1Qui l’Europe actuelle fait-elle encore rêver ? En son nom, on démantèle l’État-providence sur l’autel de la dette. On prive d’horizon la moitié des jeunes de Grèce, d’Espagne ou du Portugal. On tient le registre macabre des corps en Méditerranée. En son nom, la Commission négocie un traité transatlantique qui, s’il était adopté, marquerait l’étape ultime de capture de nos souverainetés par des intérêts privés. Devant ce sombre tableau, la tentation majoritaire est à la résignation ou au repli. Que le Parlement européen concentre plus de pouvoirs n’empêchera pas l’abstention de progresser aux prochaines élections. Comme si les politiques menées nous échappaient. Comme si elles avaient quelque chose d’inéluctable. Prime, alors, à celles et ceux qui, aux extrêmes, désignent des cibles faciles à la vindicte. Certes, le cri venu de la place Maïdan rappelle la force de l’idéal démocratique qu’incarne, aux yeux des manifestants de Kiev, l’Union européenne (cf. P. Cox). Il ravive aussi l’idée d’une culture commune aux peuples d’Europe (cf. J. Kristeva). Mais, en son sein, être pour ou contre n’a guère de sens : l’Union européenne est déjà là. Décider ce que nous en faisons est la seule question qui vaille. Sans céder au fatalisme. Car sans alternance, il n’est point de démocratie (cf. J. Galbraith). Non, nous ne sommes pas esclaves de la dette. La zone euro a renoncé à battre monnaie, poussant les États à devenir locataires de l’argent des banques. Mais cette situation est-elle gravée dans le marbre, alors qu’elle n’a pas trente ans ? Non, la mondialisation n’est pas davantage ce mouvement inexorable qui conduirait nos sociétés à toujours s’adapter à la concurrence planétaire. Certes, l’extraordinaire mobilité des capitaux, des biens et des services place ses bénéficiaires en position de force quand les États ne légifèrent qu’à l’échelle d’un territoire. Mis en concurrence, ils n’hésitent pas à pratiquer un dumping social (cf. D. Clerc) et fiscal au sein même de l’UE. Mais c’est bien l’Europe qui a promu cette libéralisation sans contrepartie. Ne peut-elle faire le mouvement inverse, réinvestir son industrie (cf. P. Defraigne) et opposer aux capitaux vagabonds un socle social et fiscal harmonisé ? Remettre la finance à sa place (cf. P. de Lauzun et T. Philipponnat) et réorienter l’épargne pour faire face au défi climatique (cf. J.-C. Hourcade) ?
2« On n’y peut rien, c’est Bruxelles »… Ne nous y trompons pas ! L’UE ne forme pas un tout, elle repose sur un trépied. Le Conseil européen rassemble les États membres. La Commission (35 000 fonctionnaires seulement) est censée insuffler l’esprit communautaire. Le Parlement prend désormais l’initiative de certains textes et les adopte tous (codécision ou simple droit de veto). Mais, dans cette trinité-là, ce sont bien les 28 États qui patronnent l’Union ! Autrement dit, l’Europe est entre nos mains. Se la réapproprier suppose que nos États s’y investissent. Et y investissent, pour que la solidarité européenne (cf. J. Habermas) ne reste pas un vain mot : difficile de mener des politiques communes avec un budget aussi dérisoire (1 % du Pib)… Or, réunies, la France et l’Allemagne comptent pour 50 % du Pib de la zone euro.
3La construction européenne a partie liée avec l’engagement des chrétiens. Mais de la pensée sociale de l’Église, les artisans des évolutions récentes ont fait une application sélective. Là où le principe de subsidiarité invite à interroger en permanence le niveau de prise de décision pertinent, ils ont voulu voir la consécration du tout-marché, au détriment de la solidarité. Omettant d’autres principes tout aussi essentiels : le bien commun, l’option prioritaire pour les pauvres, la destination universelle des biens. Ou encore, « permettre à tous les peuples de devenir eux-mêmes les artisans de leur destin » (Populorum progressio, 65), selon l’horizon dessiné par Paul VI aux pays en développement.