La répartition des tâches domestiques dans le couple a évolué au fil du temps, mais reste un enjeu fort d’(in)égalité entre les femmes et les hommes. Pour autant, la situation diffère selon que l’union est libre ou légalisée. Ces différences sont-elles liées aux caractéristiques socioéconomiques des conjoints, qu’ils soient cohabitants, pacsés ou mariés ? Au-delà de ces effets de composition, la nature même de ces unions reflète-t-elle des valeurs plus ou moins égalitaires des personnes concernées ? En s’appuyant sur trois vagues de l’enquête Emploi du temps de l’Insee, les auteures explorent ces questions dans une perspective de long terme permettant de prendre en compte les évolutions sociales, économiques et juridiques.
1Malgré la participation accrue des femmes au marché du travail, ces dernières assument toujours une plus grande part du travail domestique et familial que les hommes. Les recherches sur la répartition du travail domestique dans les couples suggèrent que les couples vivant en union libre s’organisent de manière moins inégalitaire que les couples mariés. Les femmes en union libre accomplissent moins de tâches domestiques que les femmes mariées, tandis que les hommes en union libre effectuent une plus grande partie de ces tâches que les hommes mariés (Blair et Lichter, 1991 ; Baxter, 2001 ; Davis et al., 2007 ; Domínguez-Folgueras, 2012 ; Bianchi et al., 2014). Trois facteurs principaux peuvent expliquer les différences de partage des tâches domestiques et familiales selon le type d’union. Premièrement, les caractéristiques socioéconomiques et démographiques des couples peuvent varier d’une union à l’autre (cet effet est appelé ci-après effet caractéristiques socioéconomiques), les couples en union libre peuvent avoir des caractéristiques différentes des couples mariés (niveau d’éducation, participation au marché du travail, nombre d’enfants, etc.), qui se traduisent par une organisation plus égalitaire (Domínguez-Folgueras, 2012). Le second facteur tient aux différences d’encadrement juridique des unions (cet effet est appelé ci-après effet statut matrimonial). Le mariage est beaucoup plus institutionnalisé et protecteur que l’union libre, ce qui peut inciter les partenaires mariés (en particulier les femmes) à s’investir davantage dans les activités domestiques. Inversement, lorsqu’un partenaire est plus investi sur le marché du travail, ces couples spécialisés peuvent opter pour le mariage parce qu’il offre un cadre juridique favorable à leur organisation (Barg et Beblo, 2012). Les inégalités femmes-hommes en matière de répartition du travail rémunéré et domestique devraient donc être plus prononcées dans les unions plus réglementées (Bianchi et al., 2014). Le troisième facteur a trait aux valeurs, par exemple en matière de religion, ou de préférences liées à la parentalité ou aux normes de genre (nommé ci-après effet normes de genre). Les couples adhérant à des valeurs égalitaires partagent les tâches domestiques plus équitablement (Greenstein, 2000 ; Nitsche et Grunow, 2016). Par conséquent, si une forme d’union spécifique attire des individus attachés au principe d’égalité des sexes, la part des tâches domestiques accomplies par la femme dans ces couples devrait être plus faible que dans les autres formes d’union. Il est possible que les couples en union libre soient davantage attachés aux valeurs égalitaires que les couples mariés, ce qui aurait pour conséquence que la part du travail domestique réalisée par les femmes soit plus faible dans les unions libres.
2Cet article contribue à la littérature de trois manières. Premièrement, il s’appuie sur trois vagues de l’enquête française Emploi du temps (1985-1986, 1998-1999 et 2009-2010) afin de donner un aperçu des inégalités entre les sexes en matière de répartition des tâches domestiques au sein des couples selon le statut matrimonial, ainsi que de l’évolution de cette répartition. L’autosélection des couples est prise en compte au regard de leurs caractéristiques observables dans les différentes formes d’union. Ignorer ce phénomène conduit à des résultats biaisés s’agissant de l’effet du cadre légal sur les modes d’organisation des couples. Deuxièmement, il contribue à la compréhension de la division sexuée du travail dans les couples en examinant à la fois les liens entre les valeurs liées au genre et l’encadrement juridique des unions, alors que la plupart des recherches se concentrent sur l’un ou l’autre. Troisièmement, il montre comment une modification légale de la réglementation des unions a influé les choix des couples. Le cas français est particulièrement éclairant, car le pacte civil de solidarité (pacs), mis en place en 1999, constitue une réglementation intermédiaire entre la cohabitation et le mariage (tableau annexe A.1). Cette forme d’union civile est neutre du point de vue du genre et n’est pas réservée aux couples de même sexe. Son introduction montre comment les normes de genre interfèrent avec la division du travail domestique des couples selon le type d’union. Une législation similaire a été adoptée dans d’autres pays, comme les Pays-Bas (1998), le Portugal (1999), la Belgique (2000) et le Luxembourg (2004).
3En utilisant la méthode des moindres carrés ordinaires (MCO), nous analysons les différences dans la division du travail domestique selon le type d’union tout en contrôlant les caractéristiques observables dans les enquêtes Emploi du temps. Cependant, l’estimation par les MCO ne tient pas compte de l’autosélection des couples dans les différentes configurations maritales fondée sur leurs caractéristiques socioéconomiques et leurs valeurs liées au genre. Cette méthode ne permet pas de distinguer les trois effets énumérés ci-dessus. Nous utilisons la méthode d’appariement pour contrôler l’effet caractéristiques socioéconomiques. Un écart persistant dans le partage des tâches domestiques selon le statut matrimonial peut ainsi être attribué aux deux autres effets. Afin de démêler ce qui tient de l’effet statut marital et de l’effet normes de genre, les deux hypothèses suivantes sont testées à partir des changements dans le temps et de l’effet de l’introduction du pacs :
- Hypothèse 1 : Selon l’effet statut matrimonial, plus une union est encadrée et institutionnalisée, plus la division sexuée du travail est marquée dans le couple. Le mariage est l’union la plus réglementée, suivie du pacs, puis de l’union libre, qui confère peu de protections et d’obligations légales. On s’attend donc à observer une part du travail domestique réalisée par les femmes plus élevée dans les couples mariés, suivis des pacsés et des unions libres.
- Hypothèse 2 : L’effet normes de genre implique que les couples adhérant aux valeurs égalitaires optent pour une organisation équilibrée du travail domestique entre les deux conjoints. On s’attend à ce que si un type d’union attire davantage les couples égalitaires, la part de travail domestique effectuée par la femme au sein de ces couples soit plus faible que dans les autres types d’union.
5Tout au long de l’analyse, nous supposons que les trois effets sont indépendants, alors qu’ils sont en partie liés. Par exemple, les deux membres du couple peuvent être actifs parce que les deux partenaires adhèrent au principe d’égalité des sexes. L’effet normes de genre est lié à l’effet caractéristiques socioéconomiques, notamment du fait que les couples les plus instruits partagent des normes plus égalitaires (Domínguez-Folgueras, 2012).
I. La spécialisation au sein des couples
1. Pourquoi les couples se spécialisent-ils ?
6Les ressources économiques et les normes de genre sont des facteurs clés de la répartition des tâches ménagères au sein des couples. Le pouvoir de négociation influe sur le degré de spécialisation d’un partenaire dans les tâches domestiques, en fonction de la contribution réelle ou potentielle de chaque partenaire aux revenus de la famille. Les hommes dont la partenaire gagne plus d’argent accomplissent davantage de tâches domestiques que les autres, même si les femmes en font toujours plus que leur partenaire (Lyonette et Crompton, 2015). Le temps que consacrent les femmes au travail domestique est négativement associé à leurs propres revenus, et cet effet est plus prononcé que celui exercé par les revenus de leur partenaire (Gupta, 2006). La contribution de chaque partenaire au revenu du ménage détermine leur pouvoir de négociation respectif et donc le partage du travail domestique. La littérature empirique portant sur le facteur de disponibilité temporelle évalue l’effet du travail rémunéré des deux partenaires sur la répartition du travail domestique, et montre que les femmes travaillant à temps plein contribuent moins au travail domestique que les femmes inactives ou travaillant à temps partiel, tandis que les couples dans lesquels les deux partenaires ont des revenus propres répartissent la charge de travail domestique de manière plus équitable (Gershuny, 2000). Les hommes dont le temps de travail rémunéré est plus faible consacrent plus de temps au travail domestique. Lorsque les deux partenaires travaillent à temps plein, la répartition du travail domestique et familial devient moins inégale, même si les femmes en assument toujours une plus grande part que leurs partenaires (Ponthieux et Schreiber, 2006). De même, les situations de chômage conduisent les femmes à augmenter le temps qu’elles consacrent aux tâches domestiques et familiales de façon plus marquée que les hommes (Gough et Killewald, 2011).
