignorance de la véritable dimension et nature poétique de la Bible, dans la mouvance d’une exégèse critique qui, à ses origines, n’a pas perçu cette dimension et nature ni de ce fait leurs implications (mais sur ce point la critique rationaliste et scientiste qui se met en place au xviiie siècle, en France notamment, fut loin d’arranger les choses), il faudrait se garder de faire de cette « lecture » l’alpha et l’oméga de toute intelligence de la Bible, Ancien et Nouveau Testament. Cependant, il y a dans l’ouvrage d’Alter une « autre » perception des « Écritures » dont les effets sont à intégrer à une intelligence qui ne veut pas s’en tenir définitivement aux couches, sources et documents constitutifs. Des écrivains, des poètes authentiques sont intervenus, fût-ce en tout dernier lieu, à moins qu’ils ne se révèlent de bout en bout, comme ce fut peut-être le cas pour le Deutéro-Isaïe, obligeant à réviser des acquis tant sur le plan historique que sur le plan rédactionnel. Pour cela aussi, Robert Alter mérite d’être lu et intégré au travail proprement dit sur le texte biblique.
11730. Olivier Millet (Études réunies et présentées par), Bible et littérature.
118Si, comme le rappelle dans l’introduction O. Millet, « La Bible judéo-chrétienne est l’une des trois sources majeures de la culture européenne à côté de la culture gréco-latine et de l’héritage celtique » (p. 8), elle n’en subirait pas moins un traitement nouveau : « La Bible est en effet d’autant plus sollicitée qu’elle revêt pour beaucoup d’écrivains et de lecteurs — plus que jamais depuis le romantisme —, un statut de livre saint au second degré, livre saint d’une foi souvent perdue, ou seulement supposée comme code anthropologique et imaginaire, ce qui ouvre à la création littéraire la possibilité de jeux de signification ironiquement démultipliés » (p. 7). Raison de plus, semble-t-il, pour voir ce qu’il en a été avant le xixe siècle du rapport de la Bible à la littérature. Après un rapide rappel de la façon dont la « littérature » Bible a été reçue (pp. 11-16), une série de monographies tentent de situer cette réception dans l’aire culturelle francophone, et ce dès le ixe siècle, si l’on accepte, à la suite d’Élisabeth Pinto-Matthieu qui ouvre la série, d’y intégrer Dhuoda, cette « femme laïque de surcroît », qui écrivit alors le Liber manualis pour son fils, ses attaches avec le sud-ouest français empêchant, malgré ses attaches avec Aachen, d’en faire une « alémane ». Cependant, c’est avec l’Humanisme et la Réforme que les choses se dessinent plus fermement, ainsi que le montrent les deux très intéressantes études de Sylviane Bokdam et de Bernard Cottret, la première repérant très finement « un motif biblique dans le Tiers Livre », le second situant « Calvin, entre la Loi et la Parole » pour « la naissance sans faire-part » du protestantisme (Hubert Bost), mais qui ne fait pas moins du « Christ de Calvin… un Réformateur ». Quand on sait l’influence culturelle des deux condisciples du Collège Ste-Barbe, on ne négligera pas des études qui disent la spécificité de la place de la Bible tant chez Rabelais que chez Calvin. Les autres études, qui mériteraient toutes d’être signalées, mettent en valeur la double valence de la réception de la Bible perceptible dès le xvie siècle chez ces deux « illustrateurs » de la langue française, de leçon-prédication et de langage-écriture : qu’il s’agisse des « Paraphrases d’Antoine Godeau sur les Épîtres de saint Paul » (1632-1641) (Fabrice Fajeau), des « beautés de l’Écriture sainte » et de « l’esthétique classique » chez Balzac, Bossuet et Fleury (Emmanuel Bury). Jusqu’à la fin du xviiie siècle, la Bible interviendra dans la sensibilité du moment, qu’il s’agisse de la prédication et de l’éloquence (Ghislaine Sicard-Arpin, Laurence Martin, et Sylvain Menant), du théâtre avec « L’Éternel dans Athalie » (Gilles Ernst), voire du rapport entre catéchisme et théâtre (M. Emmanuelle Plagnol-Dieval). Enfin, pour honorer le post-romantisme et les implications signalées en commençant, trois études disent l’influence de la Bible ou des emprunts et références chez H. de Balzac dans Le médecin de campagne, chez Claudel et Le Clézio.
