Si le mariage est un objet d’étude très ancien dans l’histoire de la démographie, ce n’est que tout récemment qu’il est devenu possible d’étudier un phénomène jusque-là inédit, le mariage entre personnes de même sexe. Cinq ans après l’instauration du « mariage pour tous » en France, un premier bilan peut être fait. Les couples de même sexe qui se marient ont-ils des caractéristiques spécifiques ? Qui choisit de contracter une union légale ? Observe-t-on des différences entre les couples d’hommes et les couples de femmes ? Mêlant données d’enquête et données d’état civil, l’auteure décrit les spécificités sociodémographiques de ces unions de même sexe.
1 Après la création de partenariats civils, premières opportunités pour faire reconnaître légalement les couples de même sexe, la possibilité de mariages est apparue pour la première fois au début des années 2000 aux Pays-Bas et s’est ensuite rapidement étendue à d’autres pays. De ce point de vue, l’Union européenne a conduit à une relative uniformisation des législations (Digoix, 2008), même si les pays de la zone n’ont pas tous opéré les mêmes choix, notamment en ce qui concerne la filiation et l’aide médicale à la procréation. En 2017, vingt-quatre États dans le monde ont ouvert le mariage aux couples de même sexe (Carroll et Ramón Mendos, 2017), et l’importance des débats laisse penser que ce nombre va encore augmenter dans les années à venir.
2 Toutefois, dans les pays qui l’autorisent, la proportion de marié·e·s parmi les couples de même sexe apparaît bien en deçà de ce que l’on observe pour les couples de sexe différent (Badgett, 2009). Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce phénomène, notamment une opposition idéologique au mariage plus fréquente parmi les gays et les lesbiennes [1] (Eskridge et Spedale, 2007), et une probabilité plus faible d’avoir des enfants (Badgett, 2009). Par ailleurs, le contexte juridique particulier de chaque pays produit sans doute des effets différents selon les avantages que le mariage accorde par rapport au partenariat civil ou au concubinage. Il peut être plus ou moins désirable, voire requis pour accéder à certains droits. La législation française impose le mariage aux couples de même sexe souhaitant établir un lien de filiation avec un enfant (voir infra). De ce fait, les usages matrimoniaux pourraient être genrés (Kolk et Andersson, 2018) dans la mesure où les couples de femmes sont bien plus nombreux que les couples d’hommes à vivre avec des enfants (Buisson et Lapinte, 2013).
3 Quelles sont les caractéristiques des couples de même sexe qui choisissent de se marier en France ? Les déterminants du mariage sont-ils similaires pour les couples de même sexe et pour ceux de sexe différent ? Observe-t-on des différences entre les couples d’hommes et les couples de femmes ? Le profil des couples mariés diffère-t-il de celui des couples cohabitants ? Tout d’abord, il importe de s’intéresser au contexte démographique et politique pour mieux identifier les différents éléments qui entrent en jeu dans la décision de mariage. D’un point de vue sociologique et démographique, nous décrirons ensuite les couples mariés en termes d’âge, de nationalité et de distribution géographique, à partir de deux sources. Les données d’état civil sur les mariages, fournies par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), apportent des éléments nouveaux concernant les couples mariés de même sexe. L’enquête Famille et logements (2011) permet de les comparer aux couples cohabitants (encadré).
I – Le contexte français : déclin du mariage et spécificités législatives
4 Pour mieux comprendre qui sont les couples de même sexe qui choisissent de se marier en France, il importe de s’intéresser au contexte démographique et politique. Depuis les années 1970, le taux de nuptialité n’a cessé de décroître, pour atteindre aujourd’hui le niveau le plus faible depuis plus de soixante ans [2] (Prioux, 2005 ; Bellamy, 2015). Le mariage intervient à des âges plus avancés, après une ou plusieurs périodes de cohabitation, et représente une option parmi d’autres formes d’unions possibles (Déchaux, 2009). En parallèle, la reconnaissance juridique des couples de même sexe s’amorce en 1999, avec la création du pacte civil de solidarité (pacs), puis se poursuit en 2013 avec l’ouverture du droit au mariage. Dans ce contexte, 39 916 mariages de même sexe ont été célébrés en France entre 2013 et 2017, dont une part importante durant la première année, ce qui s’explique par un « effet de rattrapage » pour les personnes qui souhaitaient se marier depuis longtemps et en ont rapidement saisi l’opportunité. Dans la mesure où l’on estime entre 100 000 et 150 000 le nombre de couples cohabitants de même sexe en France (Buisson et Lapinte, 2013 ; Algava et Hallépée, 2018), cela signifie qu’approximativement un tiers se sont mariés en cinq ans, 39 % avec l’estimation haute et 27 % avec l’estimation basse. Ces proportions demeurent imprécises. Elles supposent qu’on puisse définir à partir d’une enquête représentative en population générale un nombre de couples de même sexe par extrapolation, or dénombrer les couples de même sexe est complexe (Festy, 2007 ; Cortina et Festy, 2014 ; Banens et Le Penven, 2016). Par ailleurs, ces proportions se fondent sur l’estimation des seuls couples cohabitants, les cas de mariages sans cohabitation préalable étant rares. Elles supposent également un stock de couples cohabitants stable [3] et peu de remariages sur la période [4].
