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1 Cet ouvrage reprend les communications présentées au séminaire Penser les Vieillesses organisé à l’Université Libre de Bruxelles. Il vise à saisir les évolutions contemporaines de la vieillesse en mêlant les regards de l’anthropologie, de la sociologie, de la démographie et de la géographie. Face à des discours médiatiques souvent alarmistes et des politiques publiques entraînant une « responsabilisation des individus dans leur propre parcours de vieillissement », il s’agit de comprendre ce que recouvre la notion de vieillesse aujourd’hui. L’ouvrage est organisé autour de trois grandes thématiques : les effets de contexte (géographique et social), l’évolution des solidarités suite à l’accès de la génération du baby-boom à un âge avancé et, enfin, les modifications de la perception et des usages du corps vieillissant.

2 Inaugurant la première partie, la contribution de Catherine Gucher porte sur les populations âgées dans les espaces ruraux de trois régions françaises. Elle montre comment ces espaces géographiquement à l’écart peuvent aussi l’être socialement. Trois groupes sont distingués. Les natifs, souvent privés d’autres types de capital, mettent en avant leur appartenance au territoire, leur retraite s’inscrivant dans la continuité de leurs pratiques passées et de leur attachement au pays. Au contraire, ceux qui s’installent sur le tard connaissent souvent une ascension sociale grâce à l’accès à une propriété moins coûteuse que dans les zones urbaines. Enfin, les personnes âgées revenues au pays peuvent développer une culture double, fondée sur leur enracinement et sur la sociabilité développée ailleurs au cours de leur vie active.

3 Alexandre Pillonel se concentre sur une population de riches propriétaires genevois, et combine, de manière stimulante, analyse du vieillissement et approche sociologique. Les dominants qu’il interroge cherchent à se distinguer en utilisant leur propriété « comme une ressource importante qui facilite la poursuite du double objectif normatif … l’autonomie et l’indépendance ». À ce titre, le logement constitue un capital économique mais aussi symbolique et social. Il est également un moyen pour ces personnes d’échapper à la prise en charge institutionnalisée, tout en leur permettant de ne pas dépendre de leurs enfants.

4 Virginie Villemin étudie le parcours des personnes âgées installées au Maroc pour y vivre leur retraite. Dans une analyse proche de celle de Catherine Gucher, elle montre que ce choix peut s’expliquer par un attachement au lieu d’origine et/ou par des contraintes financières. L’auteure met en lumière l’existence de solidarités recréées autour d’une communauté d’expatriés, et l’émergence d’une économie locale liée à la prise en charge des personnes âgées expatriées.

5 La contribution d’Estelle Ducom porte sur le Japon, pays qui connaît un vieillissement démographique très marqué et une diminution de sa population. Le vieillissement uniforme de certains quartiers peut conduire à une ségrégation spatiale. Ainsi, dans les quartiers résidentiels vieillissants éloignés des transports en commun, les personnes âgées sont particulièrement isolées. Par ailleurs, le développement d’une délinquance des personnes âgées témoigne d’une paupérisation rapide de cette population et d’un affaiblissement des solidarités traditionnelles.

6 La deuxième partie de l’ouvrage porte sur les solidarités contemporaines et le vieillissement. Catherine Bonvalet et Céline Clément reprennent la conclusion d’un ouvrage, dont la première est co-auteure, portant sur une comparaison entre le Québec et la France. Les deux auteures interrogent la pertinence du concept d’« ensemble générationnel » appliqué à la génération des baby-boomers. Certes les membres de cette génération pionnière ont en commun de « transformer les différentes étapes des cycles de vie » à mesure qu’ils les atteignent. Cependant leur spécificité ne réside pas tant dans la constitution de liens nouveaux avec leur famille (ou de la disparition de ces liens) mais plutôt dans leur capacité à combiner réseaux professionnels et amicaux d’une part et solidarités familiales d’autre part.

7 Christophe Capuano confronte l’évolution des textes de loi et des politiques publiques sur l’assistance aux personnes âgées à celle des analyses sociologiques des solidarités familiales. En effet, l’analyse législative reflète un soupçon permanent à l’égard des familles qui profiteraient des dispositifs d’assistance pour ne pas prendre en charge leurs aînés. Cette injonction morale est renforcée par des enquêtes à partir des années 1960, qui montrent une hausse de la décohabitation entre les générations. Mais, dès les années 1970, les chercheurs insistent sur la nécessité de ne pas confondre la solitude résidentielle et l’isolement social. Cependant, cette redécouverte de la permanence des solidarités familiales a pour effet de renforcer la responsabilisation des familles qui doivent pallier aux insuffisances des politiques de maintien à domicile et qui voient conditionner les aides financières à des retenues sur héritage. Même si les années 2000 marquent un progrès avec la reconnaissance progressive du statut d’aidant et la création de l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA), qui supprime la retenue sur héritage, le poids reste fort sur les familles.

