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Le mot du président du jury

1Au total, 17 articles ont été présentés cette année pour concourir au prix jeune auteur·e organisé par Population. La plupart des articles reçus ont été jugés de bonne qualité. La variété des textes reflète celle des questions traitées aujourd’hui par les études de population et la diversité des centres d’intérêt des jeunes chercheurs du monde entier. Des auteur·e·s de quatre continents – Europe, Afrique, Asie et Amérique – ont soumis un total de 8 articles en anglais et 9 en français. Ceci témoigne de la forte influence de la revue dans le monde anglophone. Sur les 17 articles, 7 ont été écrits par un homme et 10 par une femme. La plupart d’entre eux traitent des sujets traditionnels de la démographie : la mortalité, la fécondité, la nuptialité et la migration. Cependant, le champ d’intérêt a été étendu à la morbidité, la religion, la santé reproductive, la jeunesse, et la violence de genre, entre autres sujets. Les articles utilisent des techniques statistiques modernes appliquées à la démographie, et un grand nombre d’entre eux associent une approche quantitative et une approche qualitative.

2La troisième édition du prix jeune auteur·e a été organisée de la manière suivante. Après une première expertise, chacun des six articles restants a été envoyé à deux relecteurs externes. Les membres du jury ont ensuite examiné tous les articles et les rapports des relecteurs. L’article lauréat a été sélectionné lors d’une réunion finale le 5 février 2018.

3Au nom du jury, je tiens à féliciter Marine Haddad pour son article « L’effet d’une politique publique sur la migration des départements d’outre-mer vers la métropole française ». Marine Haddad est actuellement doctorante en sociologie à l’Observatoire sociologique du changement de Sciences Po Paris. Son article évalue l’effet des politiques publiques sur les migrations entre la France métropolitaine et les départements d’outre-mer, à partir des recensements de population organisés entre 1962 et 1999. Elle montre que le Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer (Bumidom) a stimulé la croissance des flux migratoires au cours de la période et creusé les écarts socioéconomiques entre les DOM et la métropole.

4L’article de la lauréate de cette édition 2018 est de grande qualité et rédigé dans un style clair et agréable, j’espère que vous en apprécierez la lecture.

5Manuel Ordorica Mellado

Composition du Jury

6Le jury de la troisième édition du prix Population était présidé par Manuel Ordorica de México) et était composé de Carlo-Gio France), Christophe Guilmoto (Ceped/IRD, France), Karel Neels (Université d’Anvers, Belgique) et Aline Désesquelles (Ined, Paris, France) en tant que membres votants, Olivia Samuel (Université de Versailles Saint-Quentin, France) et Anne Solaz (Ined, Paris, France) en tant que membres non votants.

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L’effet d’une politique d’État sur les migrations DOM-métropole. Les enseignements des recensements de 1962 à 1999

8Dans l’après-guerre, l’État met en place une gestion démographique spécifique aux départements français d’outre-mer [1] (DOM), dans un contexte où la rapide croissance de leur population est perçue comme un problème public. Les années 1950 et 1960 sont marquées par la multiplication de grèves violentes, d’émeutes, d’altercations entre les forces de l’ordre et les populations locales (Constant, 1987 ; Daily, 2014 ; Stora, 2016). Ce malaise social est interprété comme le produit d’une « surpopulation relative » et la lutte contre « l’explosion démographique » devient un objectif central des pouvoirs publics (Domenach et Picouet, 1992, p. 82‑83). D’un côté, des politiques antinatalistes ont pour objectif de freiner la hausse des naissances. De l’autre, des politiques migratoires, symbolisées par les actions du Bureau pour la migration des DOM (Bumidom) entre 1963 et 1981, ont pour objectif de déplacer vers la métropole ce qui est considéré comme un « trop-plein » de population. Ces mobilités encouragées visent aussi à combler un besoin de main d’œuvre dans une métropole alors en pleine croissance économique. Durant les années 1970, les revendications des militants ultramarins opposés à l’émigration se font plus pressantes ; l’économie métropolitaine ralentit et fait face à un taux de chômage croissant. À partir de 1981, ce nouveau contexte transforme les dispositifs publics liés à la migration, ainsi que les parcours des migrants en France métropolitaine. Le rôle du Bumidom demeure aujourd’hui un sujet controversé : dans la sphère publique, les avis sont divisés entre dénonciation et mise en avant d’effets positifs en termes de promotion sociale grâce à la migration ; dans la sphère scientifique, l’évaluation de ses effets sur les flux migratoires se révèle complexe.

9À partir d’une analyse sur le temps long et d’une comparaison entre les DOM, cet article propose de démêler l’effet des politiques d’État des effets d’un contexte socioéconomique en mutation. Le Bumidom est-il responsable de la massification des flux ultramarins dans les années 1960 ? Les évolutions ­politiques et économiques depuis les années 1980 ont-elles changé la structure de ces flux ?

10En recourant à des approches statistiques variées et complémentaires, cet article saisit l’évolution des flux migratoires, en termes de taille mais aussi de structure. Il lie ces flux aux transformations des organismes responsables de l’encadrement des migrations ultramarines et du marché du travail. Il s’appuie pour cela sur les recensements de la population de 1962 à 1999. Une première partie revient sur la construction et la gestion politique des départements d’outre-mer. L’importance des transformations démographiques des DOM et des politiques migratoires conduisent à plusieurs hypothèses sur l’évolution des flux DOM-métropole. Pour tester ces hypothèses, l’article répond à plusieurs enjeux méthodologiques, notamment la prise en compte de la sélection migratoire. Ces enjeux sont explicités dans la deuxième partie. La troisième partie étudie d’abord l’effet du Bumidom sur l’importance des migrations selon différentes dimensions (nombre de migrants, part dans la population, temporalité des migrations). Elle prend pour contrefactuel le cas de la Guyane et évalue l’effet du Bumidom sur les flux, en s’appuyant notamment sur des régressions en doubles différences. Ayant mis en valeur l’effet catalyseur du Bumidom, qui participe à la massification des flux conjointement à d’autres facteurs, la troisième partie se focalise sur les transformations liées à la dissolution du Bumidom et à la détérioration du contexte économique. L’article analyse alors la sélection et l’effet de la migration en termes de niveau de diplôme, au cours du temps.

I. La démographie d’outre-mer : objet privilégié des politiques publiques

1. Antilles, Guyane, Réunion : une trajectoire commune malgré l’hétérogénéité des contextes

11Dès le xviie siècle, la Guyane, la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion font l’objet d’une occupation française. L’ancienneté de cette occupation fait de ces territoires les « vieilles colonies » de la France, leur conférant une place spécifique dans les politiques coloniales et postcoloniales. Les populations autochtones y sont peu nombreuses et décimées par la guerre et les maladies à l’arrivée des Français [2]. Ces « sociétés fabriquées » (Waters, 2001) sont alors façonnées par le système esclavagiste. L’installation de grands propriétaires terriens et d’administrateurs coloniaux y est concomitante du déplacement forcé d’esclaves venus de diverses régions d’Afrique subsaharienne. Lorsque l’esclavage est aboli en 1848, les anciens esclaves deviennent légalement citoyens. Cette mesure est mise en pratique avec une inégale rapidité mais, dès la fin du xixe siècle, toute personne née aux Antilles, en Guyane ou à La Réunion est dotée de la citoyenneté française. En 1946, ces régions deviennent des départements français, écartant la voie de l’indépendance. La départementalisation est un moment-clé de l’histoire de ces régions, y compris dans leur rapport à la migration (Guyon, 2016 ; Temporal, 2011). Elle répond à une demande pressante pour l’intégration, à la fois de la part de l’élite politique et des populations locales. Ces dernières espèrent obtenir l’égalisation des conditions sociales et légales, sur la base du régime métropolitain. Mais la départementalisation renforce des dépendances issues de la colonisation et en crée de nouvelles (Crusol, 1975) : elle accroît la centralisation en métropole du pouvoir politique et administratif de ces territoires, l’orientation de leurs ressources et marchés vers la métropole, et leur dépendance financière [3]. Alors que la loi de départementalisation de 1946 prévoit l’égalité de droit entre la métropole et les DOM, l’appareil administratif s’adapte lentement et les structures sociales perpétuent de fortes inégalités [4] (Dumont, 2010). En les regroupant sous la catégorie administrative « Départements d’outre-mer », cette mesure consacre le traitement politique commun de quatre anciennes colonies qui, en dépit de leurs situations géographiques différentes (figure 1) et de leurs identités propres, partagent des structures sociales héritées d’une construction coloniale semblable.