7Un large éventail de la littérature a analysé la façon dont le comportement des individus est influencé par les normes de genre dans la sphère domestique. Certaines de ces recherches se concentrent sur la manière dont ces normes façonnent la division sexuée du travail à travers la construction identitaire au quotidien (Brines, 1994 ; Greenstein, 2000 ; Evertsson et Nermo, 2004). Selon Brines (1994), le lien entre dépendance économique et volume de tâches domestiques réalisées corroborent les résultats empiriques de la littérature sur les ressources économiques et la disponibilité temporelle pour les femmes. En revanche, les hommes qui dépendent économiquement de leur partenaire effectuent moins de tâches domestiques que les autres, tandis que les hommes qui perçoivent les mêmes revenus que leur femme en font plus. La notion d’« affichage du genre » (gender display) explique pourquoi les couples qui ne se conforment pas au modèle de l’homme principal pourvoyeur de ressources dans la famille, modèle dit de Monsieur Gagnepain, peuvent néanmoins pencher vers une division traditionnelle du travail domestique. La théorie de la « neutralisation de la déviance de genre » (gender deviance neutralization) (Greenstein, 2000) explique que les hommes financièrement dépendants de leur partenaire compensent cette dissonance avec les normes de genre en rejetant les tâches domestiques dites « féminines ». De la même façon, les femmes ont tendance à intensifier leur contribution au travail domestique quand leur partenaire perd son emploi pour compenser ce décalage par rapport aux normes de genre. Killewald et Gough (2010) montrent que la relation entre le niveau de revenu des femmes et le temps dévolu au travail domestique n’est pas linéaire : contrairement aux femmes ayant un faible revenu, celles qui sont mieux rémunérées ne réduisent pas le temps qu’elles consacrent au travail domestique lorsque leur revenu augmente, dans la mesure où elles externalisent déjà une grande partie de ce travail (Killewald et Gough, 2010). Enfin, l’incitation sociale à se conformer aux normes de genre influence moins les décisions de partage du travail domestique que le pouvoir de négociation procuré par le revenu individuel de chaque partenaire (Bianchi et al., 2000 ; England, 2011 ; Sullivan, 2011 ; Ponthieux et Meurs, 2015). En sus des dimensions économiques et de genre, les structures juridiques des différents types d’union peuvent influencer la division du travail domestique entre les partenaires.
2. Le statut matrimonial et la division sexuée du travail domestique dans les couples
8En général, les couples vivant en union libre sont plus égalitaires que les couples mariés quant aux modalités de partage du travail domestique et familial (Baxter, 2005 ; Davis et al., 2007 ; Domínguez-Folgueras, 2012 ; Bianchi et al., 2014). Les facteurs socioéconomiques et démographiques affectent à la fois la division du travail au sein du couple et le choix du statut matrimonial (effet caractéristiques socioéconomiques). Dans de nombreux pays, on observe que les couples mariés sont davantage spécialisés que les couples vivant en union libre, ce qui est en partie dû à des différences de caractéristiques socioéconomiques (niveau d’éducation et de revenus, entre autres). Par exemple, les Italiennes vivant en union libre sont plus éduquées, mieux intégrées au marché du travail et effectuent moins de tâches domestiques que les femmes mariées (Kiernan, 2002 ; Bianchi et al., 2014). Cependant, les ressources économiques n’expliquent pas à elles seules la division sexuée du travail selon le type d’union, puisque les femmes mariées assument une plus grande part du travail domestique que celles en union libre, indépendamment de leurs revenus respectifs. La présence d’enfants est également un facteur important à prendre en compte, car les couples mariés ont plus souvent des enfants à charge, et peuvent en conséquence se spécialiser davantage que les couples en union libre (Barg et Beblo, 2012).
9L’encadrement juridique constitue un autre facteur expliquant les différences de partage du travail domestique selon le type d’union. Le mariage confère plus de droits et d’obligations juridiques que l’union libre. En cas de séparation, le risque de baisse du niveau de vie du partenaire qui s’est spécialisé dans le travail domestique est donc plus élevé s’il vivait en union libre que s’il était marié. Dans ce contexte, on devrait observer une plus grande spécialisation au sein des unions les plus régulées comme le mariage, alors qu’elle devrait être moins prononcée au sein des couples cohabitants. Bianchi et al. (2014) ont testé cette hypothèse en s’appuyant sur les différences de régimes matrimoniaux dans trois pays (France, États-Unis et Italie). Ils s’attendaient à ce que les différences de temps consacré au travail rémunéré et au travail domestique par chaque conjoint entre les couples en union libre et mariés soient les plus importantes en Italie, où la cohabitation n’est pas légalement reconnue, puis aux États-Unis, où la réglementation varie selon les États, et les plus faibles en France, où la cohabitation, notamment avec le pacs, est davantage encadrée. Ils constatent que les femmes vivant en union libre assurent moins de travail domestique que les femmes mariées. Cependant, après avoir pris en compte l’effet des caractéristiques observables, les différentes formes d’organisation entre les deux types d’union ne subsistent qu’en Italie. Dans les pays nordiques, où les droits des couples cohabitants sont proches de ceux des couples mariés (Sánchez Gassen et Perelli-Harris, 2015), ces derniers sont moins spécialisés que dans les autres pays (Davis et al., 2007).
10Le sens de la causalité entre le statut matrimonial et la spécialisation (effet statut matrimonial) est indéterminé a priori, les couples pouvant se spécialiser après s’être mariés en réponse aux protections et avantages sociaux liés au mariage. Dans ce cas, le cadre réglementaire du mariage incite les couples à adopter une spécialisation des rôles. Les couples peuvent également se spécialiser puis se marier pour bénéficier des protections adaptées à cette organisation sexuée. Le mariage est alors une réponse à la spécialisation du couple plutôt que sa cause. L’institution du mariage serait dans ce cas considérée comme une garantie de la protection et de l’engagement du partenaire actif, le plus souvent l’homme, envers le partenaire spécialisé dans le travail domestique, le plus souvent la femme. Cette protection s’étend au-delà de l’union elle-même en accordant le droit à une compensation financière en cas de divorce. Ces deux relations causales peuvent coexister lorsque les couples se spécialisent avant le mariage, puis se marient en conséquence, et renforcent cette organisation sexuée sous l’effet du mariage (Barg et Beblo, 2012).
11L’approche par les normes de genre offre une autre perspective de la division sexuée du travail dans le couple. Les valeurs en matière de genre portée par les individus peuvent être évaluées sur une échelle allant de l’égalitarisme (favorable au partage des responsabilités domestiques et familiales) au conservatisme (favorable au modèle de Monsieur Gagnepain). Les hommes qui adhèrent à des valeurs égalitaires participent davantage aux tâches ménagères que les hommes attachés à des valeurs conservatrices (Greenstein, 2000). Du point de vue des parcours de vie, le fait que les deux partenaires aient des valeurs égalitaires entraîne une dynamique égalitaire dans le partage du travail en Allemagne (Nitsche et Grunow, 2016). En outre, les perceptions sociales associées à chaque forme d’union expliquent le lien entre les valeurs liées au genre et le type d’union (effet normes de genre). Dans les cas où la cohabitation est considérée comme un simple prélude au mariage, elle devrait alors être associée aux mêmes valeurs. Si elle représente une alternative en rejet du mariage, perçue comme une institution patriarcale (Heuveline et Timberlake, 2004), elle devrait alors être associée à des valeurs plus égalitaires. Les couples mariés se conforment davantage aux normes de genre et se spécialisent plus que les couples non mariés (Shelton et John, 1993). En Italie, par exemple, les femmes vivant en union libre adhèrent à des valeurs égalitaires et effectuent moins de tâches domestiques que les femmes mariées, et leur taux de participation au marché du travail est plus élevé (Domínguez-Folgueras, 2012 ; Bianchi et al., 2014).
