1 Dans cet ouvrage sur la formation de la « seconde génération » aux États-Unis, les auteurs proposent un nouveau cadre pour une sociologie des descendants d’immigrés et font une évaluation systématique de cinq ouvrages ayant marqué la sociologie de l’immigration et de la seconde génération aux États-Unis depuis les années 2000. Les auteurs soutiennent que la formation de la seconde génération ne peut être cernée qu’en examinant les contextes migratoires des parents, même si les descendants n’ont pas eux-mêmes fait l’expérience de la migration. De même que la sociologie des immigrés a gagné en tenant compte de l’émigration, après avoir longtemps fait démarrer les trajectoires des individus dès l’installation dans le pays d’arrivée, la sociologie des descendants ne peut faire l’économie des ressources et contraintes héritées de l’émigration des parents.
2 Cette approche, dite « internationale », vise à expliquer un ensemble complexe de différences et d’inégalités : en termes de parcours scolaires, d’accès à l’emploi, d’identification au groupe d’origine, de participation politique, de pratiques culturelles. Ces différences s’expliquent par les caractéristiques sociales et culturelles de ces groupes et les ressources familiales des descendants d’immigrés. Les contextes d’émigration et d’immigration sont analysés à partir des multiples frontières légales et sociales qu’ils produisent (diversité des statuts de résidence limitant et complexifiant l’accès à la citoyenneté, ressources offertes et contraintes imposées par la migration et par le maintien de liens avec les familles dans les pays d’émigration, etc.).
3 Après un premier chapitre introductif, ce cadre est minutieusement exposé dans la première partie du livre (chapitres 2 et 3) parallèlement à la synthèse critique de cinq ouvrages majeurs publiés depuis les années 2000 [1] . Les hypothèses, concepts, apports et angles morts de chacun de ces ouvrages sont systématiquement exposés, notamment dans des tableaux comparatifs. L’ouvrage offre ainsi une discussion des théories de la sélectivité de l’émigration et de l’immigration, de l’assimilation segmentée, de la citoyenneté exclusive ainsi que des nouvelles approches des processus d’assimilation. Ce dialogue systématique et critique se poursuit jusqu’aux dernières pages du livre. Plusieurs différences apparaissent par rapport aux travaux cités. Premièrement, il s’agit de se départir des enquêtes qui se focalisent sur la comparaison entre deux groupes définis par les pays d’origine des parents et qui tendent à verser dans le culturalisme pour expliquer les différences entre les trajectoires des individus. Deuxièmement, en introduisant l’ « international » dans l’analyse des trajectoires de la seconde génération, les auteurs font l’hypothèse que les descendants d’immigrés, y compris les citoyens étasuniens, doivent être distingués dans l’analyse des minorités étasuniennes sans histoire familiale migratoire. L’expérience des frontières nationales et de la citoyenneté des parents pèsent sur les trajectoires des descendants.
4 Les auteurs s’appuient sur l’exploitation des bases de données issues de deux enquêtes : The Immigration Second Generation in Metropolitan New York et The Immigration and Intergenerational Mobility in Metropolitan Los Angeles, qui renseignent les trajectoires de descendants d’immigrés âgés de 18 à 32 ans. La World Values Survey est également exploitée pour caractériser les pays d’émigration en termes de valeurs. Les variables mobilisées dans ces trois enquêtes sont documentées en annexe de l’ouvrage, elles-mêmes complétées par une trentaine de pages consultables en ligne. Ces bases de données sont exploitées dans les deuxième et troisième parties du livre, intitulées « Transmission » (chapitres 4 et 5) et « Transformations » (chapitres 6 à 9). L’analyse statistique identifie les variables qui pèsent positivement ou négativement sur les trajectoires scolaires et d’emploi des descendants mais aussi sur leur rapport au politique, leurs pratiques culturelles et les formes d’identification au groupe d’origine.
5 Parmi les multiples résultats présentés dans ces chapitres et synthétisés dans la conclusion (chapitre 10), on peut relever que les caractéristiques des familles semblent plus déterminantes pour expliquer les trajectoires des descendants que celles des pays d’origine. Concernant par exemple les liens maintenus avec les pays d’origine, s’ils sont importants (quatre descendants sur cinq déclarent en avoir avec les membres de leur famille restés dans le pays), leur intensité diffère d’une famille à l’autre, y compris pour un même pays d’émigration. De même, concernant l’accès à la citoyenneté, la diversité des statuts de résidence des parents (voire l’absence de statut pour les sans-papiers) est un levier puissant de différenciation entre familles, y compris lorsqu’elles sont originaires des mêmes pays d’émigration. Ainsi, contre les nouvelles théories de l’assimilation, la perspective internationale adoptée par les auteurs donne à voir la multiplicité des frontières produites par les politiques d’immigration restrictives excluant de façon inégale les immigrés de la citoyenneté et restreignant l’accès de leurs descendants à de nombreux biens et services.
6 L’ouvrage pêche peut-être par son ambition de penser ensemble un nombre trop important de variations dans les trajectoires des descendants (réussite scolaire et insertion professionnelle, assimilation culturelle et participation politique, etc.), qui rendent difficile la hiérarchisation de leurs résultats. Par ailleurs, il n’est pas sûr que les auteurs échappent au culturalisme dont ils proposent pourtant une critique fine et systématique. S’ils entendent répondre à cette objection en mobilisant la World Values Survey pour identifier les « orientations des valeurs » héritées de la socialisation des parents dans leurs pays d’origine, plutôt que des cultures homogènes, la caractérisation des sociétés de départ, par leur propension à produire certaines valeurs plutôt que d’autres, est problématique en soi. Malgré ces réserves, l’ouvrage intéressera les sociologues des trajectoires des immigrés et de leurs familles, y compris dans le cadre d’enquêtes qualitatives. Il offre en effet de nombreuses pistes de recherche et de multiples hypothèses stimulantes comme celles s’intéressant aux rapports entre précarité du séjour des parents et trajectoires scolaires des descendants, ou encore aux rapports entre capital ethnique des familles et rapport à l’emploi des descendants.
Notes
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[1]
Alejandro Portes, Ruben G. Rumbaut, 2001, Legacies : The Story of the Immigrant Second Generation, Berkeley, University of California Press ; Philip Kasinitz, John H. Mollenkopf,Mary C. Waters, Jennifer Holdaway, 2008, Inheriting the City : The Second Generation Comes of Age, New York, Russel Sage Foundation ; Frank D. Bean, Susan K. Brown, James D. Bachmeler, 2015, Parents Without Papers : The Progress and Pitfalls of Mexican American Integration, NewYork, Russel Sage Fondation ; Jennifer Lee, Min Zhou, 2015, The Asian American Achievement Paradox, New York, Russel Sage Foundation ; Richard Alba, Victor Nee, 2003, Remaking the American Mainstream : Assimilation and Contemporary Immigration, Cambridge, Harvard University Press.