Figure 1. Les départements d’outre-mer en 1961

Figure 1. Les départements d’outre-mer en 1961

Figure 1. Les départements d’outre-mer en 1961

Source : Recensement de la population (Insee).

12La Martinique et la Guadeloupe sont les deux départements qui se ressemblent le plus : ces îles des Antilles partagent une forte identité caribéenne, et leurs populations sont marquées par les inégalités opposant les békés (des blancs qui concentrent la majorité des richesses, souvent descendants de planteurs) aux Antillais noirs ou métis. Elles ont connu des vagues migratoires en dehors de l’axe DOM-métropole (comme l’immigration indienne de la fin du xixe siècle ou les vagues syriennes et libanaises au début du xxe siècle) mais dans des proportions inférieures à celles de La Réunion et de la Guyane. L’île de La Réunion est le département le plus éloigné géographiquement de la métropole. Elle se distingue par ses relations particulières avec l’île voisine de Madagascar (ancienne colonie française) mais aussi par l’importance des communautés indiennes et chinoises qui s’y sont installées depuis le xixe siècle. Les rapports raciaux binaires (blanc/noir) hérités de l’époque de l’esclavage y sont atténués par la présence de ces diverses diasporas et des yabs [5] (Pourchez, 2014). La tertiarisation accélérée de l’économie à partir de l’après-guerre, sans passage par une phase d’industrialisation, y a façonné un marché du travail durablement défavorable aux Réunionnais les moins qualifiés (Widmer, 1999).

13La Guyane est le seul DOM continental, à cheval entre l’Amérique du Sud et la Caraïbe. Alors que les trois départements insulaires sont caractérisés par la pression démographique liée à la croissance de leur population et à un territoire limité, la Guyane est une région très étendue et faiblement peuplée. Jusqu’à l’après-guerre, les nombreuses tentatives de peuplement y ont toutes échoué (Maison et Millet, 1974). C’est également le DOM où l’immigration est la plus importante rapportée à la population, et ce depuis les années 1970 (notamment venue d’Haïti et du Suriname) [6]. Il peut alors paraître surprenant de s’attendre à ce que les logiques migratoires des Guyanais soient similaires à celles des Antillais et Réunionnais. Pourtant, si sa densité de population globale est faible, la Guyane est localement concernée par le surpeuplement (Domenach et Picouet, 1988). En 1982, deux tiers de la population vivent sur moins de 0,2 % du territoire (l’île de Cayenne). La structure du marché du travail et les conditions d’emploi, notamment caractérisées par un fort taux de chômage et de sous-emploi, y sont similaires à celles des trois autres DOM (Domenach et Guengant, 1981). En conséquence, l’association d’une forte pression démographique et d’un contexte social sous tension est présente en Guyane comme aux Antilles et à La Réunion. La migration vers la France métropolitaine est susceptible d’apporter une réponse au chômage et au conflit social, avec les mêmes difficultés liées à la distance géographique, au coût de la migration ou au racisme [7], et les mêmes facilités liées à la citoyenneté ou aux mesures de continuité avec la métropole (qu’il s’agisse par exemple des transferts sociaux ou de l’accès à des aides financières à la mobilité).

2. Des populations à contenir

14Alors que la baisse de la fécondité après-guerre alarme les pouvoirs publics en métropole, la forte croissance des populations dans les DOM y est perçue comme un problème (Domenach et Picouet, 1992), justifiant des politiques différenciées. Dans les années 1960, avortements et stérilisations forcés ont cours à La Réunion, avec la complicité des autorités françaises (Vergès, 2017). Le régime des prestations familiales est limité dans les DOM : le montant des allocations familiales est réduit par rapport à celui octroyé en métropole, il ne comprend pas d’allocation de naissance ou de salaire unique [8]. En 1968, la loi Neuwirth, qui autorise la vente de produits contraceptifs, fait l’objet d’une adaptation à la « situation particulière » des DOM (article 6). Alors que toute promotion antinataliste est interdite en métropole, de telles campagnes sont mises en place dans les DOM, en particulier à La Réunion (Maison et Millet, 1974). La contradiction entre mesures ultramarines et métropolitaines est révélatrice du maintien de relations coloniales voire racistes, au sein desquelles les citoyens français ne sont pas traités de la même manière en fonction de leur lieu de naissance (Childers, 2009 ; Vergès, 2017). Dès les années 1960, la fécondité décroît rapidement dans les DOM, toutefois un peu plus tardivement en Guyane. Entre 1965 et 1989, on passe de 5,7 à 2,1 enfants par femme aux Antilles, de 6,7 à 2,6 enfants à La Réunion. En revanche, le taux de natalité reste très élevé jusqu’aux années 1990 : sur la période 1982-1990, il est de 21 ‰ contre 16 ‰ en métropole (Cueugniet, 1991). Les politiques d’émigration font partie de cette gestion de la démographie ultramarine. Elles visent à rediriger ce qui est perçu comme un excédent de population vers des territoires où il pourra être assimilé.

15Les premières vagues d’émigration depuis les DOM se développent au début du xxe siècle, lorsque la forte concurrence sur le marché de la canne à sucre déstabilise des conditions socioéconomiques déjà fragiles. Il s’agit surtout de déplacements vers les îles voisines ou les territoires continentaux les plus proches [9]. Avant la Seconde Guerre mondiale, la migration vers la France métropolitaine concerne seulement une élite. À partir de 1945, l’État – notamment le commissariat général du Plan lors du deuxième (1954) et du troisième plan (1958) – encourage le développement de ces flux. Les démobilisés de la Seconde Guerre originaires des DOM sont incités à rester en métropole, et la mise en place du service militaire obligatoire dans les DOM (1960), qui s’effectue majoritairement en métropole, favorise le recrutement des migrants par l’armée. Dans le cadre du commissariat général du Plan, la Commission pour les DOM [10] recommande la mise en place d’un panel de dispositifs associant propagande et recrutement dans les DOM, contrôle médical, départs et accueils collectifs en métropole, aide au logement, assistance sociale et technique, crédits, formations et insertion professionnelle. L’ensemble de ces dispositifs supposent la nécessité d’une « adaptation [des ultramarins] à la vie métropolitaine », dans une perspective assimilationniste (Pattieu, 2016).

3. L’évolution des politiques migratoires

16La création du Bureau pour la migration des DOM (Bumidom) est annoncée en 1962, avec pour objectif de faire venir en métropole 6 000 à 7 000 personnes par an. Son activité débute en 1963 et s’achève en 1981. Entre ces deux dates, cet organisme a accompagné 160 300 Antillais et Réunionnais dans leur ­installation en métropole, dont 17 200 conscrits (tableau 1 pour les Antillais). Il a traité quelques dossiers guyanais mais n’a pas été directement actif en Guyane. Son rôle dans la migration va de l’accompagnement complet, du départ au placement en emploi, au seul prêt de petites sommes pour faciliter l’accès au logement (Pattieu, 2016). Le Bumidom coopère avec le ministère du Travail, principalement à travers l’Association pour la formation professionnelle des adultes (Afpa), dont l’action se concentre sur les hommes. L’organisme collabore aussi avec le ministère de la Population, de la santé et des services sociaux, qui propose plutôt des formations aux femmes. Dans la perspective d’installations durables, le Bumidom promeut rapidement les migrations familiales, conjointement aux migrations de travail.

Tableau 1. Migrants antillais encadrés par le Bumidom entre 1963 et 1981

Tableau 1. Migrants antillais encadrés par le Bumidom entre 1963 et 1981

Tableau 1. Migrants antillais encadrés par le Bumidom entre 1963 et 1981

Source : Rapport d'activité du Bumidom (1981) ; Condon et Ogden (1991a).