3. Étude de cas à partir de la France
12En France, en moyenne, les femmes réalisent 71 % du travail domestique (ménage, cuisine et linge, entre autres) et 65 % du travail familial (soins aux enfants). Si le temps consacré par les femmes aux tâches domestiques a reculé depuis les années 1980, celui des hommes est resté stable (Champagne et al., 2015). Les femmes en couple accomplissent plus de travail domestique et familial que les autres (Roy, 2012), tandis que l’arrivée des enfants renforce le partage inégal des tâches au sein du couple. Même si les pères consacrent plus de temps à l’éducation de leurs enfants qu’auparavant, le temps dévolu par les mères a également progressé depuis les années 1980 (Régnier-Loilier et Hiron, 2010 ; Ricroch, 2012).
13Depuis la fin des années 1990, la cohabitation est devenue un mode d’union socialement accepté, et l’arrivée d’un enfant ne conduit plus systématiquement au mariage. Comme dans les pays nordiques, la proportion d’enfants nés hors mariage en France est parmi les plus élevées d’Europe, avec 61 % en 2019 (Prioux, 2009 ; Breton et al., 2019). Cependant, les différences de réglementations sociales, fiscales et juridiques entre les deux types d’union sont beaucoup plus marquées en France que dans les pays nordiques (Sánchez Gassen et Perelli-Harris, 2015). Par exemple, l’État social français prévoit des protections pour les femmes mariées et des compensations pour leur investissement dans les activités domestiques (les pensions de réversion, les droits et obligations entre époux et les compensations financières en cas de divorce). En revanche, l’union libre ne fait l’objet d’aucune compensation ou obligation envers le partenaire spécialisé dans les activités domestiques et le travail familial, ne serait-ce que partiellement [1]. Si le couple se sépare, le risque lié à la division sexuée du travail pour les couples en union libre est alors entièrement supporté par le partenaire le plus engagé dans la sphère familiale, dans la plupart des cas la femme. La promulgation du pacs en 1999 a partiellement et progressivement intégré certaines protections initialement réservées au mariage (tableau annexe A.1) et, depuis 2005, les couples pacsés sont soumis au même régime d’imposition sur le revenu que les couples mariés, ce qui a conduit à une augmentation du nombre de pacs (Leturcq, 2012). Les couples hétérosexuels sont de plus en plus nombreux à choisir cette forme d’union. En 2011, 75 % des couples étaient mariés, 20 % étaient en union libre et 5 % étaient pacsés (Buisson et Lapinte, 2013).
14Les quelques études existantes montrent que les Françaises assument plus de tâches domestiques que les hommes, indépendamment du fait qu’elles soient mariées ou en cohabitation. Domínguez-Folgueras (2012) trouve que les couples non mariés sont plus égalitaires que les couples mariés au regard de la répartition des tâches domestiques, mais les données utilisées (enquêtes Multinational Time Use Study, MTUS) ne permettent pas de distinguer les couples en union libre des couples pacsés. Bianchi et al. (2014) analysent le rôle joué par les différences institutionnelles entre le mariage et l’union libre dans l’écart femmes-hommes entre le travail rémunéré et non rémunéré au niveau individuel. Ils montrent que les femmes mariées et cohabitantes ont un temps de travail rémunéré assez proche (avec une différence de quatre minutes seulement). Leurs résultats indiquent que l’Italie présente, par rapport à la France ou aux États-Unis, les plus grandes inégalités entre les sexes en termes de temps alloué au travail marchand et non marchand. Notre analyse précise ces résultats en se focalisant sur les couples – et non sur les individus – pour montrer les liens entre la division sexuée du travail et le statut conjugal en France. En tenant compte du fait que le pacs est un type d’union distinct du mariage et de la cohabitation, nous affinons les résultats issus de la littérature existante en matière de répartition du travail domestique au sein des couples.
II. Données et méthodologie
1. Les enquêtes françaises Emploi du temps
15Les enquêtes Emploi du temps 1985-1986, 1998-1999 et 2009-2010 (ci-après nommées enquêtes 1985, 1998 et 2009) permettent d’explorer l’évolution de la répartition du travail domestique dans les couples selon le statut matrimonial. L’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) a réalisé ces trois enquêtes sur l’emploi du temps en France métropolitaine sur des périodes de 12 mois chevauchant deux années civiles. Elles comprennent un premier questionnaire décrivant la composition du ménage, un second questionnaire fournissant des informations sur l’individu enquêté et un carnet individuel (détaillant les activités à 5 minutes d’intervalle pour l’enquête de 1985 et à 10 minutes d’intervalle pour les deux autres). Dans les enquêtes de 1985 et 1998, les individus ont renseigné les entrées du carnet pour une journée (de la semaine de travail ou du week-end), tandis que chaque répondant de l’enquête de 2009 a décrit un jour de semaine et, dans certains cas, un jour du week-end en plus d’un jour de semaine. Lorsque la personne enquêtée vit en couple, dans la plupart des cas, son partenaire est également interrogé, et les deux remplissent leur carnet le même jour [2].
16Cette méthode de collecte de données sur l’emploi du temps est reconnue dans la littérature comme étant la plus fiable (Geist, 2010 ; Ponthieux, 2015), bien que quelques biais dans les réponses puissent persister. Pour les enquêtes de 1985 et 1998, deux types de couples sont distingués : mariés et en union libre. La loi sur le pacs ayant été adoptée en 1999, l’enquête de 2009 inclut les couples pacsés. Les couples mariés sont ceux qui déclarent être mariés (ou remariés) ; les partenaires civils sont ceux qui déclarent avoir conclu un pacs, et les couples en union libre vivent ensemble mais n’ont pas déclaré de mariage ou de pacs. L’échantillon retenu pour l’analyse comprend les ménages dans lesquels la personne de référence vit en couple quelle que soit la durée de cette union [3]. Ne sont retenus que les couples dans lesquels (a) les deux partenaires ont entre 25 et 55 ans, (b) au moins un membre du couple appartient à la population active, et (c) les deux partenaires ont rempli leurs carnets. L’analyse exclut les couples où l’un des partenaires est étudiant, retraité ou handicapé, ainsi que les ménages complexes incluant d’autres colocataires (tels que des parents âgés ou des proches). Les couples de même sexe ont également été exclus, ainsi que les quelques couples pour lesquels toutes les informations nécessaires ne sont pas disponibles pour effectuer l’analyse [4]. Les données initiales comprennent 5 598 couples dans l’enquête de 1985, 5 152 couples dans l’enquête de 1998, et 7 252 couples dans l’enquête de 2009. Après avoir opéré la sélection selon les critères décrits ci-dessus, l’échantillon final se compose de 3 334 couples pour l’enquête de 1985, de 2 715 pour celle de 1998 et de 2 873 pour celle de 2009.
17Les données contiennent des informations détaillées sur les tâches effectuées par chaque partenaire au cours de la journée. Le champ du travail domestique retenu pour l’analyse comprend les activités quotidiennes les plus contraignantes, telles que la cuisine, la vaisselle, la lessive, le rangement, le ménage, les courses et l’approvisionnement. Elles couvrent également la gestion du ménage, comme la tenue des comptes, la correspondance administrative, les trajets, les soins aux enfants, les soins aux adultes et d’autres activités diverses [5]. Cette définition utilisée par Roy (2012) exclut les tâches domestiques considérées comme intermédiaires ou de semi-loisir : couture, réparation, jardinage, pêche, le temps consacré aux loisirs ou à l’éducation des enfants, etc. La définition des travaux domestiques et des soins aux enfants utilisée pour l’analyse se limite aux tâches les plus courantes (tableau annexe A.2).
2. Méthodologie : régression par les MCO et appariement
18La première étape de la stratégie économétrique consiste à estimer un modèle simple dans lequel la variable dépendante est la part du travail domestique réalisée par la femme dans le couple. Elle est définie comme le rapport entre le temps consacré par la femme et le temps consacré par les deux membres du couple au travail domestique. À partir d’une régression par les MCO, la part du travail domestique de la femme est expliquée par les caractéristiques socioéconomiques disponibles dans les enquêtes mobilisées. Les variables explicatives comprennent les caractéristiques individuelles de chaque partenaire, telles que le niveau d’éducation et la situation professionnelle.
19Le pouvoir de négociation constitue une variable explicative importante de la part du travail domestique réalisée par les femmes. N’étant pas directement observable dans les données, il doit être approximé. Nous utilisons l’écart relatif de salaires des deux partenaires [6], défini comme l’écart de salaire horaire entre les partenaires rapporté à la somme de leurs salaires horaires [7]. Le salaire horaire est un meilleur indicateur que le salaire mensuel ou annuel qui dépend du nombre d’heures de travail rémunérées, et qui dépend donc du temps consacré au travail domestique. Le salaire horaire représente ici les gains potentiels qu’un individu peut obtenir sur le marché du travail, ce qui lui confère un pouvoir de négociation indépendamment du fait qu’il ou elle travaille. La mesure du pouvoir de négociation est donc également applicable aux individus qui ne travaillent pas.
