1Parmi les nombreux déterminants de la fécondité étudiés dans les pays développés, le niveau d’instruction et le sentiment d’appartenance religieuse sont des facteurs importants et qui jouent de manière opposée. Tandis que le niveau de fécondité croît avec la religiosité, il décroît avec le niveau d’études des femmes. L’effet combiné de ces deux caractéristiques est incertain. L’appartenance religieuse atténue-t-elle l’effet du diplôme ? Et le diplôme celui de la religion ? Ces relations sont-elles variables selon les contextes culturels ? Cet article étudie l’entrée en parentalité et la descendance finale des cohortes de femmes nées entre les années 1920 et 1960 en Grande-Bretagne et en France selon leurs affiliation et pratique religieuses et leur niveau d’instruction.
2L’instruction est reconnue depuis longtemps comme l’un des facteurs clés expliquant le comportement reproductif des femmes : un niveau d’instruction élevé est associé à des niveaux de fécondité faibles par le biais de plusieurs mécanismes. Par exemple, de longues études conduisent à retarder l’âge au premier enfant (Ní Bhrolcháin et Beaujouan, 2012), ce qui peut se traduire par des taux d’infécondité plus importants ou une descendance finale moins nombreuse. L’instruction peut aussi influer sur les valeurs et les préférences traditionnelles en matière familiale (McDonald, 2000 ; Esping-Andersen, 2009). Selon la théorie économique de la famille formulée par Becker (1991), l’augmentation du revenu potentiel des femmes fait baisser la demande d’enfants en majorant les coûts d’opportunité qu’entraîne l’abandon du marché du travail pour élever un enfant. De plus, le modèle d’arbitrage entre la qualité et la quantité proposé par Becker et Lewis (1973) prévoit que les parents dont les revenus sont élevés investissent davantage dans la qualité de vie de leurs enfants, ce qui majore le coût de chaque enfant supplémentaire et conduit à une fécondité plus faible. Toutefois, selon certains auteurs, la relation entre instruction et fécondité pourrait varier en fonction du contexte culturel, par exemple de l’appartenance religieuse et du degré de pratique, deux aspects qui influent sur la perception des coûts et des avantages inhérents à la procréation et à l’éducation des enfants (Heaton, 1998 ; Lehrer, 2004 ; Goldscheider, 2006 ; Newman et Hugo, 2006).
3Des études récentes attestent que la religion demeure un paramètre pertinent pour expliquer le comportement reproductif dans les pays occidentaux. En Europe et aux États-Unis, les personnes se réclamant d’un culte ont plus d’enfants que celles se déclarant sans religion (Philipov et Berghammer, 2007 ; Frejka et Westoff, 2008). Qui plus est, dans chaque confession, les fidèles les plus pieuses (la piété étant mesurée par la fréquentation des services religieux et le sentiment religieux autodéclaré) sont plus fécondes que celles moins pratiquantes (Philipov et Berghammer, 2007 ; Frejka et Westoff, 2008 ; Zhang, 2008 ; Berghammer, 2012 ; Peri-Rotem, 2016). Ce modèle est caractéristique des principales traditions religieuses, qui attachent une plus grande importance à la vie de famille et à la procréation (Norris et Inglehart, 2004 ; Chatters et Taylor, 2005 ; Adsera, 2006). Néanmoins, le rapport entre religion et comportement reproductif ne se limite pas aux prescriptions religieuses concernant les méthodes de planification familiale ou aux normes relatives à la taille des familles. D’après Goldscheider (1971, 2006), le mécanisme par lequel la religion modèle le comportement reproductif se comprend mieux dans le contexte élargi de l’organisation sociale, c’est-à-dire des normes sociales et de la perception qu’ont les différentes communautés religieuses du rôle de chaque sexe. De surcroît, l’investissement des femmes dans les études et leur niveau de participation à la population active sont aussi liés à leur affiliation et leur pratique religieuses (Lehrer, 2004).
4Les interactions entre instruction et religion, et leurs répercussions sur la fécondité, sont particulièrement intéressantes dans la mesure où l’instruction est associée au rejet de l’autorité et des traditions religieuses (Lesthaeghe et Surkyn, 1988 ; Surkyn et Lesthaeghe, 2004). Nos connaissances sont pourtant très limitées concernant ces relations en Europe, où le paysage religieux a changé rapidement lors des dernières décennies. S’agissant de la descendance finale et de l’infécondité, cette étude complète les travaux précédents sur le sujet en analysant les écarts de fécondité selon le niveau d’instruction et la manière dont cette relation varie en fonction de l’affiliation religieuse et du sentiment religieux des femmes nées entre la fin des années 1920 et la fin des années 1960 en Grande-Bretagne et en France (par commodité, nous utilisons les termes « Britanniques » et « Françaises » pour les femmes qui y sont nées, même si elles n’ont pas la nationalité britannique ou française). Ces pays fournissent de précieuses études de cas, car ils partagent certaines caractéristiques sociodémographiques et sont proches géographiquement. En revanche, ils diffèrent l’un de l’autre sur le plan de la composition religieuse et du patrimoine culturel : en France, la religion dominante est le catholicisme romain, tandis que la Grande-Bretagne est majoritairement protestante (Église anglicane). Par conséquent, la majorité des chrétiens britanniques se disent protestants et une minorité seulement (environ 10 % de la population) catholiques romains (Lee, 2012). En Grande-Bretagne et en France, l’islam est la confession non chrétienne comptant le plus de fidèles. Bien que la part globale de la population non chrétienne augmente, elle équivaut à moins d’un dixième de la population dans chacun des deux pays (Pew Research Center, 2015) [1].
