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Faute de sources classiques utilisées par la démographie historique pour décrire les comportements démographiques des populations, la structure de la population de la France au Moyen Âge est mal connue. Il faut donc miser sur – et déchiffrer – d’autres types d’informations souvent collectées à des fins économiques. C’est ce que proposent les auteur·es de cet article qui utilisent l’inventaire des familles de paysans travaillant pour l’abbaye de Saint-Victor en Provence au neuvième siècle. La structure par âge de cette population permet de déduire des informations inédites sur la taille et le type des familles, leur implantation, et les risques de mortalité par âge.

1 Pour mieux comprendre la démographie et la formation des familles durant le haut Moyen Âge, une source ancienne, datée de 813-814, est analysée : il s’agit du polyptique de l’abbaye Saint-Victor, qui se trouve à Marseille, c’est-à-dire en Provence, dans le Sud de la France [1]. Bien que les informations qu’il fournit soient limitées, c’est l’une des rares sources écrites de l’époque permettant d’avoir accès à des données démographiques quantifiables.

2 On sait peu de choses sur la population européenne du haut Moyen Âge. Sa taille a fait l’objet d’estimations générales (McEvedy et Jones, 1978) et il ressort d’analyses paléodémographiques récentes que l’Europe altimédiévale se caractérisait par des régimes démographiques hétérogènes (Barbiera et Dalla-Zuanna, 2009 ; Séguy et Buchet, 2013 ; Barbiera et al., 2018 ; Steckel et al., 2019). En revanche, ces travaux ne donnent pas d’information sur la nuptialité ni sur la fécondité.

3 Sans être représentatif de la démographie provençale de l’époque, et encore moins de celle de l’Europe du début du MoyenÂge, le polyptyque de Marseille permet d’intégrer les conclusions de précédentes études et de les examiner de manière approfondie. Une analyse démographique radicalement nouvelle et attentive des données peut être effectuée pour déterminer la structure par sexe et âge, le régime matrimonial, l’organisation de la main d’œuvre, ainsi que le rôle de la mobilité. Sur la base de ces résultats et de la littérature, on a identifié des régimes de mortalité et de natalité plausibles. Ces conclusions peuvent être comparées avec celles concernant des populations de la fin du Moyen Âge, afin de mieux connaître la dynamique des populations européennes avant le développement des inventaires de biens et des registres paroissiaux.

4 Répertoriant les propriétés et les paysans qui y travaillent, les polyptyques sont établis par les propriétaires pour contrôler leurs biens. Ils dressent le tableau le plus clair de la composition des tenures et des capacités de production. Avec les nombreuses sources de la période carolingienne, ils reflètent la tentative de créer un semblant d’ordre et d’organisation (Fourquin, 1975). Les polyptyques étaient établis suivant différentes normes formelles et pouvaient comprendre un descriptif de la structure territoriale des domaines, une liste des catégories de travailleurs employés et un état comptable des droits exigibles et des charges. Sur la douzaine de polyptyques conservés et qui datent du IXe siècle ou du Xe siècle, quatre seulement dénombrent à la fois les propriétés et les personnes y travaillant. Ce sont les polyptyques des monastères suivants : Saint-Victor à Marseille, Saint-Germain-des-Prés à Paris (829), Saint-Rémi à Reims (après 848) et l’abbaye de Farfa, dans la région italienne des Abruzzes (vers 829).

5 Les noms donnés à ces polyptyques peuvent induire en erreur. Ils inventorient des actifs et des familles qui ne se concentrent pas à proximité du monastère lui-même mais sont dispersés sur de vastes territoires dont le degré de dépendance vis-à-vis du monastère varie.

6 Les règles qui présidaient à l’établissement de ces documents n’étaient pas non plus identiques. Comme l’a souligné Devroey (1981), chaque document a ses particularités, qui reflètent différentes manières d’utiliser et d’organiser l’espace, et une analyse détaillée tenant compte à la fois du mode d’élaboration et du point de vue des propriétaires est donc nécessaire.

7 Le polyptyque de Saint-Germain-des-Prés indique la superficie des propriétés et dresse la liste des résidents, de même que leurs obligations envers le monastère, ce qui permet d’en déduire la taille des ménages (Herlihy, 1985). Le polyptyque de Farfa décrit les liens de parenté entre les individus, autorisant ainsi une analyse détaillée de la structure des ménages paysans (Ring, 1979 ; Feller, 1994). Le polyptyque de Saint-Rémi est le plus spécifique dans sa description des charges qui incombent aux chefs des ménages installés sur chaque propriété, même si certains éléments concernant la composition des ménages font défaut (Devroey, 1981). Compte tenu de la richesse des informations qu’elles fournissent, ces trois sources ont fait l’objet de très nombreuses études dans les dernières décennies (Ring, 1979 ; Devroey, 1981 ; Herlihy, 1985 ; Devroey, 1993 ; Feller, 1994). En revanche, le polyptyque de l’abbaye Saint-Victor décrit les biens et les liens de parenté avec relativement moins de précision, ce qui explique que les chercheurs l’aient négligé (Renard, 2012). Ils ont essentiellement cherché à localiser les fermes avec exactitude et émis plusieurs hypothèses sur la distribution de la population dans la zone concernée (Sauze, 1984 ; Devroey, 2004 ; Faith, 2010 ; Renard, 2012). Ce polyptyque est néanmoins unique, dans la mesure où l’âge des enfants y est consigné avec précision, ce qui permet de reconstruire pour la première fois la structure par âge d’une population du haut Moyen Âge. Si l’on excepte l’étude de Zerner-Chardavoine (1981), qui portait exclusivement sur les enfants cités dans le document, il manque des analyses démographiques plus détaillées et cette contribution permet d’y remédier.

8 Cette source n’avait pas été établie à des fins démographiques mais reflète plutôt les intérêts des seigneuries locales. Elle ne recense donc que les personnes ayant un lien direct avec les propriétés éparses de l’abbaye. On va d’abord chercher à déterminer si la population enregistrée constitue un ensemble cohérent de la structure de la population. Le polyptyque peut donc être étudié sous l’angle démographique et social, en s’intéressant plus particulièrement à la population dénombrée et au mode d’organisation des fermes.

9 La section I renseigne sur le contexte démographique de l’Europe et du Sud de la France au début du Moyen Âge. La section II présente les éléments du polyptyque, notamment la façon dont les individus, les familles et les fermes sont recensés et décrits. La section III reconstruit la structure de la population par âge et sexe et la compare avec celle d’autres populations de l’Europe médiévale et moderne. La section IV analyse la dynamique démographique qui produit la structure par âge précitée en utilisant également des tables-types de mortalité classiques. La section V identifie le modèle de nuptialité à partir des données sur le sexe, l’âge et l’état matrimonial. Enfin, les sections VI et VII, utilisent les renseignements relatifs aux fermes, aux familles et aux chefs des exploitations pour effectuer une analyse différentielle mettant en lumière la dynamique du rapport de force entre les fermiers et l’abbaye de Saint-Victor.

I. Déclin et renouveau démographique dans le Sud de la France

10 D’après les tendances estimées de la population européenne, un premier déclin démographique s’est produit durant les crises économiques du IIIe siècle. Une deuxième période critique a suivi, aux IVe et VIIIe siècles, avec la chute de l’Empire romain, les invasions barbares, puis la peste de Justinien au milieu du VIe siècle (Biraben, 1975 ; Biraben et Le Goff, 1975 ; Little, 2008 ; Green, 2014). Un lent redressement s’est sans doute opéré à la fin du IXe siècle et le mouvement s’est accéléré au XIe siècle (McEvedy et Jones, 1978 ; Bardet et Dupâquier, 1997).