Encadré. Les sources : L’état civil et l’enquête Famille et logements (EFL, 2011)
De manière secondaire, il est possible de comparer ces couples aux couples de même sexe cohabitants (non mariés) présents dans l’enquête Famille et logements, une enquête française conduite par l’Insee, accolée au recensement en 2011 et réalisée auprès de 359 800 personnes âgées de dix-huit ans et plus, avec une surreprésentation des femmes. Dans cette enquête, après corrections, 1 390 personnes ont déclaré qu’elles étaient en couple avec quelqu’un du même sexe, dont 1 168 qui cohabitaient avec ce partenaire. On étudie ici uniquement ces dernières, dans la mesure où elles sont davantage susceptibles d’être comparables aux personnes mariées depuis 2013 que celles déclarant vivre en couple non cohabitant. Toutefois, ces deux échantillons (mariés depuis 2013 et cohabitants en 2011) ne sont pas similaires. En 2011, les personnes qui ont répondu à l’enquête n’avaient en effet pas encore la possibilité de se marier, mais malgré tout, il s’agit des meilleures données en population générale dont on dispose à l’heure actuelle pour quantifier les couples cohabitants de même sexe avec certitude et disposer d’effectifs suffisants.
Dans la mesure où le bulletin d’enquête était accolé au recensement et rempli par toutes les personnes du même sexe vivant dans le logement, il est possible de vérifier le sexe des personnes enregistrées dans le bulletin du recensement d’une part, et dans EFL d’autre part. On corrige alors les erreurs concernant le sexe de l’un·e des deux conjoint·e·s, qui ont conduit à la création de 42 % de « faux couples » parmi les personnes apparaissant en couple de même sexe (Banens et Le Penven, 2016).
D’autres sources existent mais ne sont pas exploitables pour une analyse précise des couples de même sexe. L’enquête Emploi, réalisée en continu par l’Insee, permet de différencier les couples de même sexe des couples de sexe différent, mais les erreurs sur le sexe du/de la conjoint·e et l’impossibilité de les contrôler efficacement, la rendent inutilisable pour l’instant. Le même problème se pose dans le recensement, bien que de nouvelles possibilités de correction soient actuellement explorées grâce à la prise en compte des prénoms des conjoint·e·s (Algava et Hallépée, 2018). Enfin, l’enquête Étude des parcours individuels et conjugaux (Epic) menée par l’Ined et l’Insee, malgré des effectifs importants (7 825 personnes interrogées), comporte trop peu de personnes en couples de même sexe au moment de l’enquête pour pouvoir être exploitée.
5 À ce jour, peu d’éléments de comparaison existent dans d’autres pays, puisqu’il est nécessaire de connaître à la fois le nombre de mariages et le nombre de couples de même sexe. On estime que 45 % des couples de même sexe sont mariés aux États-Unis (Gates et Brown, 2015 ; Romero, 2017) [5]. Dans les pays du nord de l’Europe, en revanche, cette proportion semble relativement faible (Banens, 2017 ; Festy et Cortina, 2019) [6]. En comparaison, le taux de mariages de même sexe n’apparaît donc pas si faible en France, même s’il reste bien inférieur à celui des couples de sexe différent [7]. A priori, la situation française est proche de celle du Canada, où un tiers des couples de même sexe sont mariés [8] (Statistics Canada, 2017). Il est possible qu’en raison des vifs débats et d’une opposition politique forte au moment du passage de la loi en France, une partie des gays et des lesbiennes aient investi le mariage comme un acte militant, de crainte que ce droit puisse être un jour remis en cause.