5Pendant la deuxième moitié du XXe siècle, la proportion de personnes affiliées à une religion et la fréquentation des services religieux ont sensiblement diminué en Grande-Bretagne comme en France (Lee, 2012 ; Baudin, 2015). Dans ces deux pays, le déclin de la religiosité est largement générationnel : un cinquième des personnes nées dans les années 1930 assistaient aux offices religieux une fois par mois, contre environ 10 % des personnes nées dans les années 1960 (Peri-Rotem, 2016). Néanmoins, de précédentes études soulignent que la religion influence encore beaucoup les attitudes et les comportements des pratiquants (Régnier-Loilier et Prioux, 2008 ; Peri-Rotem, 2016).
6En Grande-Bretagne, les catholiques romains vont à l’office plus souvent que les protestants : 45 % des premiers y vont au moins une fois par mois, contre 18 % des anglicans (Lee, 2012). En France, moins d’un cinquième des catholiques se rendent à l’église une fois par mois, une proportion bien moindre que celle observée dans les autres pays catholiques européens (Pew Research Center, 2013). En France, la faible assiduité aux offices s’explique sans doute par le conflit historique entre l’Église catholique et l’État séculier, qui remonte à la Révolution française et s’est finalement traduit par la séparation constitutionnelle de l’Église et de l’État en 1905 (Hubert, 2015). En Grande-Bretagne, en revanche, la pratique religieuse de la communauté catholique est en partie modelée par les flux d’immigration en provenance d’Irlande, d’Italie et de Pologne, des pays où la pratique religieuse demeure relativement importante (Greeley, 2003 ; Weller, 2007).
7Bien qu’une minorité seulement de Britanniques et de Français assistent régulièrement aux services religieux, plus de la moitié de ces populations se déclaraient chrétiennes en 2010 (Pew Research Center, 2015). Par conséquent, les deux pays se composent de personnes qui affirment n’appartenir à aucune religion, de fidèles se réclamant d’une confession en particulier mais n’assistant pas régulièrement aux services religieux (« non pratiquants »), et de croyants pratiquants.
8Dans les deux pays, la fécondité diminue dans les générations nées entre les années 1930 et 1960. En moyenne, la descendance finale des générations a chuté de 2,3 à 1,9 enfant en Grande-Bretagne et de 2,5 à 2,0 en France (Human Fertility Database, 2017). Mais la Grande-Bretagne et la France diffèrent concernant la distribution de la fécondité par âge. Rendall et al. (2005, 2009) constatent que la distribution par âge au premier enfant chez les femmes nées dans les années 1950 et 1960 est bien plus homogène en France qu’en Grande-Bretagne, où la stratification sociale sur cet âge est plus marquée. Ce phénomène s’explique par le fait que les Britanniques les plus instruites retardent davantage leur première maternité que celles ayant fait moins d’études. Ces différences sont attribuées aux spécificités de la politique familiale de chaque pays. En France, la politique familiale universaliste se double de prestations de garde d’enfants relativement généreuses, tandis que les allocations familiales en Grande-Bretagne sont attribuées sous conditions de ressources. Les Britanniques ayant de meilleures perspectives de revenus sont donc plus incitées à différer leur maternité à des âges plus avancés, puisque le coût d’opportunité est pour elles plus élevé (Rendall et al., 2009). En outre, chaque pays se conforme à des normes de procréation différentes. Merz et Liefbroer (2012), par exemple, ont utilisé des données comparatives tirées de l’Enquête sociale européenne de 2006 pour montrer qu’environ 30 % des répondants français ont indiqué désapprouver l’infécondité volontaire, contre moins de 10 % des répondants britanniques.
I. Religion, instruction et fécondité
9Le lien entre religion et instruction nourrit un vaste débat. Selon la théorie classique de la sécularisation, l’enseignement de masse et le progrès scientifique promeuvent une vision rationnelle du monde qui ébranlent la foi et les convictions spirituelles (Berger, 1967 ; Bruce, 2002). Néanmoins, les éléments empiriques vont dans différentes directions. Greeley (2003), par exemple, constate que les personnes sans appartenance religieuse en Europe sont plus susceptibles que les autres d’avoir un niveau d’instruction élevé. Mais cette corrélation négative ne concerne que les personnes nées entre les années 1920 et 1950 : la relation est inverse dans les générations plus jeunes. L’étude de Hubert (2015) sur les générations françaises et européennes nées entre les années 1930 et 1960 conclut que le développement de l’instruction a été plus marqué chez les personnes affiliées à une religion. Il a également constaté que celles dont la pratique religieuse est assidue tendent à être plus instruites que celles se rendant rarement aux offices. Par conséquent, l’appartenance à une religion n’est pas nécessairement incompatible avec la poursuite d’études supérieures. C’est plutôt le contexte religieux et culturel qui influence cette relation.
10Les interactions entre religion et instruction peuvent influer sur la fécondité. De précédentes études ont montré que l’effet de l’instruction sur la fécondité variait en fonction du degré de religiosité. Par exemple, Newman et Hugo (2006) ont constaté que la fécondité était plus susceptible de chuter avec le niveau d’études pour les femmes sans religion que pour les autres. Ces relations pourraient s’expliquer par l’extrême importance accordée à la famille et aux enfants par les principes religieux, qui mettent aussi l’accent sur les rôles respectifs traditionnellement dévolus aux différents membres de la famille (McQuillan, 2004 ; Norris et Inglehart, 2004 ; Chatters et Taylor, 2005). En conséquence, bien que l’accès à des niveaux d’études supérieures implique de se consacrer davantage à des ambitions personnelles potentiellement en concurrence avec les rôles familiaux, cet effet pourrait être moins marqué chez les femmes plus religieuses.