11 Des tendances similaires de déclin et de redressement caractérisent la dynamique démographique de cette période en Gaule (ou Gallia, nom latin de la France actuelle), même si des différences ont aussi été soulignées. Plus précisément, la population – estimée à 5,8 millions de personnes au premier siècle – a sans doute diminué aux IIIe et IVe siècles en raison de crises économiques (McEvedy et Jones, 1978 ; Étienne, 1988). Ces tendances à la baisse ont perduré jusqu’au Ve siècle, puis se sont accentuées au milieu du suivant. À partir de là, la peste de Justinien, que des sources écrites [2] évoquent pour la première fois en 543 dans le Sud de la France et la région de Lyon, a provoqué une nouvelle phase de déclin démographique qui s’est prolongée peu ou prou jusqu’au milieu du VIIIe siècle (Biraben et Le Goff, 1975). La fin de la peste, suivie de la période de stabilité politique associée au règne de Charlemagne (768-814), a auguré une période de progrès économiques réguliers et de croissance démographique. La renaissance carolingienne s’est accompagnée d’un foisonnement culturel et traduite par une paix relative et l’expansion des propriétés, en particulier celles qui appartenaient aux institutions ecclésiastiques telles que les monastères (Bautier, 1988).

12 Il existe sans doute quelques variations locales et régionales. De fait, on dispose d’informations limitées concernant la période antérieure au développement des registres paroissiaux, à partir de la fin du XVIe siècle. Toutefois, les universitaires s’accordent généralement sur le fait que les Gaules septentrionale et méridionale ont connu des évolutions politiques et économiques assez différentes. Si la première a traversé une période d’instabilité après la chute de l’Empire romain, l’expérience de la seconde a été moins dramatique, car la continuité avec le système romain a été plus marquée que dans d’autres régions européennes. L’aristocratie sénatoriale romaine a conservé son pouvoir, les vastes propriétés foncières ont perduré et les impôts ont sans doute continué d’être perçus au VIIe siècle (Wickham, 2005 ; Halsall, 2007). Cette zone est devenue plus instable au début du VIIIe siècle en raison de tensions avec les musulmans en Espagne et des attaques lancées par les Sarrazins à partir du IXe siècle (Bautier, 1988).

13 Les analyses paléodémographiques apportent aussi de nouveaux éléments éclairants sur les tendances démographiques (Deverly, 2005 ; Mafart, 2007). Dans une précédente étude portant sur 10 cimetières du Sud de la France entre le Ier et le XIe siècle (Barbiera et al., 2017), on avait estimé l’indicateur d, c’est-à-dire le ratio des décès entre 5 et 19 ans rapportés aux décès à 5 ans et plus. Si l’on fusionne les 10 nécropoles, l’indicateur est de 0,20. Cette valeur devrait correspondre à une espérance de vie d’environ 20 ans. La section IV va permettre de vérifier si la structure par âge du polyptyque de Saint-Victor est compatible avec cette estimation de mortalité, qui correspond au modèle de table de forte mortalité de l’Europe méridionale (Woods, 2007) [3].

II. Les fermes de l’abbaye Saint-Victor et leur répartition

14 Rédigé en latin médiéval, le polyptyque de l’abbaye Saint-Victor a été établi en 813-814 sous l’autorité de l’abbé Wadalde (raison pour laquelle les ouvrages français sur le sujet évoquent souvent le « polyptyque de Wadalde »). Il décrit les unités foncières du monastère et dresse la liste de leurs occupants, avec leurs noms et différents types de caractéristiques. Seul le fermier est identifié par la nature du lien qui l’unit au monastère (colonus, mancipium, accola, verbecarius, par exemple). Quand deux ou plusieurs familles habitent dans la même ferme, le lien de parenté entre les chefs de famille n’est indiqué qu’occasionnellement et les familles sont énumérées successivement. Pour chaque famille, le lien (femme, mari, fils et fille) avec le chef de famille est précisé, outre plusieurs caractéristiques pouvant servir à identifier différentes variables démographiques, comme il en est question par la suite.

15 Le document est intitulé descriptio mancipiorum, littéralement « inventaire des esclaves », mais les chercheurs s’accordent sur le fait que le terme mancipium est à comprendre dans son acception générique d’employé (Rio, 2017). D’après Carrier (2012), le document avait pour objet de réorganiser la paysannerie et de réinstaller la future population. Ceci expliquerait sa précision quant à l’âge des enfants et au dénombrement des jeunes, c’est-à-dire ceux appelés à travailler un jour sur les terres de l’abbaye. Selon une autre hypothèse, le polyptyque visait à établir les droits fonciers des propriétaires face aux revendications de l’aristocratie et de la paysannerie (Rio, 2017). Mais les deux hypothèses ne s’excluent pas nécessairement l’une l’autre. Le document a pu être rédigé pour résoudre des tensions d’ordre foncier et contrôler la paysannerie, ou organiser de possibles réinstallations.

16 Le polyptyque énumère 272 fermes (identifiées pour la plupart comme des colonicae) réparties entre 14 districts provençaux et couvrant aussi bien des plaines que des zones montagneuses dans les Alpes. Parmi elles, 127 sont décrites comme vacantes (apste), ce qui a suscité de nombreux débats de spécialistes. D’après Weinberger (1973), par exemple, la proportion importante de fermes inhabitées est le signe d’un déclin démographique et de l’instabilité provoquée par les attaques sarrazines. Pour certains chercheurs, ces attaques menées dans le Midi de la France remontent au début du IXe siècle ; elles n’auraient donc pas épargné les individus que ce document recense (Renard, 2012). D’autres estiment en revanche que leurs effets déstabilisants sur la société provençale n’ont commencé qu’après le règne de Charlemagne (Poly, 1976). Selon Zerner-Chardavoine (1981), qui avait analysé les données concernant les enfants, les familles enregistrées avaient connu un renouveau démographique. Le fait que 16 des fermes considérées comme vacantes (apste) étaient en réalité habitées par un célibataire ou une famille, voire plusieurs, laisse penser que les tenures étaient en cours de réorganisation (Zerner-Chardavoine, 1981 ; Carrier, 2012). De surcroît, pour 23 des fermes vacantes et inoccupées, les rédacteurs du document avaient ajouté les mots pasco (2 occurrences) ou pasco verbecem (21 occurrences), ce qui peut indiquer que les terres en question servaient essentiellement de pâtures (pasco), pour les ovins (verbecem), peut-être de manière saisonnière.

17 Grâce à de précédents travaux (Sauze, 1984 ; Devroey, 2004 ; Faith, 2010 ; Renard, 2012), on peut localiser 177 fermes (88 en plaine ou dans les collines et 89 en montagne, à 600 mètres d’altitude au moins) [4]. Parmi les fermes situées en plaine ou dans les collines, 61 % étaient vides (et inoccupées), tandis que la proportion n’était que de 27 % dans les Alpes ; la concentration d’occupants dans les fermes semblait donc plus importante en montagne. Le déplacement d’habitats vers des terres plus en hauteur a débuté au Ve siècle, ce qu’attestent les recherches archéologiques conduites en Provence. Hormis l’effet des attaques sarrazines, les changements climatiques de l’époque ont pu provoquer des désordres hydrologiques, qui n’ont pas été sans conséquence pour les peuplements établis au pied des collines et proches des canaux fluviaux, entraînant le déclin de certaines terres arables et l’occupation de nouvelles zones (Constant et al., 2015).

18 La plupart des habitats sont décrits comme des colonicae, terme désignant généralement des fermes (colonges), mais 20 sont qualifiés de vercarias, ce qui supposerait qu’ils aient été principalement dévolus à l’élevage d’ovins et de caprins. Ces vercarias étaient toutes en altitude et cinq étaient inhabitées. Certains chercheurs estiment néanmoins que toutes les fermes avaient une économie mixte, couplant l’élevage d’ovins et de porcs et les cultures céréalières (Faith, 2010), une hypothèse que corrobore le type de redevances dues au monastère et mentionnées dans le document. Bien qu’elles ne soient consignées que de façon sporadique et donc inexploitables en vue d’une étude détaillée de la superficie et de l’économie de l’ensemble des exploitations (les redevances en numéraire ne sont mentionnées que pour une poignée de vercarias), ces redevances attestent tout de même que les paysans devaient verser au monastère des impôts en numéraire ou en nature (volailles, bétail ou victuailles, plus généralement).