119Dans la modestie de ses dimensions, cet ouvrage est d’un apport analogue à celui de Magda Motté (infra n° 36) pour la littérature allemande. Il concrétise heureusement un certain nombre d’approches et de réflexions explicitées ici et là dans cette section de notre Bulletin, confirmant l’approche de la Bible comme « phénomène » littéraire.
12031. Marshall D. Johnson, Making Sense of the Bible.
121Ce livre nous place dans une perspective explicitement littéraire, clé d’une authentique intelligence de la Bible, ainsi que l’annonce le sous-titre. La brièveté des chapitres comme des paragraphes traitant d’un thème ou d’un livre biblique fait résolument appartenir cet ouvrage à la catégorie des « introductions ». Il n’y aurait pas lieu ici de trop s’y attarder si n’était certes l’approche « littéraire », mais surtout la construction même de l’ouvrage qui, dès l’introduction, demande à son lecteur s’il sait ce qu’il lit, et surtout s’il a conscience de la variété des genres littéraires de cette bibliothèque bien loin de notre époque. (On pourrait d’ailleurs demander à ceux qui introduisent d’une façon ou d’une autre à la Bible d’épargner, même à des lecteurs débutants, les poncifs sur « le livre le plus traduit et le plus lu dans le monde », sur la distance culturelle des vingt siècles qui nous séparent de sa clôture de fait, etc…, poncifs que nous avons rencontrés à plusieurs reprises au cours de nos lectures pour ce Bulletin. Merci).
122Dans sa perspective littéraire, M. D. Johnson est amené à donner la priorité à la littérature de sagesse, en suite de quoi, il passe aux « louanges, lamentations et actions de grâces » qui constituent un « art poétique de culte ». La prise en compte des « récits historiques et quasi-historiques » ne vient qu’en troisième position. Cela tient évidemment à une approche spécifique de l’ensemble biblique, gérée non seulement par la dimension littéraire, mais aussi, nous semble-t-il, par une sorte de conception fonctionnaliste du corpus, ce que confirme la suite des chapitres : avec le double appel du passé et de l’avenir, mais aussi avec ce qui fait de l’ensemble biblique une sorte d’art de vivre entre sagesse, morale, jugement et lois, le tout aboutissant dans le désir de « connaissance » et de « salut » que réalise le NT.
123Nous avons signalé la rapidité des développements. Pouvons-nous formuler un regret en forme de proposition ? Cette approche de la Bible, qui n’est pas seulement littéraire ou, si l’on préfère, cette approche littéraire qui fonde une autre intelligence de la Bible, aurait mérité de plus longs développements pour de plus amples explications et justifications, en raison même de son originalité.
12432. Daniel Marguerat (Sous la direction de), Quand la Bible se raconte.
125Le projet de cet ouvrage a quelque chose d’amphibologique, ainsi que l’explicite d’entrée la « Présentation » :
« Ce livre invite à découvrir.
Ou plutôt à redécouvrir.
Il offre de revisiter de vieux textes… Mais si les textes sont anciens, s’ils sont connus, la voie d’approche est nouvelle : elle a pour nom analyse narrative. Cette nouvelle lecture des récits est née d’une science récente, la narratologie. Cette science étudie la composition des récits, leur architecture cachée, en s’inspirant d’intuitions déjà énoncées par le philosophe Aristote, au ive siècle avant J.-C. Mais ce n’est que depuis 1980 que s’est développée l’étude systématique de l’art du raconter ».
127Il revenait à Daniel Marguerat, maître d’œuvre de l’ouvrage, d’inviter à « Entrer dans le monde du récit » qui constitue certes une introduction nécessaire, mais surtout importante par les points abordés : ce qui fait l’analyse narrative, ses outils et ses implications, théologiques notamment. Puis A. Wénin et J.-L. Ska, pour l’AT (sur le sacrifice d’Isaac et sur le vœu de Jephté), E. Cuvillier, Sophie Reymond, J. Zumstein, D. Marguerat et Carina Combert-Galland pour le NT (respectivement sur la « finale courte » de Mc, sur les « pèlerins d’Emmaüs », sur le cycle pascal du 4e évangile, sur l’évasion de Pierre en Ac 12 et sur l’« ode à l’amour » de 1 Co 13) traitent de divers exemples, en application des méthodes et outils de cette analyse.
