1Coécrit par Séverine Colinet et Céline Avenel, toutes deux maîtresses de conférences en sciences de l’éducation, cet ouvrage est centré autour « des pratiques professionnelles d’annonce diagnostique de la maladie rénale chez le fœtus pendant la grossesse » (p. 13) et est avant tout destiné à des professionnels ou des publics en formation. Les maladies rénales touchent 2 à 3 millions de personnes en France. Si ces pathologies peuvent engager le pronostic vital et exigent bien souvent des traitements médicaux très lourds, « la figuration initiale de la maladie rénale est singulière dans la mesure où la maladie n’est pas directement visible sur le corps » (p. 19). L’annonce du diagnostic reste donc floue.
2Si toutes les sociétés humaines ont construit des représentations autour du fœtus, c’est avant tout la loi du 29 juillet 1994 qui a rendu possible la création de centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal (CPDPN), jouant un rôle clé dans ce domaine. Ces gestes médicaux, régis par la loi bioéthique du 6 août 2004, donnent des informations de première importance qui peuvent conduire à justifier une interruption médicale de grossesse.
3Financée par la fondation des maladies rares, cette recherche se donne pour objectif de mieux renseigner le vécu des patients dans cette épreuve, étape jugée indispensable à une meilleure prise en compte de leurs expériences par les médecins qui sont assignés à une posture d’accompagnement dans un contexte pour le moins délicat. L’ouvrage traite de l’expérience des patients mais aussi de celle des médecins, dans un objectif de meilleure compréhension des pratiques professionnelles mais aussi de réflexion sur l’ingénierie de formation à travailler pour préparer au mieux les professionnels dans ce cadre.
4Le livre s’ouvre en rappelant l’intérêt de voir ces questions traitées à la lumière des sciences de l’éducation, champ disciplinaire qui reste peu connu dans le milieu hospitalier.
5L’introduction recontextualise l’ouvrage par rapport à l’état de l’art, le situant dans la lignée des travaux autour de l’expérience de la grossesse, mais aussi du diagnostic, de l’annonce ou encore plus largement des travaux autour de la relation médecin-patient et de l’expérience de la maladie.
6Le premier chapitre explicite le positionnement méthodologique retenu, qui est assez classique dans le champ des sciences sociales de la santé (théorie ancrée). Trente entretiens semi-directifs ont été menés auprès de médecins spécialistes hospitaliers. Des entretiens à huit mois du diagnostic ont été réalisés avec neuf couples (mère, père) et douze mères. Quinze mois après cette première étape, onze entretiens ont été conduits avec une partie des parents. Des analyses thématiques, de discours et interprétatives ont été réalisées.
7Le deuxième chapitre aborde les discours des praticiens sur leur pratique professionnelle d’annonce diagnostique. Ils présentent certaines caractéristiques : argumentatifs, marqués par le doute, et par la présence de verbes statifs. Les temporalités de l’annonce sont présentées comme ayant une importance décisive : le processus d’annonce doit à la fois se faire très tôt, et s’étaler sur une période étendue pour éviter la sidération des parents et favoriser leur cheminement décisionnel. L’annonce est « un moment de rupture dans l’évolution de la grossesse et du processus classique de l’entrée dans la parentalité » (p. 46). L’évocation de l’interruption médicale de grossesse peut provoquer des ruptures psychiques dans la relation parents-enfant. Les auteures constatent une « structure sexuée du rapport à l’exercice médical » (p. 48), au sens où les femmes médecins développent davantage leurs propos pour choisir avec tact les mots de l’annonce. Les praticiennes mobilisent plus la fonction d’accompagnement présente dans la relation médecin-patient, en lien avec la manière dont elles projettent la place de l’enfant en situation de handicap dans la sphère familiale. Elles s’autorisent aussi à dépasser le seul mandat médical, à « formuler pour les parents » (p. 53), afin de les « décharger […] de la difficile décision d’interrompre le processus de donner la vie » (p. 53). Les praticiens, eux, sont davantage concernés par un discours d’objectivation et de neutralisation de l’information donnée.
8Le troisième chapitre aborde les discours des couples sur les pratiques professionnelles d’annonce diagnostique. Ces discours argumentatifs se concentrent autour des registres de la famille et de la maladie. Comme chez les professionnels, les temporalités de l’annonce jouent un rôle majeur. L’annonce est brutale et inattendue et laisse place à l’incertitude et au sentiment d’être démuni, d’autant plus que le vocabulaire médical mobilisé est souvent perçu comme opaque. L’annonce amorce un processus de deuil qui débute lors des premières irrégularités perçues durant les échographies et s’étale jusqu’à l’accouchement ou encore à l’interruption médicale de grossesse. La violence l’est autant pour l’individu que pour le couple, où culpabilité, révolte et déni se mêlent. Le vécu de l’annonce est néanmoins varié : certains restent paralysés par l’indécision, d’autres minimisent les effets d’une pathologie invisible. Le vécu de l’annonce est aussi profondément modelé par des éléments culturels en lien avec les convictions de chaque famille. L’annonce est synonyme d’un processus d’apprentissage que ce soit sur l’insuffisance rénale ou sur le quotidien à l’épreuve de la maladie, ou encore en termes de verbalisation des représentations de la maladie.
9Enfin le dernier chapitre présente les discours des couples sur la réalité du postnatal, centrés autour de la gestion quotidienne de la maladie rénale. L’accouchement a été vécu comme un choc, lié à la séparation immédiate avec l’enfant placé en néonatalogie. L’omniprésence de la mort entraine un positionnement contrasté de la part des parents qui oscillent entre « surinvestissement » et sentiment de dépossession. Une mère dit par exemple : « c’est l’enfant de l’hôpital, ce n’est pas le mien » (p. 92). Globalement, vivre avec la maladie rare (chronicisée), imprime le quotidien d’une « angoisse quotidienne » (p. 93) et produit des effets sur l’ensemble de la famille, notamment sur la fratrie. Les mères sont particulièrement touchées par les effets de la maladie de leur enfant, notamment dans la sphère professionnelle. Les effets de la pathologie sont aussi observés sur la dynamique de couple, et trois entretiens sur cinq montrent un désinvestissement progressif des pères. Les membres de la famille doivent développer des compétences relationnelles et techniques, au sens d’un véritable travail médical.
10L’apport principal de l’ouvrage est de parvenir à restituer, en une centaine de pages, des enjeux expérientiels contemporains majeurs, à la croisée de la santé et de la famille, tout en les resituant par rapport aux travaux désormais classiques dans le champ. On peut néanmoins regretter que certains approfondissements théoriques n’aient pas été creusés : les éléments relatifs au genre sont souvent cités, mais dépassent rarement l’angle de la sexuation. Cet approfondissement aurait été rendu possible en éclairant les résultats de recherche de l’apport des éthiques du care et de la sociologie des temporalités, qui auraient permis de déconstruire davantage les processus de mise en vulnérabilité qui sont travaillés dans l’ouvrage.
11Ce dernier point de critique ne doit rien enlever au fait que la lecture de cet ouvrage est fort intéressante. Elle sera particulièrement heuristique, tant pour les acteurs de la santé que pour les étudiants en sciences sociales de la santé, notamment parce qu’elle évite l’écueil d’une présentation normative de « bonnes pratiques », en privilégiant la mise en lumière d’enjeux complexes et diffus.