19 Devroey (2019) a montré que le début du IXe siècle avait été marqué par un climat instable, auquel s’était ajoutée la peste bovine, qui avait sévi entre 800 et 824 et peut-être même influé sur l’utilisation ultérieure des bovins pour la production agricole. Ces événements paraissent avoir provoqué une crise de la production céréalière qui a fait grimper les prix. Néanmoins, la faible pression démographique et l’installation des paysans sur divers types de reliefs (plaines, collines et montagnes) leur ont permis de s’adapter aux crises avec souplesse (Devroey, 2019). La période comprise entre le VIIe et le IXe siècle s’est donc caractérisée par une lente augmentation de la production, régulièrement interrompue par des crises dont l’impact a stimulé l’ingéniosité des paysans et la coordination des élites.

III. Structure de la population

20 Sur la base des informations relatives à l’âge, au sexe et aux liens familiaux fournies par le polyptyque, il s’agit d’estimer la taille de la population et sa structure par âge et sexe pour déterminer si les individus enregistrés, bien que dispersés sur un vaste territoire, forment une population cohérente.

1. Estimation de la population par sexe et âge

21 Le document contient une liste de 935 personnes dont le nom (donc le sexe), l’état matrimonial et les liens de parenté (uxor [femme], maritus [mari], filius [fils], filia [fille]) sont systématiquement indiqués. L’âge des enfants est également consigné et se situe le plus souvent entre 3 et 10 ans ; seul un très petit nombre d’entre eux sont présentés comme étant âgés de 1 an ou 2 ans, tandis que les enfants désignés comme ad uber (au sein) sont en nombre considérable. Les enfants âgés de 10 à 15 ans sont extrêmement peu nombreux. Un groupe de personnes demeure à part, composé de garçons et de filles respectivement nommés baccalarii ou baccalariae. D’après les chercheurs, ce terme est à l’origine du terme anglais bachelor (célibataire) et désigne les jeunes gens non mariés (Zerner-Chardavoine, 1981 ; Faith, 2010). Cette hypothèse est validée par le fait que 70 % des baccalarii figurant dans le document sont décrits comme étant des enfants et n’ont dans leur majorité ni conjoint ni enfant. Seuls deux des 129 baccalarii (célibataires de sexe masculin) avaient une épouse, tandis qu’une seule des 122 baccalariae était mariée et quatre étaient mères. On en conclut que ces baccalarii et baccalariae étaient de jeunes gens, pour la plupart non mariés et vivant toujours chez leurs parents. En outre, un groupe d’enfants dont les âges ne sont pas précisés sont enregistrés comme étant ad scola (à l’école). De manière générale, on observe une attraction autour des âges de 5 et 10 ans (tableau 1). L’âge des adultes n’est pas indiqué.

Tableau 1

Âge et sexe des enfants et des jeunes consignés avec précision dans le polyptyque de l’abbaye Saint-Victor de Marseille

Tableau 1. Âge et sexe des enfants et des jeunes consignés avec précision dans le polyptyque de l’abbaye Saint-Victor de Marseille

Âge et sexe des enfants et des jeunes consignés avec précision dans le polyptyque de l’abbaye Saint-Victor de Marseille

22 Certaines personnes sont décrites comme étant des enfants, mais leur nombre n’est pas fourni. Ainsi, dans la Villa Betorrida, Colonica in Curia, le dénommé Saumo est noté cum infantes suos (avec ses enfants), ou à Agro Galadio, à Vercarias in Nannas, Maria et son époux sont notés cum infantes suos (avec leurs enfants). Pour 59 cellules familiales de ce polyptyque, les mentions concernant les enfants s’accompagnent généralement d’annotations telles que infantes suos, cum infantes suos, filii eorum, filios suos qui signifient toutes « (avec) leurs enfants ». Bien que « enfants » soit un pluriel, il était peut-être habituel d’indiquer « avec (leurs) enfants » même quand la famille n’en comptait qu’un, comme il est d’usage dans les langues romanes modernes. On estime le nombre d’enfants dans ces cellules familiales, en suivant les mêmes proportions qu’au sein des cellules ayant un nombre d’enfants connu (tableau 2). Sur les 131 cellules familiales dont le nombre d’enfants est connu, 15 % comptaient un enfant, 22 % avait deux enfants, 18 % trois, etc. À partir de ces pourcentages, pour les 59 cellules familiales sans nombre d’enfants précisé, on estime que neuf environ avaient un seul enfant, 13 en avaient deux, etc. Cette méthode permet de calculer le nombre total d’enfants non répertoriés en multipliant ces cellules familiales par le nombre estimé de leurs enfants. Par exemple, les 9,01 cellules avec un enfant ajoutent neuf individus, les 13,06 cellules qui en ont deux ajoutent 26 enfants, les 10,36 cellules ayant trois enfants ajoutent encore 31 enfants, et ainsi de suite.

Tableau 2

Estimation du nombre d’enfants dans les cellules familiales pour lesquelles cette donnée ne figure pas dans le polyptyque de l’abbaye Saint-Victor de Marseille

Tableau 2. Estimation du nombre d’enfants dans les cellules familiales pour lesquelles cette donnée ne figure pas dans le polyptyque de l’abbaye Saint-Victor de Marseille

Estimation du nombre d’enfants dans les cellules familiales pour lesquelles cette donnée ne figure pas dans le polyptyque de l’abbaye Saint-Victor de Marseille

23 Cette estimation aboutit à 206 individus supplémentaires. On les définit comme des enfants lorsqu’ils sont qualifiés dans le polyptyque d’infantes (199 individus), d’adultes (5) et de jeunes (2) quand le terme les décrivant est filii, en fonction de la distribution des jeunes et des adultes dont l’âge est connu (voir le tableau 3). Par conséquent, la population totale vivant sur les terres de l’abbaye recensées dans le polyptyque comptait, selon les estimations, 1 141 individus.

24 Ces données sont ensuite utilisées pour reconstruire la structure démographique par groupe d’âges et sexe. Le rapport de masculinité dans la population générale est équilibré (tableau 3), donnant à penser qu’il n’y a ni surestimation ni sous-estimation pour l’un ou l’autre sexe.

Tableau 3

Structure de la population d’après le polyptyque de l’abbaye Saint-Victor de Marseille

Tableau 3. Structure de la population d’après le polyptyque de l’abbaye Saint-Victor de Marseille

Structure de la population d’après le polyptyque de l’abbaye Saint-Victor de Marseille

25 Pour le groupe des baccalarii et baccalariae, en particulier, le rapport de masculinité équilibré signifie que cette classe d’âges correspondait à la même fourchette pour les hommes et pour les femmes, exception faite des différences de mortalité ou de migration selon le sexe des jeunes gens, différences dont les données ne font cependant aucunement état. Chez les adultes aussi, le rapport de masculinité est équilibré. Dans le document, 37 maris et 25 femmes sont définis comme extranei/extraneae (étrangers). Si on les exclut du groupe des hommes et femmes adultes, on obtient un rapport de masculinité équilibré de 1,04. Chez les enfants, le rapport de masculinité est en revanche légèrement plus déséquilibré en faveur des filles. Le déficit d’enfants de sexe masculin est peut-être liée au fait que certains étaient à l’école (sans doute dans un monastère) ; absents du foyer parental, il est possible qu’ils n’aient pas été enregistrés. Parmi les enfants définis comme ad scola, huit étaient de sexe masculin et quatre seulement de sexe féminin, signe que les garçons étaient plus souvent scolarisés que les filles.