20Les salaires des individus inactifs n’étant pas observés, nous avons estimé une équation de salaire pour leur attribuer un salaire potentiel (voir document annexe A.1 « Estimation de l’équation de salaire »). Cette estimation de l’équation de salaire utilise la méthode de Heckman pour prendre en compte l’effet de sélection sur le marché du travail, notamment en estimant simultanément les équations de salaire et de participation au marché du travail (Heckman, 1979). Pour calculer le pouvoir de négociation, on a utilisé les salaires prédits par les équations de salaires et on les a attribués aux individus ayant des salaires non observés (en raison du chômage, de l’inactivité ou d’un champ de salaire non rempli dans l’enquête), ainsi qu’à leurs partenaires. Le salaire observé a été utilisé pour toutes les autres personnes. L’enquête Emploi du temps de 1985 ne donne aucune information concernant les revenus du travail, il n’est donc pas possible de tenir compte du pouvoir de négociation de chaque partenaire pour cette année.
21Des variables ont été ajoutées pour contrôler le revenu total du couple, le type d’appareils ménagers (tels que lave-vaisselle, lave-linge ou micro-ondes), le recours au service de personnes extérieures au ménage, rémunérées ou non, et le volume total des travaux domestiques effectués par le couple. Sont inclus également le nombre d’enfants et la présence d’un enfant de moins de 3 ans, car cela accroît généralement la part de travail domestique réalisé par la femme. Ce groupe de variables représente la pression exercée par le partage des tâches sur le couple. L’âge moyen du couple et l’écart d’âge entre les partenaires sont aussi pris en compte, ce dernier facteur pouvant influencer le pouvoir de négociation. On distingue enfin le lieu d’habitation (zone rurale ou zone urbaine) en raison des différences de possibilité d’externalisation d’une partie du travail domestique.
22De plus, étant donné que l’utilisation du temps et sa répartition entre les partenaires diffèrent entre les week-ends et les jours de la semaine, on utilise un indicateur pour contrôler le jour pour lequel les membres du couple ont rempli leur carnet. Dans l’enquête de 2009, une variable du carnet est introduite qui distingue les situations suivantes : (a) seulement deux carnets par ménage, et les deux partenaires ont rempli leur carnet un jour de semaine ; (b) seulement deux carnets par ménage, et les deux partenaires ont rempli leur carnet le week-end ; (c) trois carnets par ménage, un partenaire remplissant deux carnets et l’autre un seul ; et (d) les deux partenaires remplissent deux carnets chacun, soit quatre carnets par ménage (situation de référence). Pour les enquêtes de 1985 et 1998, on introduit une variable binaire qui prend la valeur 1 si les carnets ont été remplis le week-end et 0 autrement. Nous cherchons à mesurer le temps consacré au travail domestique par le couple durant une journée ordinaire. L’enquête de 2009 fournit des informations assez précises sur l’emploi du temps des partenaires durant les jours de la semaine et les week-ends, nous utilisons ces informations pour mesurer la répartition du travail domestique dans le couple. On retient la moyenne pondérée des week-ends et des jours de semaine en se fondant sur l’importance relative des carnets correspondants. Cela permet d’intégrer les différentes répartitions du temps consacré au travail domestique par les deux partenaires tout au long de la semaine, plutôt que de traiter séparément les carnets du week-end et de la semaine et de regrouper artificiellement les couples.
23Puis on applique la méthode d’appariement pour tenir compte de l’autosélection des couples dans différents types d’union. Cette méthode associe chaque couple marié à un ou plusieurs couples non mariés présentant des caractéristiques similaires. Ce faisant, on peut comparer la part du travail domestique réalisée par une femme mariée avec celle d’une femme non mariée ayant des caractéristiques comparables. Malheureusement, il n’est pas possible de contrôler les valeurs associées aux normes de genre, les enquêtes Emploi du temps n’incluant pas de variables qui permettent de les mesurer. Ainsi, la méthode d’appariement ne peut contrôler que les caractéristiques socioéconomiques observées dans les enquêtes. La méthode d’appariement repose sur une hypothèse d’identification sous-jacente basée sur l’indépendance conditionnelle. Étant donné un vecteur supposé de caractéristiques observables xi capturant le biais d’autosélection, le « traitement du mariage » est alors aléatoire conditionnellement à xi. Cela implique que, toujours conditionnellement à xi, l’espérance de la répartition du travail domestique dans les couples non mariés est équivalente à celle des couples mariés avant leur mariage.
24S’il était possible d’utiliser les mêmes caractéristiques pour un appariement exact entre les couples mariés et non mariés (en union libre ou pacsés pour l’enquête de 2009), on pourrait construire un parfait contrefactuel. Cependant, cet appariement n’est pas réalisable. Le problème d’appariement est donc réduit à une seule dimension appelée appariement sur score de propension (Rosenbaum et Rubin, 1983), défini comme la probabilité de se marier p(x). Ce score de propension vérifie la propriété d’équilibrage théorique : la distribution conditionnelle de xi, étant donné p(xi), est orthogonale au choix du statut marital. Cette propriété implique que la distribution de x au sein des sous-groupes de couples ayant les mêmes scores de propension p(x) est identique quel que soit le type de couples. Une fois conditionnée au score de propension, l’indépendance entre la division du travail et le choix du statut marital est également satisfaite.
25Par conséquent, on estime la probabilité de se marier pour tous les couples, ce qui permet de comparer les distributions du score de propension pour les couples mariés et en union libre (et les pacs en 2009). Ces estimations ne retiennent que les couples ayant un modèle de distributions commun [8]. L’appariement est ensuite réalisé pour les couples mariés et non mariés (union libre ou pacs) ayant des scores de propension identiques, et la propriété d’équilibrage est vérifiée. Une fois ces deux conditions satisfaites, on dispose de sous-groupes de couples appariés (mariés versus non mariés) dont les scores de propension moyens ne sont pas statistiquement différents et pour lesquels l’ensemble des variables conditionnant le score ont une distribution identique [9]. Les résultats présentés ci-dessous reposent sur la méthode d’appariement du noyau d’Epanechnikov (kernel matching method) : chaque couple marié est apparié à l’ensemble des couples non mariés, pondérés en fonction des écarts du score de propension [10]. En outre, la part du travail domestique des femmes dans chaque couple marié est comparée à celle du contrefactuel.
26En utilisant cette procédure, les différences estimées de répartition des tâches selon les différentes formes d’union ne peuvent pas résulter d’une autosélection des couples sur la base de leurs caractéristiques observables. L’ensemble des variables xi utilisées pour estimer le score de propension p(xi) est un sous-ensemble des variables explicatives MCO : le revenu du ménage, le statut des deux partenaires sur le marché du travail, le pouvoir de négociation, l’âge moyen des partenaires, leur différence d’âge, leur niveau d’éducation, la présence d’un enfant, la présence d’un enfant de moins de 3 ans et la zone de résidence. Ensuite, la différence entre la part du travail domestique de chaque femme mariée et celle du contrefactuel est estimée, en contrôlant par les mêmes variables que celles utilisées dans la méthode des MCO. L’effet final du traitement est obtenu en effectuant la moyenne des différences estimées.
27Il convient donc de noter que les MCO se distinguent de la méthode d’appariement par deux aspects importants qui empêchent de comparer directement l’ampleur des effets estimés. Premièrement, l’appariement produit des effets locaux parce qu’il doit vérifier l’existence d’un contrefactuel approprié, alors que les MCO donnent une mesure globale sur l’ensemble de l’échantillon. Deuxièmement, l’appariement produit des effets résultant de la différence moyenne entre chaque couple marié et son contrefactuel. Cela signifie que les couples mariés ont plus de poids parce qu’ils ont des scores plus élevés, alors que les MCO donnent plus de poids aux variables de contrôle dont les valeurs sont identiques entre les deux types de statut matrimonial.
28Comme mentionné précédemment, après avoir contrôlé l’effet caractéristiques socioéconomiques, l’écart restant entre les couples peut être expliqué par l’effet statut matrimonial (hypothèse 1) et/ou l’effet idéologie de genre (hypothèse 2).
