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1Dans le domaine du développement urbain, les politiques publiques orientent durablement la disponibilité de logements, leur localisation, leur coût et leur accessibilité. Elles vont dès lors avoir un effet sur les parcours résidentiels des individus issus de différents milieux sociaux. À partir de données de plusieurs enquêtes, quantitatives et qualitatives, les auteur·e·s montrent que l’évolution de l’offre de transports en région parisienne au cours du xxe siècle a joué un rôle considérable dans la recomposition de la distribution spatiale des populations. Les générations nées entre 1911 et 1950 et les différents groupes socioprofessionnels ont subi ou profité inégalement du développement des transports, de la périurbanisation et du renchérissement de l’habitat à Paris.

2Longtemps considéré par la démographie et la sociologie comme un simple support des pratiques, l’espace et ses transformations sont pourtant au cœur des questions de mobilité spatiale et d’enjeux de reproduction sociale. L’espace est à la fois un reflet des structures sociales, un élément structurant des rapports sociaux et une construction sociale (Halbwachs, 1938 ; Lefebvre, 1974). Parmi la multiplicité des acteurs politiques et économiques (décideurs, aménageurs, promoteurs privés, etc.) qui agissent sur l’espace, les individus et les ménages ont un rôle charnière à travers leurs mobilités, en s’adaptant aux évolutions de leur environnement, en saisissant les opportunités offertes par les politiques du logement et en ajustant leurs stratégies aux contraintes du marché immobilier.

3Les travaux sur les processus de ségrégation résidentielle (Bacqué et Lévy, 2009), sur les « effets de lieu » (Frémont et al., 1984 ; Bourdieu, 1993) ou encore sur les « choix résidentiels » (Bonvalet et Dureau, 2000 ; Authier et al., 2010) montrent l’importance des caractéristiques de l’espace dans les phénomènes de mobilités résidentielles et de mobilités sociales. Les types d’environnement des logements habités depuis l’enfance constituent un cadre de socialisation qui va intervenir dans la construction des modes de vie, la structuration des aspirations résidentielles, et pourra infléchir les trajectoires sociales. Par ailleurs, les caractéristiques physiques et sociales des espaces jouent sur les mobilités spatiales, en attirant et en repoussant différentes catégories de population. Les trajectoires géographiques des individus ne peuvent alors se comprendre sans référence aux trajectoires sociales qui leur sont liées. Dans une agglomération, la localisation résidentielle peut être considérée comme un élément de la position sociale, à travers, notamment, les caractéristiques physiques de l’environnement de résidence, sa proximité des ressources urbaines (emplois, commerces, transport, équipements publics, etc.), ou encore le prestige de l’adresse, l’image du quartier et ses caractéristiques sociales. Le lieu de résidence confère ainsi aux ménages une certaine position socio-résidentielle (Bonvalet et Fribourg, 1990 ; Lévy, 2003) au sein de l’agglomération, et peut être considéré comme un enjeu de positionnement dans la hiérarchie sociale entre ménages (Bourdieu, 1993 ; Cailly, 2007).

4Depuis Maurice Halbwachs, les divisions sociales de l’espace en Île-de-France ont fait l’objet de recherches majeures en sociologie et en géographie (George, 1950 ; Chombart de Lauwe, 1952 ; Bastié, 1964). La division entre l’est et l’ouest de Paris, mise en évidence dans une métropole encore peu étendue, se complexifie au fur et à mesure de l’étalement urbain qui s’est accéléré dans la seconde moitié du xxe siècle (Berger, 2004). Depuis les années 1970, une partie des classes populaires s’est progressivement trouvée reléguée dans des communes périphériques peu équipées, alors qu’une autre a pu se maintenir ou accéder à des quartiers ou communes plus centraux qui, bien qu’en cours d’embourgeoisement, ont conservé un parc HLM [1] et des logements loi 1948 [2]. Par ailleurs, suite à la désindustrialisation, les quartiers du centre et de l’est de Paris, suivis par ceux de communes de la proche banlieue sud et est, se sont embourgeoisés (Préteceille, 2006 ; Pinçon et Pinçon-Charlot, 2008). Ces phénomènes ont donné lieu à de nombreuses recherches depuis le début des années 1980, menées principalement à partir de l’analyse de données censitaires agrégées et transversales. Des travaux (Tabard et Bessy, 1990 ; Rhein, 1994 ; Préteceille, 2006 ; Clerval, 2013) mettent en évidence plusieurs phénomènes : la gentrification de Paris et ses communes limitrophes, le maintien de quartiers mixtes avec le rapprochement spatial des classes populaires et des classes moyennes, une polarisation sociale des communes franciliennes.

5Dans cet article, nous avons choisi d’analyser ces processus urbains en suivant des générations et en étudiant comment, progressivement au cours du temps, elles ont contribué aux redistributions des différents groupes sociaux au sein de l’agglomération parisienne de 1930 à 2000. Cette approche historique par génération s’appuie sur l’analyse des trajectoires géographiques et sociales appréhendées comme une succession de positions socio-résidentielles. Nous nous intéressons plus spécifiquement aux niveaux d’accessibilité des lieux de résidence, et à leurs évolutions liées à l’extension des réseaux de transport (Merlin, 1997). L’hypothèse est que l’évolution de l’accessibilité des espaces urbains constitue l’un des facteurs essentiels qui ont orienté les choix résidentiels des différents groupes sociaux de générations successives, et ont structuré les divisions sociales de l’espace. Dans quelle mesure les différentes générations et catégories sociales se sont-elles adaptées ou ont-elles profité du développement des infrastructures de transport ? Quelles sont les pionnières de la périurbanisation et quelles sont celles qui se sont maintenues ou installées dans les espaces les plus accessibles ?

6Cet article s’appuie sur un corpus d’enquêtes biographiques de l’Ined (encadré). La première partie présente l’approche proposée pour analyser les inégalités d’accès à la ville à partir des parcours géographiques des individus et l’évolution de l’offre de transport au sein de l’Île-de-France, ainsi que son incidence sur les trajectoires géographiques des générations nées entre 1911 et 1950. À partir d’une analyse quantitative et qualitative des trajectoires sociales, la deuxième partie analyse le processus de tri social et spatial à l’œuvre et le rôle de l’accessibilité dans les choix résidentiels des différents groupes sociaux au sein de Paris et ses périphéries.

Données de la « Fresque » parisienne et méthodologie

Cette recherche s’inscrit dans le projet « Fresque » (coordonné par Catherine Bonvalet), qui vise à reconstituer le peuplement de l’agglomération parisienne par les générations 1911-1950. Elle s’appuie sur l’exploitation de données quantitatives et qualitatives.
Le volet quantitatif repose essentiellement sur la ré-exploitation de trois enquêtes biographiques réalisées à l’Ined : Triple biographie (3B) de 1981 (générations 1911-1936 résidant en France), Peuplement et dépeuplement de Paris (PDP) de 1986 (générations 1926-1935 résidant dans l’agglomération parisienne) et Biographies et entourage (B&E) de 2001 (générations 1930-1950 résidant en Île-de-France). Chacune de ces enquêtes apporte des informations plus ou moins complètes sur les trajectoires géographiques, résidentielles, professionnelles et familiales des enquêtés de ces générations. Ainsi, mises bout à bout, elles permettent de rassembler près de 5 500 parcours de vie des générations 1911-1950 résidant au sein de « l’agglomération parisienne » au moment de l’enquête (761 pour 3B ; 1983 pour PDP ; 2 746 pour B&E). L’expression « agglomération parisienne » renvoie dans cet article à l’ensemble formé par l’unité urbaine de Paris et les communes du reste de la région Île-de-France connectées au réseau de transport si elles font partie de l’aire urbaine de Paris ou si elles ont plus de 5 000 habitants (document annexe A.1). Les périmètres des aires et unités urbaines n’étant pas figés, la définition de l’agglomération parisienne varie selon les dates des enquêtes (définition Insee de 1982 pour 3B ; 1990 pour PDP ; 1999 pour B&E). Par ailleurs, seuls les enquêtés qui avaient entre 50 et 70 ans au moment de l’enquête ont été pris en compte.
Le volet qualitatif comprend les corpus d’entretiens qui ont été menés auprès de 183 personnes ayant répondu à l’enquête PDP et l’enquête B&E. La démarche méthodologique suivie visait à compléter les enquêtes biographiques par une ré-interrogation qualitative et rétrospective grâce à des entretiens approfondis d’une partie des échantillons d’origine.