26 Ces résultats dressent un tableau différent de ce qui était observé à la même période en Italie, où des sources écrites et archéologiques médiévales signalent un rapport de masculinité systématiquement déséquilibré en faveur des hommes du VIe au XVe siècle, interprété comme la conséquence d’une mortalité plus importante chez les jeunes femmes (Herlihy et Klapisch-Zuber, 1988 ; Barbiera, 2012 ; Barbiera et al., 2017). Le rapport de masculinité obtenu avec les données du polyptyque est néanmoins conforme à ce qu’indiquent les données archéologiques médiévales pour la région (Deverly, 2005 ; Barbiera et al., 2017), qui montrent aussi un rapport équilibré. En revanche, les autres polyptyques carolingiens pointent des rapports de masculinité élevés. Dans celui de Farfa, les enfants de sexe masculin sont plus nombreux que les enfants de sexe féminin. Pour Ring (1979) c’est le résultat d’un sous-enregistrement des filles ou de leur enregistrement comme garçons. Une explication du même ordre a été avancée pour le rapport de masculinité élevé chez les enfants inventoriés dans le polyptyque de Saint-Germain-des-Prés (Herlihy, 1985). De plus, tant dans ce document que dans celui de Saint-Rémi, un rapport de masculinité déséquilibré est aussi observé chez les adultes. En l’occurrence, ce déséquilibre pourrait être mis en lien avec la proportion élevée d’hommes enregistrés comme étant seuls, sans doute parce que leurs femmes et leurs enfants n’avaient pas été enregistrés, car ils vivaient ailleurs ou avaient été rattachés à un autre propriétaire (Devroey, 1981 ; Herlihy, 1985). D’après Devroey (1981), il fallait probablement y voir la conséquence d’un système très virilocal et d’une mobilité fréquente des femmes, liée à la nuptialité. À la lumière de ces éléments, le rapport de masculinité presque équilibré observé dans le polyptyque de Saint-Victor pourrait être le reflet d’une plus grande précision dans l’enregistrement de tous les individus. La mobilité des épouses pourrait aussi avoir été moins fréquente dans cette région qu’ailleurs (voir la discussion ci-après).

27 Considérons à présent la structure par âge des individus enregistrés. Le document indique l’âge des enfants en années. Du fait de l’attraction des âges ronds observée vers l’âge de 10 ans, on fait l’hypothèse que les enfants peuvent être âgés de 0 à 12,5 ans. Ensuite, la source désigne les jeunes gens de manière générique (baccalarii et baccalariae). Y sont ajoutés les quelques individus présentés comme étant âgés de 13, 14 et 15 ans. Compte tenu du rapport de masculinité équilibré chez les baccalarii et baccalariae, on peut supposer que la limite supérieure de ce groupe d’âges était identique pour les hommes et les femmes. Comme la quasi-totalité des baccalariae sont sans enfant, on situe le seuil de l’âge adulte à 22,5 ans pour les deux sexes (voir la section V au sujet de l’âge au premier mariage). On a simulé différentes structures de population avec diverses fourchettes d’âges pour le groupe des baccalarii et baccalariae. Si ce seuil était plus bas ou plus haut (par exemple 20 ou 25 ans), le tableau serait peu différent. Ce qui caractérise la structure par âge de cette population, qui la différencie des populations modernes et la rend plus comparable à d’autres populations du Moyen Âge, est la proportion d’enfants relativement élevée.

2. Comparaison des structures par âge avec d’autres populations

28 La structure par âge calculée pour le polyptyque de Marseille est comparée à celle de plusieurs autres populations ayant fait l’objet d’études. Les données sur lesquelles se fondent les études en question sont de bonne qualité et suffisamment exhaustives, y compris concernant les enfants, pour permettre de reconstruire des paramètres démographiques tels que la fécondité et la mortalité. On s’intéresse plus précisément à quatre populations comparables (tableau 4) : la population toscane répertoriée dans le cadastre de 1427 (Herlihy et Klapisch-Zuber, 1988 [5]), la ville de Legnague et sa campagne (au sud de Vérone, en Italie) décrites dans le cadastre de 1430 (Dalla-Zuanna et al., 2012), l’Angleterre de 1696 (Wrigley et Schofield, 1989) et la France de 1740 (Henry et Blayo, 1975). À Legnague et en Toscane, la dernière épidémie de peste a eu lieu quelques années avant l’établissement des documents ; il s’agit donc dans les deux cas d’une population d’après-crise se caractérisant par un régime de fécondité élevée (Rossi, 2013).

Tableau 4

Structures par âge et paramètres démographiques de cinq populations médiévales ou modernes

Tableau 4. Structures par âge et paramètres démographiques de cinq populations médiévales ou modernes

Structures par âge et paramètres démographiques de cinq populations médiévales ou modernes

29 La structure par âge de la population inventoriée par notre polyptyque est quasiment identique à celle du cadastre de Legnague et peu différente de la population toscane cadastrée. Il est intéressant de noter que, pour reconstruire la population anglaise en s’appuyant sur le Domesday Book de 1086, Harvey (1988) a estimé à 37,5 % la proportion d’enfants âgés de 0 à 14 ans, ce qui est assez proche de nos propres estimations. Ces similitudes avec d’autres populations médiévales montrent que, même si les fermes de l’abbaye Saint-Victor étaient inégalement réparties sur un territoire vaste et divers, elles dessinent une structure de population plausible, dont la structure par âge est différente de celle de la population anglaise de 1696 et de la population française de 1740, où la proportion d’enfants est plus faible.

IV. Indications sur la dynamique démographique

1. Mortalité

30 En observant la structure par âge de la population, on peut obtenir des informations sur la dynamique démographique dont elle résulte, en postulant pour commencer une population stationnaire (fermée aux migrations, avec un taux d’accroissement nul et des taux bruts de mortalité et de natalité égaux et stables dans le temps). On compare ici le polyptyque de Marseille avec les populations stationnaires associées à plusieurs tables-types de mortalité proposées par Woods pour l’Europe du Sud à l’époque antique, avec différents niveaux de mortalité (tableau 5) [6]. La structure par âge de la population du polyptyque ressemble à celle de Woods, avec une espérance de vie à la naissance comprise entre 20 et 25 ans. Si la mortalité avait été plus basse (associée à une espérance de vie à la naissance de 30, voire 40 ans), la structure par âge de la population stationnaire aurait été plus âgée que celle du polyptyque. Cet indice de forte mortalité est corroboré par des recherches paléodémographiques antérieures selon lesquelles la mortalité des populations de la France méridionale était proche du modèle décrit par Wood (Deverly, 2005 ; Mafart, 2007 ; Barbiera et al., 2017).

Tableau 5

Structure de la population décrite par le polyptyque de l’abbaye Saint-Victor de Marseille et des populations stationnaires associées à plusieurs tables-types de mortalité

Tableau 5. Structure de la population décrite par le polyptyque de l’abbaye Saint-Victor de Marseille et des populations stationnaires associées à plusieurs tables-types de mortalité

Structure de la population décrite par le polyptyque de l’abbaye Saint-Victor de Marseille et des populations stationnaires associées à plusieurs tables-types de mortalité

31 Avec une hypothèse de population stationnaire moins stricte, la mortalité pourrait avoir été plus faible mais s’accompagner d’un solde migratoire négatif important et continu de jeunes adultes et d’enfants. Les informations sur les migrations dans le polyptyque sont seulement indirectes et paraissent indiquer qu’il y a eu à la fois des entrées (certaines épouses sont enregistrées en tant qu’« étrangères ») et des sorties (fermes enregistrées comme « vacantes »). Les données disponibles ne permettent toutefois pas de valider ou d’infirmer l’hypothèse de la population stationnaire. En revanche, avec des niveaux de mortalité aussi élevés, il aurait fallu que le solde migratoire (négatif ou positif) soit très important et le reste durablement avant l’élaboration du document, pour qu’il puisse exercer une influence notable sur la structure par âge. De plus, même un accroissement naturel de la population comparable au pic observé entre le Xe et le XIIIe siècle (+ 5‰ ; Bautier, 1988 ; Barbiera et Dalla-Zuanna, 2009) n’aurait pas pu, compte tenu de ces niveaux de mortalité élevés, modifier de manière notable la structure par âge par rapport à celle observée avec l’hypothèse d’une population stationnaire.