128Il est incontestable qu’en France (ou plutôt en francophonie européenne) la « narratologie » rencontre depuis une vingtaine d’années un fécond succès. Et dans la mesure où elle ne prétend nullement se substituer à d’autres approches (pour ne pas parler ici du mot trop étroit de « méthodes »), elle ne peut qu’être tout bénéfice dans l’étude biblique, ainsi qu’en témoignent les « praticiens » de cet ouvrage. Cependant, comme il est inévitable en ce genre de proposition, on a affaire ici à une suite d’études de textes sans doute caractéristiques, mais à un choix quelque peu arbitraire. Sans doute était-ce difficilement évitable, même si la première étude d’André Wénin, « Lire la Genèse comme un récit. Quelques traits de lecture » nous a paru pertinente au seuil d’un tel ouvrage, induisant de façon nécessaire que c’est d’abord à un « livre » et non à une péricope que s’attache le lecteur potentiel.
129Nous parlions de l’amphibologie du projet, la Présentation parlant de découverte et de redécouverte, et évoquant l’ombre non minime d’Aristote. Quant à nous, reconnaissant ici avec D. Marguerat l’influence de R. Alter, nous devrions parler aussi de retours : au modèle rhétorique (dans un sens assez large, il est vrai) comme à un certain nombre de pratiques qui marquèrent l’évolution finale d’un Roland Barthes après la déception provoquée par tel ou tel « modèle » ; ce qui, dans les satisfactions que nous procurent cette approche et les ouvrages qu’elle provoque, devrait inviter à faire de la narratologie comme le M. Jourdain de Molière faisait de la prose, spontanément. En l’occurrence, il s’agirait d’un excellent compliment en même temps qu’un souriant encouragement.
13033. Les Mystères de la Procession de Lille.
13134. Sébastien Casteillon, La Genèse, 1555.
132Si toute littérature, au gré des années et des études, ne cesse de se révéler à elle-même des œuvres négligées ou oubliées soit par inconscience et méconnaissance, soit par censure et idéologie, la très riche littérature française n’échappe pas à cette double loi de l’histoire, ainsi que les éditions Droz, de Genève, viennent de nous le montrer d’exemple et d’exemplaire façon en publiant ces deux œuvres majeures du Moyen Âge et de la Renaissance.
133Les mystères de la procession de Lille (de la Genèse à David, en attendant trois autres tomes, recouvrant le reste de l’AT et le NT) témoignent de cet art typique du Moyen Âge dont Lille avait une expression particulière : chaque année, le dimanche qui suivait la fête de la Trinité, au cours d’une procession, sur des chariots servant de scène, se donnaient des « mystères », bibliques en l’occurrence. Il s’agissait en fait de morceaux choisis de l’« histoire sainte », tels « la création d’Adam et d’Eve », « Abraham et les trois hôtes », « le sacrifice d’Abraham », « le mariage d’Isaac et Rebecca », etc., où les héros s’exprimaient en tercets, quatrains, sixains, et jusqu’en « vingtains », versifiés et rimés, généralement en octosyllabes. « Évidemment il ne s’agit pas d’un dialecte lillois, mais d’une scripta littéraire, où le français est nettement marqué par les habitudes linguistiques du Nord », soit un mélange de « formes typiquement picardes à côté de formes franciennes » (p. 91).
134L’intérêt d’une telle édition est de nous présenter une des sources et un des moyens de la culture biblique qui, il faut le rappeler, a profondément marqué la francophonie dès sa plus haute époque (ici, repérable à partir du xiiie siècle), et ce, dans les couches populaires de cette région septentrionale comme dans les autres. La « lecture » qui est ainsi faite du texte biblique, si elle retient de façon parfois disproportionnée une scène secondaire ou un détail aux yeux de ceux qui connaissent l’ensemble de son corpus, se veut, d’une part, proche du récit, quitte à le déployer quelque peu par tel ou tel ajout, et, d’autre part, à portée morale et donc moralisatrice. Car il s’agit bien « Pour Dieu servir et honnourer/… demoustrer/ une ystoire autentiquement/ escript en l’Anchien Testament. » (sur Gn 24, I, p. 209).
