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1 Le marché de l’emploi français a connu des mutations majeures depuis les années 1970, largement documentées dans la littérature. Le taux de chômage s’est durablement installé entre 7 % et 12 % avec une disparition progressive de l’écart entre le taux de chômage des hommes et celui des femmes (Bodier et al., 2019). Le taux d’activité des femmes a fortement augmenté depuis 1975, passant de 53 % à plus de 68 % pour la tranche d’âges 15-64 ans (Maruani, 2004 ; Collet et Rioux, 2017). Il s’est nettement rapproché de celui des hommes qui tend au contraire à diminuer légèrement sur la période. Les salaires des femmes se sont rapprochés de ceux des hommes même si ce rattrapage s’essouffle depuis la fin des années 1990 (Meurs et Pora, 2019). La proportion de couples bi-actifs s’est fortement accrue (Stancanelli, 2006). Parallèlement, la part de l’emploi salarié à temps partiel a fortement augmenté, passant de 8 % en 1982 à 18 % en 2019 et touchant principalement les femmes : 27 % des femmes en emploi sont concernées contre 8 % des hommes (Bodier et al., 2019). La part de l’emploi en contrat de courte durée – que celui-ci prenne la forme d’un contrat à durée déterminée [1] (CDD) d’une durée inférieure à trois mois ou d’une mission d’intérim [2] – a augmenté, passant de 1 % de l’emploi total en 1982 à 4,5 % en 2017, et entraînant une augmentation de la fréquence des périodes de non-emploi (Barlet et al., 2014 ; Jauneau et Vidalenc, 2019).

2 Des enjeux importants sous-tendent ces évolutions du marché du travail. Ils portent notamment sur l’autonomie financière des femmes dans un contexte marqué par une augmentation des séparations conjugales (Olivetti et Rotz, 2016). Ils concernent également la constitution des droits à retraite propres pour éviter une situation de dépendance envers la pension de réversion en cas de décès du conjoint, ou envers les minima sociaux en cas de séparation conjugale.

3 Or, toutes les évolutions du marché du travail ne touchent pas de la même manière les femmes et les hommes des différentes générations. Si le taux d’activité des femmes a augmenté depuis les années 1970, cette augmentation n’a pas été uniforme selon les générations : les taux d’activité par âge ont augmenté progressivement au fil des générations, à partir de celle née en 1935 jusqu’à celle née en 1975 (Afsa Essafi et Buffeteau, 2003, 2006). C’est également le cas de la proportion d’emplois à temps partiel (à un âge donné), particulièrement pour les femmes (Briard et Calavrezo, 2016). C’est pourquoi l’approche générationnelle, en complément des photographies annuelles successives que publie l’Insee, apporte un éclairage supplémentaire sur les évolutions du marché du travail.

4 Dans cette perspective, Afsa Essafi et Buffeteau (2006) ont exploité la série des enquêtes Emploi de l’Insee sur la période 1982-2002 (soit 30 années) pour mettre en lumière l’augmentation de l’activité féminine au fil des générations. Les auteur·es montrent, à l’aide d’une modélisation économétrique, que si les tendances observées à l’époque étaient appelées à se poursuivre, le taux d’activité moyen sur le cycle de vie des femmes rattraperait quasiment celui des hommes pour la génération née en 1970 (seul un écart de 5 points subsisterait). Les taux d’emploi et d’emploi en équivalent temps plein resteraient néanmoins nettement inférieurs (avec des écarts respectifs de 10 et 15 points par rapport aux hommes). En se basant sur la même source mais sur des données plus récentes (les éditions 1985 à 2010 de l’enquête Emploi avec un pas quinquennal), les travaux de Périvier et Verdugo (2018) projettent au contraire une relativité stabilité de l’écart entre les taux d’emploi des hommes et des femmes (autour de 20 points). La différence avec les résultats de Afsa Essafi et Buffeteau s’explique par l’inflexion des tendances observées au cours des années supplémentaires de recul dont bénéficient Périvier et Verdugo : sur la période 2003-2010, la progression des taux d’activité féminins au fil des générations ralentit très nettement, voire s’arrête.

