CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Pour rassurer le consommateur sur les conditions de production, les entreprises s’abritent de plus en plus derrière des labels... Mais qui sont les certificateurs qui donnent ces gages de bonne conduite ? Quel crédit leur accorder quand des entreprises « certifiées » font l’objet de scandales ?

2Quel est le point commun entre l’effondrement du Rana Plaza, la crise des subprimes, le scandale des prothèses mammaires de la société Pip (Poly implant prothèses) ? À chaque fois, c’est la société allemande d’audit et de certification TÜV Rheinland qui a certifié les pratiques des entreprises concernées. Si corrélation n’est pas causalité, tant il est complexe de démêler les responsabilités de chacun, ces exemples interrogent le rôle des processus d’audit et de certification.

3Définie comme une attestation réalisée par une tierce partie, relative à des produits, des processus, des systèmes ou des personnes, la certification est aujourd’hui réalisée par des sociétés privées, qui ont progressivement formé une véritable industrie. Elle offre en apparence des garanties rassurant le consommateur sur le non-recours au travail des enfants, la traçabilité de matières premières (comme le poisson [1], le bois), la solidité de produits financiers.

Origine de la certification et de l’audit

Dans le domaine financier et comptable, l’audit et la certification sont des pratiques anciennes, remontant à la comptabilité seigneuriale : on les effectuait en cas de doute sur la gestion du régisseur du domaine. Dans sa version contemporaine, le besoin de certifier des comptes remonte au développement des chemins de fer aux États-Unis et au besoin des investisseurs britanniques de s’assurer de la bonne utilisation des fonds par les dirigeants des sociétés de construction. L’audit et la certification non financière ont connu un essor important avec la mondialisation des échanges. Il s’agit d’apporter des garanties aux consommateurs sur les caractéristiques des produits fabriqués et achetés à l’étranger en matière de sécurité, d’innocuité, de qualité, de respect de l’environnement ou des conditions de travail. Cette fonction était auparavant assurée par l’existence de relations de proximité avec le fabricant ou le producteur ou par la validation d’instances administratives nationales (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et inspection du travail). La mondialisation des échanges a soulevé la question de l’interopérabilité de systèmes techniques différents. Après la Seconde Guerre mondiale, des organismes internationaux de normalisation (comme l’International Organization for Standardization, Iso, créée à Genève en 1946) regroupant leurs homologues nationaux (Afnor en France, Din en Allemagne) ont été créés afin d’établir des standards mondiaux permettant aux entreprises de s’affranchir des frontières. Si ces organismes se sont d’abord concentrés sur les normes techniques, la normalisation s’est progressivement diversifiée vers les systèmes de management (qualité, ressources humaines…) puis vers le respect de l’environnement et des droits de l’homme au travail (Iso 26 000).
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4Mais il convient de distinguer l’activité de certification de celle d’inspection. L’inspection, un contrôle de premier niveau, porte sur la qualité intrinsèque de pièces, de produits ou de services. La certification est un contrôle de second niveau des pratiques d’une organisation (comme le management ou la gestion de la qualité). Si la certification reste le plus souvent volontaire, l’inspection est obligatoire (contrôle technique automobile, inspection de produits agricoles et alimentaires…). La confusion, entretenue par la plupart des organismes combinant les deux activités, est à l’origine de nombreux malentendus et de plusieurs scandales.

5Début 2016, une anomalie a été détectée à Flamanville, sur une pièce du futur réacteur nucléaire. Les pièces avaient été produites par l’usine d’Areva au Creusot. Celle-ci avait été « certifiée » par le Bureau Veritas. Or les tests de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), puis les contrôles réalisés par l’enquête judiciaire, ont permis de découvrir les pièces non conformes, produites avec des certificats falsifiés par un employé de l’usine du Creusot, alors que le système de management de la qualité avait été jugé conforme. Si la sécurité des pièces ne semble pas en cause, il aurait très bien pu en être autrement et les sociétés de construction de centrales nucléaires n’y auraient rien vu sans inspection poussée.

La certification : une activité lucrative

6L’activité des sociétés d’audit et de certification consiste à contrôler le respect des normes (voir l’encadré ci-dessous), dans les entreprises, les administrations, les associations, à identifier les écarts (pour délivrer ou non la certification) et à envoyer un rapport aux commanditaires. La certification peut être demandée volontairement par l’organisation ou imposée par ses donneurs d’ordre, voire par les pouvoirs publics. Dans la majorité des cas, c’est l’organisation certifiée qui paie. Un ou plusieurs auditeurs fixent un rendez-vous au cours duquel se déroule le processus d’audit : réunion avec les principaux cadres, visite des installations, contrôle documentaire, entretiens avec les employés, puis réunion de clôture où un pré-rapport d’audit est délivré avant le rapport final, envoyé quelques jours ou semaines plus tard.