I. Offre de transport et trajectoires des générations en Île-de-France au cours du xxe siècle

7L’étalement urbain, caractérisé par l’intégration continue de communes périphériques, constitue l’une des transformations majeures de la capitale au xxe siècle. L’accélération de l’étalement urbain durant la seconde moitié du xxsiècle a accentué la dissociation des lieux de résidence et de travail, et la fragmentation des espaces de vie. L’hypothèse est donc que l’accessibilité des lieux de résidence, définie par les infrastructures de transport, est devenue l’un des éléments essentiels des choix de localisation des Franciliens et, de ce fait, occuperait une place importante dans les processus de tris sociaux et spatiaux. Cette partie analyse le développement des réseaux de transport et la manière dont les générations successives se les sont appropriés ou en ont bénéficié.

1. Étalement urbain et évolutions de l’offre de transport

8L’expansion de l’agglomération parisienne s’est plus ou moins étroitement articulée au développement des infrastructures de transport selon les époques (Merlin, 1997). Pour étudier ce phénomène, nous avons créé un découpage de l’espace qui se différencie des découpages administratifs classiquement utilisés (Paris, petite couronne, grande couronne). En effet, ce découpage repose sur un niveau d’accessibilité défini par un niveau d’équipement communal [3] en termes d’infrastructures de transport. Il présente l’intérêt de définir une position relative dans la ville à un moment donné, mais ce niveau est susceptible d’évoluer au cours du temps : une commune de l’agglomération peut être considérée comme périphérique au début du siècle et se trouver dans une position relativement centrale à la fin du siècle suite à l’étalement urbain, à la densification des banlieues anciennes et au développement des réseaux de transport. Ces niveaux d’accessibilité peuvent ensuite être mis en relation avec les données des recensements et les données des enquêtes biographiques.

9Pour déterminer ces niveaux d’accessibilité, nous avons reconstruit l’historique du développement des réseaux de transport majeurs dans la région au cours du xxe siècle : le réseau du métro, le RER (réseau express régional), le réseau ferroviaire SNCF (Société nationale des chemins de fer français) et les grands axes routiers (autoroutes et voies rapides) [4]. À partir de données géolocalisées en libre accès (sites de l’Atelier parisien d’urbanisme et de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme), nous avons documenté leurs dates de création (et de fermeture le cas échéant) en utilisant différentes sources [5]. Un état des lieux a été dressé, année par année, de l’équipement des communes franciliennes et des arrondissements parisiens pour chacun des types de transport entre 1900 et 2001 [6]. Sur la base de cette base de données, la typologie communale est hiérarchisée en 8 catégories tenant compte de la fréquence des dessertes et de la rapidité de chaque réseau (figure 1) : métro dense (2 stations ou plus par hectare, avec de fait un accès rapide aux autres réseaux), métro peu dense avec RER, métro peu dense sans RER, RER sans métro, train et voies rapides, train sans voie rapide, voie rapide sans train, aucun réseau.

10Comme Pierre Merlin l’avait observé en 1997, plusieurs phases peuvent être distinguées. Au début du xxe siècle, le réseau de métro se développe au sein de la capitale et répond aux besoins des populations résidentes avec un maillage dense. La banlieue parisienne, encore peu peuplée, est structurée par la présence d’activités industrielles à proximité du réseau ferré. La période de l’entre-deux-guerres marque un tournant avec le développement de lotissements périphériques assez peu connectés aux réseaux de transport et au développement des infrastructures en général (Faure, 1991 ; Fourcaut, 2000).

11Suite à la Seconde Guerre mondiale et à la crise du logement à Paris, les banlieues se densifient à partir du milieu des années 1950, notamment à travers la construction de grands ensembles sur des terrains libres. À partir des années 1950 et 1960 se développe le réseau d’autoroutes qui désenclave progressivement certaines communes périphériques et améliore l’accessibilité de communes le long d’axes radiaux déjà desservis par le train.

12Le Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de la région parisienne (SDAURP) de 1965 marque un tournant vers un développement polycentrique de l’agglomération, avec la construction à partir des années 1970 des Villes nouvelles [7], associé au développement du RER et des autoroutes urbaines en banlieue jusqu’à la fin du siècle. En parallèle, la réforme du financement du logement de 1977 qui visait à favoriser l’accession à la propriété des ménages modestes et le tracé des autoroutes urbaines impulsent un nouvel élan à la périurbanisation. Depuis la fin des années 1960, les conditions d’accessibilité dans la région parisienne ont connu deux évolutions majeures : la mise en service progressive des lignes du RER du début des années 1970 aux années 1990 et la connexion aux lignes de métro, ainsi que l’extension concomitante des lignes de métro vers la proche banlieue ; le développement du réseau autoroutier national (le long d’axes radiaux) et métropolitain (le long de cercles concentriques).

13La première évolution engendre deux configurations inédites d’accessibilité communale : la catégorie « RER sans métro » et la catégorie « Métro peu dense avec RER » (figure 1A), rassemblant plus de la moitié de la population de la région parisienne en 2000. Ce mouvement montre une amélioration générale des conditions d’accessibilité résidentielle de la population francilienne, en dépit de l’accélération de l’étalement urbain. Ces évolutions, qui se sont produites dans un contexte où la population de l’agglomération parisienne a gagné deux millions d’habitants (soldes naturels et migratoires positifs), ont entraîné une redistribution de la population francilienne dans les banlieues.

2. Générations et accessibilité des lieux de résidence

14Les générations nées au cours du siècle ont donc connu, tout au long de leur vie, ces transformations de l’offre de logement et de transport. Les nouvelles conditions d’accès à la ville ont eu pour conséquence d’élargir les choix résidentiels des ménages ou de modifier leur environnement de résidence sans qu’il y ait eu nécessairement de changement de logement. À cela s’ajoutent les effets des transformations des contextes politiques, économiques et macro-sociaux qui ont pesé sur les aspirations et les choix résidentiels des différentes générations. L’objectif est ici d’analyser les évolutions de l’offre de transport, et la manière dont elles ont affecté les trajectoires géographiques des générations nées entre 1911 et 1950.

15Les trajectoires géographiques des enquêtés, collectées à l’échelle des communes et des arrondissements parisiens, peuvent être analysées en fonction du niveau d’accessibilité de leurs communes de résidence successives [8]. Cette étude est restreinte aux trajectoires entre 20 et 50 ans, fenêtre qui permet pour l’ensemble des trois enquêtes de minimiser les censures à gauche (le début de trajectoire résidentielle indépendante) et à droite (âge des enquêtés les plus jeunes). Les cohortes étudiées ont été choisies pour isoler des groupes de générations qui ont un sens, compte tenu du contexte au moment de la constitution de la famille dans lequel les couples recherchent la stabilité résidentielle : les générations 1911-1925 (Triple biographie) les générations 1926-1935 (Peuplement et dépeuplement de Paris), et enfin les générations 1936-1945 et 1946-1950 (Biographies et entourage).