5 S’inscrivant dans la continuité de ces contributions, cette étude a vocation à décrire avec davantage de recul historique et avec des données plus fines [3], pour les femmes et pour les hommes, l’évolution au fil des générations des taux d’activité, d’emploi et d’emploi en équivalent temps plein. La période couverte, longue de 44 ans, commence en 1975 et se termine en 2018. Les évolutions sur la période antérieure à 2002 ayant déjà été bien documentées par Afsa Essafi et Buffeteau (2006), on portera une attention particulière aux tendances les plus récentes, sans chercher à les extrapoler. Ainsi, l’un des objectifs est de vérifier si l’essoufflement du phénomène de rattrapage des taux d’emploi et d’activité féminins par rapport aux taux masculins entrevu par Périvier et Verdugo se confirme. L’analyse est également enrichie par une approche selon le niveau de diplôme et le nombre d’enfants à charge – éléments déterminants dans la construction des inégalités entre femmes et hommes sur le marché du travail.

I. Méthodologie

1. Définition des indicateurs et champ d’analyse

6 Ce travail de recherche mobilise trois indicateurs : le taux d’activité, le taux d’emploi et le taux d’emploi en équivalent temps plein. Le taux d’activité à l’âge a est défini comme le rapport entre le nombre d’actifs d’âge a (personnes en emploi ou au chômage) et l’ensemble de la population ayant le même âge. Le taux d’emploi à l’âge a représente la part des personnes d’âge a occupant un emploi parmi l’ensemble de la population d’âge a. Enfin, le taux d’emploi en équivalent temps plein (ETP) consiste à pondérer chaque emploi par sa quotité de travail. Ainsi, pour le calcul du taux d’emploi en équivalent temps plein, une personne qui occupe un emploi à temps plein est comptabilisée au numérateur avec un poids de 1 alors qu’une personne qui occupe un emploi à 80 % est comptabilisée au numérateur avec un poids de 0,8. Au dénominateur, toutes les personnes sont comptabilisées avec un poids de 1. Si, dans le questionnaire de l’enquête Emploi, le nombre d’heures travaillées en moyenne par semaine est demandé directement à la personne interrogée, il fait ensuite l’objet d’un traitement par l’Insee qui privilégie un recodage par tranche horaire. C’est cette information, recodée en tranches, qui est privilégiée dans cette contribution pour calculer la quotité de travail. Cinq modalités sont définies : 0 % pour les personnes sans emploi ; 25 % pour les personnes qui déclarent une durée hebdomadaire habituelle de travail comprise entre 1 et 14 heures ; 50 % pour une durée comprise entre 15 et 29 heures ; 75 % pour une durée comprise entre 30 et 34 heures et 100 % pour 35 heures ou plus (emploi à temps plein) [4]. Les critères qui permettent d’identifier les personnes en emploi et au chômage sont détaillés dans l’encadré méthodologique consacré aux enquêtes Emploi.

7 Les taux d’activité, d’emploi et d’emploi en équivalent temps plein sont calculés à partir de la série des enquêtes Emploi de l’Insee sur la période 1975-2018. L’étude se focalise sur les âges compris entre 30 et 59 ans. Le seuil de 30 ans a été retenu car, avant cet âge, une part importante de la population est encore en formation initiale ou en cours d’insertion sur le marché du travail. Le champ de l’étude exclut également les personnes qui n’ont pas terminé leurs études initiales au moment de l’enquête. Ces dernières sont très peu nombreuses après 30 ans même si leur proportion croît au fil des générations, passant d’environ 0,5 % pour la cohorte née en 1945 (la première observée à 30 ans) à un peu plus de 1 % pour la cohorte née en 1985. De façon symétrique, le seuil de 59 ans se justifie par l’augmentation importante de la proportion de personnes retraitées au-delà de cet âge ; l’âge légal d’ouverture des droits à retraite ayant longtemps été fixé à 60 ans. Enfin, l’extension très récente de l’enquête Emploi aux départements d’outre-mer (depuis 2013) ne permet pas de suivre sur une période suffisamment longue les générations d’ultramarins. C’est pourquoi le champ géographique se limite à la France métropolitaine. Ces choix méthodologiques expliquent que les séries calculées diffèrent de celles publiées par l’Insee.

8 Les générations suivies dans cette étude sont nées entre 1925 et 1985. Ces bornes d’année de naissance permettent de ne pas tenir compte de certaines cohortes qui ne sont observées que sur une durée trop courte. La génération 1925, la plus ancienne de l’échantillon, est suivie sur 10 années (entre 50 et 59 ans) et la génération 1985, la plus jeune de l’échantillon, sur 4 années (entre 30 et 33 ans). Au final, le champ comporte près de 5,3 millions d’observations individuelles : certains individus sont observés à plusieurs dates différentes, car les logements échantillonnés sont enquêtés six trimestres consécutifs depuis l’édition 2003 de l’enquête Emploi (encadré).