11Il est possible aussi que le coût d’opportunité des enfants soit considéré comme moins élevé par les femmes plus pratiquantes que les autres. Les coûts et les avantages d’une grande famille, par exemple, peuvent dépendre du contexte religieux, car certaines communautés « récompensent » psychologiquement et socialement (approbation, statut plus élevé) leurs fidèles qui respectent les normes familiales prescrites (Lehrer, 2004). D’après Newman et Hugo (2006), les Australiennes élevées dans la religion chrétienne sont souvent encouragées à avoir de nombreux enfants tout en poursuivant des études et en faisant carrière. Concilier famille et activité professionnelle leur paraît donc moins difficile qu’aux femmes sans religion. Selon d’autres études, les pratiquantes sont plus susceptibles que les femmes non religieuses d’adopter des stratégies visant à concilier leurs responsabilités familiales et professionnelles, par exemple en acceptant des emplois assortis d’horaires souples et allégés (Edgell, 2006 ; Glass et Nath, 2006). Par ailleurs, il ressort d’une étude sur les différences religieuses parmi les femmes actives britanniques et françaises nées entre 1955 et 1975 que les pratiquantes étaient plus susceptibles de réduire leur temps de travail aux âges auxquels il est le plus courant de procréer (25-35 ans). En revanche, les auteurs de l’étude n’ont constaté aucune différence de taux d’emploi global en fonction de la religiosité (Peri-Rotem, 2015).
12D’autres chercheurs soulignent que la foi et la pratique religieuse contribuent à l’élaboration de stratégies d’adaptation destinées à faire face aux situations nouvelles et éprouvantes ainsi qu’aux difficultés de la vie quotidienne comme celles associées aux responsabilités professionnelles et familiales (Pargament et al., 2000 ; Chatters et Taylor, 2005). Les membres de réseaux sociaux religieux, en particulier, se soutiennent mutuellement sur le plan affectif et pratique (Putnam, 2000 ; Krause et al., 2001 ; Waite et Lehrer, 2003). Pour les femmes très liées à leur communauté religieuse, ce soutien peut encore alléger les coûts directs et indirects qu’entraînent la création d’une famille ou la naissance d’un nouvel enfant.
13De ce point de vue, bien que des études plus longues soient généralement associées à des taux d’infécondité supérieurs, les femmes très croyantes sont manifestement plus enclines à fonder une famille, même après avoir obtenu des qualifications plus élevées. Par conséquent, notre première hypothèse est : la relation négative entre niveau d’instruction et entrée dans la maternité est plus prononcée pour les femmes sans appartenance religieuse que pour les croyantes, pratiquantes ou non.
14Comme l’appartenance à une communauté religieuse et la présence aux offices augmentent le capital social, les femmes qui pratiquent plus et souhaitent agrandir leur famille sont peut-être davantage soutenues, que ce soit sur le plan affectif ou matériel, voire les deux. Au sein des communautés religieuses, il est plus important d’avoir une grande famille, et les femmes y sont davantage incitées par leur réseau social ; ces deux facteurs peuvent aussi influencer leur perception des coûts de la procréation. Les femmes les plus religieuses seraient donc moins susceptibles d’opter pour une famille moins nombreuse même si elles ont fait des études supérieures, de sorte que notre seconde hypothèse est : la relation négative entre descendance finale et niveau de diplôme serait plus prononcée chez les femmes sans appartenance religieuse que chez les croyantes, qu’elles soient ou non pratiquantes.
15La figure 1 illustre les relations croisées probables entre instruction, religiosité et fécondité. La relation entre religiosité et instruction est supposée négative de manière générale. L’instruction conduit à une moindre fécondité, tandis que la religiosité a l’effet inverse. Toutefois, nous postulons que l’effet de l’instruction sur la fécondité dépend du degré de religiosité : la relation négative entre l’instruction et la fécondité devrait être moins marquée chez les femmes plus religieuses.
Relations croisées probables entre le niveau d’instruction, la religiosité et la fécondité

Relations croisées probables entre le niveau d’instruction, la religiosité et la fécondité
II. Données et méthodes
1. Les source des données
16Les données de notre étude sont basées sur le British Household Panel Survey (BHPS) (Université de l’Essex, 2010) et l’enquête française GGS (Ined-Insee, 2005). Ce volet français est une enquête en panel, dont les première et deuxième vagues se sont déroulées respectivement en 2005 et 2008. Néanmoins, en raison d’un taux d’attrition non aléatoire de 35 % entre la première et la deuxième vagues dans l’échantillon de départ (Régnier-Loilier et al., 2011), seules les données issues de la première vague sont utilisées ici. Cet échantillon couvre environ 10 000 personnes âgées de 18 à 80 ans. Il contient des informations détaillées non seulement sur les partenariats, l’histoire génésique et les variables socioéconomiques, mais aussi sur l’affiliation religieuse et l’assiduité des fidèles.
17Le BHPS est une enquête annuelle réalisée auprès de tous les membres (d’au moins 16 ans) de plus de 5 000 ménages qui composent un échantillon représentatif à l’échelle nationale (avec au total plus de 10 000 entretiens individuels) ; il couvre les années 1991 à 2008, en 18 vagues [2]. Les données du BHPS ont été complétées par des fichiers fusionnant les données relatives aux unions et à l’histoire génésique de chaque répondant (Pronzato, 2011). Les indicateurs de religiosité du BHPS sont identiques à ceux de l’enquête GGS, si ce n’est que la question sur l’affiliation religieuse n’était pas posée chaque année. Les analyses des données britanniques se basent donc sur l’enquête la plus récente, celle de 2008, qui contient des informations détaillées sur la religion. Comme l’objet de notre étude est l’examen des différences d’infécondité et de descendance finale liées à la religion, le sous-échantillon pour chaque pays comprend des femmes âgées de 40 à 80 ans (nées entre 1928 et 1968 pour la Grande-Bretagne et entre 1925 et 1965 pour la France) dont la période de procréation est achevée ou près de l’être.