2. Natalité

32 Les données du tableau 3 sont utilisées pour estimer le taux de natalité n de la population du polyptyque ; on appplique la méthode des enfants déclarés au foyer pour estimer la fécondité en l’absence de données sur les naissances, en n’utilisant que la structure par âge (Grabill et Cho, 1965). Les naissances survenues dans les 12,5 années précédentes sont exprimées comme le produit de l’estimation de la population âgée de 0 à 12,5 ans enregistrée dans le polyptyque et de la probabilité inverse de survie entre 0 et 12,5 ans :

Naissances annuelles=[Population0–12,5 × (12,5 x l0 / L0–12,5)] / 12,5
=Population0–12,5 × l0 / L0–12,5[1]

33 La mortalité entre 0 et 12,5 ans devrait être proche de celle de la table de mortalité classique de Woods, et l’espérance de vie à la naissance (e0), de 20 ans (Woods, 2007). En utilisant le rapport l0 / L0–12,5 de ce dernier [7], soit 0,148, on obtient l’estimation suivante pour le taux de natalité de la population du polyptyque (tableau 3) : n = (392 × 0,148) / 1,141 = 0,051, soit 51 ‰ [8].

34 En suivant la même procédure et avec le même niveau de mortalité, le taux de natalité était de 52 ‰ en Toscane en 1427 et de 55 ‰ à Legnague en 1430. Bien que ces estimations puissent sembler grossières, l’application de l’équation [1] au cas de l’Angleterre en 1696 (table classique de Woods avec e0 = 35) et à la France en 1740 (table classique de Woods avec e0 = 25), on obtient n = 0,27 × 0,12 = 32 ‰ pour l’Angleterre et n = 0,28 × 0,14 = 39 ‰ pour la France, c’est-à-dire des valeurs de n identiques à celles obtenues avec d’autres données et des procédures complètement différentes (tableau 4).

35 S'agissant de Legnague, l’utilisation de la méthode des enfants déclarés au foyer permet d’estimer à environ 7,5 la fécondité cumulée pour les cinq ans précédant le cadastre, tandis que l’âge moyen au mariage des femmes célibataires est de 21 ans (Dalla-Zuanna et al., 2012). Bien qu’on ne puisse s’assurer que la population inventoriée par le polyptyque ait eu le même régime de nuptialité et de fécondité que celle de Legnague, sa structure par âge – quasiment identique – est compatible avec la fécondité et l’âge au premier mariage des femmes de Legnague. De plus, ce résultat corrobore raisonnablement l’hypothèse selon laquelle les baccalariae sont considérées comme des femmes adultes à partir de 22,5 ans.

36 Par conséquent, plusieurs indices montrent que la population du polyptyque de Marseille a connu une forte pression démographique se caractérisant par un taux de mortalité proche de 50 % entre 0 et 4 ans, une espérance de vie à la naissance d’environ 20 ans et un taux de natalité d’approximativement 50 ‰ [9]. Ce régime démographique est assez différent de celui observé soit à la fin du XVIIe siècle en Angleterre, soit au début du siècle suivant en France, mais proche du régime d’autres communautés européennes au Moyen Âge.

V. Mariage et remariage

37 Les liens au sein des familles nucléaires sont précisés pour les différentes fermes inventoriées dans le polyptyque : femmes, maris et enfants sont enregistrés de façon claire, de même qu’un certain nombre de veuves (mais aucun veuf [10]), des hommes d’église (sept presbiter, trois diaconi et six clerici), ainsi que des individus ayant des enfants mais apparemment pas de conjoint. Cette information permet de distinguer les individus mariés (ayant une femme ou un mari enregistré) des individus non mariés (en état de veuvage et sans conjoint enregistré, à l’exclusion des hommes d’église), et les individus avec enfants des individus sans enfant (sont exclues les cinq personnes estimées adultes et enregistrées comme filii sui dont on ignore la situation matrimoniale ; tableau 6). S’agissant des adultes sans enfant, ceux qui ne sont pas mariés sont plus souvent des hommes (69 %) que des femmes (59 %), ce qui semble indiquer que les hommes se marient plus tardivement. Une tendance comparable est également observée parmi les paysans recensés dans le polyptyque de Saint-Germain-des-Prés (Herlihy, 1985). Chez les adultes avec enfants, la proportion d’hommes non mariés (16 %) est inférieure à celle des femmes non mariées (25 %) ; plus de femmes restaient donc en état de veuvage, ce qui s’explique notamment par un âge au mariage différent mais surtout par le fait que les hommes se remariaient plus souvent.

Tableau 6

Proportions (%) d’hommes et de femmes avec et sans enfants enregistrés dans le polyptyque de l’abbaye Saint-Victor de Marseille, par situation matrimoniale

Tableau 6. Proportions (%) d’hommes et de femmes avec et sans enfants enregistrés dans le polyptyque de l’abbaye Saint-Victor de Marseille, par situation matrimoniale

Proportions (%) d’hommes et de femmes avec et sans enfants enregistrés dans le polyptyque de l’abbaye Saint-Victor de Marseille, par situation matrimoniale

38 Si on examine les données en changeant de perspective pour ne considérer que les individus non mariés (tableau 7), on obtient les mêmes résultats que précédemment : la proportion d’hommes sans enfant est plus élevée que la proportion de femmes sans enfant, ce qui laisse penser que les hommes célibataires sont proportionnellement plus nombreux que les femmes célibataires et, là encore, que les hommes se marient plus tardivement. Comme il en a été question dans la section III.1, les hommes et les femmes commençaient à être qualifiés de baccalarii une fois qu’ils avaient atteint environ 12,5 ans. Les femmes continuaient de l’être jusqu’au mariage et la quasi-totalité d’entre elles finissaient par se marier. De fait, le pourcentage de femmes adultes qui se sont mariées est élevé (83 %).

Tableau 7

Proportions (%) d’individus non mariés avec et sans enfants d’après le polyptyque de l’abbaye Saint-Victor de Marseille

Tableau 7. Proportions (%) d’individus non mariés avec et sans enfants d’après le polyptyque de l’abbaye Saint-Victor de Marseille

Proportions (%) d’individus non mariés avec et sans enfants d’après le polyptyque de l’abbaye Saint-Victor de Marseille

39 Il n’est pas possible d’extraire des informations directes sur l’âge au premier mariage des femmes enregistrées dans le polyptyque. En suivant le raisonnement exposé dans la section IV.2, toutefois, on sait que le taux de natalité chez les paysans marseillais était élevé et donc difficilement compatible avec un âge avancé des femmes au premier mariage, d’autant que les veuves se remariaient rarement. Cela étant, les données ne montrent pas si l’âge au premier mariage des femmes était plus près de 18 ans (Toscane) ou de 21 ans (Legnague). C’est sans doute un âge légèrement supérieur, car la démographie des paysans de Marseille semble plus proche de celle de Legnague que de la démographie toscane (tableau 4). Le calcul de l’âge-seuil séparant les jeunes des adultes (22,5 ans) est basé sur ces hypothèses. Une fois encore, même si le seuil était légèrement différent, la structure par âge et le régime démographique changeraient peu, car ils sont essentiellement déterminés par la proportion importante d’enfants.

40 Pour séparer les jeunes des adultes, le même seuil est fixé pour les hommes et les femmes, sans tenir compte de l’éventuel mariage des baccalarii, puisque les baccalarii et baccalariae sont en nombre égal. Ceci contribue également à expliquer qu’on trouve un pourcentage plus élevé d’hommes adultes non mariés. La définition des termes baccalarius/baccalaria se réfère donc davantage au cycle de vie qu’à la situation matrimoniale.

41 Le tableau 7 montre aussi qu’il y a plus de femmes que d’hommes ayant des enfants hors mariage, ce qui semble là encore montrer que les hommes tendaient à se remarier plus souvent que les femmes après un veuvage. En France, d’autres sources médiévales signalent des seconds mariages plus fréquents chez les hommes (Klapisch-Zuber, 1988).