Encadré : Les enquêtes Emploi de l’Insee

En France, l’enquête Emploi de l’Insee est la source de référence pour comptabiliser la population active, la population en emploi et la population au chômage selon les critères du Bureau international du travail (BIT) (Goux, 2003). Elle permet également de décrire finement ces populations (âge, sexe, diplôme, région de résidence). La première édition de l’enquête a eu lieu en 1968. L’enquête Emploi fait partie d’un dispositif communautaire (Labor Force Survey) développé par Eurostat dans le but d’harmoniser l’information statistique produite par les différents États membres. Elle se déroule annuellement depuis 1968 jusqu’en 2002(a) (au cours du mois de mars en règle générale) puis devient trimestrielle à compter de 2003. L’échantillon de l’enquête est représentatif de la population âgée de 15 ans et plus et résidant en logement ordinaire. Son champ géographique couvre la France métropolitaine et intègre les départements d’outre-mer depuis l’édition 2013. Le taux de sondage est de 0,25 % ce qui correspond approximativement à 75 000 logements par trimestre pour l’édition 2018 de l’enquête.
La série des enquêtes Emploi sur laquelle se base cette étude couvre la période 1975-2018 en France métropolitaine. Les enquêtes antérieures à 1975 (correspondant à la période 1968-1974) n’ont pas été retenues car les concepts d’emploi et d’activité ont fait l’objet d’une importante refonte à l’occasion de l’édition 1975. L’enquête de 2018 était la dernière disponible au moment où ce travail de recherche a été entrepris. Sur la période retenue pour cette étude, les concepts d’activité et d’emploi évoluent relativement peu. Si la définition actuelle du chômage au sens du BIT date de la conférence de 1982, il s’agissait davantage d’une clarification que d’une évolution des concepts, si bien que son impact sur les chiffres du chômage en France a été marginal (Goux, 2003). Néanmoins, pour certaines informations, la profondeur historique est plus limitée. C’est le cas notamment du niveau de diplôme dans la mesure où, jusqu’en 1981, plus de la moitié des personnes interrogées ne déclaraient pas leur diplôme. C’est également le cas de la quotité de travail : dans les enquêtes postérieures à 1982, c’est la quotité horaire de travail hebdomadaire habituelle qui est demandée, tandis que sur la série 1975-1981, il s’agit de la quotité horaire de travail sur la semaine de référence. Ces ruptures de série dans l’enquête impliquent de restreindre à la période 1982-2018 les analyses par niveau de diplôme ainsi que pour l’étude des taux d’emploi en équivalent temps plein. À l’occasion de l’édition 2003, l’enquête a connu une refonte majeure. Elle est devenue trimestrielle afin de s’adapter aux nouvelles réglementations européennes et a été renommée enquête Emploi en continu. Les principes retenus pour comptabiliser les chômeurs et les inactifs sont légèrement modifiés. Le classement spontané par l’enquêté disparaît totalement : c’est dès lors un ensemble de questions factuelles qui détermine si le répondant est en emploi, au chômage ou inactif (Goux, 2003). En pratique, la rupture de série liée à cette refonte a été très limitée (Givord, 2003).

(a) La périodicité a été semestrielle de façon ponctuelle entre 1977 et 1981 (Goux, 2003).

