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1 Traduction française d’Empty planet: The shock of global population decline paru en 2019, cet ouvrage écrit par deux journalistes canadiens et destiné au grand public est de ce fait très accessible. Bricker et Ibbitson nous entraînent dans un voyage à travers le monde, pavé d’observations, d’anecdotes et de récits d’entretiens. L’ouvrage aborde en particulier le débat actuel sur le ralentissement de la croissance de la population dans les décennies à venir. C’est aussi un plaidoyer pour une meilleure intégration des migrants et davantage de migrations internationales entre pays du Sud et du Nord. Celles-ci pourront en effet jouer un rôle de rééquilibrage d’autant plus important que la décroissance s’accompagnera d’un vieillissement démographique et d’un manque de personnes d’âge actif, comme le montre déjà la situation de certains pays d’Europe de l’Est par exemple.

2 Le rythme de la croissance démographique mondiale est source d’inquiétudes et de débats depuis longtemps, notamment du fait de l’augmentation inédite de la population depuis la révolution industrielle. La vision catastrophiste de la croissance est réapparue durant les années 1950-1970 dans les milieux néomalthusiens, dont l’enjeu était alors de la freiner. Le dernier ouvrage de Jacques Véron (2020, Faut-il avoir peur de la population mondiale ?), fait le point sur la question. Ce débat sur la croissance a retrouvé une actualité en raison des craintes liées au changement climatique. Différents éléments sont cependant bien établis, comme le fait que la croissance actuelle va progressivement s’atténuer dans les décennies à venir, ou que nous n’avons que peu de prise sur son inflexion à court terme dans le respect des droits fondamentaux. Les dernières estimations indiquent que la population mondiale croît actuellement au rythme de 2 % par an. Ce taux de croissance est en baisse continue depuis plusieurs décennies. Les projections des Nations unies sont ajustées tous les deux ans, mais elles se font attendre depuis 2019… du fait de l’action conjuguée d’un ajustement de méthode et de la pandémie mondiale de Covid-19 qui bouleverse les prévisions comme l’organisation du travail. Les dernières projections, publiées en juin 2019, annonçaient dans leur scenario médian un pic légèrement en deçà de 11 milliards d’êtres humains, autour de l’année 2100 [1]. Mais ces résultats, fruits de décennies d’affinement des modèles et d’amélioration des connaissances sur l’ensemble des pays du monde, sont actuellement débattus. En particulier, les projections réalisées par une équipe de l’IIASA (International Institute for Applied Systems Analysis) et de l’université de Vienne, fondées sur des hypothèses d’urbanisation et de scolarisation élevées, sont plus faibles. Elles annoncent un retournement de la tendance vers 2060 [2], ce qui correspond au scenario le plus bas des Nations unies. Le débat sur l’avenir de la population mondiale a revu le jour récemment, avec la publication de différents articles dans les revues The Lancet et Nature[3]. Les détracteurs des projections des Nations unies les accusent de catastrophisme, voire de préjugés contre les pays dits « du Sud ». Dans leur ouvrage, Bricker et Ibbitson prennent ce parti.

3 Le continent africain est le principal moteur de la croissance démographique à venir. Le chapitre qui lui est dédié est assez emblématique de l’ouvrage par son balayage rapide de situations très particulières, entrecoupé de généralisations sur le fonctionnement de la société et ses transformations, notamment sur l’éducation, le mariage, la procréation… C’est l’exemple de Kibera, un quartier de la capitale de l’un des pays émergents du continent, le Kenya, qui est cité pour analyser les dynamiques de pauvreté, de migration, d’identité et, in fine, de fécondité. L’argumentation souffre d’un tribalisme affiché et d’un éloge de la famille africaine, et s’accompagne d’une analyse des chiffres et des tendances qui mêle observations issues de différents milieux internationaux de la capitale kenyane (aéroports, ONG, entreprise privée, club privé) et anecdotes apportées par d’autres journalistes. Les auteurs introduisent ainsi le développement d’applications disponibles sur smartphone pour la gestion de la compensation matrimoniale ou les questions de fécondité et de relations de genre en milieu rural béninois. Les conclusions sont principalement que les filles sont de plus en plus nombreuses à accéder à l’éducation et que, finalement, les prévisions de l’université de Vienne sont plus pertinentes que celles des Nations unies.

4 Dans leur ouvrage, Bricker et Ibbitson privilégient des récits de voyages (à la manière des explorateurs) et rassemblent des anecdotes qui ne sont pas sans intérêt, considérées dans leur contexte. Leurs raisonnements, fondés sur des chiffres issus des rapports internationaux, sont parfois justes, mais l’ouvrage peine néanmoins à convaincre. Par ailleurs, les auteurs n’hésitent pas à caricaturer ou même à choquer. Cette écriture sans nuance et cette plongée dans des débats parfois dépassés dessert fortement leur propos. Il est par ailleurs trop tôt pour savoir si les inflexions de tendance engagées dans les deux dernières années, du fait de la pandémie mondiale de Covid-19 postérieure à l’écriture de cet ouvrage, se maintiendront.

Notes

  • [1]
    UN-DESA, 2019, World Population Prospects 2019, https://population.un.org/wpp/.
  • [2]
    Lutz W., Butz W. P., Samir K.C., 2014, World Population and Human Capital in the Twenty-First Century, Oxford University Press.
  • [3]
    Voir Vollset S. E., Goren E., Yuan C.-W., Cao J., Smith A. E. et al., 2020, Fertility, mortality, migration, and population scenarios for 195 countries and territories from 2017 to 2100: A forecasting analysis for the Global Burden of Disease Study, The Lancet, 396(10258), 1285-1306,( https://doi.org/10.1016/S0140-6736(20)30677-2) ; la critique de ces scenarios dans Gietel-Basten S., Sobotka T., 2020, Uncertain population futures: Critical reflections on the IHME Scenarios of future fertility, mortality, migration and population trends from 2017 to 2100, SocArXiv, (https://doi.org/10.31235/osf.io/5syef) ; et tout récemment la synthèse de Adam D., 2021, How far will global population rise? Researchers can’t agree, Nature, (https://www.nature.com/articles/d41586-021-02522-6).
Mis en ligne sur Cairn.info le 24/06/2022
https://doi.org/10.3917/popu.2201.0163
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