Qui définit les référentiels ?

Pour des raisons tenant à la maîtrise des coûts d’élaboration, les organismes de normalisation privés (nombre d’entre eux sont à but non lucratif) s’appuient généralement sur des conventions ou traités internationaux, ou des standards techniques. Mais la définition et le contenu des référentiels recèlent des dimensions politiques implicites. Dans le secteur textile, les normes recommandées par les industriels et les distributeurs (Business Social Compliance Initiative dans le monde, Classification internationale pour les normes en France…) se basent sur des référentiels qui ne font pas du droit de négociation et d’association des travailleurs une variable centrale, contrairement aux revendications des organisations syndicales (Workers Rights Consortium, Clean Clothes Campaign ou en France le Collectif éthique sur l’étiquette). Il en va de même pour le respect de l’environnement ou l’utilisation de substances toxiques. Les coalitions de parties prenantes multiples destinées à se mettre d’accord pour un ou plusieurs secteurs (cas de la norme Iso 26 000) deviennent ainsi le lieu de rapports de force subtils où le diable se cache dans les détails, dans la formulation d’un paragraphe ou le choix d’un mot. Les organisations les plus puissantes, capables d’envoyer des polyglottes rompus aux techniques de négociation, tirent généralement leur épingle du jeu, à la différence de certaines ONG, syndicats ou pays en développement.
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7Très peu de donneurs d’ordre prennent en charge le coût de la certification. Celle-ci peut représenter une dépense considérable pour les entreprises, à laquelle s’ajoutent des considérations relatives à l’encadrement et à la structure de l’organisation (reporting, procédures) et, ponctuellement, la mobilisation de services entiers. Une fois délivrée, une certification est souvent valable plusieurs années, parfois sous condition de visites d’étape. En cas de non-conformité, une contre-visite est nécessaire dans les six mois pour obtenir le certificat.

8Quatre groupes internationaux (TÜV, SGS, Veritas, Intertek) se taillent la part du lion, intervenant dans quasiment tous les secteurs : industrie, services, administrations. S’il est difficile, faute de données, de présenter des chiffres précis, les rapports financiers des multinationales de l’audit cotées en bourse [2] indiquent des chiffres d’affaires en milliards d’euros.

9Le marché de la certification est lui-même encadré par des organismes d’accréditation, chargés du contrôle des contrôleurs. En France, c’est le Comité français d’accréditation (Cofrac). L’accréditation est obligatoire pour exercer.

Les failles de la certification

10La certification présente deux types principaux de faille. Les failles organisationnelles touchent aux moyens dont disposent les sociétés de certification ainsi qu’au processus de certification lui-même. Dans sa version commerciale, l’audit minimise les chances de détection de fraudes. La visite est annoncée à l’avance, laissant à l’organisation auditée le temps nécessaire pour préparer les zones de son activité qui seront auditées. Dans sa conception même, la certification est ouverte au phénomène des villages Potemkine [3] : la façade, conforme aux attentes institutionnelles, occulte l’activité réelle. La différence ne résulte pas toujours d’une volonté de frauder, mais de la nécessité de s’écarter de la norme pour continuer à fonctionner efficacement : la normalisation n’est pas nécessairement synonyme de gain d’efficacité pour les organisations, bien au contraire.

11Les sociétés de certification connaissent aussi des failles institutionnelles : si elles n’ont aucun intérêt à refuser la certification à leurs clients (qui pourraient se tourner vers la concurrence), elles doivent maintenir leur réputation afin de poursuivre leur activité. Trouver l’équilibre est subtil. Des clauses exonératoires de responsabilité visent à prévenir tout risque. Le contexte institutionnel et culturel, le niveau de corruption du pays, les vices cachés… sont autant de pare-feu limitant la responsabilité de ces sociétés face à un juge ou des enquêteurs.

12La normalisation et la certification n’améliorent pas automatiquement la qualité des processus. Elles peuvent même aller à l’encontre de l’effet recherché. Et les valeurs plus ou moins implicites incluses dans les référentiels des initiatives de certification, à prétention universelle, peuvent entrer en contradiction avec celles du contexte local dans une vision relativiste des valeurs.

13Les failles de la certification ne font pas l’objet de statistiques officielles. Reste que, si les scandales de la certification semblent assez peu nombreux, leurs conséquences peuvent être dévastatrices, comme dans le cas du Rana Plaza ou des prothèses Pip, sans parler des effets de la crise des subprimes sur l’économie réelle…

Vers un retrait de l’état ?