2. Les sous-populations

9 Afin d’enrichir l’analyse, deux autres variables ont été mobilisées : le niveau de diplôme et le nombre d’enfants à charge. Des travaux antérieurs ont en effet déjà montré que la progression des taux d’activité féminins au fil des générations a été plus prononcée pour les femmes les plus qualifiées (Afsa Essafi et Buffeteau, 2006) et pour les femmes ayant 2 ou 3 enfants à charge (Mini et Moshion, 2010). Le nombre d’enfants à charge est défini comme le nombre d’enfants âgés de 18 ans ou moins, inactifs (ce qui exclut les enfants en emploi) qui résident dans le même ménage que le ou la répondant·e (y compris les enfants en garde alternée et les enfants d’un·e éventuel·le conjoint·e) et non pas comme le nombre d’enfants de la personne interrogée. L’hypothèse sous-jacente étant que la présence d’enfants à charge est davantage déterminante pour la participation au marché du travail que le nombre d’enfants que la personne a pu avoir au cours de sa vie même si la naissance d’enfants, y compris lorsque ces derniers ne sont plus à charge, peut jouer un rôle important (par exemple en cas de non-participation durable au marché du travail). Ce choix se justifie aussi d’un point de vue pratique : le nombre d’enfants de la personne interrogée est disponible sur une période plus limitée (depuis l’édition 2003 de l’enquête) que le nombre d’enfants à charge dans l’enquête Emploi. Pour le niveau de diplôme, quatre quartiles ont été définis pour chaque génération : les 25 % les plus diplômés (cette sous-population sera par la suite désignée comme « les plus diplômés »), les 25 % moyennement plus diplômés, les 25 % moyennement moins diplômés et les 25 % les moins diplômés (cette sous-population sera par la suite désignée comme « les moins diplômés »). Pour construire ces quartiles en tenant compte de l’augmentation générale du niveau d’études au fil des générations, les individus de chaque cohorte ont été ordonnés d’abord selon leur niveau de diplôme [5], puis selon leur âge de fin d’études, l’hypothèse sous-jacente étant qu’à un niveau de diplôme donné, un âge de fin d’études plus élevé signifie une formation initiale plus longue [6]. Pour la génération née en 1925, disposer du baccalauréat permet de se situer parmi les 25 % les plus diplômés. Pour la génération née en 1985, il faut disposer au minimum d’un diplôme de niveau baccalauréat + 2 ans pour être dans le premier quartile.

10 Les résultats présentés dans cette étude se focalisent essentiellement sur quatre âges de la vie :

  • L’âge de 30 ans correspond approximativement à la stabilisation dans la vie active après une phase d’entrée sur le marché du travail. Cet âge est également proche de l’âge moyen à la naissance des enfants [7].
  • L’âge de 40 ans correspond au cœur de la vie active à mi-chemin entre l’âge d’entrée sur le marché du travail (environ 22 ans pour les dernières générations observées) et l’âge de départ à la retraite (environ 62 ans pour les dernières générations observées).
  • L’âge de 50 ans correspond à l’âge à partir duquel les taux d’emploi et d’activité tendent à diminuer en France (Martin-Houssart et Roth, 2002) et auquel les enfants, devenus adultes, peuvent quitter le domicile parental.
  • L’âge de 59 ans correspond approximativement à la fin de la vie active, puisqu’à 60 ans près de 70 % des personnes de la dernière cohorte de naissance observée (celles nées en 1950) ont déjà liquidé au moins une pension de retraite.

II. Une stagnation de l’activité et de l’emploi des femmes dans les années récentes entre 30 et 55 ans

12 On retrouve les principales tendances de long terme documentées par Afsa Essafi et Buffeteau en 2006 sur les âges compris entre 25 et 50 ans : le taux d’activité des femmes a fortement augmenté au fil des générations, mais cette augmentation ne s’est pas traduite intégralement par une hausse du taux d’emploi en équivalent temps plein, du fait à la fois de l’augmentation du taux de chômage et du développement des emplois à temps partiel. Ces évolutions sont très marquées à 50 ans pour les générations de femmes nées entre 1935 et 1965 et à 40 ans pour celles nées entre 1945 et 1975 (tableau 1, figure 1).

Tableau 1

Évolution des taux d’activité, d’emploi et d’emploi en équivalent temps plein des femmes au fil des générations à différents âges

Tableau 1. Évolution des taux d’activité, d’emploi et d’emploi en équivalent temps plein des femmes au fil des générations à différents âges

Évolution des taux d’activité, d’emploi et d’emploi en équivalent temps plein des femmes au fil des générations à différents âges

Figure 1

Taux d’activité, d’emploi et d’emploi en équivalent temps plein, des femmes et des hommes au fil des générations à différents âges de la vie

Figure 1. Taux d’activité, d’emploi et d’emploi en équivalent temps plein, des femmes et des hommes au fil des générations à différents âges de la vie

Taux d’activité, d’emploi et d’emploi en équivalent temps plein, des femmes et des hommes au fil des générations à différents âges de la vie