17Les formations sont souvent trop légères ou inadaptées aux compétences des migrants (Condon et Ogden, 1991b). Elles s’inscrivent davantage dans la perspective d’une acculturation et d’une insertion vers les poches d’emplois précaires que dans un parcours professionnalisant : « Pendant ces longues années, des ‘centres de formation’ gérés par le Bumidom (…) n’ont assuré que des cours ‘d’adaptation à la vie métropolitaine’ et une faible préparation ­professionnelle (employés de maison, manutentionnaires, agents de services) » (Constant, 1987, p. 16). L’Afpa agit davantage comme un marqueur négatif que comme un tremplin vers des emplois durables. Les travailleurs issus de ces formations sont perçus comme « le bas de la pile » (Condon et Ogden, 1991a, p. 451) et renvoyés vers des emplois dédaignés par les métropolitains. L’orientation des migrants vers certains métiers bénéficie aux employeurs auxquels il fournit une main d’œuvre faiblement qualifiée et flexible, plutôt qu’aux employés placés dans des situations souvent précaires. Cette organisation, au bénéfice des employeurs, a même pu faire qualifier la migration organisée de nouvelle « traite négrière » (Anselin, 1990, p. 281).

18En effet, si l’argument démographique [11] est au cœur de la mise en place du Bumidom, la création de cet organisme relève autant d’une politique de croissance économique en France métropolitaine que d’une politique de ­population outre-mer. L’encouragement de la migration et ses modes de recrutement répondent à la pénurie de main d’œuvre dans le service public métropolitain (par exemple hospitalier), dans l’industrie d’État et dans le secteur privé en développement (Condon et Ogden, 1991a, 1991b). Malgré une croissance démographique ultramarine toujours importante dans les années 1980, le marché du travail, moins favorable en métropole, freine les déplacements massifs de la population. En 1982, le Bumidom est remplacé par l’Agence nationale pour l’insertion et la protection des travailleurs d’outre-mer (ANT). L’action publique se réoriente vers les ressortissants des DOM déjà installés. Ce revirement répond aussi aux revendications des militants ultramarins qui critiquent un déracinement imposé accusé de détourner les pouvoirs publics d’enjeux prioritaires dans les DOM : la hausse des qualifications et le développement d’un marché du travail plus favorable (Marie et Giraud, 1987).

19À partir des années 1980, un double mouvement transforme les flux migratoires. D’un côté, le financement et l’organisation publique de la migration se réduisent, et parallèlement les conditions d’emploi et de logement en métropole se dégradent. L’installation devient donc plus difficile. De l’autre, de nouvelles politiques facilitent l’émigration d’ultramarins aux parcours spécifiques. L’extension de la continuité territoriale aux DOM (2003), la loi pour le développement économique des outre-mer (2009) et le remplacement de l’ANT par l’agence de l’outre-mer pour la mobilité en 2010 (Ladom) bénéficient surtout à de jeunes habitants des DOM dont le parcours de formation ou de professionnalisation est déjà bien tracé. La sélection des émigrants augmente mais la circulation DOM-métropole s’accélère, soutenue par des aides à la mobilité ciblées (Temporal et al., 2011). Si les installations durables en métropole sont plus rares, les départs se sont accrus (Marie et Rallu, 2004). Les ultramarins semblent donc être passés d’une logique d’émigration à une logique de mobilité, avec des séjours en métropole de plus en plus courts. La migration temporaire peut alors les conduire à être absents et non référencés au moment des recensements.

20Revenir sur l’histoire du Bumidom et des dispositifs institutionnels qui lui ont succédé permet de formuler des hypothèses quant aux transformations de ces flux migratoires. Selon ces hypothèses, les Antilles et La Réunion ont connu une migration massive des années 1960 aux années 1980, qui n’a pas concerné la Guyane et a fortement ralenti à partir de 1981. Les années 1980 et 1990 ont vu se développer une migration plus modérée et socialement davantage sélectionnée. Si ces deux grandes tendances sont étayées par certaines données captant les mobilités ultramarines, les mesures utilisées ne tiennent pas toujours compte des différentes dimensions des mécanismes migratoires. Il convient de construire un dispositif empirique adéquat pour mesurer avec précision le rôle joué par le Bumidom dans la croissance des flux migratoires, puis l’augmentation effective de la sélection à l’émigration et à l’installation en métropole.

II. Capter les mécanismes migratoires par les recensements

1. Diverses sources de données sont disponibles

21Dans les dernières décennies, l’étude des migrations a développé des approches longitudinales, répondant notamment à une difficulté statistique, celle du biais de sélection. Les migrations et leurs durées ne sont pas distribuées de façon aléatoire entre les individus, ce qui peut fausser l’interprétation de certaines statistiques. Par exemple, si certains immigrés sont davantage en emploi que ceux restés dans leur pays d’origine, ce n’est pas nécessairement que le marché du travail leur est plus favorable dans la société d’accueil. C’est peut-être que ceux qui sont partis étaient les plus qualifiés et/ou que ceux qui ne trouvaient pas d’emploi sont retournés dans leur pays d’origine. Plusieurs dispositifs empiriques répondent à ces enjeux. En France, l’Échantillon démographique permanent (EDP), adossé aux recensements depuis 1968, suit environ 1 % de la population française d’un recensement à l’autre ; il permet d’identifier les mobilités des immigrés et non-immigrés, ainsi que leurs effets sur l’intégration de ces populations (Caron, 2018 ; Solignac, 2016). En l’absence de données longitudinales, des données individuelles recueillies dans les sociétés d’accueil peuvent aussi être combinées avec des données agrégées recueillies dans les pays de départ, par exemple pour situer les immigrés dans la distribution des niveaux d’études de leur pays d’origine (Feliciano, 2005 ; Ichou, 2014). Plusieurs grandes enquêtes recueillent ainsi des informations sur les migrations des DOM vers la France métropolitaine. En revanche, elles réunissent rarement toutes les conditions pour une étude robuste des circonstances d’émigration et d’installation au cours du temps. L’enquête Trajectoires et origines (TeO, Insee-Ined, 2008) détaille les mobilités des natifs des DOM en métropole, mais les effectifs sont trop réduits pour comparer les différentes vagues migratoires. L’enquête Migration, famille, vieillissement (MFV, Ined, 2012) a été réalisée dans les DOM : elle donne des informations sur les migrants de retour, mais leurs caractéristiques peuvent être très différente des individus restés en métropole [12]. Certaines années, les enquêtes Emploi de l’Insee permettent également de comparer DOM et métropole, mais elles n’indiquent pas la date de migration des individus.

2. Recensements et étude des migrations

22Les recensements de la population, même s’ils ne permettent pas d’approche individuelle longitudinale (en dehors de l’EDP), rendent possible la comparaison de différentes vagues migratoires à travers la variable du lieu de résidence antérieure. Les enquêtes ont été réalisées à intervalles réguliers, en métropole et dans les DOM. Le caractère exhaustif du recensement jusqu’en 1999 permet d’écarter les problèmes d’effectifs. À partir de 2004, les recensements sont réalisés par sondage annuel et permettent d’obtenir un échantillon complet tous les 5 ans. Avec le recensement de 2007, Franck Temporal et Claude-Valentin Marie (2011) montrent que la migration au départ des DOM est plus fréquente chez les plus diplômés. De façon symétrique, les niveaux de diplômes sont plus élevés chez les migrants ultramarins que dans les DOM. La distribution des diplômes des migrants ultramarins est proche de la moyenne métropolitaine, alors que ce n’était pas le cas des générations précédentes. Ils ont également plus souvent accès à un emploi stable. La limite de telles mesures est qu’on ne peut pas séparer les caractéristiques pré-migratoires et post-migratoires. On ne peut donc pas distinguer ce qui relève de la sélection de ce qui relève des opportunités offertes par la métropole. Leur article rappelle que ces meilleures conditions d’emploi des ultramarins en métropole proviennent surtout de meilleures qualifications, souvent acquises en métropole [13]. De plus, savoir que le diplôme a été acquis après la migration ne garantit pas qu’il ne soit pas lié à une sélection migratoire, si seuls les plus à même de poursuivre des études supérieures décident de quitter les DOM. Cet article cherche donc à approfondir l’exploitation des recensements. Leur analyse sur le temps long associée à des approches statistiques complémentaires permet de mieux appréhender le phénomène de sélection lors de la migration.

3. Les recensements utilisés

23Les dispositifs de recensement de la population révèlent l’ambivalence de la départementalisation, entre continuité avec la métropole et maintien d’une spécificité ultramarine. Dès 1954, les DOM sont intégrés au recensement, avec une méthodologie proche de celle utilisée en métropole [14]. En même temps, ils font toujours l’objet d’un traitement à part. En 1961, 1967 et 1974, le recensement a lieu un an avant celui réalisé en métropole. Encore aujourd’hui, les résultats des recensements distinguent le champ France métropolitaine des recensements spécifiques aux DOM et font l’objet de publications séparées et de méthodes d’archivages distinctes. Dans le codage de la variable du lieu de naissance, le recensement métropolitain de 1962 ne fait pas la distinction entre Martiniquais et Guadeloupéens (natifs des Antilles), ni entre Guyanais, Réunionnais et natifs des territoires d’outre-mer.