18Pour que les données restent représentatives, toutes nos estimations sont calculées avec pondération pour l’un et l’autre pays. La variable de pondération utilisée pour le volet français de l’enquête GGS corrige la non-réponse individuelle. Pour les données du BHPS, on utilise une pondération transversale de la vague 18 qui inclut de nouveaux entrants, ce qui permet de corriger des probabilités inégales de sélection et de la non-réponse individuelle au sein des ménages.
2. Les mesures
La religion
19Nous utilisons des mesures de l’affiliation religieuse spécifiques à chacun des pays. Les répondantes ont été invitées à choisir la religion à laquelle elles appartenaient dans la liste des religions dominantes du pays (confession chrétienne précise ou catégorie « sans religion »). Parmi les fidèles d’une religion (catholiques romaines en France, protestantes ou catholiques romaines en Grande-Bretagne), on distingue les femmes assistant aux services religieux au moins une fois par mois (les pratiquantes) et celles qui s’y rendent moins souvent ou pas du tout (les non-pratiquantes). La participation mensuelle aux offices est un critère couramment utilisé (Voas, 2009 ; Burkimsher, 2014). Les personnes pratiquantes incarnent une adhésion plus forte à la tradition et aux valeurs religieuses (Norris et Inglehart, 2004). Certains groupes religieux (décrits dans le tableau annexe A.1) sont exclus de cette étude en raison de la taille insuffisante de l’échantillon. Cela représente environ 10 % des femmes âgées de 40 à 80 ans pour la Grande-Bretagne et environ 6 % dans le cas français.
Les niveaux d’études
20Pour les comparaisons internationales, les mesures se fondent sur l’édition 2017 de la Classification internationale type de l’éducation de l’Unesco (CITE 97). Les sept catégories d’enseignement (de 0 à 6) sont regroupées en trois niveaux : le « premier cycle de l’enseignement secondaire » (niveaux 0 à 2 de la CITE) désigne l’achèvement partiel de l’enseignement secondaire ; le « deuxième cycle de l’enseignement secondaire » (CITE 3 et 4), l’achèvement de l’enseignement secondaire ou de tout autre enseignement post-secondaire non supérieur ; et l’ « enseignement supérieur », indique l’obtention d’une licence ou d’un diplôme de niveau supérieur (CITE 5 et 6).
La situation matrimoniale
21La nuptialité est étroitement associée à l’appartenance et la pratique religieuses (Lehrer, 2004), ainsi qu’à la fécondité (Balbo et al., 2013). Par conséquent, les analyses de l’âge à la première naissance et de la descendance finale incluent une variable indiquant un mariage antérieur éventuel [3].
Le pays de naissance
22Comme il existe une relation étroite entre immigration et religion, ainsi que d’autres caractéristiques sociodémographiques (Kaufmann et al., 2012), les modèles incluent une variable binaire indiquant si la répondante est née dans le pays ou à l’étranger.
3. La stratégie d’analyse
23Pendant la première phase, les caractéristiques de l’échantillon composé des femmes de 40 à 80 ans de chaque pays sont analysées afin d’identifier les spécificités nationales de la distribution des variables clés utilisées dans l’étude : groupe religieux, niveau d’études, situation matrimoniale, pays de naissance, nombre moyen d’enfants et proportion de femmes devenues mères dans chaque catégorie. On obtient ainsi la distribution des niveaux d’instruction par groupe religieux, ce qui permet d’étudier la relation entre religion et instruction en Grande-Bretagne et en France.
24Les probabilités des femmes aujourd’hui âgées de 40 à 80 ans d’être devenues mères sont estimées à l’aide d’un modèle de régression logistique dans lequel la variable dépendante prend la valeur de 1 si la femme a déjà des enfants, et la valeur de 0 sinon. Ce modèle contrôle la religion, le niveau d’instruction, la génération, un mariage antérieur éventuel et une possible naissance à l’étranger. En outre, il vise à vérifier les interactions entre instruction et religion. Pour permettre des comparaisons, le modèle avec interaction calcule les probabilités moyennes prédites de devenir mère pour chaque groupe religieux et niveaux de diplôme. Le nombre moyen d’enfants par femme est estimé dans cet échantillon (femmes infécondes comprises) à l’aide d’un modèle de régression de Poisson, spécifiquement conçu pour les variables de comptage (Long et Freese, 2006). Les variables introduites dans ce modèle sont identiques à celles du modèle logistique et incluent les interactions entre instruction et religion. Le modèle permet donc de prédire le nombre moyen de naissances par sous-catégorie, et comparer le gradient instruction-descendance finale au sein des différents groupes religieux.
4. Les limites inhérentes aux données
25Cette étude se heurte à plusieurs limites liées aux informations manquantes et à la structure des enquêtes. Par exemple, l’appartenance religieuse et l’assiduité aux offices sont mesurées au moment de l’entretien, après la naissance des enfants, ce qui induit un risque de causalité inversée entre fécondité et religiosité. De précédentes études réalisées aux États-Unis ont conclu qu’avoir des enfants pouvait conduire à une accentuation de la pratique religieuse, au moins dans les années suivant une naissance (Stolzenberg et al., 1995 ; Argue et al., 1999 ; Ingersoll-Dayton et al., 2002). En revanche, les études longitudinales conduites en Europe n’ont trouvé (quasiment) aucun élément le confirmant (Tilley, 2003 (Grande-Bretagne) ; Berghammer, 2012 (Pays-Bas)). D’après Berghammer (2012), l’engagement religieux qui peut accompagner la création d’une famille prend des formes différentes aux États-Unis et en Europe, car la religion joue un rôle pivot dans la vie sociale américaine, où les églises offrent un soutien considérable aux fidèles par le biais de services d’aide sociale, surtout lorsqu’on fait la comparaison avec les pays européens, plus laïcs. Au-delà du risque de causalité inversée, notons qu’il est également difficile de déterminer la relation entre le niveau d’études et chaque variable. Par conséquent, plutôt que de chercher à en établir la causalité, cette étude propose d’abord de comprendre les interactions entre religion, instruction et fécondité.