8 Laurent Nisen décrit le dispositif d’une enquête statistique sur la maltraitance des aînés en Wallonie. Les choix réalisés par les concepteurs de l’enquête visent à définir au mieux le concept de maltraitance pour en saisir son ampleur et ses déterminants. Au-delà des définitions proposées par le Conseil de l’Europe ou l’OMS, la maltraitance est ici caractérisée par un ensemble d’actes ressentis négativement par la personne âgée, réalisés dans un contexte relationnel préexistant et souvent involontaires de la part de l’auteur. Ainsi définie, la maltraitance affecte 28 % de personnes âgées. Ce taux augmente avec l’âge, l’état de célibataire, l’absence d’enfant et l’isolement.

9 Enfin, la dernière partie de l’ouvrage se concentre sur la question du corps et du genre au cours du vieillissement. Enguerran Macia montre tout d’abord, à partir d’entretiens réalisés dans la région de Marseille, que les femmes âgées de 65 à 75 ans ne s’identifient pas au processus de déprise associé souvent à cet âge. Au contraire, elles revendiquent une vie active et dynamique. En adoptant une approche performative du genre, l’auteure montre que ces femmes cherchent à construire une nouvelle féminité vieillissante en refusant des modèles hérités.

10 Cécile Charlap cherche à « dénaturaliser » la ménopause, qui est « le produit d’une culture et de rapports sociaux » car appréhendée différemment d’une société à l’autre. Chez les Baruya, que Maurice Godelier a rendus célèbres, la ménopause est vécue comme une rupture avec la féminité qui permet aux femmes d’accéder au pouvoir. Au contraire, la ménopause indiffère largement les Japonais, qui n’ont pas de mot pour la désigner. Ce détour anthropologique permet d’aborder la ménopause en France, en tenant à distance le discours médical qui « participe d’une vision biologisante de la catégorie du féminin … ancrée dans la fertilité » et qui la « pathologise » avec un lexique du déficit, du risque, de la maladie. L’auteure montre que la ménopause, considérée dans les milieux urbains aisés comme un stigmate à cacher, elle est au contraire vécue chez les femmes des milieux populaires comme une épreuve naturelle face à laquelle elles doivent montrer leur endurance.

11 Cécile Plaus et Béatrice Sommier abordent la sexualité des veuves de plus de 60 ans, soumise à des injonctions visant à la limiter. Si une partie des enquêtées suit ce modèle en revendiquant une « fidélité post-mortem » vis-à-vis de leur conjoint, deux autres profils émergent. Pour certaines femmes, le veuvage permet de conquérir une liberté sexuelle jusqu’alors inaccessible. Pour d’autres, disposant de peu de ressources, l’activité sexuelle peut être le moyen de rencontrer un partenaire répondant à leurs besoins matériels, ce qui reproduira ainsi une domination masculine. Cette contribution rend visibles des pratiques souvent tues et souligne la diversité des situations. On regrettera cependant l’absence d’identification des déterminants sociaux corrélés à chacun de ces trois profils, sauf la pratique religieuse.

12 L’ouvrage se termine par la contribution de Raymonde Feillet qui développe deux analyses complémentaires. Elle montre que les émissions télévisées et les magazines adressés aux personnes âgées font émerger une représentation particulière de la vieillesse. À partir des années 1970, « on passe de l’art de bien vieillir, où il s’agissait d’accomplir sa vieillesse, à une représentation scientifique, individuelle et collective du bien-être ». Dans ces médias, les scientifiques et autres experts médicaux sont omniprésents et participent à l’injonction d’une vieillesse active refusant le repos. Se développe alors une responsabilisation de l’individu, sommé de réussir sa vieillesse en entretenant son corps.

13 Finalement, l’objectif initial de cet ouvrage semble atteint. Si les contributions proposées peuvent sembler très diverses, par les disciplines concernées, les méthodologies et les objets d’études choisis, elles font émerger le portrait cohérent d’une génération nouvelle qui accède aujourd’hui au grand âge et qui modifie le sens donné à la vieillesse. Au-delà des conclusions de chacun des auteurs, on perçoit l’intérêt de croiser les regards des sciences sociales pour comprendre le phénomène du vieillissement. Le format du séminaire de recherche, dont l’ouvrage est issu, permet également de présenter des travaux théoriques et des études davantage empiriques, qui actualisent de manière stimulante les connaissances relatives au vieillissement aujourd’hui.

Pierre-Antoine Bilbaut
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 24/10/2019
https://doi.org/10.3917/popu.1903.0385
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