24Cet article s’appuie sur les recensements réalisés en métropole et dans les DOM entre 1954 et 1999. Les résultats de 1954 à 1962 sont uniquement exploités à un niveau agrégé pour mesurer le nombre d’habitants dans les DOM et le nombre de personnes nées dans les DOM vivant en métropole. Les fichiers détaillés des recensements métropolitains depuis 1968 fournissent des données individuelles, qui permettent d’étudier les profils des migrants ultramarins. En revanche, ceux des recensements dans les DOM ne sont disponibles qu’à partir de 1974. Une analyse combinant des informations sur les DOM et la métropole n’est donc possible qu’à partir de cette date. Elle doit également être réalisée avec précautions. D’abord, le recensement correspondant à celui de 1975 en métropole a eu lieu en 1974 dans les DOM. Ensuite, même si les recensements de 1982 ont eu lieu au même moment dans les DOM et en métropole, la méthode de recueil et les questions posées n’ont été complètement homogénéisées qu’à partir de 1990.

4. Une approche par cohorte de migrants

25L’analyse est ventilée par âge, par département de naissance et par sexe. Les variables « département de naissance » et « département de résidence au précédent recensement », identifient les personnes nées dans les DOM qui se sont installées en métropole entre deux recensements, ce qui permet de définir les cohortes de migrants. La variable de résidence antérieure est issue d’une question rétrospective, qui demande aux individus de se projeter à un moment précis dans le passé [15] : cela limite la qualité de l’information obtenue. Les études montrent notamment que le taux de non-réponse à cette question, ainsi que les incohérences avec d’autres informations sur les parcours, sont particulièrement élevés pour les immigrés (Solignac, 2016). Néanmoins, cette variable demeure l’une des sources principales pour l’estimation des flux migratoires (Brutel, 2014). Sont considérées comme migrants ultramarins arrivés entre deux recensements les personnes habitant en France métropolitaine, nées dans les DOM et indiquant leur DOM de naissance comme lieu de résidence au précédent recensement. Les recensements étant séparés de sept à neuf ans, les flux captés par cette mesure sont donc principalement des installations durables, et les séjours les plus courts sont rarement saisis [16]. Plus l’intervalle intercensitaire est réduit, plus le nombre d’entrées saisies est important. C’est pourquoi l’exploitation détaillée des recensements s’arrête en 1999 : le passage du recueil exhaustif aux enquêtes annuelles change la nature des migrations captées.

26Comme le Bumidom a été actif de 1963 à 1981, les dates de recensement recoupent presque parfaitement celles de l’activité du Bumidom. Les effets de ce dernier sont analysés en comparant les flux migratoires sur la période d’activité du Bumidon (dans les recensements de 1968, 1975 et 1982) à la période d’après, et en comparant les DOM concernés (Antilles et Réunion) à celui non concerné (Guyane). En mettant en perspective les rapports d’activités du Bumidom (1981) avec les données du recensement, on estime qu’environ 40 % des personnes ayant migré entre 1963 et 1981 ont bénéficié de ses services. Dans le recensement, les migrants accompagnés par le Bumidom ne sont pas distingués des autres. Cette évaluation d’un « effet du Bumidom » ne saisit donc pas directement l’impact de cette structure sur les trajectoires individuelles des personnes dont elle a accompagné les parcours. Elle étudie en revanche comment l’activité de cette structure dans certains DOM a pu influencer l’ampleur et la composition de l’ensemble des migrations au départ de ces départements, vers la métropole.

III. Une reconfiguration des migrations ultramarines

1. Les différentes dimensions de l’évolution des flux

27Le caractère massif des migrations encadrées par le Bumidom ne fait pas de doute (tableau 1). Néanmoins, il est difficile de savoir si cet organisme a capté des migrations qui auraient eu lieu quoi qu’il arrive, ou s’il a véritablement généré de nouveaux départs. Pour comprendre l’effet du Bumidom sur les flux DOM-métropole, on compare donc l’évolution de ces flux aux Antilles, à La Réunion et en Guyane. Les tendances mises en valeur par différents types de mesures démographiques soulignent la multidimensionnalité des phénomènes migratoires. En effet, l’importance des migrations ultramarines peut se mesurer par les effectifs, leurs poids dans la population native des DOM, ou leurs taux de croissance. Le contraste entre ces indicateurs offre une compréhension plus fine des migrations DOM-métropole.

Ralentissement des flux mais stabilité du taux d’émigration

28Le nombre de personnes nées dans les DOM et s’installant en métropole entre deux recensements est presque multiplié par trois entre 1968 et 1982, puis il chute en 1990 et 1999 mais sans retrouver son niveau de 1968 (figure 2). La décomposition de ces flux selon le DOM de naissance semble confirmer la singularité de la Guyane et l’intensité de l’activité du Bumidom. Les flux d’arrivants de Guyane sont, dès 1968, bien inférieurs à ceux des autres DOM et montrent une hausse modérée mais constante de 1968 à 1999. Entre 1968 et 1982, les arrivants des Antilles et de La Réunion sont dix fois plus nombreux que les arrivants de Guyane. Ils connaissent une croissance plus marquée entre ces dates, puis leur nombre décline à partir de 1982. La faiblesse des flux guyanais s’explique surtout par une population moins nombreuse (en 1961, il y a dix fois moins d’habitants en Guyane qu’à La Réunion). En termes de taux de variation, ces flux sont multipliés par trois entre 1968 et 1982, et ne s’écartent donc pas de la tendance générale. L’effet du Bumidom, qui n’a pas été actif en Guyane, serait donc davantage visible après sa dissolution que pendant son activité : alors qu’à partir de 1982, les trois DOM concernés par le Bumidom connaissent une baisse importante des départs vers la métropole, ce n’est pas le cas pour la Guyane. C’est donc l’activité du Bumidom qui a permis au flux réunionnais et antillais de connaître la même croissance que les flux guyanais.

Figure 2. Population née dans les DOM qui s’installe en métropole entre les recensements de 1968 et 1999

Figure 2. Population née dans les DOM qui s’installe en métropole entre les recensements de 1968 et 1999

Figure 2. Population née dans les DOM qui s’installe en métropole entre les recensements de 1968 et 1999

Source : Recensement de la population (Insee).

29Étudier le nombre de natifs des DOM vivant en métropole plutôt que le nombre d’arrivants entre deux recensements permet de remonter jusqu’à 1954. À partir de cette information et du nombre de natifs des DOM vivant encore dans leur DOM de naissance [17], on calcule la part des natifs des DOM vivant en métropole [18] (figure 3). Puisque le recensement de 1962 ne fournit pas l’origine détaillée, les chiffres pour cette année sont calculés par approximations [19]. En 1954, la Guyane est davantage touchée par l’émigration vers la France métropolitaine que les autres DOM. À partir de 1968, la part de résidents métropolitains connaît une croissance légèrement inférieure à celle des autres DOM puis elle diminue à partir de 1982. Les parts d’émigrés parmi les Martiniquais et Guadeloupéens sont très proches et évoluent parallèlement sur l’ensemble de la période. Elles augmentent jusqu’en 1982, avec une croissance particulièrement forte entre 1968 et 1982, puis se stabilisent. Les Réunionnais enregistrent la plus faible proportion de résidents métropolitains, en moyenne deux fois inférieurs à celle des Antillais, mais la tendance est similaire.

Figure 3. Part de la population née dans les DOM et vivant en métropole selon les recensements entre 1954 et 1999

Figure 3. Part de la population née dans les DOM et vivant en métropole selon les recensements entre 1954 et 1999

Figure 3. Part de la population née dans les DOM et vivant en métropole selon les recensements entre 1954 et 1999

Source : Recensement de la population (Insee).