III. Résultats et analyses
1. Statistiques descriptives
29Le tableau 1 décrit l’échantillon selon différentes caractéristiques. Pour les trois périodes étudiées, les couples mariés avaient plus d’enfants que les couples en union libre et les couples pacsés. À l’exception de l’enquête de 1985, l’écart d’âge entre les partenaires était similaire pour toutes les formes d’union, mais les couples mariés étaient plus âgés que les couples en union libre et les couples pacsés. En 1985, les couples mariés étaient moins instruits (tant les hommes que les femmes) que les couples en union libre, mais l’écart du niveau d’éducation s’est réduit en 1998. En 2009, les couples pacsés avaient un niveau d’études supérieur par rapport aux couples mariés et en union libre.
Tableau 1. Caractéristiques des individus et des ménages selon le type d'union
Tableau 1. Caractéristiques des individus et des ménages selon le type d'union
30Le tableau 2 reprend la durée hebdomadaire consacrée au travail domestique et au travail rémunéré par les femmes et les hommes vivant en couple selon leur statut conjugal, ainsi que la part moyenne que la femme effectue pour chaque type d’union dans les trois enquêtes. En 1985, la part moyenne du travail domestique réalisé par une femme mariée était de 80,9 %, contre 75,1 % pour une femme vivant en union libre. Cependant, en 2009, la part moyenne du travail domestique pris en charge par la femme était sensiblement la même, qu’elle soit mariée (73,5 %) ou en union libre (72 %). Cette convergence est le résultat de deux tendances : la part réalisée par les femmes mariées a significativement reculé, ce qui s’inscrit dans une tendance générale à la baisse du temps consacré par les femmes au travail domestique. La division sexuée du travail dans les couples mariés s’est donc rapprochée du niveau observé dans les couples en union libre. Par ailleurs, l’introduction du pacs en 1999 a bouleversé l’environnement institutionnel : les femmes pacsées réalisent la part de travail domestique la plus faible (65,1 %) par rapport aux autres. Dans le même temps, les hommes pacsés consacraient 2 heures 30 minutes de plus aux tâches domestiques que les hommes mariés, contre un écart de seulement 3 minutes entre les hommes mariés et les hommes en union libre.
31Les données sur le temps consacré au travail rémunéré sont incomplètes (voir la note du tableau 2), les résultats doivent donc être interprétés avec prudence. Néanmoins, en 2009, on observe que les femmes pacsées travaillaient plus que les autres : environ 31 heures par semaine contre 28 heures pour les femmes en union libre, et 27 heures 50 minutes pour les femmes mariées. Associé à l’évolution du travail domestique, ce point explique pourquoi la part moyenne du travail total (travail rémunéré et domestique) assuré par la femme est plus élevée dans les couples en union libre (52 %) que dans les couples mariés (50,4 %) et les couples pacsés (50,7 %). Les femmes mariées ont consacré 1 heure et 53 minutes de plus au travail domestique par rapport aux femmes pacsées, et 56 minutes de plus que les femmes en union libre. Elles ont effectué 3 heures et 10 minutes de travail rémunéré de moins que les femmes pacsées et 22 minutes de moins que les femmes en union libre. En moyenne, la part du travail total effectué par la femme est comparable pour les couples mariés et les couples pacsés, mais la répartition entre travail rémunéré et travail domestique diffère.
Tableau 2. Division du travail domestique dans les couples selon les types d’union
Tableau 2. Division du travail domestique dans les couples selon les types d’union
2. Résultats détaillés des estimations
32Le tableau 3 présente les résultats du modèle de régression par les moindres carrés ordinaires (MCO). Le couple de référence est marié, sans enfant à charge, résidant dans une zone urbaine, avec deux partenaires travaillant à temps plein et un niveau d’études inférieur au baccalauréat.
Tableau 3. Estimation de la part de travail domestique des femmes (résultats de la régression par les MCO)
Tableau 3. Estimation de la part de travail domestique des femmes (résultats de la régression par les MCO)
33L’effet des variables « statut matrimonial » change selon l’année d’observation. En 1985 et 2009, la part du travail domestique d’une femme vivant en union libre ne différait pas significativement de celle d’une femme mariée, alors qu’en 1998, elle était inférieure d’environ 3,5 points de pourcentage. Le résultat pour 2009 est cohérent avec les conclusions de Bianchi et al. (2014). Cependant, toutes choses égales par ailleurs, la part du travail domestique réalisé par les femmes pacsées est plus faible d’environ 4,5 points de pourcentage à celle d’une femme mariée.
34Les estimations indiquent que la part de travail domestique réalisé par la femme diminue à mesure que le revenu du ménage s’accroît. En effet, les couples ayant des revenus plus élevés externalisent davantage de tâches domestiques, notamment celles effectuées par les femmes (nettoyage et linge en particulier). Les variables relatives aux équipements et appareils ménagers indiquent qu’en 1985, le fait de posséder un lave-linge réduisait de 4,3 points de pourcentage la part des femmes dans le travail domestique. En 1998 et 2009, cette variable a perdu sa significativité en raison de l’augmentation des niveaux d’équipement des ménages ; à la fin des années 1990, la plupart des ménages présentant les caractéristiques de cet échantillon possédaient un lave-linge.
35Les principaux résultats de l’estimation par les MCO sont conformes à la littérature. Le temps de travail rémunéré des deux conjoints joue un rôle important dans la répartition du travail domestique. Lorsqu’un des partenaires est moins impliqué sur le marché du travail (inactif, au chômage ou à temps partiel), il a alors tendance à prendre en charge une part plus importante du travail domestique. Dans les couples où la femme n’a pas d’emploi, sa part du travail domestique augmente d’environ 14 points de pourcentage. De même, lorsque l’homme est inactif, la part du travail domestique de la femme baisse de 8,5 points de pourcentage en 1985 et d’environ 18 points en 2009 [11]. En 25 ans, les normes de genre se sont atténuées et les hommes acceptent de participer davantage au travail domestique. Pour les femmes, travail à temps partiel et chômage sont synonymes d’une quantité de travail domestique accrue ; à l’inverse, la part du travail domestique de la femme s’allège si l’homme travaille à temps partiel ou est au chômage. La femme assume une moindre part du travail domestique lorsque son pouvoir de négociation dans le couple se renforce, mais cet effet n’est significatif que pour 2009.
36Comme prévu, la participation des hommes au travail domestique s’intensifie avec leur niveau d’études. À l’inverse, la part de travail domestique réalisée par les femmes est d’autant plus faible qu’elles ont un niveau d’études élevé. Les femmes ayant un niveau d’éducation plus élevé ont un meilleur pouvoir de négociation, tandis que les hommes diplômés du supérieur adhèrent généralement à des valeurs plus égalitaires (Domínguez-Folgueras, 2012) [12]. Ces résultats sont conformes à ceux obtenus dans la littérature (Bianchi et al., 2000 ; Gershuny, 2000 ; Anxo et al., 2007). En 1985 et 1998, le fait d’avoir des enfants alourdissait significativement la part du travail domestique d’une femme, avec un impact d’environ 2 points de pourcentage. Pour l’année 2009, cet effet s’est inversé, la présence d’un enfant réduisait le travail domestique réalisé par les femmes (effet de 2 points de pourcentage), une tendance reflétant un plus grand investissement des hommes dans la famille [13]. En revanche, le coefficient de la variable relative à la présence d’un enfant de moins de 3 ans n’est pas significatif pour les trois enquêtes. Pour explorer ce point précis, nous avons examiné la corrélation entre cette variable et d’autres variables du modèle, et constaté que l’inactivité de la femme est fortement corrélée avec la présence d’un enfant en bas âge. Ainsi, la variable relative à la situation de la femme sur le marché du travail capture partiellement l’information apportée par la présence d’un jeune enfant.