14La confusion qui existe entre certification et inspection permet de masquer la diminution des contrôles opérés par des instances administratives. Les récentes saignées infligées au corps des douanes, à l’inspection du travail ou à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) en France (comme dans de nombreux pays en Europe) illustrent cette tendance : progressivement, pour garantir la sécurité, la conformité des produits ou le respect des conditions de travail, la certification privée se substitue aux contrôles effectués par des fonctionnaires.

15Les pays positionnés sur des secteurs low cost n’ont aucun intérêt à développer une inspection du travail performante : non seulement il faut la financer sur les deniers publics mais, surtout, il pourrait en résulter une inflation salariale si les travailleurs parvenaient à défendre leurs intérêts. Le cas du Bangladesh est instructif : les coûts de mise en conformité des usines du textile [4] (à la suite de l’application de l’« Accord on Fire and Building Safety ») menacent la compétitivité sur laquelle le pays a bâti sa stratégie de développement. La certification décernée à moindre coût, avec des référentiels moins exigeants que les normes de l’OIT, par exemple, est bien plus intéressante : elle permet d’entretenir une hypocrisie organisationnelle, en conciliant faible prix de revient et apparence de qualité, de sécurité et de conformité aux yeux des consommateurs. Le mythe du jean à 5 euros, bio et équitable peut se perpétuer !

16Plus ces normes sont reconnues et légitimes aux yeux des donneurs d’ordre ou des utilisateurs finaux, plus elles permettent aux organisations de s’affranchir de paradoxes apparents. Le fondateur de Pip avouait que la société TÜV avait été choisie pour certifier ses prothèses mammaires afin de bénéficier du respect que la société, symbole de la qualité allemande, inspirait aux consommatrices. Les sociétés de certification l’ont bien compris et soignent leur réputation, tout en entretenant le flou sur la nature exacte de leur prestation.

Sanctions et alternatives

17Les organisations n’ayant pas obtenu la certification – cas relativement rare – peuvent être sanctionnées commercialement si, dans les contrats, des clauses prévoient une résiliation. S’il y a eu fraude, des poursuites pénales [5] peuvent être ouvertes par les autorités compétentes. Quant à la société de certification convaincue de fraude (ce qui reste difficile à établir), elle peut se voir retirer son accréditation par le Cofrac en France (fait rarissime), voire disparaître comme dans le cas de la société Arthur Andersen [6], impliquée dans le scandale Enron. Cet exemple constitue cependant une exception : dans la pratique, ces sociétés ont pour habitude de transiger avec la justice en payant des amendes représentant une fraction du bénéfice annuel pour éviter d’avoir à reconnaître leur culpabilité lors de scandales qui surviennent régulièrement [7].

18Les abus constatés disqualifient-ils la démarche ? Tout le problème provient de la confusion des rôles : le développement de la certification ne doit pas se faire au détriment de l’inspection. La pression à l’augmentation des échanges peut amener à déréguler des secteurs ou à déclassifier des produits afin de réduire le temps d’examen en douane ou les contrôles administratifs. Ainsi, les prothèses mammaires de Pip n’étaient pas soumises à des contrôles sanitaires aussi stricts que les prothèses de hanche. Ce sont les pouvoirs publics qui décident du niveau d’inspection ou de certification à appliquer aux familles de produits en circulation. Mais protection du consommateur et intensification des échanges sont parfois antagonistes.

19Peut-on voir dans les normes volontaires (de type soft law) un levier vers des normes obligatoires (de type hard law) ? L’inverse est à craindre. De plus en plus d’entreprises désireuses de se faire certifier « socialement responsables » mettent en avant dans leurs pratiques le simple respect de la loi. Alain Supiot parle de reféodalisation [8] du droit du travail, dont l’application reviendrait à nouveau à la discrétion de l’employeur et au contrôle par l’examen des pairs, comme à l’origine de l’inspection du travail. Plus troublant, certaines décisions de justice récentes [9] considèrent des pratiques volontaristes de RSE comme des éléments à décharge pour l’employeur : le flou entre inspection et certification semble gagner la sphère des juristes ! Rappelons que le scandale des prothèses Pip a été détecté par des instances de contrôle administratif [10], de même qu’à Flamanville, c’est une inspection de l’ASN, puis une enquête du Parquet qui ont permis de découvrir des pièces non conformes.