30Entre 1982 et 1999, on observe donc des tendances différentes en termes de taille des flux et des proportions de natifs installés en métropole. D’une part, l’arrêt du Bumidom est associé à une chute des flux que ne connaît pas la Guyane. D’autre part, l’arrêt du Bumidom est associé à une stabilisation de la part d’émigrés en métropole, pour les Antillais et les Réunionnais, alors qu’elle chute pour les Guyanais. La part de natifs des DOM vivant en métropole ne mesure pas que la propension à migrer, elle reflète également le nombres d’années passées en métropole, qui est sensible aux retours dans le DOM d’origine et à la durée de vie. Confronter taille des flux et poids de l’émigration dans la population native des DOM permet donc d’appréhender les différentes dimensions de l’évolution des migrations au cours du temps. Si les migrations des Antilles et de La Réunion ont été moins nombreuses après la fin du Bumidom, l’organisme a néanmoins favorisé des installations durables, de sorte que les diasporas antillaises et réunionnaises se sont maintenues au fil des ans. Au contraire, les migrations guyanaises sont devenues plus nombreuses mais plus brèves, et ont augmenté moins vite que la population des natifs : l’émigration pèse donc de moins en moins au sein de la population des Guyanais.

Des différences dans la temporalité des migrations

31Pour mieux cerner la place des différentes migrations aux différents âges, on calcule un solde migratoire focalisé sur les natifs des DOM : à chaque année de recensement, pour chaque âge, sexe et DOM, le nombre de personnes nées dans le département et installées en métropole depuis le recensement précédent est retranché du nombre de personnes nées dans le département et y retournant [20] (figure 4). Pour chaque groupe, le nombre de départs correspond au nombre de personnes recensées en métropole et indiquant leur DOM de naissance comme département de résidence au précédent recensement ; le nombre de retours correspond au nombre de personnes recensées dans leur DOM de naissance et indiquant un département métropolitain comme département de résidence au précédent recensement.

32Solde = Retours (Métropole —› DOM) – Départs (DOM —› Métropole)

33Les départs se concentrent entre 18 et 30 ans. En 1975, les soldes migratoires des femmes sont supérieurs à ceux des hommes (à l’exception des Martiniquaises). Les courbes convergent dès 1982 et deviennent semblables pour chaque cas. Les migrations masculines se sont développées en amont de la création du Bumidom (notamment avec la conscription). Dans un premier temps, les migrations féminines étaient surtout celles de conjointes et compagnes d’hommes recrutés dans les administrations (Condon, 2008). Elles ont été rapidement rejointes par des femmes seules recrutées par exemple comme domestiques ou employées d’établissement de soin, ce qui explique cette convergence. En Guyane, le solde migratoire redevient positif dès 28 ans et on observe peu d’écarts entre les différents recensements. Pour les autres DOM, il ne redevient positif qu’après 31 ans, voire après 46 ans dans certains cas. L’évolution des soldes antillais et réunionnais est également marquée par la croissance d’un pic des retours entre 31 et 45 ans. À partir de 1990, le solde migratoire des Guadeloupéens entre 31 et 45 ans dépasse en moyenne 100 par année d’âge, soit environ 1 500 pour l’ensemble de la classe d’âges. La Réunion connaît la même transformation en 1999. Pour les Martiniquais, le solde des 31-45 ans demeure négatif jusqu’en 1999, mais il augmente tout de même sur le long terme.

34Si le Bumidom a eu un fort impact sur les migrations depuis les Antilles et La Réunion, il n’est pas le seul levier de la croissance des flux. Il apparaît que, sans son intervention, les départs de ces trois DOM vers la France métropolitaine auraient tout de même connu une hausse importante entre les années 1960 et 1980. En revanche, l’action du Bumidom a accentué cette croissance et a rendu les installations plus durables. En effet, le développement d’un pic des retours à partir de 1990 (alors qu’il était observable pour les flux guyanais depuis 1975) laisse penser que le contexte économique plus défavorable incite une part importante des migrants à retourner dans leur DOM d’origine dès 30 ans, alors que l’organisme favorisait une insertion de long terme en France métropolitaine.

Figure 4. Solde des départs vers la métropole et des retours dans les DOM par âge et par sexe de la population née dans les DOM, entre les recensements de 1975 et de 1999

Figure 4. Solde des départs vers la métropole et des retours dans les DOM par âge et par sexe de la population née dans les DOM, entre les recensements de 1975 et de 1999

Figure 4. Solde des départs vers la métropole et des retours dans les DOM par âge et par sexe de la population née dans les DOM, entre les recensements de 1975 et de 1999

Source : Recensement de la population (Insee).

2. Un effet catalyseur souligné par la méthode des différences de différences

35Pour mieux cerner l’effet du Bumidom sur la croissance des flux, et celui d’autres facteurs sur la migration, on estime des régressions par différences de différences. On explique d’abord la méthodologie de cette technique d’estimation, importée de l’évaluation des politiques publiques, puis on justifie la construction des variables explicatives, avant d’en exposer les principaux résultats.

Description de la méthode

36La méthode des différences de différences, ou doubles différences (voir encadré) permet d’évaluer l’effet d’un « traitement » (par exemple, un dispositif de politique publique). Elle se fonde sur la comparaison d’observations au sein de groupes traités et non traités, ainsi qu’à des périodes de traitement et de non-traitement. C’est cette double comparaison qui donne son nom à la méthode et permet la robustesse de l’estimation, sans que cette dernière ne requière des données de panel. Ici, c’est l’impact du Bumidom sur le taux de variation intercensitaire des flux des DOM vers la métropole qui est estimé. Cette approche permet d’éliminer l’effet du contexte métropolitain sur la migration, puisque celui-ci devrait toucher de la même façon la Guyane et les autres DOM. La période de traitement correspond à la période d’activité du Bumidom : les flux enregistrés entre 1968 et 1975 (recensement de 1975), ainsi qu’entre 1975 et 1982 (recensement de 1982). Les groupes traités sont la Martinique, la Guadeloupe et La Réunion.

La méthode des doubles différences

La méthode des doubles différences a été développée en relation avec un impératif croissant d’évaluation des politiques publiques (Givord, 2014). Elle s’appuie sur le cadre d’analyse de Rubin (Rosenbaum et Rubin, 1983), qui suppose la construction d’un contrefactuel hypothétique (la situation qu’on aurait observé en l’absence du programme). On note T un traitement, Y0 le revenu associé à T = 0 (pas de traitement) et Y1 le revenu associé à T = 1 (traitement). L’effet de la mesure sur l’individu i se note ainsi : ∆i = Y1iY0i
On n’observe jamais à la fois Y1i et Y0i. Un estimateur dit « naïf » compare simplement le revenu observé dans les groupes traités et non traités. Cependant, cet estimateur est a priori biaisé : les traités ne sont pas sélectionnés aléatoirement et le revenu sans traitement n’est pas indépendant du fait de suivre le traitement. Comparer les groupes traités avant et après la réforme ne convient pas non plus (de nombreux autres facteurs temporels peuvent expliquer la variation observée). Les estimateurs de différences de différences mélangent ces deux approches. En comparant à la fois périodes et groupes, on contrôle à la fois la tendance temporelle et les écarts entre groupes.
L’effet propre : ∆ = E (Yit1Yit0 | T=1) – E (Yit1Yit0 | T =0)
est estimé à partir de l’équation : Yitα +β1(t=1) + γ1(iGT) + δTit + uit
Tit est l’indicatrice qui vaut 1 lorsque l’individu i bénéficie de la mesure à la date t
Tel que equation im6
Il s’agit d’un estimateur non biaisé de l’effet propre du traitement si on fait l’hypothèse que les groupes aient évolué de la même manière en l’absence de traitement (hypothèse d’identification). Il faut donc choisir un groupe de contrôle plausible. L’argument est que, dans le cas du Bumidom, le non-traitement de la Guyane constitue une « expérience naturelle » qui fournit le groupe de contrôle. De plus, disposer d’informations complémentaires sur les groupes concernés, comme c’est le cas ici, permet d’assouplir partiellement l’hypothèse d’identification.