37La définition du travail familial retenue dans cet article regroupe un périmètre restreint du temps consacré aux soins des enfants afin de ne pas regrouper des tâches ayant des valeurs subjectives différentes pour les hommes et les femmes. Néanmoins, les résultats sont testés en retirant des activités domestiques le temps consacré aux soins des enfants. En effet, Sullivan (2013) suggère que le travail domestique n’est agréable pour aucun des partenaires, alors que les soins aux enfants constituent une tâche gratifiante appréciée par les hommes et les femmes. Il est possible que les couples pacsés partagent le soin aux enfants de manière plus égale parce que les pères pacsés choisissent de s’impliquer davantage dans l’éducation de leur enfant que les pères mariés. Si tel est le cas, ce ne sont pas les normes de genre qui conduisent à un partage plus égalitaire du travail, mais plutôt un rapport différent à la paternité, ceci bien que le périmètre retenu dans cette analyse pour les soins aux enfants ne couvre que les tâches courantes. En 2009, les estimations de l’activité hors soins aux enfants indiquent que la part du travail domestique des femmes pacsées est inférieure de 5 points à celle des femmes mariées (significatif au seuil de 1 %) [14]. Les couples pacsés optent donc pour une répartition plus égalitaire du travail domestique que les couples mariés, indépendamment de toute activité liée directement aux enfants. La part du travail domestique des femmes en union libre reste proche de celle des femmes mariées.
38La trajectoire matrimoniale des couples (nombre d’unions précédant celle observée, forme d’union passée, durée de l’union observée, et autres facteurs) influence la répartition du travail domestique (Baxter, 2005 ; Nitsche et Grunow, 2016). Les questions sur le passé conjugal n’ont été incluses que dans le module complémentaire de 2009 « Décisions dans les couples », qui fournit un sous-échantillon de 1 454 couples. Parmi les 976 couples de ce sous-échantillon qui n’avaient jamais été en couple auparavant, les régressions alternatives opérées sur eux montrent que la durée de la relation a un effet positif (bien que non significatif) sur la part du travail domestique de la femme (tableau annexe A.4). L’effet du pacs reste négatif et significatif au seuil de 10 % lorsqu’on considère la durée observée de la relation, les couples pacsés étant plus égalitaires que les couples mariés, ce qui n’est pas le cas des couples en union libre. De même, aucune différence n’est observée entre les couples en union libre et les couples mariés dans l’enquête de 1985 alors qu’en 1998 les couples en union libre étaient plus égalitaires que les couples mariés (tableau 3).
39Les résultats de la méthode d’appariement sont cohérents avec ceux obtenus par les MCO (tableau 4). En 1998, la part des tâches domestiques réalisées par une femme aurait été réduite de 5,9 points si elle avait été en union libre au lieu d’être mariée. En 2009, il n’existe pas de différences statistiquement significatives dans le partage des tâches domestiques entre les deux types d’union, alors que la part réalisée par une femme mariée aurait été inférieure de 8,6 points si elle avait été pacsée. Plusieurs facteurs, non exclusifs les uns des autres, peuvent expliquer les différences d’ampleur des effets obtenus avec les deux méthodes. Cela peut être lié à la façon dont l’effet moyen est mesuré, comme mentionné précédemment. Cela peut également être dû au fait que l’échantillon retenu pour l’appariement est plus restreint que celui utilisé pour les MCO. Enfin, l’effet obtenu avec la méthode d’appariement peut s’interpréter comme une mesure non biaisée de l’effet statut matrimonial purgé de l’autosélection à partir de certaines caractéristiques observables. En effet, les différences d’organisation du partage des tâches selon les formes d’union estimées par cette méthode ne peuvent pas être dues à une autosélection des couples sur la base de leurs caractéristiques observables. Elles peuvent résulter soit de l’effet statut matrimonial, soit de caractéristiques non observées, ce qui inclut les valeurs, et plus particulièrement celles liées au genre, donc l’effet normes de genre.
Tableau 4. Différences estimées de la part du travail domestique des femmes selon le statut marital
Tableau 4. Différences estimées de la part du travail domestique des femmes selon le statut marital
3. Interprétation des résultats : le rôle des valeurs liées au genre
40Pour démêler ces deux effets, on interprète les résultats à l’aune des deux hypothèses énoncées précédemment pour chaque année. En 1985, la part du travail domestique de la femme n’est pas affectée par le fait qu’elle vive en union libre. L’écart observé entre les deux types de couples s’explique par des différences de caractéristiques observables (par exemple, les partenaires en union libre sont plus jeunes que les couples mariés). Cela contredit l’hypothèse 1 qui suppose une moindre part de travail domestique réalisée par les femmes en union libre par rapport aux femmes mariées. Ceci s’explique par le fait qu’au début des années 1980, la cohabitation comme forme d’union à long terme était encore une pratique marginale (quoique de plus en plus courante) et considérée comme un « prélude au mariage » ou un « test pré-mariage » (Villeneuve-Gokalp, 1990 ; Toulemon, 1996). La division sexuée du travail précédait la formalisation de l’union, soit parce que les couples se sont organisés en prévision du mariage, soit parce qu’ils ont simplement fini par se marier après avoir établi une spécialisation. Ainsi, aucune différence significative dans la division sexuée du travail n’a été observée entre les deux formes d’union.
41Les résultats de 1998 indiquent que la part de travail domestique réalisée par une femme mariée aurait été réduite de 5,9 points de pourcentage si elle avait été en union libre. Ce résultat est conforme à l’hypothèse 1. À la fin des années 1990, la cohabitation s’imposait comme une alternative au mariage socialement acceptée. La cohabitation représentait une forme d’union stable et l’arrivée d’enfants ne conduisait pas nécessairement à une formalisation de l’union par un mariage. La division sexuée du travail dans ces couples était plus égalitaire que dans les couples mariés, et ce en dehors des considérations liées au profil socioéconomique des deux partenaires. L’effet statut matrimonial explique ce résultat, en revanche nous ne sommes pas en mesure de préciser le sens de la causalité. Le mariage peut conduire à une division sexuée du travail plus marquée, ou bien les couples qui anticipent cette spécialisation optent pour cette forme d’union. L’hétérogénéité inobservée peut également expliquer cet écart. Selon l’hypothèse 2, l’effet normes de genre peut également expliquer le choix d’une forme d’union. La cohabitation dans les années 1990 peut avoir attiré des personnes cherchant un type d’union qui marque leur opposition à des normes conservatrices associées au mariage et reflète des valeurs égalitaires auxquelles elles adhèrent.
42En 2009, aucune différence significative n’est observée entre les couples mariés et les couples en union libre. Contrairement à 1998, les couples cohabitants n’étaient pas plus égalitaires que les couples mariés dans la répartition du travail domestique. En revanche, la part du travail domestique de la femme dans un couple pacsé était significativement plus faible (environ 8,6 points de pourcentage) que celle observée dans les couples mariés. Ce résultat contredit l’hypothèse 1, selon laquelle l’effet statut matrimonial prédit que les couples mariés seraient les moins égalitaires, suivis par les couples pacsés, puis les couples en union libre. L’effet normes de genre offre une autre explication conforme à l’hypothèse 2, à savoir que les valeurs des couples en union libre sont moins égalitaires que celles des couples pacsés.
43Cette hypothèse est confortée par l’enquête du Programme international d’enquêtes sociales : Famille et évolution des rôles liés au genre, III (2002) et IV (2012), une enquête apportant des informations sur l’évolution des valeurs associées au genre auxquelles les individus adhèrent en fonction leur statut matrimonial [15]. L’échantillon sélectionné présente les mêmes caractéristiques que celles utilisées dans l’analyse de l’enquête Emploi du temps [16]. L’enquête de 2002 ne contient aucune information sur le pacs et identifie ces couples comme non mariés ; les couples en partenariat civil sont donc inclus dans la catégorie des couples en union libre. Ceci ne pose pas de problème dans la mesure où peu de couples avaient opté pour le pacs en 2002 [17].
44L’indicateur utilisé pour mesurer leurs valeurs associées aux normes de genre est la réponse à la question suivante : « Le travail d’un homme est de gagner de l’argent ; le travail d’une femme est de s’occuper de la maison et de la famille. Diriez-vous que vous n’êtes pas du tout d’accord, pas d’accord, ni d’accord ni pas d’accord, d’accord ou totalement d’accord avec cette affirmation ». Entre 2002 et 2012, les valeurs conservatrices des couples mariés ont reculé, la proportion de personnes interrogées qui déclarent ne pas être « pas d’accord » ou « pas du tout d’accord » avec cette affirmation est passée de 75 % à 82 % (principalement en raison d’une progression des personnes qui n’étaient pas du tout d’accord), et la proportion de personnes d’accord ou complètement d’accord a chuté de 13 % à 7 %. En revanche, ces proportions sont restées stables à 87 % pour les répondants vivant en union libre au cours de cette décennie (figure 1). En 2012, la proportion de répondants pacsés qui ont rejeté cette affirmation était plus élevée, notamment ceux qui n’étaient pas du tout d’accord (82 % contre 67 % des personnes en union libre et 62 % des répondants mariés).