135Il vaut la peine de se plonger dans une œuvre aussi forte tant dans son langage que dans sa fidélité au texte biblique, qui dit une autre « lecture » de l’Écriture que celle qui domine encore à cette époque, la lecture allégorique, tant dans l’art plastique que dans la théologie ou la lectio divina. Quant à l’édition proprement dite, elle nous a paru parfaite tant dans l’établissement du texte comme dans l’apparat critique avec bibliographie, index des personnages et un abondant et donc précieux glossaire.
13634. Avec la traduction de la Genèse par Castellion (ou Châteillon), nous passons doublement à une autre époque, celle de la Renaissance ou plus précisément de l’Humanisme, du fait à la fois de l’imprimerie et de la traduction proprement dite du texte biblique. Avec la traduction d’Olivetan, celle de Châteillon est le témoin de l’activité de traduction dans la Réforme naissante et plus précisément dans celle de Calvin. Le malheur a voulu que ce Bressan se soit vigoureusement opposé à Calvin à propos de l’affaire Servet, ce qui nous valut le mot fameux : « Brûler un hérétique, ce n’est pas brûler un hérétique, c’est brûler un homme ». Calvin ne lui pardonna jamais cette outrecuidance de sorte que Châteillon et sa traduction furent condamnés à la censure la plus stricte (voir J. Roubaud, « Traduire pour les "idiots", Sébastien Châteillon et la Bible », RSR, juillet-septembre 2001, tome 89/3, pp. 353-376). Or nous avons là à la fois une œuvre d’intelligence de l’Écriture en même temps qu’un authentique chef-d’œuvre de la littérature française, dans la mesure où une traduction peut être intégrée à une littérature, ce qui semble acceptable depuis certaine dissertation de Valéry sur certaine traduction de Jean de la Croix… Il y a là un témoin précieux de ce que devait apporter à la culture la vulgarisation du texte biblique proprement dit, pour la première fois répandu aussi largement grâce à ces deux vecteurs que sont la traduction et l’imprimerie.
137C’est naturellement le travail sur la langue qui fait l’intérêt de cette traduction, mais aussi les principes soit explicites soit induits mis en application par Châteillon. Le souci du texte original, et tout autant l’attention au langage d’un public qui doit pouvoir tout recevoir quel que soit son degré de culture, et surtout si celui-ci est faible, nous vaut cette œuvre étonnante de créativité langagière. Et dans l’attente de la réédition intégrale prévue, la première depuis 1555, nous disposons là en avant goût d’une forte proposition, avec notamment le fameux « Premièrement Dieu créa le ciel et la terre… ». Là encore, l’édition est en tous points remarquable, s’ouvrant sur une précieuse introduction qui nous vaut d’excellentes analyses sur Châteillon et la langue-source puis la langue-cible. Dans le contexte des recherches sur l’histoire moderne de la lecture de la Bible comme sur les principes de la traduction, cette introduction et l’édition de ce précieux texte sont on ne peut plus opportunes.
13835. Bernard Grasset, Les Pensées de Pascal, une interprétation de l’Écriture.
139Si, dans ce moment particulièrement crucial de l’histoire de la lecture de l’Écriture que fut le xviie siècle, Pascal peut entrer en grand témoin, il ne faudrait pas le réduire à ce « témoignage », ce qui serait malgré tout réducteur de son projet tel qu’il nous parvient aujourd’hui encore à travers les Pensées. C’est donc un autre parti qu’a pris Bernard Grasset dans l’ouvrage qu’il n’hésite pas à sous-titrer « une interprétation de l’Écriture ». Ainsi le confirme-t-il dès l’introduction : « Les Pensées de Biaise Pascal interprètent l’Écriture. Qu’est-ce à dire sinon qu’elles s’attachent constamment à dégager le sens vivant du texte sacré pour le lecteur du Grand Siècle, sa force persuasive, ne risquant une parole sur Dieu et sur l’homme que comme traduction de la Parole, opposant à l’errance de la finitude l’enracinement dans la plénitude ». Mais il précise aussitôt, prenant acte de l’orientation évidente de l’œuvre pascalienne : « Ce lien essentiel noué ainsi avec le texte sacré se déploiera sous le mode apologétique » (p. 11). Ainsi, dans la perspective générale d’une « interprétation combattante » à une « interprétation mystique » où les « Pensées traduisent l’Écriture », B. Grasset va mettre au jour le véritable projet de Pascal dans la façon même dont elles le font.