37Pour construire la variable expliquée, on part du nombre d’installations entre chaque recensement. Pour tenir compte des différences entre les intervalles de recensement, ce nombre est divisé par le nombre d’années entre chaque recensement, aboutissant à un nombre moyen d’arrivées par an sur la période. Du fait de sa population moins nombreuse, les flux en provenance de la Guyane sont numériquement bien inférieurs aux autres. Pour établir une comparaison entre les quatre DOM qui ait du sens, il est donc plus pertinent de raisonner en taux de variation qu’en variations absolues. À ces fins, la variable expliquée par la régression est le logarithme du nombre annuel moyen d’installations en métropole entre deux recensements. Les résultats se lisent ainsi : « une hausse de 1 unité de la variable x est liée à une hausse de [coefficient] % des flux ». La variable expliquée est donc le taux de variation des flux par DOM, par sexe et par âge. Les migrations se concentrent surtout entre 18 et 30 ans. C’est pourquoi les catégories d’âges retenues sont les suivantes : les moins de 16 ans, chaque année d’âge révolu de 16 à 30 ans, les 31-45 ans, les 46-60 ans, et les plus de 60 ans [21]. Les variables explicatives incluent des informations contextuelles sur les DOM au précédent recensement [22], alors que les recensements dans les DOM ne sont disponibles qu’à partir de 1974. L’analyse est donc réduite aux recensements de 1982, 1990 et 1999 [23]. Avec dix-neuf catégories d’âges pour les deux sexes, dans quatre départements et pour trois dates, la base se compose de 456 observations.

Variables explicatives

38Pour chaque cohorte on considère, comme variables explicatives de la migration, la situation dans le DOM pour la cohorte précédente : le taux d’activité, le taux de chômage, la part de cadres et la part de bacheliers. Par exemple, la croissance entre 1975 et 1982 du flux de Guadeloupéennes de 21 ans est expliquée par la part de Guadeloupéennes de 21 ans ayant le baccalauréat ou plus, en Guadeloupe et en 1974. Il s’agit de capter les perspectives qu’ont pu se représenter les membres d’une cohorte pour leur futur, à partir des caractéristiques des cohortes lors de la période précédente. Compte tenu de la position spécifique dans le cycle de vie des catégories de moins de 16 ans et de plus de 60 ans, qui rend moins pertinente l’approche par les anticipations en termes de qualification et d’emploi, les informations contextuelles de l’ensemble de la population du même sexe leur sont attribuées. La définition du chômage dans le recensement ne correspond pas à celle du Bureau international du travail, qui sert le plus souvent de base à la mesure du taux de chômage. Elle délimite un champ plus large pour la notion de recherche d’emploi, ce qui conduit à des chiffres supérieurs. Dans les DOM, le marché du travail n’est pas organisé comme en métropole, et le spectre de la « recherche effective d’un emploi » est d’autant plus difficile à déterminer (Domenach et Guengant, 1981). La manière dont les personnes se déclarent au chômage varie également au cours du temps, notamment avec les évolutions de l’assurance chômage. Difficile à interpréter dans l’absolu, la mesure du chômage selon la définition du recensement prend son sens dans la comparaison des DOM entre eux et au cours du temps. La distribution de ces variables au cours du temps est reportée dans les tableaux annexes A.1, A.2 et A.3.

39La majorité des théories de la migration s’appuient sur la structure des marchés du travail dans les sociétés de départ et/ou d’accueil comme mécanisme causal de la migration. Par exemple, si les économistes néoclassiques mettent l’accent sur les différences de taux de chômage et de salaires, la théorie du marché dual souligne le rôle de la demande de travail et des stratégies des recruteurs (Massey et al., 1993 ; Piore, 1979). Ces paradigmes sont concurrents mais pas nécessairement contradictoires. Le contexte de développement des migrations DOM-métropole semble les confirmer : les taux de chômage élevés dans les DOM, autant que le besoin de main d’œuvre en métropole et l’action de recrutement du Bumidom peuvent expliquer la croissance des flux jusqu’aux années 1980. Cependant, dès l’après-guerre, la migration de travail a lieu en parallèle d’un autre type de mobilité : la jeunesse issue de l’élite ultramarine vient en métropole pour poursuivre des études. À partir des années 1960, les politiques de massification scolaire conduisent de plus en plus d’élèves jusqu’au baccalauréat. Même si les niveaux d’éducation demeurent bien inférieurs dans les DOM, un nombre croissant de jeunes ultramarins arrivent aux portes des études supérieures. Si l’offre d’enseignement supérieur n’est pas suffisante dans leur département, ces jeunes seront également conduits à migrer. Le caractère endogène du nombre d’infrastructures d’enseignement ou de places disponibles rend difficile leur inclusion dans le modèle. Il faut néanmoins noter qu’il n’y avait aucune université dans les DOM en 1975 et aucune en Guyane en 1982, ce qui a certainement influencé ces départs.

Résultats des modèles de différences de différences

40Le tableau 2 présente les résultats de quatre modèles de régressions en double différence. Une variable explicative est ajoutée à chaque étape. Le modèle brut estime à 78 % l’effet du Bumidom en termes de croissance des flux. Prendre en compte le contexte de la région d’origine pour chaque cohorte au recensement précédent nuance cette première estimation, même si l’effet demeure élevé. Dans le modèle final (colonne 4), l’effet du Bumidom est estimé à 72 %. La part de bacheliers a un effet positif sur la migration. L’effet positif de la part de cadres disparaît et devient négatif avec la prise en compte des taux d’activité et de chômage (une hausse d’un point de pourcentage diminue les flux de 7 %). Cet effet suggère que des opportunités croissantes en termes de mobilité sociale freinent la migration. Contrairement aux hypothèses du paradigme néoclassique, le taux de chômage a un effet faible mais négatif sur les flux (une hausse d’un point de pourcentage diminue de 1 % à 2 % les flux). Cet effet peut être lié au coût de la migration : des populations vivant dans des conditions précaires n’ont pas les ressources pour s’installer en métropole.

Tableau 2. Résultats des régressions en différences de différences sur le taux de variation des flux

Tableau 2. Résultats des régressions en différences de différences sur le taux de variation des flux

Tableau 2. Résultats des régressions en différences de différences sur le taux de variation des flux

Lecture : Selon le modèle 2, une hausse d’un point de pourcentage de la part de bacheliers dans une cohorte augmente de 3 % le nombre de migrants issus de cette cohorte.
Niveaux de significativité : * p < 0,05 ; ** p < 0,01 ; *** p < 0,001.
Source : Estimations de l’auteure à partir des recensementr de la population (Insee).

41L’utilisation des méthodes par différences de différences confirme l’impact fort du Bumidom sur la croissance des flux DOM-métropole. Ces régressions soulignent également le rôle d’autres facteurs structurels. Elles nuancent le rôle du chômage : si les individus sont susceptibles de migrer pour rechercher un emploi en métropole, un taux de chômage élevé traduit aussi des conditions socioéconomiques précaires. Or, migrer est coûteux : la mobilité requiert des ressources à la fois financières et informationnelles, elle implique également un certain niveau de risque. À supposer que le marché du travail métropolitain leur soit plus favorable, cela n’implique pas que les populations les plus défavorisées migrent, puisqu’elles doivent prendre en charge ces coûts avant de tirer les bénéfices éventuels de la migration. Néanmoins, l’effet négatif de la part de cadres soutient l’idée que le développement d’opportunités économiques et professionnelles dans les sociétés de départ tend à réduire les migrations vers la métropole.

3. Des migrants différents et sélectionnés ?

42Migration pour études et migration de travail ne constituent pas deux modèles de mobilité disjoints. Alors que la poursuite d’études en métropole constitue une ressource très valorisable sur le marché du travail ultramarin, les migrants qualifiés retournent moins souvent que les autres dans leur DOM d’origine (Temporal et al., 2011). Un projet de mobilité lié à des études en métropole est donc souvent associé à un projet de carrière en métropole. Il arrive que celui-ci soit subi, comme pour les gardiens de la paix dont la formation a lieu en métropole (à l’exception de rares concours délocalisés) et pour qui il est ensuite difficile d’obtenir une mutation dans les DOM. Mais ce n’est pas nécessairement le cas. Parce que leurs qualifications leur donnent un meilleur accès à l’emploi, le maintien en métropole des ultramarins venus s’y former accentue l’écart entre les natifs des DOM partis et restés. Afin de comprendre comment se constitue cet écart, il est nécessaire de s’appuyer sur des mesures qui distinguent les différents types de sélection à l’œuvre dans les parcours.