45Pour compléter ces statistiques descriptives, un modèle logistique est estimé, utilisant comme variable dépendante « le répondant est totalement en désaccord avec l’affirmation », relativement à tous les autres degrés d’accord (tableau annexe A.5). Les résultats indiquent que, en 2012, toutes choses égales par ailleurs, les répondants pacsés sont plus souvent en désaccord total avec l’énoncé conservateur que les répondants mariés, alors qu’aucune différence statistiquement significative n’apparaît entre les répondants en union libre et ceux mariés [18]. Ce résultat est corroboré par la littérature sociologique sur le pacs. La décision d’opter pour une union civile est associée à un système de valeurs fondé sur une vision égalitaire des rôles de la femme et de l’homme dans la société et dans la famille (Rault et Letrait, 2010). Toutes choses égales par ailleurs, les couples aux valeurs les plus égalitaires sont attirés par le pacs, alors qu’ils étaient attirés par la cohabitation avant l’instauration de cette forme d’union institutionnalisée.
46Ce résultat suggère que le pacs attire les individus ayant les valeurs les plus égalitaires, et que la part de travail domestique réalisé par la femme est, en conséquence, plus faible au sein des couples pacsés. En 2009, après avoir contrôlé l’effet caractéristiques socioéconomiques, l’effet normes de genre semble plus que compenser l’effet statut matrimonial.
Opinions en France sur le rôle de l’homme et de la femme au sein du couple, selon le statut matrimonial (2002 et 2012)
Opinions en France sur le rôle de l’homme et de la femme au sein du couple, selon le statut matrimonial (2002 et 2012)
(Proportion de personnes qui déclarent être plus ou moins d'accord avec l’affirmation : « Le travail de l’homme est de gagner de l’argent ; le travail de la femme est de s’occuper de la maison et de la famille »)47En 1985 et en 1998, les femmes mariées assumaient une plus grande part du travail domestique par rapport aux femmes en union libre. Alors qu’en 1985, cela s’expliquait par des différences de caractéristiques socioéconomiques entre les couples en union libre et mariés, à la fin des années 1990, la cohabitation n’est plus tant une transition vers le mariage qu’une alternative au mariage répandue et socialement acceptée (Toulemon, 1996 ; Prioux, 2009). En 2009, la part moyenne de travail domestique réalisée par les femmes est à peu près la même qu’elles soient en union libre ou mariées (72 % et 73,5 %), mais elle est nettement plus faible pour les femmes pacsées (65,1 %), un écart qui n’est pas dû à des différences de caractéristiques socioéconomiques. Deux interprétations non exclusives sont possibles. L’effet statut matrimonial peut expliquer l’écart de 1998 entre les couples en union libre et mariés, mais il n’explique pas les résultats de 2009 suggérant une organisation plus égalitaire parmi les couples pacsés relativement aux couples en union libre, et une organisation comparable pour les couples en union libre et mariés. La deuxième interprétation serait l’autosélection des couples en fonction de leurs valeurs liées au genre, l’effet normes de genre. Les individus qui optent pour un pacs adhèrent à des valeurs plus égalitaires quant aux rôles des femmes et des hommes que ceux qui cohabitent ou sont mariés. Par conséquent, nos résultats peuvent être interprétés comme suit : le pacs a attiré les couples les plus égalitaires au regard des valeurs liées au genre, alors que ces couples choisissaient plutôt l’union libre avant l’introduction du partenariat civil.
Conclusion
48Cet article enrichit la littérature sur le partage des tâches domestiques selon le statut matrimonial. Le cas de la France montre une convergence dans la proportion des tâches domestiques effectuées par les femmes mariées et en union libre. En 2009, après avoir contrôlé les différences de caractéristiques observables entre ces deux types de couples, aucune différence significative ne subsiste. Les couples pacsés sont plus égalitaires que les autres couples dans la façon dont ils organisent le travail domestique, résultat qui reflète deux phénomènes. Le premier est la tendance, bien documentée dans la littérature, à la réduction du temps consacré par les femmes aux tâches domestiques. La division sexuée du travail parmi les couples mariés s’atténue et converge progressivement vers le niveau observé dans les couples en union libre. La seconde tendance est liée à l’introduction, à la fin des années 1990, du pacs qui a attiré les couples les plus égalitaires. En effet, les estimations indiquent que les différences de division sexuée du travail au sein des couples ne résultent pas d’une autosélection des couples en fonction de leurs caractéristiques socioéconomiques dans les différents types d’union, mais plutôt d’un effet normes de genre : les couples qui ont choisi le pacs sont attachés à des valeurs plus égalitaires que ceux qui ont opté pour les deux autres formes d’union.
49L’étude de la part de travail domestique assumée par les femmes permet d’analyser le degré de spécialisation des couples. Le volume total de travail réalisé par chaque partenaire est un indicateur plus adapté pour mesurer l’égalité des sexes. Les femmes en union libre effectuent la plus grande part du travail total du ménage, soit 52 % (travail rémunéré et travail domestique) relativement aux femmes mariées et aux femmes pacsées, qui réalisent environ la moitié du travail total du ménage cohabitant. En outre, les femmes mariées et les femmes pacsées réalisent une plus grande part de travail domestique que de travail rémunéré, mais les inégalités sont plus prononcées pour les couples mariés. Ce résultat soulève la question de l’égalité des sexes dans une perspective de long terme, le travail domestique n’accordant aucun droit social direct et la cohabitation aucun droit social dérivé (en termes de pensions) ou de droits à une pension alimentaire (en cas de séparation), ce qui pourrait exposer les femmes en union libre à une plus grande précarité. La persistance des comportements genrés dans la répartition du travail domestique pose question pour les femmes en union libre, comme le suggéraient Martin et Théry (2001) qui ont montré que les femmes cohabitantes effectuaient la même part de travail domestique que les femmes mariées, sans bénéficier de protections ou de compensations spécifiques pour autant. Face à l’évolution des comportements et des choix matrimoniaux des dernières décennies, l’État social français n’a pas été suffisamment adapté et reste entre deux modèles. Le premier est centré sur le mariage et le modèle de Monsieur Gagnepain, associé à la compensation du coût de la spécialisation par des protections et des transferts. Ce modèle encourage, du moins en partie, une division sexuée des rôles et attire les couples aux valeurs plus conservatrices, mais il inclut des garanties en cas de séparation pour les femmes. Le second modèle, centré sur l’union libre, n’a pas conduit à la dissolution de la division sexuée du travail dans la famille. Le pacs ne répond que partiellement à ce problème sur le plan de la réglementation, et ses effets sur la réduction des inégalités des sexes sont limités dans la mesure où cette forme d’union attire des couples qui ont déjà des valeurs égalitaires.
50Au-delà du cas de la France, les résultats mettent au jour une interrelation entre deux effets majeurs qui expliquent les différences dans la division sexuée du travail des couples selon le type d’union : l’effet statut matrimonial et l’effet normes de genre. En raison des modifications du cadre juridique introduites en France par le pacs, moins réglementé que le mariage mais plus que l’union libre, un changement s’est produit dans le comportement des couples attachés à des valeurs plus égalitaires. De même, les politiques qui encadrent les unions en Europe ont commencé à accompagner la tendance croissante à la cohabitation : certains pays ont renforcé les droits des couples cohabitants, tandis que d’autres ont introduit des unions civiles intermédiaires comme la France. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour évaluer l’impact de ces changements institutionnels sur l’égalité des sexes.
Annexe
Document A.1. Estimation de l’équation de salaire
51L’estimation de l’équation de salaire s’appuie sur la méthode de Heckman (1979) pour prendre en compte l’effet de sélection sur le marché du travail en estimant simultanément les équations de salaire [1] et de participation au marché du travail (Heckman, 1979) :
52\(\begin{equation} \ln \left(w_{i}\right)=\mathrm{x}_{\mathrm{il}} \beta_{1}+\varepsilon_{\mathrm{il}} \end{equation}\), [1]
53où w est le salaire horaire, l’indice i désigne l’individu, et xi1 est le vecteur des variables de contrôle : le diplôme obtenu (diplôme inférieur au bac, bac et supérieur) ; la forme d’union (mariage, pacs, union libre) ; la résidence dans une zone rurale ; l’expérience potentielle [19] et son carré. Comme c’est l’expérience potentielle qui est utilisée, cette variable surestime probablement l’expérience réelle – en particulier pour les femmes, en raison de l’effet probable de la naissance d’un enfant sur leur carrière. Par conséquent, les interruptions de carrière sont prises en compte dans l’estimation du salaire de la femme en multipliant à la fois l’expérience potentielle et son carré par le nombre d’enfants dans le ménage. β1 est le vecteur des coefficients correspondants, et \(\begin{equation} \varepsilon \end{equation}\)i1 est le terme d’erreur.