140L’ouvrage se déploie sur trois parties. La première, intitulée « Figure, prophétisme et miracles », impose naturellement les catégories fondamentales du projet pascalien. Sans pouvoir faire une analyse détaillée de cette part très riche de l’étude, signalons, à propos du miracle, le point de débat que B. Grasset n’ignore pas : « Si la réflexion pascalienne sur les miracles appartient à la genèse de l’Apologie, la question de la place qu’aurait conservée cette réflexion dans le projet achevé reste ouverte » (p. 103). La deuxième partie, qu’on pourrait qualifier de « théologique », intitulée « L’éclat voilé », traite du « Deus absconditus » et des rapports du Judaïsme et du Christianisme, tandis que la troisième, « La clef de lecture », qui peut être qualifiée de « christologique » traite de « l’ordre de la charité » avant d’expliciter « le Christocentrisme ».
141Comme il n’est pas possible ici d’expliciter le détail d’un tel ouvrage aux thèmes particulièrement complexes, étant donné sa richesse, ce que laisse percevoir le seul énoncé des titres de parties et de chapitres, nous ne pouvons que signaler la rigueur et la perspicacité de l’analyse et la très grande qualité de la réflexion. Disons-le sans réserve : nous avons affaire là à un maître livre qui ne saurait être ignoré tant pour l’intelligence de Pascal et de son projet, que pour ses implications théologiques. L’Écriture y est au centre certes, mais en fonction étroite du sujet. Cependant, étant donné la place qu’elle occupe tant dans ce livre que chez Pascal, elle force le bibliste et l’historien de la lecture moderne de la Bible à le retenir (même si la page sur les « Limites de l’exégèse critique » — p. 312-313 — nous a paru quelque peu courte tant dans ses attendus que dans la référence à une contribution de Paul Ricœur dont nous avions, en son temps, contesté la pertinence sinon la justesse). Ajoutons que l’abondance des notes confirmant la multiplicité des références ainsi qu’une bonne bibliographie complètent un ouvrage dont nous ne sommes pas loin de penser qu’il s’apparente au chef-d’œuvre.
14236. Magda Motte, « Esthers Tränen, Judiths Tapferkeit ».
143C’est à la fois comme théologienne et comme critique littéraire que Magda Motte nous présente son ouvrage en principe en deux parties. En réalité, la seconde partie est constituée par une importante mise en tableau des personnages bibliques et des « grandes œuvres » que tout au long du xxe siècle ils ont inspirées ou dont ils ont été le sujet en allemand et en d’autres langues, ainsi que dans la « littérature secondaire ». C’est donc dans la première partie que l’auteur propose une étude détaillée des principales œuvres poétiques, romanesques, théâtrales et musicales, qui ont traité des femmes de la Bible.
144Il s’agit principalement d’une œuvre de critique littéraire avec citations et analyses, remises en contexte historique tant des auteurs que des œuvres proprement dites. Après l’important tableau (sur une cinquantaine de pages) dont nous avons parlé, une double bibliographie des grandes œuvres et des œuvres secondaires ainsi que des index complètent heureusement l’ouvrage. Celui-ci, par sa qualité de travail spécifique, mérite l’attention de quiconque s’intéresse à la littérature, en particulier allemande. Mais, à notre sens, son intérêt est plus large : il devrait concerner quiconque s’intéresse aussi à la réception de la Bible, de ses figures, de ses récits et poèmes et donc de l’influence qu’elle a jouée et continue de jouer sur la culture européenne. Ainsi, à propos des cultures francophones, et sans remonter à l’Ancien Régime où l’inspiration biblique dans la littérature et la musique fut particulièrement féconde, on ne peut oublier un xixe siècle encore riche. Mais il faut reconnaître un net reflux de cette inspiration au xxe, malgré l’une ou l’autre grandes œuvres, telle l’Eve (1913) de Péguy, et la fréquence de demande d’inspiration à la Bible de Giraudoux.