42 Des différences d’âge au mariage selon le sexe sont attestées pour les familles de l’aristocratie au début du Moyen Âge en France et plus généralement en Europe, de même que les tensions familiales considérables provoquées par le remariage des veuves (Nelson, 1995 ; Le Jan, 1996 ; La Rocca, 2005). Il semble que, en France tout au moins, les modèles de nuptialité du haut Moyen Âge ne variaient pas fortement d’un groupe social à l’autre (Klapisch-Zuber, 1988).

43 Ces résultats montrent que le système de nuptialité propre à cette période et cette région n’était pas très différent du système français du début de l’époque moderne, dans lequel les hommes se mariaient aussi plus tard que les femmes et se remariaient plus souvent (Charbonneau et al., 1987 ; Lebrun et Fauve-Chamoux, 1988) [11]. Toutefois, dans la France médiévale, l’âge des femmes au premier mariage était très certainement plus précoce qu’à l’époque moderne.

VI. Familles et fermes

44 Intéressons-nous à présent à la composition interne des 145 fermes habitées inventoriées dans le document. Elles étaient occupées par un individu seul, une cellule familiale ou un ménage complexe, avec au total 43 occupants pour la plus peuplée d’entre elles. On ignore comment la vie s’y organisait et si les différentes cellules recensées pour une même ferme cohabitaient ; on sait simplement si leurs membres travaillaient au même endroit. De surcroît, les liens de parenté mentionnés dans le polyptyque renvoient à des familles nucléaires : « mari de », « femme de », « fille de » et « fils de »). Ce n’est donc que dans un petit nombre de cas qu’il est possible d’identifier les liens entre les différentes cellules familiales travaillant dans la même ferme. L’un des indices utilisables est le nombre moyen d’individus par exploitation. En Provence, les fermes hébergent en moyenne huit personnes (seules les fermes habitées sont prises en compte dans le calcul), un chiffre très supérieur au nombre d’habitants moyen recensé dans les fermes de l’abbaye abruzzaise de Farfa (4,7) et celles de Saint-Germain-des-Prés (5,7) (Ring, 1979 ; Herlihy, 1985). La taille moyenne des fermes inventoriées en Provence est relativement importante. Selon Burch (1972), avec une espérance de vie à la naissance de 20 ans, même si la fécondité est élevée (taux brut de reproduction R = 4), le nombre moyen d’individus par famille nucléaire était de 4,8 en Angleterre entre 1574 et 1821, et le nombre moyen le plus élevé trouvé est de 7 (Laslett, 1972a ; Wall, 1972). Au vu de ces résultats, une proportion notable de fermes provençales étaient probablement gérées par des groupes étendus, sans liens étroits entre eux et que l’on définirait peut-être mieux comme des « groupes de travail ». Par conséquent, la classification des ménages de Laslett paraît inappropriée et ne sera pas utilisée (Laslett, 1972b).

45 Sur les 145 fermes précitées, 53 (37 %) étaient occupées par une famille nucléaire (couples avec ou sans enfants, célibataires ou veufs et veuves avec enfants), et les 26 autres (18 %) par une famille nucléaire composée d’un couple avec enfants et quelques autres personnes dont le lien avec le chef de famille n’est pas précisé. Quarante-deux fermes (29 %) étaient occupées par au moins deux familles nucléaires ; sur ces 42 fermes, 29 (20 %) comprenaient des familles sans lien apparent entre elles et 13 (9 %), des groupes d’individus apparentés, principalement des fils vivant encore avec leur famille d’origine ainsi que leurs propres épouses et enfants. Dans ce dernier cas, le terme de « famille élargie descendante » tel que l’entend Laslett serait sans doute applicable. Vingt-quatre fermes (17 %) étaient occupées par des célibataires ou des personnes ne semblant pas parentes.

46 Le tableau 8 décrit l’organisation de différentes exploitations en fonction de leur localisation géographique. Quelque 44 % des fermes installées en plaine ou sur des collines étaient gérées par une famille nucléaire, contre seulement 28 % des fermes de montagne. Dans les Alpes, les fermes étaient souvent administrées par au moins deux familles, dont 11 %, en particulier, l’étaient par deux ou plusieurs familles apparentées (principalement le chef d’exploitation, sa femme et ses enfants, ainsi que les familles respectives de ces derniers), tandis que 26 % étaient gérées par plusieurs cellules sans lien apparent. Ce dernier type d’organisation des exploitations était bien moins courant dans les plaines et les collines (9 %), reflétant différentes formes de coopération en lien avec l’environnement physique de la ferme (Faith, 2010). Le polyptyque montre que les fermes alpines étaient de manière générale non seulement plus souvent habitées qu’en plaine et dans les collines, mais qu’elles comptaient aussi plus d’occupants. Pour expliquer cette dynamique, Faith (2010) a avancé l’idée que les exploitations de montagne étaient peut-être autosuffisantes et se caractérisaient donc par une économie mixte, où la pâture jouait sans doute un rôle important compte tenu des particularités géographiques du paysage alpin provençal. Une telle économie nécessite un déploiement de main d’œuvre complexe : le bétail doit être déplacé périodiquement, il faut transformer le lait et le fromage, faucher le foin dans les alpages en prévision des longues périodes hivernales et, en plus de ces activités, produire et transformer les cultures pour nourrir les familles (Cocchi et al., 1996 ; Viazzo, 2001). Les bergers pouvaient garder le bétail de plusieurs fermes voisines. Néanmoins, au vu de la dispersion des fermes, ce partage du travail n’était pas forcément possible, car même pour un petit troupeau et dans un système de transhumance de courte distance, il fallait un ou deux adultes pour mener, parquer et garder les bêtes. Gérer l’économie d’une exploitation dans un tel environnement nécessitait la présence de plusieurs adultes, ce qui peut expliquer la concentration plus importante de différentes cellules familiales dans les fermes de montagne de l’abbaye. La concentration plus faible de familles et d’individus dans les exploitations de plaine pourrait s’expliquer par les caractéristiques climatiques et hydrologiques de ces régions à l’époque. Elle pourrait aussi, dans une certaine mesure, être imputable à l’instabilité provoquée par les attaques de Sarrazins, même si elles étaient semble-t-il de moindre intensité après 838, année du saccage de Marseille (Poly, 1976). S’agissant des tenures situées en plaine ou dans les collines, on dispose de moins d’éléments en raison du manque d’informations fournies par le document sur la superficie des tenures et de la description peu fiable des sommes dues à l’abbaye. Les chercheurs ont émis l’hypothèse que ces zones étaient exploitées pour la production de céréales, d’olives et de vin, peut-être pour une consommation directe ou pour la vente, et employaient des travailleurs spécialisés (Fourquin, 1975 ; Wickham, 2005 ; Renard, 2012). Pour mieux étudier ces aspects, la section suivante se concentre sur les liens entre les chefs d’exploitation et l’abbaye.

Tableau 8

Distribution (%) des fermes par implantation géographique et type d’organisation d’après le polyptyque de l’abbaye Saint-Victor de Marseille

Tableau 8. Distribution (%) des fermes par implantation géographique et type d’organisation d’après le polyptyque de l’abbaye Saint-Victor de Marseille

Distribution (%) des fermes par implantation géographique et type d’organisation d’après le polyptyque de l’abbaye Saint-Victor de Marseille

VII. Chefs d’exploitation

47 Chaque chef d’exploitation (ou le premier nom cité, un homme dans 83 % des cas) est décrit comme possédant certains attributs : beneficiarius, colonus, mancipium, accola, cotidianus, verbecarius, artifex sont autant de termes correspondant à différents rôles et obligations vis-à-vis de l’abbaye Saint-Victor. En latin classique, mancipium désignait l’« esclave » (Devroey, 2000 ; Rio, 2006, 2017) ou une personne étroitement liée à une terre et transmettant ce lien à ses descendants, tandis que colonus désignait un homme libre, dont les liens avec le propriétaire et la terre étaient moins étroits. Les chercheurs s’accordent sur le fait que, durant le haut Moyen Âge, ces termes étaient encore en usage, avec toutefois des acceptions plus nuancées, si bien que des incohérences ont été notées entre un statut donné et les charges associées au sein même d’un domaine (Herlihy, 1985 ; Weinberger, 1990 ; Devroey, 2000 ; Wickham, 2005 ; Rio, 2017). Qui plus est, mancipium revêtait des significations différentes selon la situation : dans les textes normatifs, il pouvait être encore strictement synonyme d’esclave ; dans les titres de propriété, en revanche, le terme renvoyait plutôt à un lien de dépendance entre un individu et une terre, que l’individu en question ait été un homme ou une femme, libre ou pas. Dans ce contexte, les mancipia avaient légalement le droit de se marier, de fonder une famille stable, de posséder des biens et de les transmettre à leurs descendants (Devroey, 2000).