26Une autre limite de l’étude réside dans la formulation de la question sur la religion dans les enquêtes britannique et française. Le BHPS demandait à ses enquêtés : « Considérez-vous appartenir à une religion en particulier. Si oui, laquelle ? », tandis que la question posée dans le cadre de l’enquête française GGS était plus affirmative : « À quelle religion appartenez-vous (ou quelle est votre religion d’origine) ? ». L’appartenance religieuse est considérée comme un sujet sensible en France, ce qui explique le pourcentage assez important de non-réponses (7,6 % des répondants ont refusé de répondre à cette question) (Régnier-Loilier et Prioux, 2008). Cela aurait pu fausser les résultats, mais la proportion de Français s’identifiant comme catholiques romains dans les données de l’enquête GGS se révèle identique à ce que l’on trouve dans d’autres études utilisant des sources de données différentes [4]. Néanmoins, il est possible que la catégorie « sans religion » en France représente essentiellement les non-baptisés, et certains répondants sont peut-être classés parmi les catholiques alors qu’ils se considèrent comme n’étant absolument pas religieux. Il conviendrait donc d’interpréter avec prudence la comparaison des personnes sans affiliation religieuse en Grande-Bretagne (33 %) et en France (6 %). Toutefois, pour améliorer la comparabilité des indicateurs religieux dans ces pays, on utilise une mesure englobant l’appartenance religieuse et la pratique. Dans les deux pays, le groupe « sans religion » représente donc les personnes les moins religieuses, puis viennent les non-pratiquants et enfin les pratiquants.
III. Résultats
27Le tableau 1 présente les caractéristiques de l’échantillon de femmes âgées de 40 à 80 ans à la date des enquêtes britannique et française : niveau d’instruction, confession et pratique religieuses, proportion de femmes non mariées et proportion de femmes nées à l’étranger. Chaque catégorie inclut le nombre d’enfants nés et la proportion de femmes devenues mères.
28Les Britanniques sont généralement plus instruites que les Françaises, bien que les écarts aient diminué dans les générations les plus jeunes (résultat non présenté). Dans les deux pays, l’instruction est corrélée négativement avec le nombre total d’enfants. Dans le même ordre d’idées, la probabilité de devenir mère diminue avec le niveau d’études dans chacun des pays, mais l’écart en fonction de ce niveau est légèrement plus important en Grande-Bretagne.
29La proportion de femmes sans appartenance religieuse est plus élevée en Grande-Bretagne qu’en France (peut-être aussi en raison du libellé différent de la question posée aux enquêtées), tandis que la proportion globale de pratiquantes est identique. Comme on pouvait s’y attendre, ce sont les femmes ne déclarant aucune appartenance religieuse qui ont la descendance finale la plus réduite (1,8 enfant en moyenne en Grande-Bretagne et 1,9 en France), tandis que les catholiques pratiquantes ont la descendance finale la plus nombreuse (2,5 enfants en moyenne pour les Britanniques et 2,4 pour les Françaises). Les croyantes non pratiquantes ont également une fécondité supérieure à celle des femmes sans religion. Conformément aux résultats concernant la descendance finale, les femmes sans affiliation religieuse sont les plus susceptibles de ne jamais avoir d’enfants. En Grande-Bretagne et en France, elles sont un peu plus de 80 % à être devenues mères, alors que les femmes qui se réclament d’une religion sont près de 90 % dans ce cas.
Tableau 1. Caractéristiques de l’échantillon de femmes âgées de 40 à 80 ans

Tableau 1. Caractéristiques de l’échantillon de femmes âgées de 40 à 80 ans
30La proportion de femmes jamais mariées est plus élevée en France (16 %) qu’en Grande-Bretagne (9 %), et la proportion de mères non mariées est considérablement plus forte parmi les Françaises (60 %) que les Britanniques (40 %), ce que l’on peut attribuer à la prévalence accrue de la cohabitation et de la parentalité hors mariage en France, alors que les modèles de constitution de la famille sont plus conservateurs en Grande-Bretagne (Perelli-Harris et al., 2009).
31Enfin, l’échantillon français se caractérise par une plus forte proportion de personnes nées à l’étranger (9 % contre 4 % en Grande-Bretagne). Les niveaux de fécondité de ces femmes sont également supérieurs à la descendance moyenne française (2,4 enfants contre 2,1) ; alors qu’en Grande-Bretagne, ils ne sont pas différents de la moyenne (2,0). Ces écarts peuvent s’expliquer par des tendances différentes des flux et de la composition des populations immigrées (Kaufmann et al., 2012).
32La figure 2 illustre la distribution des niveaux d’instruction par groupe religieux, en Grande-Bretagne et en France. Aucune tendance commune ne se dessine concernant le lien entre religion et instruction. En Grande-Bretagne, la proportion la plus élevée de femmes très instruites (niveau élevé) se trouve parmi les pratiquantes (46 % chez les protestantes et 39 % chez les catholiques). En France, au contraire, les plus instruites sont principalement des femmes qui ne se réclament d’aucune religion (26 %, contre 19 % chez les catholiques non pratiquantes et 20 % chez les pratiquantes).