14537. Serge Molla, Jacques Chessex et la Bible.
146Si une part du public français se souvient du Prix Goncourt 1973 attribué à Jacques Chessex pour son roman L’Ogre, peu de lecteurs sans doute connaissent son œuvre poétique qui occupe pourtant trois forts volumes très bien édités par Bernard Campiche (CH-Yvonand, 1997). Quiconque est quelque peu familier de cette œuvre n’a pas manqué d’être frappé par les influences bibliques, souvent confirmées, pour ainsi dire, par des procédés de « subversion » qui ne vont évidemment pas sans provocation. Retenons seulement ici cette question qui n’est pas sans pertinence, posée au seuil du Cantique : « Qu’est-ce qu’un livre écrit par d’autres dans le Livre ? » Sans réduire l’approche biblique de l’œuvre poétique de Chessex à cette question que rappelle S. Molla dans ce très intéressant essai (p. 103), il y a là un témoignage de ce que peut être la force, voire la violence d’une influence qui fait poésie. En écho de l’ouvrage d’Alter notamment, l’œuvre poétique de Chessex sera d’un réel intérêt pour quiconque a quelque sensibilité poétique afin de percevoir comment une poésie permet à une autre de se déployer. Ajoutons qu’à notre avis, Chessex ne se tient pas seulement « à l’orée » mais qu’il n’hésite pas à s’enfoncer dans la forêt, quitte à jouer parfois au pyromane !
V – Bible et instruments de travail (38 et 39)
39. Leo G. Perdue (ed.), The Blackwell Companion to The Hebrew Bible, Blackwell Publishers Ltd, Oxford, U.K., 2001, 471 p.
14738. La Nouvelle Bible Segond.
148Même si la traduction de l’Ancien Testament de Louis Segond (1810-1885) ne fut pas la seule au cours du xixe siècle, elle n’en marqua pas moins, lorsqu’elle fut publiée en 1874, un événement. La qualité de la traduction, par sa proximité avec le texte original mais sans littéralisme, comme par un certain souci esthétique favorisant la lecture publique, avaient contribué dès son époque à son succès comme à une certaine légitimité, même si Segond ne cacha jamais sa dette envers des traductions antérieures. Il n’y a donc pas à s’étonner qu’elle ait été revue et publiée aujourd’hui sous la présentation d’une « édition d’étude ».
149Cette indication qui figure sur la couverture n’est évidemment pas négligeable et, à notre sens, induit plus qu’il n’y paraît dans la conception du travail accompli. On peut tout d’abord percevoir là, ce qui est une sorte d’union du corpus biblique proprement dit et de ce qui relève habituellement d’une « introduction » à la Bible. De fait, par les introductions, qui paraissent parfois un peu brèves, et surtout par près de deux cents pages d’annexes (dépassées si l’on inclut les six magnifiques cartes hors-texte, classiques et par satellite, du Proche-Orient), il y a là véritablement un instrument de travail (index de noms propres et de thèmes, une concordance de plus de cent pages dont on nous prévient qu’elle n’est pas exhaustive, mais dont on constate la richesse). À quoi s’ajoutent, dans le corps même du texte, des notes abondantes, de précieux encarts soit pour précisions de notions et de thèmes proprement bibliques, soit pour comparaison avec des textes du Proche-Orient ancien, etc., et en outre, de larges extraits de textes apocryphes ou « deutérocanoniques » placés en notes (en particulier 1 et 2 Maccabées).