48 Ces descripteurs semblent refléter fidèlement le mode d’organisation des fermes. Selon le polyptyque, 46 % des coloni étaient à la tête d’exploitations gérées par une seule famille nucléaire, tandis que 57 % des mancipia géraient des fermes occupées par au moins deux familles nucléaires, peut-être parce qu’eux-mêmes et leurs descendants étaient moins libres de se déplacer (tableau 9). Cette hypothèse est validée de manière empirique : sur 35 maris vivant dans des fermes dirigées par un mancipium, 24 étaient étrangers (maritus extraneus), contre 3 seulement parmi ceux qui vivaient dans une exploitation dont le chef était un colonus, ce qui semble indiquer que les maris venaient sans doute s’installer dans la ferme où vivait leur femme, quand celle-ci n’était pas libre de la quitter.

Tableau 9

Distribution (%) des chefs d’exploitation par type de gestion d’après le polyptyque de l’abbaye Saint-Victor de Marseille

Tableau 9. Distribution (%) des chefs d’exploitation par type de gestion d’après le polyptyque de l’abbaye Saint-Victor de Marseille

Distribution (%) des chefs d’exploitation par type de gestion d’après le polyptyque de l’abbaye Saint-Victor de Marseille

49 Cinquante-quatre pour cent des mancipia géraient des fermes situées dans les Alpes, tandis que les fermes gérées par des coloni étaient réparties de manière égale entre plaines, collines et montagnes (tableau 10). La présence plus nombreuse de mancipia en montagne pourrait s’expliquer par le besoin du monastère de gérer des zones plus éloignées, plus disputées, et de ce fait moins stables. Les fermes de montagne étaient aussi les plus distantes de l’abbaye et les plus difficiles d’accès. D’après Rio (2017), l’établissement d’un polyptyque contribuait très largement à fixer des catégories particulières de statut juridique, tant pour les paysans que pour les terres (p. 193). Sa création permettait donc aux seigneurs et à leurs ayants droit de (re)définir les liens les unissant, d’établir les droits fonciers, de gérer le travail de la main d’œuvre et de contrôler la mobilité éventuelle. De plus, les litiges concernant le statut des paysans durant cette période paraissent indiquer que des négociations étaient possibles entre les élites et les gens du commun. Des tensions ont pu naître aussi du fait que, à cette époque, les propriétés du Midi de la France étaient de taille modeste et dispersées. Rien n’indique clairement que le système manorial, attesté dans le nord du pays, se soit développé dans cette région, qui se caractérisait davantage par un système plus informel de maîtrise et d’exploitation du foncier. La consignation imprécise des redevances exigibles des paysans est peut-être le signe des difficultés qu’avait l’abbaye pour contrôler les tenures et les travailleurs éloignés. Liés de manière plus permanente à la terre et en contact direct avec le monastère, les mancipia auraient contribué à garantir une production plus stable et un contrôle plus strict de ces domaines, que les seigneurs locaux auraient sinon facilement revendiqués (Poly, 1976 ; Rio, 2017).

Tableau 10

Distribution (%) des chefs d’exploitation par localisation géographique d’après le polyptyque de l’abbaye Saint-Victor de Marseille

Tableau 10. Distribution (%) des chefs d’exploitation par localisation géographique d’après le polyptyque de l’abbaye Saint-Victor de Marseille

Distribution (%) des chefs d’exploitation par localisation géographique d’après le polyptyque de l’abbaye Saint-Victor de Marseille

50 Cela n’apparaît pas ici, mais on a également comparé la structure de la population dans les fermes dirigées par des mancipia et dans les autres exploitations. La proportion de jeunes gens est plus élevée dans les premières, ce qui pourrait s’expliquer par la mobilité de cette catégorie d’occupants. Parmi les fermes dont le chef est un mancipium, on observe une proportion plus importante de baccalariae qui n’étaient pas les filles de membres de la ferme et étaient donc nées ailleurs. Plus précisément, dans les fermes dirigées par des coloni ou d’autres catégories, les baccalariae n’avaient, dans 33 % des cas, aucun lien de parenté avec les autres membres de la ferme, tandis que dans les fermes dirigées par des mancipia, le chiffre était de 41 %, signalant une plus grande mobilité des jeunes femmes vivant dans ces fermes.

51 Globalement, ces données semblent montrer que les jeunes gens se déplaçaient d’une ferme à une autre, et quittaient plus souvent une exploitation quand elle n’était pas dirigée par un mancipium. En revanche, dans les fermes dirigées par un mancipium, qui se trouvaient surtout en montagne et comptaient plus d’habitants, les arrivants étaient plus jeunes. Cette configuration ainsi que l’économie mixte et l’autosuffisance caractéristiques de ces exploitations expliquent peut-être pourquoi, en montagne, de nombreuses familles travaillaient ensemble sur une même tenure (79 % des fermes de montagne étaient gérées par plusieurs familles nucléaires, contre seulement 45 % des fermes situées en plaine ou dans les collines).

Conclusion

52 Les données examinées dans le cadre de cet article offrent plusieurs perspectives sur la démographie des habitants des fermes qui appartenaient à l’abbaye Saint-Victor de Marseille au début du IXe siècle. Bien que dispersée sur un vaste territoire, cette population comptait plus de 1 000 personnes précisément enregistrées et affichait un rapport de masculinité équilibré et une structure par âge cohérente, en faisant un groupe démographique plausible. Le polyptyque fournit le nom, le lien de parenté avec les autres membres de la famille, la classe d’âges approximative, le lien de travail (ou de servitude) avec le monastère et la situation matrimoniale de la majorité de ces individus, et indique la localisation géographique de leur ferme. De surcroît et peut-être pour la première fois dans l’histoire européenne, l’âge des enfants de moins de 12 ans est également consigné de façon systématique. Les données permettent d’extraire, directement ou indirectement, un large éventail d’informations démographiques et sociales cruciales et de les comparer avec les éléments (assez rares) dont on dispose sur la démographie européenne au Moyen Âge.

53 Premièrement, la structure par âge de la population décrite dans le polyptyque de Marseille était analogue à celle observée dans deux autres contextes médiévaux (cadastres de la Toscane en 1427 et de Legnague en 1430). Ces trois structures par âge sont plus jeunes que leurs équivalents pour l’Angleterre en 1696 et la France en 1740. Les taux de natalité et de mortalité avoisinaient sans doute 50 ‰, et l’espérance de vie à la naissance 20 ans. Ces deux valeurs sont proches de celles qui avaient été obtenues en traitant les données sur l’âge des squelettes des cimetières du Sud de la France au premier millénaire.

54 Deuxièmement, les données sur la situation matrimoniale évoquent un système comparable à celui de la France à l’époque moderne. Les femmes se mariaient plus précocement que les hommes, à des âges relativement jeunes, possiblement vers 21 ans, et les deuxièmes ou troisièmes mariages étaient principalement contractés par des hommes. Cela coïncide aussi à peu près avec les modèles de nuptialité observés dans les fermes de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés (Herlihy, 1985).