Niveau d’instruction par groupe religieux (%)

Niveau d’instruction par groupe religieux (%)
1. Probabilités d’avoir des enfants selon le niveau d’instruction et le groupe religieux
33Le tableau 2 présente les résultats du modèle de régression logistique concernant les probabilités de devenir mère. Le modèle 1 estime cette probabilité comme une fonction de facteurs combinés (appartenance et pratique religieuses, instruction, génération et naissance). Dans le modèle 2, une interaction entre religion et instruction est introduite. Comme les relations croisées entre instruction, religion et fécondité peuvent être en partie influencées par la situation matrimoniale, une variable de contrôle pour les femmes jamais mariées est ajoutée dans les modèles 3 et 4. Les résultats montrent que, dans les deux pays, les femmes diplômées de l’enseignement secondaire ou supérieur sont moins susceptibles de devenir mères que leurs homologues moins instruites. On note toutefois que la relation est plus robuste en Grande-Bretagne qu’en France. Sur le plan de la religion, dans les deux pays, les femmes sans appartenance religieuse sont moins susceptibles d’avoir des enfants que les femmes croyantes, pratiquantes ou non (bien que le coefficient ne soit pas significativement différent pour les catholiques britanniques non pratiquantes).
34Les Britanniques et les Françaises jamais mariées sont significativement moins susceptibles de devenir mères que leurs homologues mariées (tableau 2, modèles 3 et 4). Si l’on ajoute la covariable des femmes jamais mariées, l’ampleur des coefficients des groupes religieux en Grande-Bretagne et en France diminue, ce qui peut indiquer que la relation entre religion et transition vers la parentalité s’explique au moins en partie par des modèles de nuptialité différents chez les femmes affiliées et celles sans religion.
Tableau 2. Régression logistique de la maternité chez les femmes âgées de 40–80 ans à la date des enquêtes (odds-ratios)


Tableau 2. Régression logistique de la maternité chez les femmes âgées de 40–80 ans à la date des enquêtes (odds-ratios)
35L’effet d’interaction entre religion et instruction sur les probabilités d’avoir des enfants n’est observé qu’en Grande-Bretagne. Par rapport aux femmes sans affiliation religieuse ayant un niveau d’instruction faible (du premier cycle à l’enseignement secondaire), on observe une interaction positive significative pour les protestantes non pratiquantes de niveau d’instruction élevé et pour les catholiques pratiquantes ayant fait les mêmes études (tableau 2A, modèle 4). Aucune interaction significative n’est constatée en Grande-Bretagne en ce qui concerne les protestantes pratiquantes et les catholiques non pratiquantes. En revanche, si l’on regroupe protestantes et catholiques, l’interaction entre religion et instruction est significative pour toutes les fidèles, pratiquantes ou non (tableau annexe A.2).
36Permettant de mieux comprendre la manière dont la religion et l’instruction interagissent avec l’entrée dans la maternité, la figure 3 illustre les probabilités de maternité ventilées par groupe religieux et niveau d’instruction en Grande-Bretagne et en France. Parmi les Britanniques sans appartenance religieuse, les diplômées du deuxième cycle de l’enseignement secondaire (niveau intermédiaire) et les diplômées de l’enseignement supérieur (niveau élevé) sont significativement moins susceptibles d’avoir des enfants que celles ayant fait moins d’études. En revanche, les probabilités d’être mère par niveau d’instruction sont moins différentes parmi les croyantes, pratiquantes ou non. En France, aucune différence significative n’est observée en fonction du niveau d’instruction parmi les femmes sans appartenance religieuse. Par conséquent, notre première hypothèse n’est pas validée en France, mais elle l’est en Grande-Bretagne : il existe une corrélation négative plus marquée entre instruction et infécondité chez les femmes sans religion que dans les autres groupes.
Probabilités moyennes de maternité, par groupe religieux et niveau d’instruction (femmes âgées de 40 à 80 ans à la date des enquêtes)

Probabilités moyennes de maternité, par groupe religieux et niveau d’instruction (femmes âgées de 40 à 80 ans à la date des enquêtes)
2. Descendance finale dans les différents groupes religieux selon le niveau d’instruction
37Dans cette section, nous utilisons un modèle de régression de Poisson pour prédire le nombre d’enfants des femmes âgées de 40 à 80 ans à la date de réalisation des enquêtes dans chaque pays. Les résultats du modèle sont présentés dans le tableau 3. Pour la Grande-Bretagne, il apparaît que les croyantes, qu’elles soient ou non pratiquantes, ont un nombre d’enfants significativement plus élevé que les femmes sans appartenance religieuse (tableau 3A, modèles 1 et 3). En France, en revanche, seules les catholiques pratiquantes affichent une descendance finale significativement supérieure à celle des femmes sans religion (tableau 3B, modèles 1 et 3). Conformément aux résultats descriptifs, l’instruction est associée négativement au nombre d’enfants dans les deux pays, tandis que les femmes jamais mariées ont une descendance finale significativement moins nombreuse que les mariées, même si la relation est un peu plus forte en Grande-Bretagne qu’en France.
38Quand on inclut le terme d’interaction entre l’instruction et la religion, une interaction significativement positive est constatée en Grande-Bretagne chez les protestantes non pratiquantes diplômées du deuxième cycle d’enseignement secondaire et de l’enseignement supérieur, ainsi que chez les protestantes pratiquantes diplômées de l’enseignement supérieur, par comparaison avec la catégorie de référence des femmes moins instruites sans appartenance religieuse (tableau 3A, modèles 2 et 4). Avec un modèle regroupant toutes les fidèles britanniques, pratiquantes ou non, on constate une interaction significative pour les non-pratiquantes diplômées du deuxième cycle de l’enseignement secondaire (niveau intermédiaire) et de l’enseignement supérieur (niveau élevé) et les pratiquantes diplômées de l’enseignement supérieur (voir le tableau annexe A.3).