20Les problématiques de certification font écho à la nécessité de réglementer la mondialisation au-delà d’une certification privée. Des initiatives comme la loi « Devoir de vigilance » [11] vont dans ce sens. Des projets tentent de pallier les carences de la certification. Ainsi, « Better Factories Cambodia » a été lancé en 2001 au Cambodge par l’OIT sur la base d’un traité. Les États-Unis acceptaient d’augmenter les quotas de produits textiles en provenance du Cambodge ; en contrepartie, le pays laissait les inspecteurs de l’OIT contrôler les conditions de travail dans les usines textiles. Quant au projet Scale d’Interpol, il vise à aider les gouvernements de différents pays (tel le Costa Rica) à lutter contre la pêche illégale au moyen de dispositifs de contrôle régaliens (bateaux de l’armée) plutôt que de se fier aux labels de certification. Le projet est financé par des pays comme la Norvège et de fondations comme The Pew Charitable Trusts.

21Mais ces systèmes de contrôle financés sur fonds publics sont difficilement compatibles avec le contexte institutionnel néolibéral et le retrait des États. Pourtant les coûts de ces dispositifs ne sont pas supérieurs à ceux de la certification. Mutualisés à l’échelle d’un secteur, ils peuvent même se révéler moins coûteux (cas de Better Factories Cambodia). Reste que ces dispositifs présupposent un État capable de lever l’impôt et de le répartir efficacement. La substitution des institutions internationales à certains États pose d’autres questions en termes d’ingérence. Pour le moment, le risque est de voir l’essor de la certification privée comme une véritable bureaucratie néo-libérale. Sous couvert d’efficacité et de transparence, elle occulterait des mécanismes de domination subtils : les pays producteurs perdent progressivement leur souveraineté à régir les conditions de travail et de respect de l’environnement sur leur territoire, au profit de coalitions hétéroclites de parties prenantes, qui définissent des référentiels et des modalités de contrôle prenant rarement en considération les intérêts des plus faibles.

SUR REVUE-PROJET.COM

Retrouvez l’article de G. Delalieux dans sa version intégrale, comme l’ensemble de la question en débat « À l’heure des multinationales, le retard du droit ? » (été 2016) qu’il prolonge.

Notes

  • [1]
    Comme le label Marine Stewardship Council pour le poisson ou Forest Stewardship Council pour le bois.
  • [2]
    Le rapport 2015 de TÜV mentionne un chiffre d’affaires de 2,2 milliards d’euros pour un bénéfice net de 144 millions d’euros (4,5 milliards d’euros pour le Bureau Veritas), pour 24 000 employés à travers plus de 50 pays.
  • [3]
    Du nom d’un ministre russe de Catherine II dont une légende (démentie depuis) raconte qu’il aurait fait ériger des façades de carton-pâte pour cacher la misère de certains villages en prévision de la visite de la tsarine.
  • [4]
    Estimés à plus d’un milliard de dollars sur les 5 000 usines inspectées.
  • [5]
    Un tribunal bangladais a condamné à la peine de mort certaines personnes (hommes politiques, cadres dirigeants, administratifs) considérées responsables de la catastrophe du Rana Plaza.
  • [6]
    Cette dernière a été absorbée en France par Ernst & Young, devenu leader du marché français.
  • [7]
    En plus d’Enron, citons ici les scandales de Tyco et WorldCom en 2002, Ahold aux Pays-Bas en 2003, Parmalat en Italie en 2004, Olympus au Japon en 2011.
  • [8]
    Alain Supiot, « Les deux visages de la contractualisation : déconstruction du droit et renaissance féodale », dans Sandrine Chassagnard-Pinet et David Hiez (dir.), Approche critique de la contractualisation, LGDJ, 2007, pp. 19-44.
  • [9]
    Un récent arrêt de la Cour de cassation cite des initiatives de RSE (un réseau ouvert aux femmes cadres du groupe, l’appartenance au programme Global Compact et le label diversité de l’Afnor) comme prouvant la bonne foi de l’entreprise dans un cas de discrimination.
  • [10]
    Un agent de la DGCCRF a décidé de revenir sur place de manière inopinée le lendemain d’un contrôle prévu à l’avance chez Pip. Cette visite à l’improviste, permise par le statut de l’agent, à la différence de celui des certificateurs, a permis de découvrir le pot aux roses en observant des fûts de gel de silicone avec une étiquette indiquant une utilisation pour l’industrie automobile différente de celle du gel médical et homologué présentée la veille.
  • [11]
    G. Delalieux, « Devoir de vigilance », Revue Projet, n° 352, juin 2016.
Guillaume Delalieux
Guillaume Delalieux est maître de conférences en sciences de gestion à Sciences Po Lille et chercheur au Centre d’études et de recherches administratives, politiques et sociales.
Mis en ligne sur Cairn.info le 20/12/2017
https://doi.org/10.3917/pro.361.0080
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