43Deux phénomènes expliquent les niveaux de diplôme plus élevés des ultramarins de métropole. D’une part, si la migration est sélective (c’est-à-dire accessible en termes d’aspirations et de coûts à seulement une fraction de la population), les migrants partent avec des objectifs plus élaborés en termes de poursuite d’études. D’autre part, si l’offre d’enseignement supérieur et de formation est limitée dans les DOM, partir permet aux migrants d’atteindre des niveaux de diplôme plus élevés. Ainsi, l’écart dans la distribution des niveaux de diplôme entre les territoires ne capte pas seulement la sélection de la migration mais aussi l’effet ou le moteur de cette migration. Le niveau d’études supérieur des migrants peut aussi bien se lire comme une forme de mobilité sociale offerte à ces derniers que comme une preuve de leur sélection sociale. Pour distinguer ces deux dimensions, l’analyse se focalise sur des niveaux d’études acquis avant la migration, mais qui demeurent discriminants, et sur le fait de poursuivre ses études au-delà du pallier du baccalauréat.

44En effet, le baccalauréat apparaît comme un point clé du parcours des ultramarins exposés à la mobilité. Bien qu’une part des migrants soient des mineurs (qui suivent ou rejoignent un parent), les migrations se concentrent entre 18 et 30 ans : dans la majorité des cas, un individu dans une trajectoire le conduisant vers le baccalauréat l’aura déjà obtenu avant son arrivée en métropole. De plus, l’enseignement secondaire n’est pas exposé aux mêmes problématiques d’offre que l’enseignement supérieur, et il existe une continuité entre les collèges-lycées de métropole et des DOM. Enfin, le bac est la condition nécessaire de l’accès à l’enseignement supérieur. Dans un premier temps, on compare donc la part d’individus avec au moins le baccalauréat parmi les natifs des DOM arrivés entre deux recensements, et parmi ceux restés dans leur DOM de naissance. Pour que le résultat ne soit pas sensible à un effet de génération (comme les moins de 30 ans sont surreprésentés parmi les nouveaux arrivants, ces flux sont plus exposés à la hausse globale des niveaux de diplôme que l’ensemble des natifs des DOM), les populations étudiées sont réduites à une cohorte décennale, les 18-27 ans [24]. Cette comparaison est exprimée sous forme d’odds-ratios. La même comparaison est appliquée au fait d’avoir un diplôme d’un niveau supérieur ou égal à un CAP. Enfin, parmi les natifs des DOM de 18 à 27 ans ayant au moins le baccalauréat, les odds-ratios comparent la proportion d’individus encore étudiants dans les deux groupes. Ces résultats sont présentés dans le tableau 3. Les résultats détaillés par DOM sont réunis dans le tableau annexe A.4.

Tableau 3. Odds-ratios comparant la poursuite d’études des ultramarins arrivés en métropole entre deux recensements à celle des ultramarins vivant dans leur DOM d’origine

Tableau 3. Odds-ratios comparant la poursuite d’études des ultramarins arrivés en métropole entre deux recensements à celle des ultramarins vivant dans leur DOM d’origine

Tableau 3. Odds-ratios comparant la poursuite d’études des ultramarins arrivés en métropole entre deux recensements à celle des ultramarins vivant dans leur DOM d’origine

Lecture : En 1999, un ultramarin entre 18 et 27 ans arrivé en métropole entre 1990 et 1999, avait 2,8 fois plus de chances d’avoir au moins le baccalauréat qu’un ultramarin entre 18 et 27 ans resté dans son DOM de naissance.
Source : Recensement de la population (Insee).

45Le premier constat est la forte sélection en termes de niveau d’études, quelle que soit l’époque et quel que soit le DOM. Les ultramarins de 18 à 27 ans ayant migré entre deux recensements sont près de trois fois plus nombreux que ceux restés dans leur DOM de naissance à avoir un diplôme supérieur ou égal au baccalauréat. En revanche, on n’observe pas de tendance nette de la croissance de la sélection au cours du temps. Avec le pallier du bac, elle est stable entre 1975 et 1982, augmente en 1990 puis retrouve en 1999 son niveau passé. Dans l’ensemble, la sélection par le diplôme en 1999 est d’un niveau proche de celui de 1982. Avec le pallier du niveau CAP, elle augmente entre 1975 et 1982, diminue en 1990 et augmente à nouveau en 1999. Les résultats ne sont pas non plus stables d’un DOM à l’autre. En Guadeloupe et en Martinique, la sélection par le diplôme est plus forte en 1999 qu’en 1982, quel que soit le pallier. En Guyane et à La Réunion, au contraire, elle est moins élevée.

46En termes de poursuite d’études après le baccalauréat, les parcours des migrants se distinguent également fortement de ceux des ultramarins restés dans leur DOM de naissance. En 1975, les bacheliers de 18 à 27 ans arrivés en métropole entre deux recensements sont près de quatre fois plus souvent encore étudiants que ceux qui n’ont pas migré. Mais la tendance est à la baisse de cet écart, laissant supposer un phénomène de rattrapage de l’offre d’enseignement supérieur dans les DOM. Le registre Sirene révèle en effet que le nombre d’établissements d’enseignement supérieur en Guadeloupe est passé à 9 en 1990 puis 13 en 1999, 5 puis 9 en Martinique, 1 puis 2 en Guyane, et 6 puis 11 à La Réunion [25]. La poursuite d’études demeure néanmoins fréquente : en 1999, les bacheliers de 18 à 27 ans arrivés en métropole entre deux recensements sont deux fois plus souvent encore étudiants que ceux restés dans les DOM. À nouveau, les évolutions au sein des différents DOM sont hétérogènes. La baisse de l’écart est visible en Guadeloupe et à La Réunion, pas en Martinique ou en Guyane. L’écart de niveau de diplôme entre les migrants et les ultramarins restés dans les DOM est donc le produit d’un double mécanisme : il résulte sans doute à la fois d’une forte sélection migratoire et d’opportunités d’enseignement supérieur plus importantes et diversifiées en métropole (même si les calculs réalisés n’éliminent pas complétement l’effet de dispositions prémigratoires). S’il s’est accentué au cours du temps, ce n’est pas le résultat d’une intensification de ces mécanismes (les rapports de chances n’ont pas augmenté, ils ont même dans une certaine mesure diminué).

Conclusion

47Les migrations des DOM vers la métropole offrent un cas empirique unique pour améliorer notre compréhension des mécanismes de mobilité géographique. La singularité de ces territoires et de leurs populations, notamment marqués par un passé colonial et par l’ancienneté de leur intégration à la citoyenneté française, permet d’offrir un éclairage nouveau sur les migrations au sein de l’Hexagone depuis l’après-guerre. D’un côté, les DOM sont situés à des milliers de kilomètres de la France métropolitaine, et comme c’est souvent le cas, la migration est coûteuse et l’éloignement important. De l’autre, les natifs des DOM sont des citoyens français et, depuis la départementalisation en 1946, ils sont progressivement intégrés à des dispositifs institutionnels similaires à ceux de la métropole. Ils ne font face à aucune barrière légale à la migration, reçoivent un enseignement primaire et secondaire calqué sur le système métropolitain, ont accès en métropole aux mêmes dispositifs sociaux que les autres Français. Des années 1960 aux années 1990, des « adaptations à la spécificité des DOM » subsistent néanmoins dans le droit et les pratiques. Ces dernières reflètent notamment l’inquiétude des pouvoirs publics vis-à-vis de la croissance des populations ultramarines, qu’ils tentent d’encadrer par des politiques de frein à la fécondité et d’encouragement à la mobilité. Le Bumidom est caractéristique de cette intervention. En étudiant son impact, on peut donc cerner l’effet de mesures institutionnelles sur les flux migratoires, en distinguant cet effet de mécanismes liés aux contextes socioéconomiques dans les DOM et en métropole.

48À partir d’une analyse fine des recensements en métropole et dans les DOM, de 1968 à 1999, cette étude aboutit à trois résultats importants. D’abord, le Bumidom a eu un fort impact positif sur la croissance des migrations des Antilles et de La Réunion, net de l’effet du contexte dans les DOM. Il a accru le nombre de migrants et la durée de leurs séjours en métropole. Ensuite, la migration massive des années 1960 et 1970 n’est pas seulement liée à l’activité du Bumidom. L’impact des conditions socioéconomiques dans les DOM suggère que d’importants déplacements auraient eu lieu, même sans son intervention. Au-delà du paradigme de la migration de travail (qui demeure un facteur important de mobilité), l’analyse révèle le rôle des aspirations scolaires. L’accès à l’enseignement supérieur est également l’un des moteurs de la migration des DOM vers la métropole depuis les années 1960. Le remplacement du Bumidom par l’ANT en 1981 met fin à l’encouragement à la migration de masse. Associé à la dégradation des conditions économiques en métropole, ce changement a transformé la structure des migrations depuis les années 1980. Si la sélection et l’écart relatif des niveaux de diplôme n’ont pas augmenté, l’écart entre migrants et ultramarins restés dans leur DOM de naissance a été accentué par la hausse globale des qualifications et les nouvelles contraintes du marché du travail, de plus en plus défavorable aux moins qualifiés.

