1Dans la seconde édition de son ouvrage, Mel Bartley (UniversityCollege of London) présente un état des lieux passionnant des connaissances sur les inégalités sociales de santé, et en même temps une vision renouvelée des théories explicatives et des nouveaux enjeux de recherche dans ce domaine.
2Malgré la création d’un système national de santé en 1948 et les politiques ambitieuses de réduction de la pauvreté des années 2000, les inégalités sociales de santé n’ont pas diminué et se sont même aggravées en Angleterre. Le constat est semblable pour la plupart des pays européens, même si la disponibilité et la comparabilité des données rendent parfois difficile le suivi des évolutions et l’évaluation du succès ou de l’échec des politiques de santé qui y sont conduites. Ces résultats témoignent d’un besoin de mieux comprendre les mécanismes en jeu dans la construction des inégalités sociales de santé, et de mettre au jour les limites des politiques menées jusqu’ici, pour les réduire.
3Les premiers chapitres de l’ouvrage présentent et discutent les enjeux méthodologiques de définition et de mesure, en particulier le choix de l’indicateur de position ou de catégorie sociale à prendre en compte. L’auteure présente ensuite les principales théories ou modèles explicatifs rencontrés dans la littérature spécialisée, et montre la diversité des facteurs explicatifs mis en avant. Elle consacre un chapitre à chaque théorie, en présentant les hypothèses et les principaux travaux de recherche qui ont permis de les tester. La première théorie souligne l’importance des causes comportementales et culturelles (chapitre 4). Il s’agirait de caractéristiques personnelles, comme la maîtrise de soi par exemple, qui expliqueraient à la fois la mauvaise situation sociale des individus et les comportements nuisant à la santé (tabagisme, consommation d’alcool, mauvaises habitudes alimentaires, etc.). S’y ajouterait l’influence culturelle de la communauté ou du groupe de référence (religion, famille, etc.). La seconde théorie (chapitre 5) pointe le rôle des facteurs psychosociaux comme le stress, le soutien social ou le manque d’autonomie au travail, alors que selon la troisième théorie (chapitre 6), à caractère matérialiste, l’accent est mis sur les conditions de vie et de travail.
4Plutôt que de chercher à opposer les différentes théories, l’auteure présente leurs particularités et les place dans une grille de lecture commune comme des outils servant à mieux comprendre les inégalités sociales de santé. Cette grille de lecture est complétée par une présentation des différentes approches méthodologiques : l’analyse transversale, l’analyse des parcours de vie et l’analyse macrosociale. L’analyse des parcours de vie, en s’intéressant à la santé et à ses déterminants tout au long de la vie, permet de dépasser l’analyse transversale. L’analyse macrosociale s’intéresse au rôle de l’environnement macroéconomique, comme le niveau de revenu ou l’inégalité de sa distribution, mais aussi au rôle du régime de protection sociale par exemple (chapitre 7). Chacune de ces approches permet de tester à différents niveaux d’analyse les théories et les hypothèses évoquées précédemment. L’auteure met en application cette grille de lecture dans les chapitres suivants (chapitres 8 et 9) afin d’expliquer les différences entre hommes et femmes, et selon l’origine ethnique.
5L’ouvrage met ensuite l’accent sur l’analyse des parcours de vie qui est l’une des principales innovations des récents travaux de recherche, rendue possible par le suivi des cohortes de naissance britanniques 1946, 1958, 1970 et 2000. Cette approche permet de mieux comprendre l’évolution des inégalités sociales au cours de la vie et de tester des hypothèses sur les effets cumulés des conditions de vie, tout en permettant de mieux prendre en compte les effets de sélection (chapitre 10). Cette perspective est fondamentale car elle autorise le développement d’une approche causale, qui permet par exemple de tester l’impact respectif des déterminants sociaux et comportementaux, ainsi que leurs interactions au cours de la vie.
6Les débats sur la réussite ou l’échec des politiques de santé ont souvent posé la question des comportements de santé et du manque de réussite des politiques d’éducation à la santé. Par exemple, les politiques publiques mises en œuvre dans différents pays ont permis de réduire le tabagisme, mais pas les différences sociales qui caractérisent cette addiction. Il s’agit donc de savoir s’il est plus efficace d’agir sur les comportements de santé ou sur les conditions de vie. L’auteure apporte à ce débat les développements récents de la littérature philosophique et économique, dont l’un des enjeux majeurs est celui de la justice sociale au cours de la vie des individus. Cette approche ajoute une grille de lecture en termes d’équité sur les déterminants pour lesquels l’intervention publique serait plus légitime. Selon ce point de vue, il serait ainsi plus adapté d’agir directement sur les conditions de vie, en particulier celles de l’enfance, plutôt que sur les comportements de santé, d’autant plus si cela crée un effet positif sur ces mêmes comportements à l’âge adulte.
7Par sa qualité pédagogique et ses contenus, cet ouvrage enrichit la réflexion des étudiants, des chercheurs et plus largement du grand public intéressés par les inégalités sociales de santé. L’auteure insiste sur l’enjeu que représente le développement d’analyses qui nous aident à mieux comprendre les mécanismes générateurs des inégalités sociales de santé et à mieux identifier des leviers d’action afin d’orienter les politiques publiques.