13 Ces tendances générales cachent des disparités importantes selon le niveau de diplôme. Pour les femmes les moins diplômées, la progression des taux d’activité s’est essentiellement traduite par des emplois à temps partiel puisque les taux d’emploi en équivalent temps plein ont très faiblement augmenté. Par exemple, à 40 ans, entre la génération née en 1945 et celle née en 1975, le taux d’activité a augmenté de 10,4 points de pourcentage, alors que le taux d’emploi en équivalent temps plein a progressé seulement de 4,6 points de pourcentage (tableau 1). Pour les plus diplômées, la progression des taux d’activité s’est au contraire quasiment intégralement répercutée sous forme d’emplois à temps plein. À 40 ans et pour les mêmes générations, le taux d’activité a progressé de 12,8 points de pourcentage et le taux d’emploi en équivalent temps plein de 15,4 points de pourcentage (tableau 1). L’augmentation des taux d’activité des femmes les plus diplômées a également été plus précoce et s’est arrêtée plus rapidement (ils ne progressent presque plus pour les générations nées après 1955 ayant déjà atteint un niveau supérieur à 90 % à 40 et 50 ans) que celle observée pour les femmes les moins diplômées.

14 La participation croissante des femmes au marché du travail a également été fortement déterminée par le nombre d’enfants mineurs à charge dans le ménage. Les hausses de l’activité et de l’emploi ont été faibles pour les femmes sans enfant à charge ; modérées pour celles avec un seul enfant à charge ; et plus marquées pour les femmes qui ont au moins deux enfants à charge, même si celles-ci se sont parfois traduites par des emplois à temps partiel (tableau 1).

15 Les quinze années de recul supplémentaires (période 2003-2018) dont bénéficie cette étude permettent néanmoins d’apporter deux éclairages nouveaux. Le premier concerne l’évolution des taux d’activité. En 2006, Afsa Essafi et Buffeteau faisaient le constat d’un essoufflement de l’augmentation du taux d’emploi des femmes pour les générations nées après 1970. Cet essoufflement doit désormais être également étendu au taux d’activité. Pour mieux l’apprécier, des tests de significativité statistique ont été menés en regroupant les générations nées sur une période de cinq années afin de disposer d’effectifs plus robustes. Pour chaque groupe d’âges quinquennal, l’hypothèse statistique testée est celle d’une augmentation des différents indicateurs par rapport au groupe précédent. Les tests font ressortir une stagnation des taux d’emploi à 50 ans pour les générations de femmes nées après 1960 (les générations 1960-1964 n’ont pas un taux d’emploi significativement plus important que les générations 1955-1959) même si le taux d’activité a continué à légèrement progresser (tableau 2). À 40 ans, emploi et activité ont arrêté d’augmenter pour les générations de femmes nées après 1975. À 30 ans, le point d’inflexion concerne plutôt les générations de femmes nées après 1980.

16 Le second constat porte sur l’âge de 59 ans, âge souvent proche de la fin de la vie active, pour lequel la tendance à la diminution des taux d’activité et d’emploi s’est totalement inversée pour les générations nées après 1940 (figure 1). Ces générations ont en effet été progressivement touchées par l’allongement de la durée d’assurance requise pour le versement d’une pension à taux plein (réformes de 1993 et 2003 ainsi que par l’augmentation de l’âge légal d’ouverture des droits à retraite de 60 à 62 ans (réforme de 2010 qui concerne les assurés nés après 1951). Si seuls les résultats à 59 ans sont présentés dans cette contribution, ce constat se vérifie également à tous les âges postérieurs à 56 ans. Cette inflexion de l’emploi et de l’activité à ces âges est observée pour les hommes comme pour les femmes.

Tableau 2

Taux d’activité, d’emploi et d’emploi en équivalent temps plein des femmes pour des regroupements de cinq générations à différents âges, et tests statistiques de leurs évolutions par rapport au groupe de générations précédent

Tableau 2. Taux d’activité, d’emploi et d’emploi en équivalent temps plein des femmes pour des regroupements de cinq générations à différents âges, et tests statistiques de leurs évolutions par rapport au groupe de générations précédent

Taux d’activité, d’emploi et d’emploi en équivalent temps plein des femmes pour des regroupements de cinq générations à différents âges, et tests statistiques de leurs évolutions par rapport au groupe de générations précédent