16Les chronogrammes de la figure 1B, produits par génération, présentent la proportion d’individus qui résident dans chacune des classes d’accessibilité communale selon leur âge entre 20 et 50 ans. La décomposition selon les générations montre la diversification au fur et à mesure des générations des niveaux d’accessibilité des lieux de résidences, et rend compte des contextes vécus. Sur l’ensemble de leurs trajectoires géographiques, les générations les plus anciennes (1911-1925) étaient divisées entre une moitié qui vivait à proximité du métro et une autre qui peuplait la périphérie de l’époque, à proximité de stations de trains. Cependant, après-guerre, l’installation plus fréquente dans les arrondissements et communes les plus centraux (correspondant à une accessibilité de métro dense) est liée à l’arrivée de jeunes migrants provinciaux ou étrangers.

17Les générations 1926-1935 sont celles qui ont, en plus grande proportion, quitté les quartiers les plus accessibles : la pénurie de logements d’après-guerre (Chombart de Lauwe, 1952), qui les frappe au moment de la décohabitation de chez leurs parents, les contraint à s’installer massivement dans des communes périphériques reliées au réseau ferroviaire où se développent les pavillons de banlieue et se construisent les grands ensembles.

18Les différentes générations ont connu le développement du RER et des villes nouvelles à des moments distincts de leur parcours : l’arrivée du RER, qui intervient au moment où les baby-boomers constituent leurs familles, leur permet de s’installer massivement dans des communes désormais plus accessibles. L’augmentation très rapide de la part d’individus entre 30 et 35 ans qui résident dans des communes reliées par le RER, correspond à l’apparition non seulement d’une nouvelle offre de logements dans les villes nouvelles, mais aussi de la réforme du financement du logement de 1977 [9]. Grâce au RER, les générations 1936-1945, pourront plus facilement adapter la taille du logement à la taille de la famille ou voir leurs conditions de transport s’améliorer. Enfin, pour les générations les plus anciennes, souvent déjà installées à Paris et en banlieue, le RER a peu d’impact sur leurs trajectoires.

Figure 1A

Niveau d’équipement des communes d’Île-de-France en infrastructures de transport en 1940, 1970 et 2000

Figure 1A. Niveau d’équipement des communes d’Île-de-France en infrastructures de transport en 1940, 1970 et 2000

Niveau d’équipement des communes d’Île-de-France en infrastructures de transport en 1940, 1970 et 2000

Figure 1B

Niveau d’accessibilité des communes de résidence en Île-de-France selon l’âge, par génération

Figure 1B. Niveau d’accessibilité des communes de résidence en Île-de-France selon l’âge, par génération

Niveau d’accessibilité des communes de résidence en Île-de-France selon l’âge, par génération

19Pour l’ensemble de ces générations, les évolutions contextuelles ont des incidences à des moments particuliers du parcours de vie : la mise en couple, les différentes étapes de constitution de la famille, l’arrivée à Paris lorsqu’il y a eu une migration. Si une part importante des générations nées au début du siècle a migré en région parisienne, toutes les cohortes n’ont pas été touchées de manière équivalente par la crise du logement qui a suivi. De même, les différentes générations n’ont pas profité au même moment du développement du crédit à partir des années 1950, de la production massive de logements des années 1960, du développement du RER, ou encore de la réforme de 1977. Par ailleurs, chaque génération a été marquée par un contexte économique et politique particulier (Belle Époque, Entre-deux-guerres, Trente Glorieuses, etc.). Elles ont aussi traversé des périodes de changements importants de la structure socioprofessionnelle, notamment la diffusion du salariat féminin et la tertiarisation du marché du travail. Ainsi les générations successives ont-elles connu des contextes différents en termes d’offre de transport et de logements, mais également en termes de politiques d’aides au logement et de transformations du système productif, susceptibles d’avoir affecté différemment les mobilités sociales et spatiales des ménages selon leur position dans la hiérarchie sociale.

II. Trajectoires géographiques des générations et catégories sociales biographiques

20Quels sont les effets du développement des infrastructures de transport sur les processus ségrégatifs (Bacqué et Lévy, 2009 ; Coulton et Turner, 2012 ; Bailey et al., 2017) et la place de l’accessibilité des transports dans les choix résidentiels des générations au regard de leurs positions sociales (Raymond et al., 1966 ; Bassand et Kaufmann, 2000) ?

21Les données transversales des recensements harmonisés de 1968 à 1999 sur la population active de 25 à 54 ans montrent, d’une part, une évolution de la structure socioprofessionnelle et, d’autre part, une redistribution des différentes catégories socioprofessionnelles (PCS) au sein de l’agglomération parisienne : augmentation du nombre de cadres et de professions intellectuelles supérieures, plus fortement encore dans les parties les plus accessibles de l’agglomération ; forte croissance numérique des professions intermédiaires et des employés, mais dont la localisation dans Paris intra-muros stagne ; diminution du nombre des ouvriers, plus importante dans les zones centrales que dans le reste de la région parisienne. La nature de ces changements est complexe. Ceux-ci s’expliquent en partie par les transformations du système productif (désindustrialisation, tertiarisation) mais aussi par l’arrivée sur le marché du travail des générations du baby-boom (Bonvalet et Ogg, 2009) qui se caractérisent par un niveau d’instruction élevé, des mobilités sociale et résidentielle importantes. Pour montrer comment ces changements de structure socioprofessionnelle se sont accompagnés d’une redistribution géographique des individus selon leur PCS, une analyse longitudinale a été menée, combinant mobilité résidentielle et mobilité sociale par génération.

22Cela implique au préalable de s’interroger sur les catégories sociales que l’on peut utiliser dans des analyses longitudinales. Les travaux sur la ségrégation spatiale ou sur les choix résidentiels ont largement montré que la position sociale est un déterminant important des possibilités, aspirations et contraintes en termes de localisation résidentielle. En France, de nombreux travaux de sociologie ont montré que les PCS reflètent la position dans la hiérarchie sociale (Desrosières et Thévenot, 1988). Toutefois, il semblerait réducteur de se limiter à la position sociale des individus de manière transversale (définie par la PCS au moment de l’enquête) pour étudier les trajectoires de localisation résidentielle qui nous intéressent ici. Au cours de la vie, en effet, le statut professionnel évolue et un individu peut souhaiter ajuster sa position résidentielle à sa nouvelle position sociale. Par ailleurs, des recherches sur le processus de reproduction sociale ont montré le rôle du statut professionnel et résidentiel des parents dans les trajectoires des enfants (Bertaux et Bertaux-Wiame, 1988 ; Bonvalet et Gotman, 1993). Il a donc semblé important de ne pas se limiter à la PCS au moment de l’enquête, mais de construire des catégories qui rendent compte des mobilités sociales inter- et intra-générationnelles.