39En France, une interaction positive significative est constatée chez les catholiques, pratiquantes ou non, diplômées du deuxième cycle de l’enseignement secondaire et de l’enseignement supérieur (tableau 3B, modèles 2 et 4). Par conséquent, notre deuxième hypothèse est confirmée puisque les résultats pour les Britanniques et les Françaises indiquent une variation significative de la relation entre instruction et descendance finale selon les groupes religieux. En outre, l’interaction entre religion et instruction en Grande-Bretagne et en France demeure significative si l’on exclut de l’analyse les femmes nées à l’étranger (résultat non présenté).
Tableau 3. Régression de Poisson concernant le nombre d’enfants des femmes de 40 à 80 ans à la date des enquêtes (ratios du taux d’incidence)


Tableau 3. Régression de Poisson concernant le nombre d’enfants des femmes de 40 à 80 ans à la date des enquêtes (ratios du taux d’incidence)
40La figure 4 illustre le nombre moyen d’enfants prédit par le modèle, par groupe religieux et niveau d’instruction. En Grande-Bretagne (figure 4A), le groupe des femmes sans appartenance religieuse témoigne d’une baisse linéaire de la descendance finale selon le niveau d’instruction : de 2,3 enfants chez les femmes les moins instruites à 1,8 enfant chez les diplômées du deuxième cycle de l’enseignement secondaire et 1,6 chez les diplômées de l’enseignement supérieur. On observe également un gradient de fécondité négatif pour les protestantes non pratiquantes, même si la baisse est moins prononcée : de 2,2 enfants en moyenne chez les diplômées du deuxième cycle de l’enseignement secondaire à 1,9 enfant chez les diplômées du deuxième cycle de l’enseignement secondaire et 1,8 pour celles diplômées de l’enseignement supérieur. On note en revanche une courbe en U de la fécondité pour les protestantes pratiquantes et les catholiques, pratiquantes ou non : les moins instruites ont la descendance finale la plus nombreuse, puis le chiffre diminue pour les diplômées du deuxième cycle de l’enseignement secondaire et augmente chez les diplômées de l’enseignement supérieur. Qui plus est, les fidèles pratiquantes et non pratiquantes diplômées de l’enseignement supérieur ont une descendance finale significativement plus nombreuse que les femmes sans affiliation religieuse, à niveau d’études égal.
41En France, divers éléments attestent aussi d’une relation en U entre fécondité et instruction chez les catholiques pratiquantes (figure 4B) : les femmes les plus instruites de ce groupe ont les plus grandes familles (2,6 enfants en moyenne) ainsi que les moins instruites (2,3 enfants), tandis que les diplômées du deuxième cycle de l’enseignement secondaire (niveau intermédiaire) n’ont que 2,1 enfants en moyenne. Par ailleurs, la fécondité des catholiques non pratiquantes et des femmes sans religion diminue avec leur niveau d’instruction, même si le gradient instruction-descendance finale est nettement plus marqué pour les femmes sans appartenance religieuse : de 2,5 enfants pour les moins instruites, à 1,7 pour les diplômées du deuxième cycle de l’enseignement secondaire et 1,5 pour les diplômées de l’enseignement supérieur. Les moyennes correspondantes prédites pour les catholiques non pratiquantes sont 2,3 chez les moins instruites puis elles baissent à 2,0 enfant chez les femmes ayant un niveau d’études intermédiaire et 1,9 enfant pour celles diplômées du supérieur. Comme en Grande-Bretagne, les écarts de descendance finale en fonction du critère religieux sont donc particulièrement prononcés chez les plus diplômées.
Moyenne prédite du nombre d’enfants, par groupe religieux et niveau d’instruction (femmes âgées de 40 à 80 ans à la date des enquêtes)

Moyenne prédite du nombre d’enfants, par groupe religieux et niveau d’instruction (femmes âgées de 40 à 80 ans à la date des enquêtes)
42Dans l’ensemble, ces constats confirment notre seconde hypothèse, selon laquelle la relation négative entre instruction et descendance finale est plus marquée pour les femmes se déclarant sans religion que pour les femmes plus religieuses. La baisse prononcée de la fécondité en fonction du niveau d’instruction des femmes sans religion pourrait refléter la manière différente dont les femmes de chaque groupe religieux perçoivent les coûts et les avantages inhérents à la maternité.
Conclusion
43Cette étude analyse les interactions entre religion, instruction et fécondité en Grande-Bretagne et en France, en se concentrant sur les femmes à la fin de leur période de procréation. Nous avons tout d’abord étudié la distribution du niveau d’instruction selon la religiosité en mobilisant une mesure combinée de l’appartenance et de la pratique religieuses. Ensuite, des analyses de régression de différents types ont été utilisées pour estimer la probabilité d’avoir des enfants et le nombre d’enfants en fonction du niveau d’instruction et de cette mesure combinée de religiosité. Les conclusions descriptives indiquent peu de similarité dans le lien entre religiosité et niveau d’instruction en Grande-Bretagne et en France pour les femmes nées dans les années 1920 à 1960. En revanche, au niveau individuel, une implication religieuse plus importante peut aller de pair avec la détention d’un diplôme plus élevé. La proportion de femmes très instruites parmi les pratiquantes est soit identique (en France) soit supérieure (en Grande-Bretagne) à la moyenne. En analysant les interactions entre instruction et religiosité en relation avec les modèles de procréation, nous observons que le niveau de diplôme se traduit par des fécondités différentes selon le degré de religiosité des femmes.