6 De plus, l’institution matrimoniale accorde un certain nombre d’avantages, qui apparaissent importants dans le cas des couples de même sexe. L’établissement d’un lien de filiation avec un enfant pour chacun·e des deux conjoint·e·s d’un couple de même sexe, ne peut s’opérer que dans le cadre de l’adoption, puisque les autres possibilités [9] ont été laissées de côté par la loi de 2013 (Théry, 2016). Or, qu’il s’agisse d’adopter conjointement des enfants via un organisme, ou bien que l’un·e des deux conjoint·e·s soit géniteur/trice et que l’autre adopte les enfants, la procédure d’adoption ne reste accessible qu’aux couples mariés, imposant alors cette forme d’union à celles et ceux qui souhaiteraient y recourir. L’adoption, même simple, d’un·e mineur·e transfère l’autorité parentale à l’adoptant·e, empêchant son partage entre les conjoint·e·s, sauf s’ils/elles sont marié·e·s, ce qui n’est pas le cas dans la plupart des pays européens (Nikolina, 2017). Par ailleurs, le mariage accorde une pension de réversion en cas de décès de l’époux/se, ce qui peut devenir une protection particulièrement importante en vieillissant [10], ainsi que des droits de résidence pour le/la partenaire étranger/ère dans le cas de couples binationaux [11]. Toutes ces raisons pratiques jouent sans doute un rôle dans le choix d’union des couples de même sexe.
II – Les couples de même sexe sont plus âgés que les couples de sexe différent
7 L’état civil sur les mariages permet de caractériser les couples qui se marient sur certains points [12]. Tout d’abord, les couples de même sexe mariés sont plus âgés que les couples de sexe différent, et c’est particulièrement le cas des couples d’hommes : en moyenne, ils ont 45,9 ans contre 40,7 ans pour les couples de femmes et 36,5 ans pour les couples hétérosexuels (tableau 1). Pour les gays et les lesbiennes, celles et ceux qui se sont marié·e·s récemment sont plus jeunes que ceux dont le mariage a eu lieu juste après la promulgation de la loi. Cela s’explique dans la mesure où les premiers/ères à s’en être saisi attendaient sans doute cette opportunité depuis longtemps, tandis qu’au fil du temps, le mariage s’inscrit davantage dans le parcours conjugal, se rapprochant ainsi des couples de sexe différent. Les couples d’hommes qui se sont mariés en 2013 avaient en moyenne 49,8 ans, contre 44,4 ans en 2017, et de façon similaire, la moyenne d’âge passe pour les couples de femmes de 43,0 à 39,3 ans.
Âge moyen et distribution par classe d’âges des couples mariés et cohabitants

Âge moyen et distribution par classe d’âges des couples mariés et cohabitants
8 Comparer les structures par âge des couples de même sexe cohabitants et mariés permet de présenter pour la première fois des écarts relativement importants entre les deux groupes. Pour les gays, on remarque une surreprésentation des plus âgés (plus de 45 ans) chez les mariés, tandis que pour les lesbiennes, c’est la catégorie des 25-34 ans qui est particulièrement surreprésentée (tableau 1). Or, dans la mesure où les couples de même sexe qui ont des enfants sont en grande majorité des couples de femmes (Buisson et Lapinte, 2013), et qu’il s’agit de la catégorie d’âges considérée « appropriée » pour l’entrée en parentalité (Toulemon et Leridon, 1999 ; Bajos et Ferrand, 2006 ; Debest, 2014), on peut penser que cela reflète en partie pour elles un usage du mariage lié à des enjeux parentaux, via l’adoption. Par contre, pour les hommes qui choisissent de se marier, c’est surtout l’avancée en âge qui importe, sans doute parce que cela accroît les risques d’accident et/ou de maladie et conduit donc à porter une attention plus grande aux protections offertes par le mariage. Sans que l’on puisse véritablement confirmer cela grâce aux statistiques fournies par l’Insee, il est possible que les enjeux de protection juridique du/de la conjoint·e (pension de réversion, héritage, transmission du patrimoine, etc.) soient plus déterminants pour les couples d’hommes que pour les couples de femmes dans le choix du type d’union. Les usages juridiques du mariage (adoption, protection) pourraient être différents pour les gays et pour les lesbiennes, en raison de la présence plus fréquente d’enfants pour ces dernières. Comme les couples lesbiens, les couples hétérosexuels mariés entre 2013 et 2017 sont surreprésentés dans la classe d’âges des 25-34 ans, sans doute parce que même sans que la question de l’adoption ne se pose, le fait d’avoir au moins un enfant ou de vouloir en avoir un augmente la probabilité de se marier (Prioux, 2009).
