1Cet ouvrage collectif est le résultat de discussions débutées en 2009 entre des chercheurs du Centre de recherches interdisciplinaire sur l’Allemagne (CRIA), autour d’un projet visant à « mettre en lumière la différence de positionnement entre les deux pays en matière de savoir ethnographique et interroger les traditions scientifiques respectives dans leur rapport à l’espace et à la culture » (p. 23).
2Cette publication est structurée en 3 parties. La première porte sur les rapports existant entre la théorie et l’empirie, la seconde traite des outils du terrain, la dernière enfin aborde l’usage politique du terrain en particulier. Une démarche réflexive sur les dispositifs de recherche visant à construire et mobiliser un « terrain » est ainsi proposée au fil des chapitres. L’objectif est aussi de comparer les postures française et allemande, ce qui a l’intérêt d’inscrire les « façons de faire » dans des contextes nationaux et des histoires disciplinaires différentes. Pour cela, « une perspective historique et généalogique revenant sur l’institutionnalisation du terrain dans différentes traditions nationales et/ou disciplinaires » (p. 13) a été adoptée. La façon de « saisir le terrain » varie en effet d’un espace national à un autre. Un « nationalisme méthodique » oriente nos modes de pensée et nos pratiques dans le sens selon lequel les sciences prennent forme dans des institutions et se sont organisées parallèlement à la formation des nations. L’entrée sur le terrain et le recueil des « données » diffèrent aussi selon les disciplines, avec parfois de fortes convergences comme c’est le cas pour la géographie.
3Largement centré sur l’ethnologie, l’ouvrage présente en détail comment l’entrée sur le terrain par l’ethnographie émerge en Allemagne au début du XXe siècle et explicite également la spécificité de ce pays à distinguer la Volkskunde de la Völkerkunde, la première portant sur l’étude du peuple allemand tandis que la seconde s’intéresse aux autres populations. Dans le développement de cette science de terrain, l’Allemagne semble ainsi pionnière avec des chercheurs comme Franz Boas qui dès 1883 se rend en Terre de Baffin. Cette précocité dans l’enquête de terrain trouverait racine d’après Hélène Ivanoff au siècle des Lumières à travers les textes de Kant ou de Herder sur la communauté culturelle (Kulturgemeinschaft) et l’âme du peuple (Volkseele), qui ont sans doute favorisé les recherches sur « Soi » et « l’Autre ». Au-delà du souci d’objectivation qui est encore très partial à l’époque, cette exploration des autres populations, notamment celles colonisées, s’inscrit dans une démarche politique de domination et économique dans l’achat de certains biens culturels. En outre, si l’ethnologie est identifiée comme une science de la culture, l’ethnographie est pratiquée en grande partie à la fin du XIXe siècle en Allemagne par de personnes formées en sciences de la nature, tels des médecins, botanistes, géographes. Ils analysent ainsi les cultures comme des « organismes vivants » dans lesquels les populations sont « naturalisées » (p. 63).
4Toutefois, les « sciences du terrain » ne concernent pas uniquement les sciences sociales. La géologie, l’archéologie ou la géographie physique ont aussi un usage du terrain discuté dans cet ouvrage. La pluralité des comparaisons engagées le rendent particulièrement riche. Le lecteur se perd parfois dans ce foisonnement : histoire des disciplines, institutionnalisation du terrain, perspective transnationale, production et circulation des savoirs, pratiques des chercheurs, réflexivité sur nos façons de mobiliser les matériaux, etc. Au final, cet ouvrage collectif nous amène immanquablement à poursuivre la nécessaire réflexion sur la construction variée des savoirs en fonction des terrains investis.