150D’une certaine façon, protestante cette Bible le reste, en particulier par le canon retenu. Cependant, dans l’introduction à l’AT, il est rappelé que si Luther avait retenu le canon hébraïque, les livres « deutérocanoniques » restaient, selon lui, « profitables et utiles à lire », et que ces mêmes livres furent jusqu’au xviiie siècle retenus dans les « Bibles protestantes », même s’ils étaient mis à part et en plus petits caractères. « Depuis le xixe siècle, en grande partie sous l’influence anglo-saxonne, le protestantisme francophone a perdu l’habitude de les éditer et de les lire. » (p. 16, col. 3). Quant au vocabulaire, si cette Bible garde le traditionnel « Esaïe » (qui reste discutable par rapport à un yod initial qui est une lettre « forte » comme consonne et mérite en transcription un « i » — le « j » latin de S. Jérôme — plutôt qu’un « e »), on notera pour traduire cohen l’abandon du « sacrificateur » qui était censé faire éviter le mot « prêtre », à consonance par trop « papiste », qui est donc réintroduit.
151De façon générale, nous avons là un travail en tout point remarquable qui, par expérience, nous le fait recommander pour ce qu’il veut être : un instrument d’étude, et d’étude sérieuse. Cette « nouvelle Bible » devrait donc figurer désormais dans la bibliothèque de tout bibliste et de quiconque entend connaître sérieusement la Bible.
152Redisons cependant qu’on ne peut que regretter, et pas seulement en tant que catholique, l’absence de ces fameux « deutérocanoniques » qui, même assez largement évoqués, ne peuvent qu’être insuffisamment traités. Dans le cadre d’une culture francophone qui a été marquée, qu’on le veuille ou non, par un canon qui les intégrait, cette absence est regrettable, d’autant plus qu’il s’agit d’une « édition d’étude ». La Traduction œcuménique de la Bible (TOB) avait à notre sens bien résolu le problème. Pourquoi n’en aurait-il pas été de même dans cette « Nouvelle Bible de Segond » qui, sans renier ses origines, aurait pu ainsi marquer non seulement le changement des temps, mais une exigence d’intelligence du corpus biblique qui est, lui aussi, le produit d’une histoire, avec ses blessures et ses cicatrices certes, mais aussi avec ses exigences, d’étude précisément ?
15339. Leo G. Perdue (ed.), The Blackwell Companion to The Hebrew Bible.
154Ainsi que son titre l’indique, il s’agit d’un ensemble de contributions sur la Bible hébraïque en vue de fournir aux étudiants une introduction cohérente et « up-to-date » de l’Ancien Testament (Préface, p. x). Le plan est classique : I. La Bible hébraïque dans les études modernes ; II. Histoire israélite et juive ancienne ; III. Archéologie de l’Israël et du Judaïsme anciens ; IV. Le monde religieux et social de l’Israël et du Judaïsme anciens ; V. Théologie de l’AT ; VI. La Torah ; VII. Les prophètes ; VIII. Les Écrits.
155Classiques sont également les positions générales. Par ex., à propos des origines historiques tant de la nation que du culte de Yhwh, l’auteur de la communication (V.16, p. 283) tiendra à la fois le donné d’une constitution de la nation autour de l’an 1000 avant notre ère avec proposition du culte du dieu Yhwh, tandis que quelques lignes plus bas, il parlera d’une idéologie post-davidique. De même, William G. Dever (dont nous avons traité d’un ouvrage supra n° 6), qui a assuré la section III sur l’archéologie, parle d’« A Failed Dialogue » entre les études bibliques et l’archéologie « syro-palestinienne » (p. 120), espérant en ce que « we saw as greatly expanded possibilities for an honest, searching, critical dialogue ». En même temps, il regrette le « scepticisme » qui prévaut actuellement parmi les exégètes quant à l’historicité des textes de la Bible hébraïque, ne désespérant pas de l’utilité de l’archéologie pour constituer les premières données d’une nouvelle histoire de l’Israël ancien…
156Faut-il parler ici de réserve ? À notre sens, non. Car dans son ensemble cet ouvrage fait une sorte de point sur les tensions qui sont induites par l’approche de la Bible. Loin d’un positivisme exclusif, ne privilégiant pas définitivement un agnosticisme méthodologique, cet ouvrage dit la complexité d’un ensemble qui induit un projet véritablement théologique. En ce sens, l’étude d’Antony F. Campbell sur « Preparatory Issues in Approaching Biblical Texts » (pp. 3-18) et l’ensemble de la cinquième partie sur la théologie de l’AT, situent bien ce projet.
157De façon générale, un tel ouvrage est fait pour répondre à l’attente d’étudiants de première année auxquels il propose un honnête et intelligent débroussaillage des données.