9 Par ailleurs, l’écart d’âge entre les époux/ses apparaît également plus important pour les couples gais (7,4 ans en moyenne) et lesbiens (5,1 ans) qu’il ne l’est pour les couples hétérosexuels (4,3 ans) [13] (tableau annexe A.1). Cela traduit une population de partenaires potentiels plus restreinte, qui implique un élargissement des critères d’âge dans la recherche d’un·e conjoint·e. Cela renvoie aussi à des spécificités concernant les contextes de formation des couples de même sexe. En effet, on sait que les différences d’âge entre partenaires varient en fonction du lieu de rencontre, et notamment les conjoint·e·s qui se rencontrent sur leur lieu d’études présentent des écarts d’âge plus faibles que les autres (Bozon et Rault, 2012). Or, les possibilités de rencontre sont plus réduites du fait de l’appartenance à un groupe minoritaire pour les couples de même sexe. Le lieu de travail, les sociabilités amicales, l’espace public ou les études, contextes majoritaires de formation des couples de sexe différent, prennent une importance moindre pour les couples de même sexe, au profit d’autres modalités, notamment les sites de rencontre (Bergström, 2016) [14].
10 Enfin, au sein des couples de même sexe, les couples d’hommes mariés sont plus susceptibles de connaître d’importantes différences d’âge que les couples de femmes, en particulier d’avoir plus de dix ans d’écart, ce qui pourrait là aussi s’expliquer par des lieux de rencontre différents entre couples gais et lesbiens. On sait par exemple que les lieux de rencontre lesbiens sont plus « invisibles » que ceux des gays (Cattan et Clerval, 2011). Il est possible que la plus grande importance des espaces « privatifs » lesbiens, dont les membres tendent à être davantage sélectionnés, conduise à la formation de couples plus homogames en termes d’âge et de milieu social, un résultat déjà observé dans d’autres pays (Kurdek et Schmitt, 1987).
III – Une répartition géographique spécifique des couples d’hommes
11 Dans un second temps, les données de l’état civil montrent que les couples de femmes mariées résident plus souvent dans des communes rurales, dans des petites villes et dans des villes de taille moyenne que les couples d’hommes mariés [15]. À l’inverse, les couples d’hommes résident bien plus fréquemment dans l’agglomération parisienne (c’est le cas de 28 % d’entre eux, contre 16 % des couples de femmes et 19 % des couples de sexe différent) (tableau 2) [16]. Cette localisation parisienne apparaît comme une spécificité gaie, qui peut s’expliquer par des mobilités vers la capitale. Le choix de l’Île-de-France se détache de façon bien plus importante pour les gays dans les migrations nationales que pour les lesbiennes (Rault, 2016). Par exemple, une partie des gays mettent en avant le choix de Paris pour accéder à des rencontres et investir des lieux de sociabilité homosexuelle (Giraud, 2014), tandis que la sociabilité lesbienne se réalise plus souvent dans un cadre privé (Ferzli, 2001). Par ailleurs, l’éloignement du lieu de résidence parental s’avère plus fréquent pour les personnes qui déclarent un·e conjoint·e de même sexe que pour celles qui déclarent un·e conjoint·e de sexe différent, et c’est plus particulièrement le cas pour les gays (Rault, 2016). La distribution géographique des couples lesbiens, relativement proche de celle des couples hétérosexuels, peut donc aussi se comprendre comme une conséquence de moindres logiques d’éloignement familial pour elles et/ou d’une recherche de rapprochement lorsqu’elles ont des enfants [17]. Sur ce point, d’ailleurs, les conjoints dans un couple d’hommes sont plus susceptibles que dans un couple de femmes d’avoir connu une mobilité géographique : une partie plus importante déclare, au moment du mariage, résider dans un département différent de leur département de naissance (c’est le cas de 69 % d’entre eux contre 63 % pour les femmes) (tableau non présenté) [18]. Cela s’explique aussi parce que la proximité avec les parents apparaît de toutes façons toujours plus importante pour les femmes que pour les hommes (Bonvalet et Lelièvre, 2012).