III. Une diminution de l’activité et de l’emploi des hommes entre 30 et 55 ans

17 Pour les hommes, hormis les évolutions à l’âge de 59 ans commentées précédemment, les tendances, déjà mises en lumière par Afsa Essafi et Buffeteau en 2006, se sont prolongées. Les taux d’activité ont continué à légèrement diminuer au fil des générations, et les taux d’emploi ont baissé à un rythme encore plus rapide du fait de la montée du chômage. Les taux d’emploi en équivalent temps plein sont restés proches des taux d’emploi (figure 1), les emplois à temps partiel étant nettement moins fréquemment occupés par les hommes que par les femmes. À 40 ans, entre la génération née en 1945 et celle née en 1975, le taux d’activité a diminué de 4,5 points de pourcentage, le taux d’emploi a diminué plus rapidement (de 8,3 points de pourcentage en raison de la montée du chômage), et le taux d’emploi en équivalent temps plein a baissé de 9,9 points de pourcentage, soit une évolution relativement proche de celle du taux d’emploi, montrant ainsi que l’emploi à temps partiel s’est relativement peu développé pour les hommes (tableau 3).

18 Ces évolutions cachent de fortes disparités selon le niveau de diplôme. Concernant les hommes les moins diplômés, les taux d’activité et d’emploi ont fortement baissé pour les générations récentes (de 10,6 points de pourcentage par exemple à 30 ans entre la génération née en 1955 et celle née en 1985) alors que cette tendance est nettement plus limitée chez les plus diplômés (tableau 3). À 40 ans, les hommes sans enfant à charge ont aussi été plus touchés par cette tendance que ceux qui en ont.

Tableau 3

Évolution des taux d’activité, d’emploi et d’emploi en équivalent temps plein, des hommes au fil des générations à différents âges (en points de pourcentage)

Tableau 3. Évolution des taux d’activité, d’emploi et d’emploi en équivalent temps plein, des hommes au fil des générations à différents âges (en points de pourcentage)

Évolution des taux d’activité, d’emploi et d’emploi en équivalent temps plein, des hommes au fil des générations à différents âges (en points de pourcentage)

IV. Un rattrapage qui s’essouffle

19 Les écarts de taux d’activité et de taux d’emploi entre les femmes et les hommes n’ont donc cessé de se réduire au fil des générations (tableau 4 et figure 1). Néanmoins, le processus de rattrapage, qui a été très rapide pour les générations nées entre 1925 et 1955, ralentit nettement pour les générations nées après 1965. Alors qu’il était pour les générations nées avant 1970 essentiellement la conséquence de l’augmentation des indicateurs chez les femmes, il est désormais intégralement dû à leur diminution chez les hommes.

Tableau 4

Différence entre hommes et femmes des taux d’activité, d’emploi et d’emploi en équivalent temps plein au fil des générations à différents âges (points de pourcentage)

Tableau 4. Différence entre hommes et femmes des taux d’activité, d’emploi et d’emploi en équivalent temps plein au fil des générations à différents âges (points de pourcentage)

Différence entre hommes et femmes des taux d’activité, d’emploi et d’emploi en équivalent temps plein au fil des générations à différents âges (points de pourcentage)

Conclusion

20 La progression des taux d’activité féminins au fil des générations est déjà bien documentée dans la littérature existante. Cette participation, soutenue par l’évolution des comportements des femmes ayant au moins deux enfants à charge, a surtout pris la forme d’emplois à temps plein pour les plus diplômées et d’emplois à temps partiel pour les moins diplômées. Néanmoins, les données les plus récentes de l’enquête Emploi font apparaître un essoufflement de cette tendance pour les générations nées après 1975. À l’inverse, les taux d’activité masculins ont poursuivi leur évolution tendancielle à la baisse, légère mais régulière, au fil des générations, du fait d’une moindre participation au marché du travail des hommes les moins diplômés et de ceux sans enfant.

21 Ces analyses en longue période sont révélatrices des tendances à l’œuvre dans la société et dans l’économie française. Néanmoins, elles n’en demeurent pas moins sensibles aux différentes évolutions de l’enquête Emploi de l’Insee. Ces évolutions sont toujours décidées dans un souci de mieux appréhender le marché du travail et de s’adapter à ses mutations, mais sont susceptibles d’engendrer des ruptures de séries. Le seuil d’âge retenu pour définir les enfants est de 18 ans, car les enquêtes antérieures à 1990 ne recensaient pas les enfants du ménage âgés de plus de 18 ans, de même qu’elles ne recensaient pas nécessairement les enfants de la personne interrogée (lorsque ces derniers résidaient dans un autre ménage). L’approche en équivalent temps plein n’est pas possible avant 1982 car la question permettant d’identifier la quotité de travail de la personne interrogée a été reformulée, induisant une importante rupture de série.