54Pour l’équation de sélection [2], la variable latente si* détermine la sélection (emploi) sur le marché du travail mais n’est pas observée ; on utilise donc une variable observable qui est définie comme suit :
55\(\begin{equation} s_{i}=1\left(s_{i}^{*}>0\right) \end{equation}\), où 1(.) est la fonction indicatrice habituelle, et donc :
\(\begin{equation} s_{i}^{*}=x_{i 2} \beta_{2}+\varepsilon_{i 2} \end{equation}\). [2]
56Par conséquent, la probabilité de travailler par rapport au fait d’être au chômage ou inactif est :
57\(\begin{equation} \operatorname{Pr}\left(\mathrm{s}_{i}=1 \mid \mathrm{x}_{\mathrm{i} 2}\right)=\operatorname{Pr}\left(\mathrm{s}_{i}{ }^{*}>0\right) \end{equation}\) ;
58xi2 est le vecteur des variables de contrôle contenant les variables utilisées dans l’équation de salaire ; et xi1 et les variables de restriction d’exclusion zi indiquent l’existence de revenus non liés au travail (intérêts, revenus de l’épargne, dividendes). Pour les femmes, des variables sont introduites pour la présence d’enfants de moins de 3 ans, de 3 à 6 ans, et pour le diplôme d’études de leur partenaire. β2 définit le vecteur des coefficients correspondants, et \(\begin{equation} \varepsilon \end{equation}\)i2 est le terme d’erreur. Les termes d’erreur \(\begin{equation} \varepsilon \end{equation}\)1 et \(\begin{equation} \varepsilon \end{equation}\)2 des deux équations suivent une distribution normale conjointe, avec une moyenne nulle et une matrice de variance-covariance Σ. À des fins d’identification, la variance de \(\begin{equation} \varepsilon \end{equation}\)2 est normalisée à 1. La personne de référence est un individu marié, ayant un niveau d’instruction inférieur au baccalauréat et vivant dans une zone urbaine. Les résultats sont interprétés par rapport à cette référence.
Tableau A.1. Protections sociales, régimes juridiques et fiscaux des différentes formes d’unions en France
Tableau A.1. Protections sociales, régimes juridiques et fiscaux des différentes formes d’unions en France
Tableau A.2. Catégories entrant dans le champ des activités domestiques
Tableau A.2. Catégories entrant dans le champ des activités domestiques
Tableau A.3. Estimation des équations de salaire pour les femmes et les hommes

Tableau A.3. Estimation des équations de salaire pour les femmes et les hommes
Tableau A.4. Estimation de la part de travail domestique des femmes (résultats de la régression par les MCO)
Tableau A.4. Estimation de la part de travail domestique des femmes (résultats de la régression par les MCO)
Tableau A.5. Opinions individuelles sur les rôles de la femme et de l’homme dans le couple en France, selon le type d’union (2002 et 2012), résultats de l’estimation logit(a)
Tableau A.5. Opinions individuelles sur les rôles de la femme et de l’homme dans le couple en France, selon le type d’union (2002 et 2012), résultats de l’estimation logit(a)
Notes
-
[1]
Les obligations envers les enfants sont les mêmes pour les deux types d’union.
-
[2]
Les jours déclarés par les deux partenaires ne sont pas choisis par les répondants, mais aléatoirement fixés par les enquêteurs.
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[3]
Seule l’enquête Emploi du temps de 2009 comporte une variable indiquant si les partenaires vivent ensemble depuis plus d’un an. Bien que cette variable soit disponible pour tous les ménages dans le questionnaire général, elle n’est pas bien renseignée. Ainsi, le fait de ne pas retenir les couples où cette valeur était manquante aurait réduit la taille de l’échantillon de 1 108 couples. Une autre question porte sur la durée exacte de l’union, mais elle ne concerne qu’un sous-échantillon de couples du module complémentaire « Décisions dans les couples ».
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[4]
Pour les couples déclarant un temps total consacré au travail domestique nul, sont exclus 28 couples dans l’enquête de 2009 et 20 couples dans celle de 1998. Sont également supprimés 1 couple dans l’enquête de 2009 et 46 couples dans celle de 1998, dont les informations sur les revenus du ménage étaient manquantes, ainsi qu’un autre couple ayant déclaré des jours incohérents dans leurs carnets dans l’enquête de 2009.
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[5]
Entretien chauffage et eau, autres travaux d’entretien de la maison, déménagement non professionnel.
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[6]
Le pouvoir de négociation des membres du couple peut être affecté par d’autres paramètres, tels que la situation du marché du travail et le cadre juridique. Ce dernier détermine en partie les conditions financières de la rupture du couple et modifie ainsi le pouvoir de négociation de chaque partenaire.
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[7]
Deux variantes ont été testées : l’une définissant le pouvoir de négociation comme le rapport entre le salaire horaire de la femme et la somme des salaires horaires du couple ; l’autre utilisant une variable égale à 1 si le salaire de l’homme est plus de deux fois supérieur à celui de sa partenaire. Les résultats de l’analyse ne sont pas sensiblement modifiés par l’une ou l’autre alternative.
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[8]
Cette restriction est nécessaire pour trouver des individus ayant des scores de propension similaires. Dans les queues de distribution, il est difficile de trouver des couples mariés avec des scores de propension faibles ou, inversement, des couples non mariés avec des scores de propension élevés. Si un intervalle donné du score de propension ne comprend que des couples mariés ou non mariés, il n’est pas possible de les apparier avec un autre couple.
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[9]
Pour respecter ces deux hypothèses, on élimine environ 25 % et 21 %, respectivement, lors de l’appariement des couples mariés et des couples pacsés en 2009 (et 27 % et 34 % lors de l’appariement des couples mariés et des couples en union libre). En 1998, on élimine 29 % des couples mariés et environ la moitié des couples en union libre et, en 1985, 12 % et 25 % des couples mariés et en union libre.
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[10]
Voir Heckman et al. (1997, 1998), Greene (2002), Imbens et Woolridge (2009). Des tests de robustesse réalisés à partir d’autres méthodes d’appariement (plus proche voisin, radius et stratification) ont également été effectués, mais ne sont pas présentés ici.
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[11]
En 1998, un seul couple était dans cette situation.
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[12]
Pour l’enquête de 2009, l’éducation de la femme a un effet plus faible et moins significatif que pour les deux autres enquêtes. Cependant, l’effet de la variable du pouvoir de négociation (calculé à partir des salaires relatifs des deux partenaires) est significatif en 2009, mais pas en 1998 (et non inclus en 1985). Les variables relatives à l’éducation du partenaire et au pouvoir de négociation capturent en partie le même effet.
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[13]
Les estimations qui excluent les activités directement liées aux enfants indiquent une persistance de cet effet négatif (impact d’environ 2 points de pourcentage, effet significatif au seuil de 5 %).
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[14]
Pour les résultats, voir les données supplémentaires en ligne à l’adresse suivante : https://www.cairn.info/docs/Kandil_Perivier_Supplementary_Table.xlsx
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[15]
Le Programme international d’enquêtes sociales (International Social Survey Programme ou ISPP) de 2002 est la première enquête sur la famille et l’évolution des rôles liés au genre incluant la France.
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[16]
Individus âgés de 25 à 55 ans, vivant en couple, avec au moins un partenaire actif, et dont aucun n’est retraité, étudiant, en formation ou handicapé.
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[17]
En 2002 (resp. 2012), 21 683 pacs (153 715) ont été contractés contre 286 169 mariages (245 930) (Insee, 2017).
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[18]
Le fait d’être une femme renforce la probabilité d’être en désaccord total, et les répondants plus instruits sont plus souvent en désaccord avec l’affirmation. Le fait d’avoir des enfants diminue la probabilité d’être en désaccord total, ce qui peut s’expliquer par un renforcement des rôles de genre lié à la parentalité.
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[19]
Différence entre l’âge actuel et l’âge à la fin des études.