Distribution des couples mariés et cohabitants par tranche d’unité urbaine du lieu de domicile des conjoint·e·s en fonction du type de couple (%)

Distribution des couples mariés et cohabitants par tranche d’unité urbaine du lieu de domicile des conjoint·e·s en fonction du type de couple (%)
12 De manière similaire, lorsque l’on observe les proportions de mariages par département de domicile des époux/ses, on remarque que la répartition des couples de femmes ressemble beaucoup à celle des couples de sexe différent, bien qu’elles se retrouvent un peu plus dans certains départements comptant de grandes agglomérations (Gironde, Bouches-du-Rhône, Hérault, Loire-Atlantique, Nord). En comparaison, les couples d’hommes mariés sont surtout surreprésentés dans la capitale (19 % des mariages de deux hommes concernent des partenaires parisiens) (cartes non présentées).
13 Par rapport aux mariés de sexe différent, les marié·e·s de même sexe résident surtout dans l’Ouest et le Sud de la France [19], ainsi qu’en région parisienne (figure 1). On compte ainsi 9 couples de même sexe pour 100 couples mariés dans la capitale, 5 dans l’Hérault et dans les Alpes-Maritimes, et près de 4,5 en Gironde et en Loire-Atlantique, ce qui rejoint le constat, déjà soulevé dans d’autres pays, d’une présence plus importante dans certains départements où se trouvent de grandes agglomérations (Black et al., 2000).
14 Pour finir, si l’on compare plus spécifiquement les lieux de résidence des couples de femmes par rapport aux couples d’hommes parmi les couples mariés, elles s’avèrent en proportion plus nombreuses dans l’Est de la France et moins représentées dans certains départements comptant de grandes agglomérations [20] (figure 2). Dans le Bas-Rhin, les Alpes-Maritimes, la Haute-Garonne et l’Hérault, par exemple, on compte davantage de couples d’hommes que de couples de femmes parmi les couples de même sexe mariés (seuls 38 % à 47 % des couples qui y résident sont lesbiens). Les femmes apparaissent là encore très minoritaires à Paris, avec seulement 24 % de couples lesbiens parmi les couples mariés de même sexe vivant dans la capitale. Elles se révèlent également moins nombreuses dans la petite couronne, notamment dans les Hauts-de-Seine et en Seine-Saint-Denis (comptant respectivement 39 % et 40 % de femmes parmi les couples mariés de même sexe), en revanche leur proportion augmente dans la grande couronne (avec 55 % de couples lesbiens en Essonne et dans les Yvelines) (figure 2).
Proportion de mariages de même sexe sur l’ensemble des mariages (pour 100 mariages)

Proportion de mariages de même sexe sur l’ensemble des mariages (pour 100 mariages)
15 Il est probable que ces différences reflètent en creux des inégalités de revenus dans la mesure où les écarts de rémunération annuelle nette entre hommes et femmes s’élèvent à 23,7 % au détriment de ces dernières, ce qui s’explique à la fois par des écarts entre les professions, par le temps de travail et par l’inégalité salariale (Chamkhi et Toutlemonde, 2015). Les possibilités résidentielles des couples lesbiens seraient de ce fait plus réduites que celles des couples gais, ce qui expliquerait le choix de la grande couronne, moins onéreuse que Paris et les départements limitrophes. La présence d’enfants, plus fréquente pour les couples de femmes, impacte sans doute également leurs choix résidentiels dans la mesure où la proportion de familles [21] est double dans la grande couronne par rapport à Paris (Atelier parisien d’urbanisme, 2010).
Proportion de mariages de femmes sur l’ensemble des mariages de même sexe (pour 100 mariages)

Proportion de mariages de femmes sur l’ensemble des mariages de même sexe (pour 100 mariages)
IV – Les couples de femmes : moins binationaux et un peu plus de remariages
16 En termes de nationalité, les couples mariés de même sexe apparaissent relativement proches des couples cohabitants de même sexe : 16 % des couples d’hommes mariés et 5 % des couples de femmes mariées sont binationaux, contre 17 % des cohabitants et 5 % des cohabitantes (tableau 3). On sait que les couples binationaux bénéficient de peu d’options pour organiser leur vie conjugale et familiale, et que le mariage peut constituer une forme de nécessité afin de protéger juridiquement le/la partenaire non français·e en lui accordant la possibilité de rester sur le territoire (Salcedo Robledo, 2015). Toutefois, les similitudes entre les situations des marié·e·s et des cohabitant·e·s ne montrent pas davantage de mariages chez les couples binationaux. En effet, la part des couples binationaux, relativement importante dans les couples d’hommes, semble indépendante du type d’union.