23En outre, si traditionnellement la position sociale est construite à l’échelle du ménage, en considérant uniquement celle de l’homme dans le cas des couples, l’échelle du couple paraît adaptée dans l’étude des trajectoires résidentielles, les choix résidentiels étant issus d’arbitrages entre les conjoints en fonction des ressources et des contraintes de chacun. Nous avons pris le parti de considérer la position socioprofessionnelle la plus élevée au sein du couple [10]. La construction des catégories de mobilité sociale s’appuie sur l’information commune aux trois enquêtes quantitatives : la profession du père en fin de carrière, la profession de la personne enquêtée et de son dernier conjoint (si non célibataire) en début de carrière et en fin de carrière (ou au moment de l’enquête), chacune codée en sept classes. La méthode utilisée s’appuie sur une méthode classique de tables de mobilité pour décrire les mobilités intergénérationnelles (Erikson et Goldthorpe, 1992), appliquées ici également aux mobilités intragénérationnelles, et s’inspire de la hiérarchie et de la table de mobilité construite par Camille Peugny (2007). Six « catégories sociales biographiques » ont été distinguées :

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  • Classes populaires stables : la dernière profession du père et la carrière du couple sont restreintes aux catégories agriculteurs, ouvriers ou employés ;
  • Classes populaires issues d’un déclassement : fin de carrière du couple agriculteurs, ouvriers ou employés avec un déclassement inter- et/ou intragénérationnel ;
  • Classes moyennes issues d’une ascension : la catégorie de fin de carrière du couple est indépendants ou professions intermédiaires avec une ascension inter- et/ou intragénérationnelle ;
  • Classes moyennes stables : la dernière profession du père et la carrière du couple sont restreintes aux catégories indépendants ou professions intermédiaires ;
  • Classes supérieures issues d’une ascension : la fin de carrière du couple en chefs d’entreprise, cadres et professions intellectuelles supérieures avec une mobilité ascendante inter- et/ou intragénérationnel ;
  • Classes supérieures de reproduction sociale : la dernière profession du père et la fin de carrière du couple sont restreintes aux catégories chefs d’entreprise, cadres et professions intellectuelles supérieures ou, sous certaines conditions [11], indépendants.

25Celles-ci rendent compte sur notre échantillon de l’augmentation relative des classes supérieures au fil des générations et de la place importante des phénomènes de mobilité sociale : les classes supérieures issues d’une ascension sociale représentent 15 % de la génération 1911-1926 et 22 % de la génération 1946-1950.

26Aux effets générationnels d’accès à la ville, se conjugue un effet de hiérarchie sociale (figure 2). La position dans la hiérarchie sociale est en effet largement corrélée à la hiérarchie en termes de niveau d’accessibilité des lieux de résidence : les catégories sociales les plus favorisées habitent plus fréquemment dans les lieux les plus accessibles que les catégories sociales les moins favorisées. Au fil des générations, la diversification des niveaux d’accessibilité des lieux de résidence se double d’un creusement des écarts d’accessibilité entre catégories aux deux extrêmes de la hiérarchie sociale. À 50 ans, quelle que soit la génération, environ la moitié des classes supérieures de reproduction vivent dans les lieux les plus accessibles (métro dense) (figure 2, dernière ligne), tandis que les classes populaires stables voient leur proportion passer d’un tiers pour les générations les plus anciennes à un cinquième pour les générations les plus jeunes (première ligne).

27Les effets générationnels et de hiérarchie sociale cumulés mettent en évidence trois autres grands phénomènes (figure 2) : la diminution après 30 ans des classes moyennes et supérieures issues d’une ascension sociale dans les lieux les plus accessibles au profit des périphéries pour la génération 1926-1935 (deuxième colonne, troisième et cinquième lignes) ; la forte augmentation vers 30 ans pour les générations 1946-1950 des proportions des classes moyennes, qu’elles soient stables ou issues d’une ascension sociale dans les périphéries connectées au réseau RER (dernière colonne, troisième et quatrième ligne) ; la proportion non négligeable (environ 15 %) et constante à travers les générations des classes populaires stables n’ayant pas accès aux réseaux ferrés (première ligne). Les sections qui suivent détaillent ces phénomènes notamment en les illustrant par des témoignages issus d’entretiens approfondis. Ces cas ont été choisis en fonction de leurs générations, de leurs trajectoires géographiques et de leurs trajectoires sociales inter- et intra-générationnelles. Ils permettent d’apporter des éléments d’interprétation sur les logiques des choix de localisation et les stratégies à l’œuvre en les replaçant dans leurs histoires de vie.

Figure 2

Niveau d’accessibilité des communes de résidence en Île-de-France selon l’âge par catégorie sociale et par génération

Figure 2. Niveau d’accessibilité des communes de résidence en Île-de-France selon l’âge par catégorie sociale et par génération

Niveau d’accessibilité des communes de résidence en Île-de-France selon l’âge par catégorie sociale et par génération

1. Le déclin du « Paris populaire » après les années 1960 malgré des stratégies de maintien dans ces quartiers

28La présence des classes populaires dans les espaces les plus centraux de l’agglomération se raréfie pendant la seconde moitié du xxe siècle à travers plusieurs phénomènes conjoints (figure 2) : leur diminution relative dans la population du fait d’évolutions de la structure socioprofessionnelle (Chauvel, 1998), et leur départ hors de Paris intra-muros à partir des années 1960, marquant particulièrement les générations nées après 1926. Remises dans leur contexte, les trajectoires peuvent se comprendre par la raréfaction de l’offre de logements accessibles dans Paris intra-muros, du fait des politiques de rénovation des quartiers parisiens dégradés et, au contraire, par l’augmentation de l’offre de logements sociaux dans les banlieues avec la construction des grands ensembles souvent destinés à loger les ouvriers. La trajectoire de Paule en est un exemple typique. Née en 1950, abandonnée par ses parents à la naissance, Paule a passé toute son adolescence dans un foyer de la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (Ddass) [12] à Paris où elle aurait souhaité continuer à vivre après son mariage. Mais le couple n’a pas eu d’autre choix que d’accepter un logement HLM proposé par l’entreprise Peugeot à Poissy (ville industrielle de banlieue située à 30 km au nord-ouest de Paris) où son mari travaillait comme mécanicien. Appartenant aux classes populaires stables (Paule a un CAP de fleuriste), ils ont trouvé refuge au moment de la naissance de leurs enfants dans les logements sociaux à l’extérieur de Paris (figure 2, première ligne, dernière colonne).

29Parallèlement à ce phénomène de départ vers la périphérie, on observe néanmoins une relative stabilité des classes populaires des générations nées après 1940 dans les lieux centraux principalement imputable à l’existence d’un parc de logements HLM qui a contribué à maintenir une partie des ménages ouvriers dans la capitale. L’histoire de Serge constitue un exemple remarquable de stabilité aussi bien sociale que résidentielle.

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« Je suis né dans le quartier. J'ai été à l'école dans le quartier. J'ai connu ma femme dans le quartier... Elle est née ici aussi. Voilà, on ne s'est jamais quitté. »

31Né en 1942, Serge est employé dans une imprimerie puis dans le secteur bancaire et a pratiquement toujours vécu dans le même bloc d’immeubles HLM dans le xxe arrondissement, quartier populaire de l’Est parisien. Ses parents avaient emménagé en 1934 dans un logement HLM qui venait de se construire sur les boulevards des Maréchaux [13]. Son père, ouvrier dans le bâtiment puis petit commerçant décède alors qu’il a 16 ans, le laissant seul avec sa mère dans l’appartement, ses quatre sœurs ayant déjà décohabité. Lorsqu’il se marie avec la fille de voisins qu’il a connue à la maternelle, sa mère lui laisse l’appartement devenu trop grand pour elle seule. Trois ans plus tard, après la naissance de ses deux enfants, ses beaux-parents partent à la retraite et proposent au jeune couple de reprendre leur appartement de 4 pièces, où Serge et sa famille vivent toujours. Grâce aux échanges d’appartements et aux transmissions de bail entre générations « il suffisait de changer les contrats », Serge et sa femme ont pu rester dans leur quartier et adapter ainsi la taille de leur logement à la taille de la famille. Mais c’est aussi le résultat d’un choix, celui de rester dans le logement social pour continuer à vivre dans le quartier de leur enfance.