VI – Autour de la Bible (40 à 42)
41. Karen Rhea Nemet-Nejat, Daily Life in Ancient Mesopotamia, Hendrickson Publishers, Peabody, Massachusett, 2002, 346 p.
42. Mark S. Smith, Untold Stories. The Bible and Ugaritic Studies in the Twentieth Century, Hendrickson Publishers, Peabody, Massachusett, 2001, 252 p.
15840. Jean-Jacques Glassner, La Tour de Babylone.
15941. Karen Rhea Nemet-Nejat, Daily Life in Ancient Mesopotamia.
160S’il peut paraître lieu commun de dire qu’avec J.-J. Glassner nous avons actuellement le meilleur assyriologue français, il y a là une bonne raison de signaler son essai sur « La Tour de Babylone ». Cet essai est pourtant une sorte d’adieu à l’habitude à la fois légitime et abusive d’établir des liens étroits entre cette aire géographique et culturelle et le texte biblique, surtout lorsqu’il s’agit d’un récit aussi « torse » que celui de la Tour de Babel dans la Genèse. Si, comme le dit l’auteur en conclusion, « ce livre s’est voulu un voyage à travers le temps et l’espace, la Mésopotamie en bandoulière » (p. 236), c’est aussi pour voir ce que les humains, au cours de l’histoire, ont fait de cette Babylone parfois trop fameuse. Dans un premier chapitre, « Interculturalité et rayonnement », J.-J. Glassner commence par dire ce que fut aux origines cette Mésopotamie très vite marquée par le « métissage » culturel. Puis dans un très intéressant chapitre justement intitulé « la mémoire et l’oubli », il montre ce qu’il en advint de cette Babylonie avant « l’invention scientifique de la Mésopotamie » à partir du xixe siècle. Si dans cette « invention », le comparatisme biblique se trouva inévitablement sur le chemin, les travaux des décrypteurs, archéologues et historiens ont finalement rendu cette culture à la fois à nos exigences de connaissances, et à notre imaginaire.
161Avec ce livre qui implique ses travaux antérieurs, lesquels lui permettent de passer assez vite sur l’information proprement dite sur la Mésopotamie, J.-J. Glassner signe un brillant essai qui rend chacun à ses domaines sans pour autant les inviter à une séparation stérilisante, ne serait-ce qu’en rappelant que toute découverte ou « invention » d’une culture est aussi le produit d’une histoire complexe, parfois naïve, mais toujours féconde.
162Quant au livre de K. Rh. Nemet-Nejat, dans le cadre de ce Bulletin, nous sommes en quelque sorte contraint de reconnaître qu’il double en anglais l’ouvrage de J.-J. Glassner, recoupant, avec une incontestable compétence, les mêmes thèmes et sujets.
16342. Mark S. Smith, Untold Stories.
164C’est sans doute lieu commun que de reconnaître que la découverte d’Ugarit en 1927 devait révolutionner ce qui paraissait acquis depuis le décryptage en 1847 des cunéiformes, ce qui avait du même coup révélé l’importance des civilisations mésopotamiennes. L’ouvrage de M. S. Smith dresse sur quatre chapitres un bilan de cet acquis. Il s’agit d’une certaine façon d’une histoire de l’histoire : comment, par qui, selon quelles hypothèses et résultats avons-nous abouti aux connaissances actuelles ? Comme il en était allé au xixe siècle avec l’Assyriologie, le comparatisme avec la Bible s’imposa immédiatement, quitte à ce que la spécificité des découvertes souffrît quelque peu du procédé. Aussi on ne s’étonnera pas de croiser là, dans un remarquable tableau, les noms d’un certain nombre d’exégètes de toutes les nations concernées. Ceci nous vaut quelque chose qui mérite d’être fortement souligné dans le contexte des études qui nous viennent des États-Unis, la prise en compte de tous les acteurs de cette histoire, qu’ils soient anglais, allemands, français ou autres, les grands lieux de la recherche et des chercheurs étant également cités. L’ouvrage comporte en notes une riche bibliographie qui, autant que nous avons pu en juger, paraît complète, et s’achève sur une conclusion très bien venue, « The Future of Ugaritic Studies ».