Distribution des couples mariés et cohabitants par nationalité des conjoint·e·s en fonction du type de couple (%)

Distribution des couples mariés et cohabitants par nationalité des conjoint·e·s en fonction du type de couple (%)
17 Dans tous les cas, les configurations de couples binationaux concernent bien moins souvent les couples lesbiens [22], alors que les proportions sont proches pour les couples gais et les couples de sexe différent (parmi les mariés, on compte 14 % de couples binationaux). Pour autant, d’autres motivations juridiques au mariage existent du côté des couples de femmes, de même que pour les autres types de couples. Bien que les données d’état civil ne permettent pas d’identifier la présence d’enfants communs dans le couple avant le mariage [23], une partie d’entre elles s’unissent dans un but de filiation lié à la reconnaissance du statut parental des deux conjointes [24]. À ce titre, bien que les lesbiennes aient d’abord été moins nombreuses à se saisir du mariage que les gays, leur nombre augmente au fil du temps pour devenir légèrement supérieur à celui des hommes en 2017 (tableau 1). Cela signifie sans doute qu’en termes de proportion, elles se marient davantage puisque les couples d’hommes sont plus nombreux que les couples de femmes (on compterait six couples gais pour quatre couples lesbiens) (Buisson et Lapinte, 2013). Ce résultat s’explique au moins en partie par leurs configurations familiales : la présence d’enfants, plus fréquente les concernant, conduit sans doute à des unions liées à la reconnaissance du lien de filiation.
18 Par ailleurs, on compte un peu plus de remariages dans les couples de femmes : dans 20 % des cas, l’une d’entre elles a été mariée par le passé, contre 18 % pour les couples d’hommes et 29 % pour les couples de sexe différent (tableau annexe A.2). Pour les couples de même sexe, il s’agit très certainement de premiers mariages hétérosexuels dans la mesure où la loi paraît trop récente pour que l’opportunité de deux mariages de même sexe ait pu se présenter. En effet, ces cas concernent majoritairement les plus âgé·e·s. Quasiment la moitié des gays qui vivent un remariage ont plus de 55 ans (tableau annexe A.2). C’est moins le cas pour les lesbiennes, qui ne sont que 31 % dans ce cas et pour lesquelles, là encore, la structure par âge ressemble davantage à celle des couples de sexe différent.
19 Cela reflète sans doute également un effet de génération : les relations hétérosexuelles et leur institutionnalisation via le mariage représentaient davantage une obligation auparavant, tandis que cela tend à s’atténuer au fur et à mesure que les relations de même sexe trouvent une reconnaissance juridique et sociale. Chez les plus âgé·e·s, le mariage de sexe différent pouvait aussi être investi pour accéder à la parentalité, dans un contexte où les possibilités envisageables apparaissaient bien plus restreintes qu’aujourd’hui. On sait par exemple que dans les couples lesbiens, les enfants de moins de cinq ans sont bien plus souvent nés via l’aide médicale à la procréation, tandis que les enfants plus âgés étaient davantage conçus dans le cadre d’une précédente union hétérosexuelle (Gross et al., 2014). Le recours au mariage pour accéder à l’adoption renvoie aussi à un effet générationnel. Il assure une protection juridique aux deux parents d’intention et intervient donc lorsque ces projets parentaux se conçoivent et se réalisent au sein de couples de même sexe, des cas bien plus fréquents que par le passé.