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« Il y a longtemps si on avait voulu une maison, on aurait acheté une maison. Mais je ne voulais pas quitter Paris, je ne voulais pas quitter mon quartier, je ne voulais pas acheter. »

33Le rôle des réseaux familiaux dans l’accès et l’installation dans un logement HLM ou réglementé par la loi de 1948 apparaît dans de nombreux entretiens. Parents, oncles, tantes et collègues sont mobilisés dans la recherche d’un logement. De véritables stratégies sont déployées aussi bien pour accéder à un tel logement que pour s’y maintenir (Loiseau et Bonvalet, 2005). Les loyers d’une location HLM ou loi 1948, inférieurs à ceux pratiqués dans le parc locatif privé, ont permis le maintien dans Paris, dans des quartiers centraux et valorisés, de personnes qui, compte tenu de leurs ressources, n’auraient pu y rester. La proximité des nombreuses ressources dont ils bénéficient et le mode de vie dans ces quartiers anciens et centraux, les ont conduits à renoncer à la propriété parce qu’il leur était inconcevable de « s’exiler en banlieue ».

2. Le maintien des classes supérieures dans les lieux centraux au fil des générations

34Pour les classes supérieures de reproduction sociale, le maintien dans les lieux les plus accessibles au fil des générations se double d’une augmentation relative de leur proportion dans la population de ces quartiers.

35Si, dans les générations les plus anciennes, les classes supérieures de reproduction sociale comme les autres classes sociales ont été contraintes de s’installer en banlieue en raison de la pénurie de logements après-guerre, dans les générations suivantes elles sont les seules classes sociales à pouvoir habiter en proportion élevée dans les lieux centraux. Ce maintien s’appuie non seulement sur des ressources économiques propres mais surtout sur des patrimoines familiaux et/ou des réseaux, notamment lorsque la famille est parisienne. Les politiques de rénovation urbaine et la poursuite du développement des lignes de métro dans des quartiers encore populaires contribuent à la revalorisation de la capitale et renforcent les enjeux du maintien à Paris. Les propriétaires des différentes générations ont ainsi vu leur bien et leur environnement de résidence se valoriser suite à ces politiques de réhabilitation et au désenclavement de quartiers parisiens anciennement mal desservis. Le désir de rester à Paris s’exprimera aussi par la valorisation de la proximité aux diverses ressources qu’offre Paris, quitte à rester dans le secteur locatif.

36La trajectoire résidentielle de Michèle, gérante d’un magasin de décoration, née après-guerre dans une famille bourgeoise de Grenoble (ville moyenne du sud-est de la France) est un exemple du parcours des classes supérieures de reproduction sociale. Après avoir obtenu son diplôme de Science Po à Grenoble, elle réalise son rêve : « venir à Paris et vivre à Paris, c’était mon objectif définitif ». Dans son appartement Quai Saint-Michel, dans le centre de Paris, qu’elle trouve grâce à une amie de bridge d’une de ses grands-tantes, elle vivra effectivement trois années au cœur même de la vie étudiante, des années de grand bonheur « et de découverte de la liberté », comme les jeunes de sa génération. Elle se marie ensuite avec un haut fonctionnaire. À eux deux, ils peuvent envisager un achat à Paris, mais dans le quartier moins prisé du xiie arrondissement, dans le sud-est de Paris :

37

« Moi j’ai pas du tout aimé le quartier, c’était très populaire, c’était loin de tout. Moi j’avais pas l’habitude d’habiter loin du centre, loin de mon boulot, moi je travaillais à Neuilly [commune aisée de la proche banlieue ouest], c’était l’horreur ! ».

38Elle y restera malgré tout jusqu’à son divorce en 1978, juste après la naissance de son fils. N’ayant pas les capacités financières pour acheter seule dans un quartier qui lui plaise, elle louera un appartement dans le ixe arrondissement, près d’une ligne de métro directe pour aller à son travail. Mais le logement devient vite trop petit avec une seule chambre pour elle et son fils, elle déménage au bout de trois ans car les écoles du quartier ne sont, selon elle, pas suffisamment bien. Une cousine lui propose de venir habiter dans son immeuble où se libère un appartement à louer. Son nouveau quartier de la rue Saint-Martin dans le ive arrondissement, dans le centre de Paris, correspond tout à fait à ses attentes : une rue piétonne, un dernier étage avec terrasse, un quartier ancien avec des commerces et à proximité immédiate de son travail.

39Si Michèle reconnaît ne pas pouvoir acheter dans les quartiers du centre de Paris, elle saisira toutes les opportunités offertes par les différentes lois successives favorisant l’investissement locatif pour réaliser des placements immobiliers.

40

« J’ai pas une âme de propriétaire. J’ai une âme de propriétaire pour des placements que nous facilite l’État, les lois Besson et autres trucs, Méhaignerie ou je ne sais plus quoi, Périssol [14], ça j’ai tout fait, mais je préfère loger des gens dans ces trucs, parce que c’est généralement dans des quartiers qui me plaisent pas, par rapport à mes moyens ».

41Cet exemple confirme que la logique économique n’est pas l’apanage des propriétaires, certains locataires, comme Michèle, effectuent également des calculs avantages-inconvénients entre propriété et location, et font le choix de manière très rationnelle de rester dans le secteur locatif privé, quitte à faire des placements immobiliers. Et si, pour Michèle, la propriété n’a jamais constitué un élément de positionnement dans la hiérarchie sociale, on peut aussi y voir les traces d’une tradition locative que l’on trouvait dans la bourgeoisie des grandes villes françaises (Daumard, 1996), mais aussi les effets des transmissions familiales, puisque ses parents ont toujours été locataires à Grenoble.

3. L’ascension sociale comme moteur du peuplement des périphéries dans les années 1960

42L’embourgeoisement de Paris depuis les années 1960 a été accéléré par le départ en périphérie des classes populaires et moyennes des générations 1926-1935 (figure 2). Ce sont surtout les classes en ascension sociale qui connaissent la plus forte diminution relative de leur présence dans les lieux les plus accessibles et, à l’inverse, la plus forte augmentation dans les communes connectées par le réseau ferroviaire. Ce mouvement est massif puisque ce type de trajectoires (des lieux centraux vers la périphérie accessible en train) concerne environ 10 % de la génération (Le Roux et al., 2017). L’ascension sociale s’exprime alors par le souhait de devenir propriétaire d’un pavillon, quitte à s’installer dans des communes peu connectées aux réseaux de transport et à transformer radicalement le mode de vie. Le cas de Yolande, qui appartient aux classes supérieures issues d’une ascension sociale des générations 1926-1935 (figure 2), illustre ce lien entre ascension sociale et accession à la propriété.

43Yolande naît en 1935 en Lorraine et passe son enfance entre sa mère qui a quitté son père lorsqu’elle avait deux ans pour venir à Paris, auprès de sa tante et dans une pension où elle a été placée dès l’âge de 5 ans. À 15 ans, elle rejoint sa mère qui vit dans une chambre d’hôtel où elle rencontrera son futur mari. Même s’il a obtenu, grâce à son beau-frère, un poste de receveur à la RATP [15], les revenus du ménage ne leur permettent pas de trouver un logement dans le parc privé et les contraignent à rester à l’hôtel après la naissance de leur fille en 1955. Un an plus tard, le couple résout son problème de logement et déménage dans une loge de concierge située dans le xve arrondissement où ils resteront deux ans et demi. « Et, comme nous, on savait pas trop quoi faire, on s’est dit après tout, pourquoi pas être concierges. Pour nous, y avait pas de sous-métier ».