44La première hypothèse, qui prédisait une association plus étroite entre instruction et infécondité chez les femmes sans appartenance religieuse que chez les croyantes, pratiquantes ou non, est validée dans le cas de la Grande-Bretagne, mais pas de la France. Peut-être est-ce dû au fait qu’en France les disparités des taux d’infécondité selon le niveau de diplôme sont moins notables. Par exemple, compte tenu de la relative générosité des allocations de garde d’enfants en France (Rendall et al., 2009) et de la réprobation plus forte suscitée par l’infécondité volontaire (Merz et Liefbroer, 2012), on pourrait raisonnablement conclure que ces deux facteurs contribuent au fait que le pourcentage de femmes devenant mères varie moins en fonction du niveau de diplôme. En outre, les femmes identifiées comme sans appartenance religieuse en France diffèrent peut-être des Britanniques, du fait de la formulation différente des questions posées aux enquêtées.
45Néanmoins, en examinant les corrélations entre instruction, religiosité et descendance finale, on constate des interactions significatives entre la religion et le niveau d’instruction dans les deux pays. Par conséquent, conformément à la seconde hypothèse, les femmes affiliées à une religion, pratiquantes et non pratiquantes, sont moins susceptibles que les femmes sans religion de limiter leur descendance lorsqu’elles obtiennent des diplômes élevés. Les écarts les plus notables concernant le gradient instruction-descendance finale sont observés chez les pratiquantes, parmi lesquelles les plus instruites et les moins instruites ont les familles les plus nombreuses. Cette configuration en U peut s’expliquer par le fait que tous les groupes religieux n’ont pas la même perception des coûts et de la valeur des enfants. Comme nous l’avons décrit précédemment, l’engagement religieux peut modifier les coûts et les avantages inhérents à une famille nombreuse, en fonction des gratifications sociales ou du soutien psychologique et matériel dont bénéficient les fidèles (Lehrer, 2004). Les femmes qui se rendent régulièrement aux offices, en particulier, sont plus susceptibles de se voir proposer différents types d’aide (Krause et al., 2001 ; Waite et Lehrer, 2003 ; Chatters et Taylor, 2005). D’une part, la vie familiale et les enfants sont fortement valorisés au sein des communautés religieuses ; d’autre part, les fidèles assidues reçoivent davantage de soutien lorsqu’elles souhaitent agrandir leur famille. Les coûts directs et indirects des enfants leur semblent donc moins élevés que ne les perçoivent les autres groupes. Ce souhait d’avoir de nombreux enfants, combiné à un environnement social et financier plus favorable, pourrait expliquer la relation en U observée entre le niveau d’instruction et la descendance finale chez les femmes pratiquantes. Par conséquent, non seulement la poursuite d’études supérieures et la religiosité ne sont pas antinomiques, mais le capital humain plus important dont disposent les femmes dans les groupes religieux pourrait également favoriser une fécondité élevée.
46En dépit des spécificités respectives des sociétés britannique et française, une religiosité forte est associée à une fécondité élevée dans les deux pays, et elle paraît atténuer la relation négative entre niveau d’instruction et taille de la famille. Ces résultats éclairent sur l’importance de la religion comme facteur de compréhension des variations de la relation entre instruction et fécondité. Comme le montre notre étude, cette relation n’est pas la même selon les groupes religieux : dans certains cas, un niveau d’instruction plus élevé peut conduire à une fécondité plus importante, comme pour les catholiques pratiquantes en France. Dans ce dernier groupe, ce sont les femmes présentant un haut niveau d’études qui ont le plus d’enfants, peut-être parce que les enfants sont très valorisés et que des ressources plus importantes sont proposées aux mères afin d’en réduire les coûts. Les futures analyses des effets de la religion sur les tendances démographiques et socioéconomiques devraient tenir compte de cette complexité.
Tableau A.1. Taille de l’échantillon et nombre moyen d’enfants par femme pour les groupes religieux exclus de l’étude

Tableau A.1. Taille de l’échantillon et nombre moyen d’enfants par femme pour les groupes religieux exclus de l’étude
Tableau A.2. Régression logistique concernant la maternité chez les femmes âgées de 40 à 80 ans dans l’enquêtes BHPS (odds-ratios)

Tableau A.2. Régression logistique concernant la maternité chez les femmes âgées de 40 à 80 ans dans l’enquêtes BHPS (odds-ratios)
Tableau A.3. Régression de Poisson concernant le nombre d'enfants des femmes de 40 à 80 ans à la date de réalisation de l'enquête BHPS (ratios du taux d'incidence)

Tableau A.3. Régression de Poisson concernant le nombre d'enfants des femmes de 40 à 80 ans à la date de réalisation de l'enquête BHPS (ratios du taux d'incidence)
Notes
-
[1]
Estimations de populations à partir de 2010. Ces groupes ne sont pas pris en compte dans notre étude en raison de la petitesse des échantillons qu’ils représentent au sein des générations analysées (voir le tableau annexe A.1 pour une description détaillée des groupes religieux exclus de l’étude).
-
[2]
Les données provenant d’Irlande du Nord sont exclues de l’étude, car les caractéristiques religieuses de la population nord-irlandaise sont sensiblement différentes de celles des autres nations du Royaume-Uni.
-
[3]
La catégorie des femmes non mariées inclut celles ayant vécu en union non mariée et celles n’ayant jamais vécu en couple. Comme certains groupes religieux ne comptent qu’un très petit nombre de fidèles dans l’une ou l’autre de ces deux catégories, elles ont été fusionnées.
-
[4]
Dans le volet français de l’enquête GGS, 80 % des répondants adultes qui se sont exprimés sur leur appartenance religieuse se sont déclarés catholiques, contre 82 % dans une étude de Baudin (2015), qui s’était servie de données issues de l’enquête Mode de vie des Français (2007), et 76 % dans une étude du Pew Research Center (2013).