Conclusion
20 La reconnaissance juridique des conjugalités de même sexe a progressé de manière importante au cours des dernières décennies, ce dont témoigne leur accès à l’institution matrimoniale. Les bases de l’état civil sur les mariages constituent de nouvelles sources et permettent pour la première fois d’observer des différences significatives entre la répartition géographique et l’origine des couples de femmes et des couples d’hommes mariés entre 2013 et 2017. Les couples de femmes sont aussi moins souvent binationaux que les couples d’hommes et les couples de sexe différent. Ces différences s’expliquent sans doute à la fois par des rapports genrés à l’espace et aux migrations nationales, et par des écarts de revenus entre les deux groupes. Par ailleurs, les couples gais qui se marient sont plus âgés, tandis que les couples lesbiens sont surreprésentés dans la classe d’âges des 25-34 ans. Ces éléments laissent envisager des aspects juridiques dans le choix d’union, qui ne sont pas les mêmes pour les hommes et pour les femmes, sans doute parce que ces dernières sont actuellement bien plus nombreuses à vivre avec des enfants. De ce point de vue, les droits accordés par le mariage en France pour l’établissement de la filiation entre conjoint·e·s de même sexe, mais aussi ceux concernant l’organisation de la vie conjugale (possibilité de résidence pour les conjoint·e·s étranger/ères, pension de réversion, héritage…) permettent sans doute de comprendre pourquoi le taux de mariage de même sexe s’y avère relativement élevé en comparaison avec d’autres pays européens, notamment avec les pays scandinaves. Ces résultats invitent alors à poursuivre les recherches en expliquant davantage le processus de choix d’union et les différents éléments qui entrent en jeu dans cette décision. La combinaison de plusieurs types de méthodes pourrait conduire à mieux saisir la variété des motivations de ces couples, sans négliger la façon dont certaines positions dans l’espace social peuvent influencer les décisions conjugales. Enfin, les résultats appellent également à étudier davantage les effets contextuels au travers de comparaisons internationales, et à se pencher plus en détail sur les spécificités juridiques des pays [25].
Remerciements
Je remercie chaleureusement Wilfried Rault pour ses précieux conseils, ainsi que Morgan Kitzmann, Milan Bouchet-Valat, Mathieu Ichou, Bénédicte Garnier, Patrick Festy et Pierre-Marie Chauvin pour leur aide et leurs remarques. Je remercie également les relecteurs/trices anonymes de la revue Population ainsi que les membres du comité de rédaction pour la richesse et la pertinence de leurs commentaires qui m’ont permis d’améliorer cet article.Annexes
Différence d’âge entre époux/ses en fonction du type de couple (%)

Différence d’âge entre époux/ses en fonction du type de couple (%)
État matrimonial antérieur et répartition par âge en fonction du type de couple (%)

État matrimonial antérieur et répartition par âge en fonction du type de couple (%)
Notes
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[1]
De nombreuses oppositions et critiques idéologiques au mariage en tant que modèle se retrouvent à la fois dans la littérature scientifique (Donovan, 2004) et dans les discours militants (Front homosexuel d’action révolutionnaire, 1971).
-
[2]
Le taux brut de nuptialité est passé de 7,0 ‰ en 1960 à 3,5 ‰ en 2013, voir https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/chiffres/bases-donnees/donnees-pays-developpes/.
-
[3]
Il est possible qu’une partie des couples cohabitant en 2011 aient rompu, mais de nouveaux couples cohabitants ont pu se former sur la période, si bien que le stock est supposé stable.
-
[4]
On peut penser que le nombre de remariages est très faible et n’affecterait que marginalement l’estimation. Si l’on applique les taux de divorce des couples de sexe différent, soit 26,5 % après cinq ans d’union (Bellamy, 2016) aux mariés de même sexe, on aboutirait seulement à 1 057 dissolutions d’union concernant les couples de même sexe. La probabilité que des personnes se soient mariées deux fois sur la période et serait encore plus faible.
-
[5]
Cette estimation a été réalisée en observant le statut matrimonial déclaré par les personnes qui s’identifient comme LGBT, à partir d’échantillons d’adultes de 18 ans et plus en population générale. L’autodéclaration en tant que LGBT et les précisions sur le sexe du/de la partenaire permettent d’éviter les erreurs liées aux « faux » couples de même sexe (couples de sexe différent mais dont le sexe d’un·e des conjoint·e·s a été mal renseigné).
-
[6]
À partir du nombre de mariages et des estimations de couples de même sexe, 15 % à 20 % d’entre eux se seraient mariés aux Pays-Bas, sept ans après l’ouverture de cette possibilité (Badgett, 2009). Reste qu’à défaut de mesure plus précise, les taux bruts de nuptialité, calculés en rapportant les mariages au nombre d’hommes et de femmes dans la population, placent la France bien au-dessus des autres pays européens (Festy et Cortina, 2019).