44En 1959, des amis de l’immeuble qui partent en province leur proposent leur appartement de 33 m2 où ils peuvent alors bénéficier de tout le confort. Durant les dix années qui suivent, le mari de Yolande continue sa carrière professionnelle à la RATP tout en suivant des cours le soir. Il devient ainsi contrôleur, tandis que Yolande trouve par l’intermédiaire d’un ami un emploi d’aide-chimiste. À partir de là, leur situation financière s’améliore et l’achat d’un logement devient envisageable.

45En 1969, ils peuvent accomplir leur rêve, grâce aux économies réalisées et à la caution de la RATP. Ils se lancent alors dans l’aventure de l’accession à la propriété en banlieue en achetant un appartement de 72 m2 à Savigny-sur-Orge (commune située à 19 km au sud de Paris, connectée au réseau ferré). Pour Yolande qui avait toujours vécu dans la capitale, le choix de quitter Paris est d’autant plus difficile qu’elle n’a pas le permis de conduire.

46

« À c’t’époque-là, bon j’travaillais à Fresnes [commune située à 12 km au sud du centre de Paris] et les moyens de locomotion de banlieue en banlieue, c’est tristounet, alors je mettais une heure et demie à rentrer à la maison… et puis c’était un coin qu’était très désert où j’avais la trouille l’hiver, alors j’ai dit à mon mari, ça m’tente pas tellement mais enfin faut que je passe mon permis, c’est pas possible. »

47Contrairement à Yolande, qui une fois le permis de conduire passé, s’adapte parfaitement à son nouvel environnement, son mari ne se plait pas du tout dans l’appartement et souffre du manque d’espace et de verdure. Sa carrière à la RATP continuant à progresser, il n’hésite pas à répondre à l’offre d’un collègue qui lui propose d’acheter un pavillon en face de chez lui. À l’usage, la maison s’avèrera petite (52 m2) et le jardin étroit, aussi le couple envisage-t-il rapidement un autre déménagement. Cinq ans plus tard, le temps d’avoir pu faire de nouvelles économies réalisées grâce à la promotion du mari au grade d’inspecteur général, le couple choisit une maison de 92 m2 à Ollainville (commune située à 32 km au sud-ouest de Paris, mitoyenne d’une route nationale rapide) avec un jardin de 1 500 m2.

48En fin d’entretien, Yolande reconnaîtra l’ascension sociale de son mari : « Il a tout le service contrôle… Ah y s’est bien débrouillé ! Si, pour n’avoir que son certificat d’études ». Issus tous les deux des classes populaires, ils font partie désormais des classes supérieures, cette trajectoire professionnelle exceptionnelle leur a permis de suivre un parcours résidentiel ascendant de l’hôtel meublé à la maison en propriété en passant par la loge de concierge, l’appartement en location puis en accession à la propriété. Pour Yolande qui avait passé toute son enfance dans une chambre d’hôtel et en pension, cette maison, c’est l’aboutissement de toute une vie : « moi j’me sens bien chez moi. En fait maintenant c’est vraiment le… Mon rêve est réalisé. »

4. Le peuplement des villes nouvelles et des périphéries reliées par le RER par les classes moyennes et populaires ascendantes du baby-boom

49L’originalité du projet des villes nouvelles franciliennes tient au fait qu’il a été conçu pour améliorer à la fois les conditions de logement des habitants de la banlieue et leur accessibilité au centre de l’agglomération parisienne grâce au développement des lignes de RER. Leur construction a été lancée à un moment où de plus en plus de Franciliens accédaient à la propriété [16]. Les villes nouvelles ont constitué pour un nombre significatif de jeunes ménages, notamment pour les baby-boomers, une offre de logements en accession à la propriété, qu’il s’agisse d’un logement collectif ou d’une maison individuelle (Imbert, 2005).

50Géraldine, infirmière qui appartient aux classes moyennes stables des générations 1946-1950 (figure 2), a passé la majeure partie de son enfance à Boulogne-Billancourt et à Châtillon (communes de la proche banlieue, respectivement au sud-ouest et au sud de Paris), avant de louer un appartement à Créteil (commune de la proche banlieue au sud-est de Paris) lors de son installation avec son conjoint. En 1980, à 34 ans, elle s’installe avec lui et ses deux enfants dans un pavillon neuf à Noisiel (commune de la ville nouvelle de Marne-la-Vallée, située à 20 km à l’est de Paris), qu’ils achètent grâce à une accession sociale à la propriété. Elle présente l’installation dans la ville nouvelle comme une amélioration dans sa trajectoire résidentielle en termes d’environnement, parce qu’elle et son conjoint recherchaient un endroit calme proche de parcs et de bois, mais aussi en termes d’accessibilité :

51

« Et puis, après coup, on a trouvé qu'on avait un avantage énorme en habitant en ville nouvelle, c'est qu’on avait les écoles en face…ici, vous avez l'école à côté, l'école maternelle, oh ! C'est génial ! Ils partaient seuls à l'école et ils revenaient. Ah, c'est rare ! Ici, on avait tous les avantages : habiter pas loin du RER, à 20 minutes de Paris, les écoles à côté, le collège à côté, le lycée à côté… »

52Pour Géraldine, qui a toujours travaillé dans le xie arrondissement, son installation à Noisiel a constitué une amélioration considérable par rapport à la période où elle vivait à Créteil et même à Châtillon où il n’y avait pas encore le métro. Avec le recul, elle ne regrette pas les premières années « pionnières » à Noisiel, de 1980 à 1983, pendant lesquelles il n’y avait pas encore le RER. Elle travaillait de nuit et se rendait en voiture à son travail. L’accessibilité était encore une considération importante au moment de l’entretien dans l’évocation des projets de retraite. Son mari souhaitait encore moins qu’elle déménager, considérant tous les avantages de Noisiel (théâtre, cinéma, piscine…). En ciblant les aspirations des baby-boomers des classes moyennes, les aménageurs des villes nouvelles ont contribué à leur ancrage spatial local (Imbert, 2012). Cet ancrage s’appuie sur l’accès à des ressources locales pour la scolarisation des enfants, les pratiques culturelles et sportives, et les courses. Pour Géraldine, l’installation à Noisiel a constitué une amélioration des conditions d’accessibilité par rapport aux communes de banlieue proche où elle avait vécu auparavant. Cet exemple montre les changements de conditions d’accessibilité à partir des générations des baby-boomers produits par le développement des villes nouvelles.

5. L’isolement géographique constant de certaines classes populaires

53Le dernier grand phénomène que fait apparaître la figure 2 est la relégation d’une proportion non négligeable des classes populaires dans des lieux peu accessibles. En effet, environ 15 % des classes populaires stables de l’agglomération parisienne, quels que soient la génération et l’âge, ne sont pas connectées aux réseaux de transport ferrés. À quelques exceptions près, cette localisation particulière dans les marges de l’agglomération est une spécificité des classes populaires, contraintes en termes de localisation par le coût du terrain. Plusieurs entretiens montrent que cet éloignement du centre de Paris se traduit par de longues navettes. « On a fait le sacrifice du trajet, mais bon on a fait un choix quoi ? On savait au départ qu’il y avait un problème de transport », explique Annie (1947) originaire de la Loire et habitant à Beaumont-sur-Oise dans le nord de la région parisienne. Ayant connu son mari dans la grande entreprise de sa ville natale, ils décident de migrer. Celui-ci, parti le premier, trouve du travail, puis un studio, dans le nord de Paris après un séjour de quelques mois à l’hôtel, qui deviendra leur « premier petit nid ». Après une escale de 6 mois, dans un petit deux-pièces situé à Villeneuve-la-Garenne (commune située à 12 km au nord de Paris), gris, sale, éloigné de leur lieu de travail, ils trouvent un appartement de trois pièces à Montigny-les-Cormeilles (commune située à 30 km au nord-ouest de Paris, traversée par une autoroute), appartement qui devient vite trop petit avec la naissance du deuxième enfant et qu’ils échangeront pour un quatre pièces dans le même quartier. Au troisième enfant se pose donc la question de l’accession à la propriété : « On avait l’âge pour acheter ». 