22 Si les tendances mises en lumière dans cette contribution s’inscrivent sur le temps long, il serait aussi intéressant d’étudier à court-moyen terme les effets des chocs, comme ceux de la crise économique de 2008 ou de la crise sanitaire de 2020, sur la participation au marché du travail des femmes et des hommes des différentes générations. Des travaux passés suggèrent en effet que ces chocs peuvent avoir des effets asymétriques sur l’emploi des hommes et des femmes, bien que ces dernières semblent être légèrement plus préservées (Périvier, 2018).

Notes

  • [1]
    En droit du travail français, le contrat à durée déterminée (CDD) est un contrat de droit privé par lequel un employeur recrute un salarié pour une durée déterminée à l’avance. La date de l’échéance du contrat est donc définie au moment de sa signature. Le CDD ne doit pas avoir pour objet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale de l’entreprise. Il correspond à une mission précise et temporaire. Trois principaux motifs sont prévus par la loi : remplacement temporaire d’un salarié, surcroît temporaire d’activité, et activité à caractère saisonnier.
  • [2]
    En droit du travail français, la mission d’intérim correspond à un contrat de travail temporaire qui peut être utilisé par une agence d’intérimaires essentiellement pour les motifs suivants : remplacer de manière exceptionnelle un salarié, faire face à un surcroît temporaire d’activité, ou assurer une activité à caractère saisonnier. D’autres motifs moins fréquents sont prévus par le Code du travail.
  • [3]
    L’étude de Périvier et Verdugo ne mobilise qu’une édition de l’enquête Emploi sur cinq et ne porte que sur une génération sur cinq.
  • [4]
    Ces seuils concernent les derniers millésimes de l’enquête. Ils sont modulés pour s’adapter à la réglementation concernant le temps de travail. En particulier, la borne des 35 heures est fixée à 39 heures pour les enquêtes antérieures à 2002.
  • [5]
    Les modalités de diplômes sont hiérarchisées dans l’ordre suivant : diplômes supérieurs au baccalauréat + 2 ans ; baccalauréat + 2 ans ; baccalauréat ou équivalent ; BEP ou CAP ; et BEPC.
  • [6]
    Cette hypothèse est contestable étant donné qu’une année d’études supplémentaire n’est pas forcément un complément de formation, mais comme les individus sont d’abord ordonnés selon leur niveau de diplôme, elle ne joue qu’au second ordre.
  • [7]
    Celui-ci était de 27,8 ans pour les femmes et 30,5 ans pour les hommes nés en 1925. Ces âges ont diminué au fil des générations jusqu’à celles nées autour de 1945, avant d’augmenter de nouveau et de s’établir à 26,8 ans et 30,1 ans pour la génération née en 1953, la dernière pour laquelle la quasi-totalité des naissances a été observée (Robert-Bobée, 2015).
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Français

En France, la forte progression de la participation des femmes au marché du travail depuis les années 1970 est un constat déjà bien établi dans la littérature économique. En mobilisant les enquêtes Emploi de l’Insee sur une période longue de 44 ans couvrant les années 1975 à 2018, cette contribution s’intéresse aux évolutions des taux d’activité et d’emploi des femmes et des hommes. Alors que l’activité et l’emploi des femmes entre 25 et 50 ans n’avaient cessé de progresser au fil des générations depuis celle née en 1920, les données font état d’une stagnation pour les femmes nées après 1970. Concernant les hommes, activité et emploi à ces âges tendent à reculer légèrement au fil des cohortes. Les écarts de taux d’activité et de taux d’emploi entre femmes et hommes continuent de se résorber, mais à un rythme de plus en plus lent. Alors que ce processus de rattrapage était, pour les générations nées avant 1970, essentiellement la conséquence de l’augmentation de ces indicateurs chez les femmes, il est désormais intégralement dû à leur diminution chez les hommes.

Mots-clés

  • Activité
  • emploi
  • emploi en équivalent temps plein
  • générations
  • enquêtes Emploi
  • homme
  • femme
  • taux d’activité par âge
  • France

Bibliographie

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Mis en ligne sur Cairn.info le 24/06/2022
https://doi.org/10.3917/popu.2201.0141
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