-
[7]
D’après l’enquête Famille et logements, 57 % des personnes qui déclarent être en couple seraient mariées avec leur conjoint·e. Si on restreint l’analyse aux moins de 50 ans afin de limiter l’effet générationnel, le mariage représente la forme d’union majoritaire pour les couples les plus âgés.
-
[8]
Dix ans après l’ouverture de ce droit.
-
[9]
Comme la présomption de paternité, certains pays mettent en place une présomption de parenté dans les couples de même sexe, le plus souvent mariés ou pacsés, permettant au/à la conjoint·e du parent biologique d’être automatiquement reconnu·e par la loi. Par ailleurs, il existe également des possibilités de reconnaissance de parenté : le/la conjoint·e déclare juridiquement reconnaître l’enfant, indépendamment du statut du couple (Sénat, 2012 ; Waaldijk et al., 2017).
-
[10]
Dans certains pays d’Europe, le partenariat civil, voire le concubinage, peuvent permettre d’accéder à la pension de réversion, ce qui n’est pas le cas en France (Waaldijk et al., 2017).
-
[11]
Dans le cas des couples binationaux, le mariage permet au/à la conjoint·e étranger/ère de demander une carte de séjour ou une carte de résident·e. Après quatre ans d’union, il/elle peut également faire une demande pour obtenir la nationalité française.
-
[12]
Même si cela aurait très certainement représenté une ressource importante d’un point de vue sociologique et démographique, aucun élément concernant la profession ou la catégorie professionnelle des conjoint·e·s n’est mentionné sur les bulletins de mariage.
-
[13]
Dans la majorité des cas au profit de l’homme, puisque dans 66 % des couples, celui-ci est plus âgé que sa conjointe (tableau non présenté).
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[14]
Ce contexte différent produit des effets qui ne s’avèrent pas spécifiques aux couples mariés, dans la mesure où on les retrouve de manière similaire chez les couples cohabitants (tableau non présenté).
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[15]
Tous les résultats ont fait l’objet d’un contrôle par âge (régressions non présentées). À âge identique, des disparités entre couples d’hommes, couples de femmes et couples de sexe différent demeurent, même si c’est moins le cas concernant la répartition géographique par département, dont certains effets peuvent être en partie imputables à l’âge.
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[16]
Des résultats similaires s’observent pour les couples cohabitants dans EFL. Les couples de femmes mariées sont en revanche surreprésentées dans les communes par rapport aux couples de femmes cohabitantes (tableau 2).
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[17]
Wilfried Rault (2016) montre que le fait d’avoir des enfants joue favorablement sur la proximité avec les parents pour les couples de femmes, tandis que les couples d’hommes sont trop peu nombreux dans cette configuration familiale pour que l’on puisse observer de tels phénomènes.
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[18]
C’est aussi le cas des femmes en couple lesbien par rapport aux individus en couple de sexe différent (51 %).
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[19]
Pour 100 mariages, on compte 4,7 couples de même sexe résidant en Charente-Maritime et dans les Pyrénées-Orientales ; 4,4 dans l’Aude ; 4,1 dans le Calvados, dans le Gard et les Pyrénées-Atlantiques.
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[20]
Dans les Bouches-du-Rhône, en Gironde, dans le Nord et le Rhône, on compte toutefois quasiment autant de couples gais que de couples lesbiens (autour de 50 %). Les gays sont surtout surreprésentés dans les départements du sud de la France.
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[21]
Comptant au moins un adulte et un enfant de moins de 25 ans avec qui il/elle possède un lien de filiation.
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[22]
Là encore, cela rejoint sans doute le constat d’une homogamie relativement prononcée chez ces dernières, notamment par rapport aux couples gais (Kurdek et Schmitt, 1987).
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[23]
Tous les couples de même sexe sont comptés comme n’ayant aucun enfant commun dans les bases de l’état civil.
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[24]
Une enquête qualitative en cours réalisée dans le cadre de la thèse de l’auteure montre que la question du mariage dans le but d’accéder à l’adoption revient souvent dans les discours des femmes, tandis qu’elle reste moins mobilisée par les hommes.
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[25]
À ce sujet, voir notamment le projet Laws and Families https://www.lawsandfamilies.eu/en/legal-project/interactive-database/#tab-question.