54Une fois la décision de devenir propriétaire prise, reste le choix de la localisation et surtout la taille du terrain. Après avoir visité plusieurs lieux possibles toujours bien desservis par la gare du Nord, ils se décident pour un terrain de 400 m2 dans une commune aux confins de l’Île-de-France. « On a pris ce qu’on pouvait mettre aussi quoi ». Le prix à payer se traduit par trois heures de transport quotidien pour elle et quatre heures pour son mari qui travaille à Puteaux (commune limitrophe à l’ouest de Paris) et par l’absence d’un vrai centre-ville : « Il y a même pas de centre-ville, on peut même pas appeler ça le centre-ville. C’est la rue pour la gare et puis c’est tout quoi. »

55Le temps, avec l’inflation des années 1970, n’est même pas venu alléger les mensualités car les deux conjoints ont connu des périodes de chômage pendant dix ans. Dans ce cas, le désir de posséder une maison et un terrain s’est bien concrétisé mais au prix de lourds sacrifices.

Conclusion

56Depuis les années 1960, la diversification des réseaux de transport a accompagné la déconcentration démographique parisienne, en ouvrant le champ des possibles pour l’ensemble des catégories sociales en termes de localisation résidentielle. Dans le même temps, le développement des réseaux de transport s’est accompagné d’un renforcement aux deux extrêmes de la hiérarchie sociale, au fil des générations, du lien entre position sociale et distance à Paris intra-muros. Ce dernier a été analysé en tenant compte des évolutions de l’offre de transports qui ont modifié le niveau de centralité des communes au cours du siècle dernier. Une catégorisation des communes selon leur niveau d’accessibilité a permis de déterminer une position relative des localisations résidentielles dans l’agglomération à un instant donné.

57L’approche générationnelle a montré comment la transformation des infrastructures de transport a modifié les parcours géographiques et orienté la redistribution des classes sociales dans l’agglomération. Au fil des générations, les choix particuliers de localisation renvoient aux contextes vécus, aux contraintes liées à l’offre de logements et aux aspirations résidentielles. Toutes les générations n’ont pas contribué avec la même intensité aux dynamiques centrifuges et aux choix de localisation différenciés entre groupes sociaux. L’analyse des cohortes successives met par exemple en évidence l’effet de la crise du logement à Paris sur les choix de localisation en proche banlieue pour certaines générations (1926-1935) ou encore l’impact du développement du RER sur le redéploiement en périphérie des générations 1946-1950. Nos résultats relativisent les études qui affirment que le rôle de l’accessibilité dans les choix de localisation est secondaire par rapport aux caractéristiques des logements et des environnements de résidence (Molin et Timmermans, 2003 ; Schirmer et al., 2014). En réalité, la hiérarchie des facteurs de choix résidentiels dépend des générations, des catégories sociales et des situations individuelles. Par exemple, l’aspiration à devenir propriétaire pour les classes moyennes et populaires, largement contrainte par l’offre de logements et de terrains accessibles, peut s’avérer être un élément de choix plus important que la proximité des infrastructures de transport, tandis que le choix d’une localisation centrale prime dans certains discours des catégories sociales supérieures, quitte à ne pas devenir propriétaire ou faire des concessions sur la taille du logement.

58L’analyse conjointe des trajectoires géographiques et de la mobilité sociale, à partir des « catégories sociales biographiques », a fait ressortir des différences marquées en termes de localisation résidentielle : un maintien bien plus important à Paris pour les classes supérieures de reproduction sociale que pour celles issues d’une ascension sociale ; une accession à la propriété dans des espaces de banlieue bien desservis plus fréquente parmi les classes moyennes et supérieures issues d’une ascension sociale que parmi les classes stables.

59Parfois oubliés des études sur les mobilités résidentielles, les phénomènes d’immobilité et de maintien dans des espaces qui se valorisent, ou encore les capacités d’anticipation des ménages vis-à-vis de transformations à venir (notamment des transports) se dégagent des analyses. Quand les individus sont immobiles, leurs positions socio-résidentielles peuvent être requalifiées par la transformation de leur lieu de vie ou confortées (Coing, 1966 ; Dureau et al., 2006 ; Lambert, 2012). Appréhender conjointement les dynamiques individuelles et les dynamiques spatiales permet ainsi de repenser l’immobilité spatiale comme un processus actif (Coulter et al., 2016). Par exemple, l’immobilité géographique des classes supérieures de reproduction sociale, dans un mouvement centrifuge généralisé, analysée par Pinçon et Pinçon-Charlot en 1990, témoigne du poids de la transmission entre générations d’un statut social et d’une position résidentielle.

60Les générations 1911-1950 ont effectué leurs parcours résidentiels dans des conditions assez exceptionnelles d’ascension sociale et d’élargissement des choix de logement en termes de localisation et de statut d’occupation. Leurs histoires montrent les rapports complexes et dynamiques de positionnement social et résidentiel qui se jouent entre générations et classes sociales.

Annexe

Document A.1. Méthode utilisée pour rendre comparables les trois enquêtes

61Pour étudier le peuplement de l’agglomération parisienne au cours du xxe siècle, il est nécessaire de rendre compte du desserrement de Paris et du phénomène de périurbanisation, qui ont pris une importance croissante au cours de la seconde moitié du xxe siècle. L’objectif est de rendre compte d’une agglomération au sens d’une unité fonctionnelle en termes de marché du logement et de l’emploi, et de l’incorporation progressive de villes secondaires et de petites communes périphériques au fil du temps. La définition Insee de l’unité urbaine ne suffit pas car elle repose uniquement sur des critères de densité et de morphologie urbaine. Nous avons donc choisi de nous appuyer sur la notion d’aire urbaine [17], développée par l’Insee à partir du recensement de 1990, et appliquée de manière rétrospective pour les recensements antérieurs jusqu’en 1968 dans la thèse de P. Julien (2001). Le seuil utilisé pour définir l’aire urbaine, arbitraire, écarterait certaines communes urbaines franciliennes aux logiques mixtes, avec un fonctionnement relativement autonome par rapport à l’agglomération parisienne, mais peuplées également de ménages travaillant dans l’agglomération parisienne et de pionniers de la périurbanisation. C’est pourquoi il a été choisi de considérer également l’ensemble des aires urbaines et communes de plus de 5 000 habitants de la région.

62Néanmoins, l’aire urbaine de Paris s’étend de façon considérable entre 1982 et 1999, et les échantillons des enquêtes ne permettent pas une couverture spatiale convenable de l’ensemble de l’aire urbaine, notamment pour les communes rurales des couronnes périurbaines. Le champ géographique le plus restrictif est celui de l’enquête Peuplement et dépeuplement de Paris, caractérisé par 3 grandes zones définies par l’Iaurif : l’agglomération parisienne, les villes nouvelles et les « axes et vallées », soit des villes petites et moyennes de l’aire urbaine bien connectées aux réseaux de transport en commun. Ce critère de proximité aux réseaux de transport ou d’accessibilité est donc un critère que nous proposons d’introduire pour définir un champ géographique commun aux enquêtes et qui nous semble pertinent dans l’élaboration d’un univers qui repose sur une conception fonctionnelle de l’agglomération parisienne. Plutôt que de repartir de la définition de l’Iaurif produite aux dates des recensements, nous avons choisi une manière plus souple de définir les communes accessibles à partir d’une reconstitution du développement des infrastructures de transport au cours du xxe  siècle. Sont alors nommées « accessibles » les communes desservies par une station de métro, RER ou train (hors TGV) ou traversées par une autoroute à la date de l’enquête.

