1 Avoir un toit sur la tête pour ne pas mourir de froid ? ! Le logement est à la fois une sécurité physique et une nécessité psychique. Le contact fréquent avec des personnes privées d’un lieu qui soit à elles montre à quel point cette situation peut être déstructurante. L’image de soi est dégradée quand on n’est plus capable de défendre son intégrité et tout ce qui est cher : enfants placés, affaires personnelles dispersées, perdues… Il faut des années pour remonter cette pente.
2 Si l’on a besoin de « demeurer », on a aussi besoin de grandir. Le logement est un lieu d’affirmation identitaire de soi qui suppose une mobilité possible. Quitter ses parents, déménager pour rejoindre un conjoint ou se rapprocher d’un travail, accéder à un logement plus grand parce que la famille s’agrandit… « C’est la vie ? ! » Avoir cette possibilité ou non conditionne sa vie. Les événements de l’automne 2005 dans les banlieues prennent tout leur sens quand on pense à l’impossibilité pour une population jeune, d’origine immigrée, de « bouger de là ». Bouger de chez leurs parents, du quartier un peu stigmatisé qu’ils ont toujours connu. Ils sont assignés à résidence. Si leur révolte n’était pas « auto-destructrice », on aurait envie de dire qu’elle est salutaire parce qu’elle est signe d’une vie qui refuse l’enfermement.
3 Il faut s’interroger devant l’effet induit sur « l’envie de vivre » de ces millions de personnes bloquées dans leurs projets par un logement si rare et si cher. Malaise et dépression : comment croire en soi à titre personnel, croire en la société quand il est devenu si risqué de quitter son logement ? ? Il est devenu aujourd’hui une insécurité fondamentale pour une part croissante de la population.
4 Solidarités nouvelles face au logement (Snl) est une association de solidarité par le logement qui agit en Ile-de-France pour mobiliser sur le plan local, à l’échelle d’un quartier, d’une petite ville, des citoyens désireux d’agir concrètement sur la question du logement. L’objectif concret est de mobiliser des fonds publics et privés pour acheter des logements, les proposer en location à très bas prix à des personnes qui cumulent des difficultés économiques et sociales, accompagner ces personnes pour qu’à partir de ce premier lieu, elles se remettent sur pied, et enfin mobiliser des partenaires pour qu’elles puissent accéder in fine à un logement « classique » et s’inscrire à nouveau dans un réseau de relations.
5 Extrait de la Charte Snl
6 « Depuis 1988, Snl a fait le constat d’une double fracture.
7 1. Une fracture qui sépare les hommes les uns des autres : notre société manque de paroles échangées, d’écoute réciproque, de soin porté à l’autre. Elle ne connaît pas assez de lieux où peuvent s’exercer une solidarité à visage humain et la responsabilité du citoyen.
8 2. Une fracture entre la nécessité du logement et la réalité vécue par beaucoup : habiter est pour tout homme une nécessité première. Beaucoup n’ont plus où habiter. L’écart creusé entre réalité et nécessité est immense. Cette double fracture met fortement à l’épreuve l’humanité de chacun. Se résigner conduit à la nier définitivement. »
9Pour y répondre, les dispositifs sont en défaut. Habiter ensemble est un risque à prendre. Risque de l’autre : être présent physiquement à l’autre, dans la durée. Risque de la responsabilité, mais risque de nier sa propre humanité en ne faisant rien.
10 Depuis 1988, l’association a acheté ou pris à bail à réhabilitation long terme environ 600 logements. 1 ? 000 bénévoles sont mobilisés, au sein de 100 groupes locaux de solidarité. Ils expriment à la fois le choix de la proximité et le risque du vivre ensemble. Car la nécessité vitale de logement des uns est ressentie comme une menace par les autres, et tout le monde s’accorde à penser qu’il faut davantage de logements sociaux, mais pas à côté de chez soi ? ! La peur de l’autre est très présente : le logement social, c’est des barres et des voitures qui brûlent, c’est l’irruption du lointain dans son jardin…
11 Les membres de Snl veulent oser cela : lorsqu’on achète un logement dans un immeuble, on impose parfois aux autres le « risque du vivre ensemble ». Des difficultés de voisinage peuvent se présenter ? ; il s’agit alors d’être présents pour y répondre collectivement grâce à des médiations et grâce à l’apport de compétences professionnelles.
12Les membres de Snl prennent le risque d’agir : risque pour des bénévoles de s’engager dans cette recherche, risque aussi pour des salariés d’une structure associative très fragile dans ses financements, et par rapport à des projets de vie qui ne s’inscrivent pas d’abord dans un souci de carrière, ou une logique de maximisation des revenus. Inversement, cependant, agir concrètement dans une action qui s’affronte à ces risques partagés leur donne de se situer autrement que dans la peur d’être tout petits dans un monde non maîtrisable, menaçant dans son insaisissabilité.
13 En refusant de s’en tenir au « c’est aux autres de faire, au maire, à l’Etat… », les militants de Snl ne tombent pas pour autant dans le mirage d’une toute-puissance. Ce n’est pas parce qu’on est bénévole ou salarié dans l’association que l’on sait ce qui est bon pour les personnes accompagnées. Ce n’est pas non plus parce qu’on a créé 600 logements qu’on peut affirmer « qu’on sait faire ». Ces militants n’ont pas inventé le système qui répond à l’ensemble des besoins. En revanche, ils peuvent dire que vivre ensemble est possible, et que c’est drôlement rassurant ? !
14Eric Amieux