1 Cet ouvrage dresse un tableau des trajectoires de chômeur·es depuis le licenciement jusqu’au retour à l’emploi aux États-Unis et comble un angle mort de la recherche en démontrant que ces trajectoires sont construites par le genre et la classe sociale. À partir des récits issus de 100 entretiens menés entre 2013 et 2015, avec des hommes et des femmes qui venaient de perdre un emploi à temps plein et recevaient des allocations chômage de l’État de Pennsylvanie, l’auteure analyse minutieusement les mécanismes de cumul des avantages/désavantages qui différencient les expériences du chômage. Elle nous amène alors à comprendre pourquoi, tandis que pour certain·es le chômage est une parenthèse qui permet de prendre du temps pour soi, il marque pour d’autres l’entrée dans la pauvreté et la mauvaise santé.
2 L’auteure montre que cette différenciation passe d’abord par l’accentuation des inégalités économiques. Des revenus antérieurs des individus les plus dotés découlent une épargne et des allocations chômage supérieures (ainsi que des indemnités de licenciement pour les hommes) qui limitent les conséquences de la perte d’emploi sur le budget du ménage et sur les styles de vie. Quant aux femmes, à la différence des hommes, elles se sentent souvent coupables d’avoir perdu leur emploi et y répondent de deux manières : elles accroissent leur temps de travail domestique et sacrifient leur santé en faisant passer d’abord les besoins de leur famille. C’est ce que l’auteure appelle le « guilt gap ». Il s’agit de l’un des résultats les plus intéressants de l’enquête, qui va à revers de l’idée selon laquelle le chômage constitue avant tout une épreuve masculine.
3 En s’articulant, ces éléments différencient la phase de retour à l’emploi. Dans les classes moyennes et supérieures, les hommes s’accordent une pause avant de chercher un emploi, tandis que les femmes se lancent immédiatement à la recherche d’un emploi en suivant un calendrier défini. Dans les classes populaires, alors que l’urgence financière pousse les hommes dans une recherche immédiate et désespérée, les responsabilités domestiques et le travail de gestion de la pauvreté privent les femmes de temps pour chercher efficacement un emploi. Un an après le premier entretien, seuls les hommes des classes moyennes et supérieures sont parvenus à retrouver des emplois équivalents en termes de prestige et de salaire. Quant aux membres des classes populaires, soit ils n’ont pas trouvé d’emploi, soit ils en ont un mais au prix d’un déclassement professionnel et économique.
4 Par l’analyse approfondie des trajectoires d’individus aux profils variés, toujours corroborée par des statistiques, l’auteure nous livre une approche passionnante du chômage comme un processus qui structure l’ensemble des domaines de la vie sociale des individus et exacerbe les inégalités de genre et de classe, bien au-delà de la période sans emploi.