Figure A.1 : Les contours de l’« agglomération parisienne » au moment des trois enquêtes

Figure A.1 : Les contours de l’« agglomération parisienne » au moment des trois enquêtes

Figure A.1 : Les contours de l’« agglomération parisienne » au moment des trois enquêtes

63Finalement, le champ géographique commun défini, appelé « agglomération parisienne », comprend :

64

  • • L’unité urbaine de Paris selon la définition de l’Insee.
  • • Les communes de l’aire urbaine de Paris, les autres aires urbaines d’Île-de-France et les communes de plus de 5 000 habitants à condition qu’elles soient à proximité d’infrastructures de transport (métro, RER, train, autoroutes et voies rapides) selon les critères exposés précédemment.

65Ce champ regroupe des communes différentes à chacune des dates des enquêtes mais correspond à une définition constante d’un espace soumis au processus d’étalement urbain. Les enquêtés qui résident en dehors de ce champ géographique sont alors exclus de nos échantillons. Cela concerne, pour chacune des enquêtes, quasi exclusivement des petites communes rurales isolées (figure A.1).

66Les pondérations affectées aux enquêtés ont ensuite été calculées selon la technique de calage sur marges à partir des données harmonisées des recensements de 1968 à 2013 de l’Insee, extraites par génération des enquêtes et interpolées aux dates des enquêtes sur le champ géographique commun.

Notes

  • [1]
    Une habitation à loyer modéré (HLM) est un logement social, destiné aux ménages dont les ressources sont modestes, géré par un organisme public ou privé qui bénéficie d'un financement public partiel.
  • [2]
    La loi du 1er septembre 1948 avait pour objectif d’organiser la sortie du blocage des loyers en rendant libres les loyers des constructions futures, mais en réalité elle a entraîné la pérennité d’un parc de logements anciens inconfortables bénéficiant d’une protection de « maintien dans les lieux » et d’un régime de loyers très favorable.
  • [3]
    Les communes et arrondissements sont les unités spatiales les plus petites pour lesquelles nous disposons d’informations rétrospectives sur les lieux de résidence.
  • [4]
    Notons que les réseaux de bus, permettant de désenclaver certaines communes mal desservies, n’ont pas été pris en considération dans la construction de cette typologie. La raison principale en est la difficulté de reconstruire l’information rétrospective sur ce mode de transport (nombre élevé de lignes, peu de documentation historique). Néanmoins, l’introduction de ce réseau ne modifierait qu’à la marge la hiérarchie des communes en termes d’accessibilité.
  • [5]
    Travaux historiques sur le métro parisien, sites Wikipedia des gares et sites WikiSara des axes routiers.
  • [6]
    L’équipement des communes est évalué en contrôlant les effets de bord avec un calcul des distances euclidiennes entre les stations et les chefs-lieux des communes.
  • [7]
    Les Villes nouvelles sont au nombre de cinq : Cergy, Evry, Marne-la-Vallée, Saint-Quentin-en-Yvelines et Sénart. Elles ont été conçues dans le SDAURP de 1965 afin de canaliser l’expansion urbaine autour de centres secondaires situés entre 20 et 40 km de Paris. Elles regroupent aujourd’hui un peu plus d’un million d’habitants.
  • [8]
    Dans la mise en relation des catégories d’accessibilité et des communes de résidence des trajectoires individuelles, la méthode ne tient pas compte des distances domiciles-gares à l’échelle infra-communale, ni des possibles coupures urbaines qui feraient obstacle.
  • [9]
    Cette loi marque le passage de l’aide à la pierre, qui a subventionné depuis les années 1950 la construction des grands ensembles ; à l’aide à la personne, comprenant des subventions pour aider l’accès à la propriété (Prêt aidé à l’accession à la propriété) et le paiement des loyers (Aide personnalisée au logement).
  • [10]
    Nous nous intéressons au choix résidentiel à l’échelle du couple sans prendre en compte leurs arbitrages. Une perspective serait d’étudier les rapports de genre dans ces choix selon les générations : les femmes des générations d’après-guerre, plus souvent actives que celles des générations précédentes, semblent peser davantage sur les choix résidentiels du couple (Ogg et al., 2012).
  • [11]
    Si la profession en début de carrière était dans les catégories chefs d’entreprise, cadres et professions intellectuelles supérieures, on considère une fin de carrière en catégorie indépendant comme une mobilité socioprofessionnelle horizontale, assimilable aux classes supérieures.
  • [12]
    Les Ddass intervenaient dans le champ des politiques sanitaires, sociales et médico-sociales. La protection de l’enfance était l’une de leur mission du milieu des années 1960 au milieu des années 1980, qu’elles réalisaient par le placement d’enfants dans des familles d’accueil ou en foyer.
  • [13]
    Boulevards parisiens qui ceinturent la ville.
  • [14]
    Ensemble de dispositifs proposés par l’État pour développer l’offre locative en échange d’avantages fiscaux.
  • [15]
    La Régie autonome des transports parisiens assure les transports publics dans Paris et sa banlieue.
  • [16]
    Entre 1968 et 1990, la part des propriétaires dans la population des ménages franciliens a crû de 32,5 % à 42,9 %, selon les données de recensement.
  • [17]
    17 « Une aire urbaine ou « grande aire urbaine » est un ensemble de communes, d'un seul tenant et sans enclave, constitué par un pôle urbain (unité urbaine) de plus de 10 000 emplois, et par des communes rurales ou unités urbaines (couronne périurbaine) dont au moins 40 % de la population résidente ayant un emploi travaille dans le pôle ou dans des communes attirées par celui-ci. », Insee, https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c2070
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La région Île-de-France a connu de profondes transformations au cours de la seconde moitié du xxe siècle : dépeuplement de Paris et réhabilitation de certains quartiers, densification des banlieues et périurbanisation. Ces changements sont à l’origine de redistributions importantes des populations au sein de l’agglomération parisienne, avec le départ d’une partie des classes populaires et moyennes de Paris intra-muros vers la banlieue, l’arrivée de nouvelles classes populaires migrantes, et l’amorce du processus de gentrification de la capitale. Bien que majoritairement produits selon une approche transversale, les travaux sur les ségrégations urbaines suggèrent depuis plusieurs décennies que l’évolution des mobilités géographiques des individus et des ménages est liée à celle des divisions sociales de l’espace. Cet article propose de compléter ces recherches à partir d’un corpus original d’enquêtes de l’Ined en région parisienne, qui permet d’étudier la mobilité de générations ayant participé aux transformations sociales de la capitale et de ses périphéries de 1930 à 2000. Les résultats montrent un renforcement du lien au fil des générations entre la position sociale et la centralité de la position géographique, au fur et à mesure de l’étalement urbain et du développement des réseaux de transport.

Mots-clés

  • approche biographique
  • mobilité géographique
  • classes sociales
  • transport
  • accessibilité
  • Paris
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Guillaume Le Roux
Institut national d’études démographiques (Ined).
guillaume.le-roux@ined.fr
Christophe Imbert
Université de Rouen - UMR IDEES.
Arnaud Bringé
Institut national d’études démographiques (Ined).
Catherine Bonvalet
Institut national d’études démographiques (Ined).
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Mis en ligne sur Cairn.info le 25/05/2020
https://doi.org/10.3917/popu.2001.0071
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