55 Troisièmement, l’organisation des fermes dépendait largement de leur implantation. Les fermes de montagne tendaient à héberger plus de monde, parfois jusqu’au surpeuplement, ce qui s’expliquait peut-être par les changements climatiques enregistrés à l’époque, à l’instabilité politique ou aux spécificités de l’économie de subsistance de ces tenures, qui exigeait la coopération de plusieurs familles. Il faut peut-être y voir aussi le résultat de la stratégie de l’abbaye Saint-Victor visant à maintenir ou installer des mancipia à la tête des fermes dans les zones plus difficiles afin d’établir des liens plus pérennes. Les données montrent qu’en dépit d’un usage courant des termes comme colonus ou mancipium, il existait des différences et mancipia renvoyait à une condition plus strictement servile. Le schéma observé laisse penser que les jeunes mariées mancipia étaient moins libres de quitter la ferme que d’autres catégories de femmes, et que c’était donc leurs jeunes époux qui venaient les rejoindre. Certains ménages accueillaient aussi des jeunes filles qui pouvaient travailler comme domestiques. Les habitants des fermes dirigées par des coloni ou des exploitations dont le lien avec l’abbaye était moins étroit, se déplaçaient plus librement. Ces fermes comptaient en outre moins d’occupants et étaient plus souvent gérées par une seule famille, car les jeunes gens pouvaient partir s’installer en famille ailleurs.

56 La présence de fermes densément peuplées semble montrer que cette population tendait à augmenter ou que, du fait d’une dynamique en accordéon, certaines fermes se vidaient tandis que d’autres étaient suroccupées, phénomène qui peut être associé à un régime de forte mortalité, même en l’absence de flambées épidémiques notables. En raison d’obstacles juridiques liés à des questions foncières, il a peut-être été difficile de parvenir à l’équilibre naturel que permet la libre circulation des personnes.

57 Les écarts de densité des peuplements humains s’expliquaient par des liens avec la terre et l’abbaye plus ou moins étroits, préfigurant les tendances qui seraient observées en Europe à des périodes ultérieures. Les méthodes de production, les structures agricoles, le lien avec la tenure et le système de transmission des biens sont autant de facteurs qui ont influencé la nuptialité, la fécondité et l’organisation des ménages (Delille, 1977, 1985 ; Kertzer et Barbagli, 2001). Les groupes de travailleurs et les familles se sont adaptés aux évolutions de l’environnement et aux systèmes économiques (Le Play, 1855 ; Cocchi et al., 1996 ; Viazzo, 2010). Le contrôle exercé par les élites sur la paysannerie et l’organisation des tenures s’est renforcé au début du IXe siècle comme en témoignent les polyptyques de l’époque. Mais les roturiers se sont adaptés et montrés réactifs face aux difficultés et aux changements. La faible pression démographique et le nombre de terres disponibles ont permis aux élites et aux paysans d’adopter des stratégies dynamiques pour exploiter la terre.

58 Cette étude montre qu’il est possible et pertinent d’analyser en détail les données démographiques auxquelles les cadastres médiévaux ou modernes et d’autres sources similaires donnent accès. Ces données peuvent aussi être combinées avec des preuves archéologiques ou documentaires concernant la densité et la croissance de la population, ainsi qu’avec les informations sur la mortalité et la santé que livre l’étude des squelettes (Barbiera, 2012 ; Séguy et Buchet, 2013 ; Steckel et al., 2019). Ce type de méthode multidimensionnelle est prometteuse et devrait aider à analyser de nombreux aspects de la démographie européenne au Moyen Âge.

Notes

  • [1]
    Le document est un rouleau de parchemin de 216 centimètres de long et 25 centimètres de large, qui a été publié par Guérard en 1857.
  • [2]
    Des sources écrites évoquent la propagation de la peste de Justinien dans le bassin méditerranéen, en particulier les zones d’échanges commerciaux. Toutefois, des analyses génétiques en révèlent également la présence dans le cimetière d’Aschheim, en Haute-Bavière, région qui, selon des sources anciennes, aurait été épargnée (Wiechmann et Grupe, 2005).
  • [3]
    Woods (2007) a proposé plusieurs tables de mortalité classiques pour l’Europe méridionale, fondées sur différents indicateurs de mortalité déduits de l’analyse des populations ayant vécu de la Grèce ancienne au début du XXe siècle. Contrairement aux tables plus connues de Coale et Demeny (1983), elles ne sont pas le résultat d’extrapolations pour des niveaux de mortalité plus élevés (espérance de vie à la naissance inférieure 30 ans).
  • [4]
    Quelque 84 fermes ont été localisées avec précision. Quant aux 93 autres, on sait si elles se trouvaient dans des zones complètement montagneuses ou dans des districts entièrement situés en plaine ou sur des collines, et il est donc possible de les distinguer.
  • [5]
    Nous avons consulté la version italienne, qui, contrairement à la version anglaise, contient des tableaux détaillés sur la structure de la population.
  • [6]
    McEvedy et Jones (1978) avancent un taux de croissance démographique de + 0,5 ‰ en France entre les IXe et Xe siècles.
  • [7]
    lx est le nombre de survivants à l’âge exact x ; Lx/(– x + 1) est la moyenne des survivants entre les âges exacts  x et x + 1, qui correspond dans l’équation [1] aux âges entre 0 et 12,5 ans.
  • [8]
    Comme la population du polyptyque est estimée à 1 141 personnes (tableau 3), ce taux de natalité correspond au rapport 58 / 1 141. Quand on calcule l’intervalle de confiance de cette proportion (avec une probabilité de 0,95), le taux de natalité oscille entre 38 ‰ et 64 ‰. Comme avec une population stationnaire, e0 = 1 / n, l’intervalle de confiance de e0 est compris entre 16 et 26 ans (p = 0,95).
  • [9]
    Dans une population stationnaire, le taux de natalité n est égal au ratio 1 / e0. Dans le cas qui nous intéresse, 1 / e0 = 1 / 20 = 0,05, ce qui coïncide avec une valeur de n voisine de 50 ‰. Il n’est pas certain que la population du polyptyque était stationnaire mais que, en partant de la structure par âge produite par les données, il est possible d’en déduire un régime de mortalité et un taux de natalité raisonnables.
  • [10]
    La catégorie « veuf » n’existait pas au début du Moyen Âge ; pour les autorités, seul le cas des femmes était problématique : en perdant leur mari, les femmes perdaient aussi leur tuteur.
  • [11]
    Pour une reconstruction de la population et de la dynamique de la nuptialité en France au XVIIe siècle, voir Lebrun et Fauve-Chamoux (1988).
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Établi en 813-814, l’inventaire des paysans qui travaillaient pour l’abbaye Saint-Victor de Marseille donne des informations sur la dynamique démographique en Provence (France méridionale) durant le haut Moyen Âge. La structure de la population par âge est reconstruite et permet de constater qu’elle est similaire à ce que reflètent d’autres registres médiévaux européens. Avec des résultats très proches des données sur les cimetières provençaux du premier millénaire et des tables de mortalité classiques estimées dans le cadre de précédentes études, qui montraient une mortalité importante dans le Sud de l’Europe, on en déduit non seulement cet inventaire des tendances de mortalité, mais aussi des modèles de nuptialité et de natalité. Ces résultats paraissent indiquer que la Provence du haut Moyen Âge se caractérisait par une pression démographique plus forte que celle observée en France ou en Europe occidentale après la grande peste. Enfin, sont analysés les modes d’habitat et d’exploitation propres à la paysannerie locale, en plaine comme en montagne, pour clarifier les relations entre habitat, environnement et production.

Mots-clés

  • démographie médiévale
  • structure et dynamique des populations
  • population et environnement
  • Provence
  • France

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Irene Barbiera
Département des sciences statistiques, Université de Padoue (Italie)
Correspondance : irene.barbiera@unipd.it
Maria Castiglioni
Département des sciences statistiques, Université de Padoue (Italie)
Gianpiero Dalla-Zuanna
Département des sciences statistiques, Université de Padoue (Italie)
Traduit par
Karine Guerrouche
Département des sciences statistiques, Université de Padoue (Italie)
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Mis en ligne sur Cairn.info le 27/09/2022
https://doi.org/10.3917/popu.2202.0263
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