49La plupart des études théorisant les liens entre politiques migratoires et développement des flux se focalisent sur la décision des États de limiter ou non les entrées sur leur territoire, et leur capacité à rendre ces restrictions effectives (Zolberg, 1999). Cet article contribue à une meilleure compréhension du rôle des institutions publiques dans le développement des migrations en analysant un autre type de politique migratoire : la mise en place d’organismes d’encadrement des migrants favorables à la migration. Ces résultats mettent en valeur l’interaction entre les politiques d’État, le contexte socioéconomique dans la région de départ et le contexte socioéconomique dans la région d’arrivée.

Remerciements : Ce travail a bénéficié d’une aide de l’État français gérée par l’Agence nationale de la recherche au titre du programme Investissements d’avenir portant la référence ANR-10-EQPX-17 (Centre d’accès sécurisé aux données – CASD).

Tableau A.1. Activité, niveau d’étude et émigration dans les DOM des 16-30 ans (%) lors des recensement entre 1975 et 1999

Tableau A.1. Activité, niveau d’étude et émigration dans les DOM des 16-30 ans (%) lors des recensement entre 1975 et 1999

Tableau A.1. Activité, niveau d’étude et émigration dans les DOM des 16-30 ans (%) lors des recensement entre 1975 et 1999

Source : Recensement de la population (Insee).

Tableau A.2. Activité, niveau d’étude et émigration dans les DOM des 31-45 ans (%) lors des recensement entre 1975 et 1999

Tableau A.2. Activité, niveau d’étude et émigration dans les DOM des 31-45 ans (%) lors des recensement entre 1975 et 1999

Tableau A.2. Activité, niveau d’étude et émigration dans les DOM des 31-45 ans (%) lors des recensement entre 1975 et 1999

Source : Recensement de la population (Insee).

Tableau A.3. Activité, niveau d’étude et émigration dans les DOM des 46-60 ans (%) lors des recensement entre 1975 et 1999

Tableau A.3. Activité, niveau d’étude et émigration dans les DOM des 46-60 ans (%) lors des recensement entre 1975 et 1999

Tableau A.3. Activité, niveau d’étude et émigration dans les DOM des 46-60 ans (%) lors des recensement entre 1975 et 1999

Source : Recensement de la population (Insee).

Tableau A.4. Odds-ratios comparant la poursuite d’études des ultramarins arrivés en métropole entre deux recensements à celle des ultramarins vivant dans leur DOM d’origine

Tableau A.4. Odds-ratios comparant la poursuite d’études des ultramarins arrivés en métropole entre deux recensements à celle des ultramarins vivant dans leur DOM d’origine

Tableau A.4. Odds-ratios comparant la poursuite d’études des ultramarins arrivés en métropole entre deux recensements à celle des ultramarins vivant dans leur DOM d’origine

Source : Recensement de la population (Insee).

Notes

  • [1]
    La Guyane, la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion sont quatre anciennes colonies françaises, situées respectivement au Nord du Brésil, dans les Caraïbes et au Sud de Madagascar, devenues départements français en 1946.
  • [2]
    En Guyane, une population amérindienne s’est maintenue mais, vivant dans la forêt amazonienne, elle était largement ignorée du pouvoir colonial. À La Réunion, il n’existait aucune population autochtone.
  • [3]
    Lié au déficit et à l’inflation locaux.
  • [4]
    Durant les premières années suivant la départementalisation, il arrive même que la législation coloniale soit encore appliquée.
  • [5]
    Ces descendants de colons blancs paupérisés après l’abolition de l’esclavage sont perçus de manière très différente des grands possédants.
  • [6]
    Sa population compte 23 % d’étrangers dans le recensement de 1982.
  • [7]
    Dès les premières installations antillaises en métropole, ces migrants font l’expérience de comportements négatifs liés à leur couleur de peau (Daily, 2014).
  • [8]
    Des compléments de revenu versés en fonction du nombre d’enfants et du nombre de parents prenant en charge ces enfants.
  • [9]
    Par exemple, entre 1905 et 1907, 3 000 travailleurs quittent la Guadeloupe pour participer à la construction du canal de Panama.
  • [10]
    Lors de chaque planification, les groupes de travail sont répartis en commissions thématiques.
  • [11]
    Les enjeux liés à la fécondité et la croissance démographique sont rendus plus pressants par une agitation politique croissante dans les DOM : des émeutes agitent la Guadeloupe en 1967 et le monde du travail martiniquais connaît des conflits violents durant cette période (Constant, 1987).
  • [12]
    Elle permet également de comparer les mobilités des enfants des enquêtés, vivant en métropole ou dans les DOM, mais ne fournit pas d’éléments détaillés sur leurs parcours.
  • [13]
    TeO estime que neuf migrants des DOM diplômés du supérieur sur dix ont obtenu leur diplôme en métropole.
  • [14]
    « La ‘Domisation’ s’est accompagnée de l’utilisation dans les DOM des mêmes imprimés de recensement et d’état civil qu’en métropole, sauf pour quelques différences mineures. (…) Cependant les recensements de Guyane de 1954 et 1961 font encore état d’une population ‘primitive’ répartie en ‘indiens’ et ‘noirs’. » (Rallu, 1998, p. 601).
  • [15]
    Il est demandé aux recensés d’indiquer leur lieu de résidence au 1er janvier de l’année du précédent recensement.
  • [16]
    Les allers-retours ayant lieu entre deux recensements sont même ignorés, puisque ces individus ne sont pas recensés en métropole.
  • [17]
    Cette information n’est disponible qu’à partir de 1975, mais la faiblesse des flux entrants dans les DOM de 1954 à 1975 permet d’utiliser la population totale comme approximation (Rallu et Diagne, 2005).
  • [18]
    Cette part omet donc les natifs des DOM vivant à l’étranger. Cependant, l’enquête Migration famille vieillissement (MFV) permet d’estimer que les expatriés représentaient 1 % des natifs des DOM en 2012 ; ce poids était probablement encore moindre pendant les périodes étudiées.
  • [19]
    Ces approximations sont obtenues à partir des chiffres agrégés au niveau des Antilles d’une part, de La Réunion, de la Guyane et des TOM d’autre part. On prend le poids relatif de chaque DOM dans ces chiffres agrégés en 1954 et 1968, on en fait la moyenne pour obtenir le poids associé à 1961, qui est ensuite appliqué aux chiffres agrégés de 1961. Par exemple : « Guyanais en métropole en 1961 = (Guyanais, Réunionnais et TOMiens en métropole en 1961)×[(Part de Guyanais parmi les Guyanais, Réunionnais et TOMiens en métropole en 1954)+ (Part de Guyanais parmi les Guyanais, Réunionnais et TOMiens en métropole en 1968)]/2 ».
  • [20]
    Pour les catégories d’âges regroupées (31-45 ans, 46-60 ans, 60 ans et plus), le solde est divisé par le nombre d’années dans la catégorie.
  • [21]
    Associer une observation à chaque âge révolu donnerait donc trop de poids à des flux qui ne reflètent pas la réalité d’ensemble des migrations et dont les taux de variation se distribueraient selon une variance disproportionnée.
  • [22]
    Prendre en compte ces contextes permet notamment de mieux s’assurer du respect de l’hypothèse identifiante ou common trend hypothesis, c’est-à-dire du fait que les flux comparés auraient connu des évolutions semblables sans traitement (Givord, 2014).
  • [23]
    Des analyses avec les quatre périodes mais sans les variables contextuelles ont été menées et confirment les résultats.
  • [24]
    La surreprésentation de certains âges parmi les migrants constitue en elle-même une sélection qui explique les écarts entre les ultramarins installés en métropole et ceux restés dans leur DOM de naissance.
  • [25]
    Si une université compte plusieurs UFR, ce sont les UFR qui sont comptabilisés et non la seule université.
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Français

Cet article propose de nouvelles perspectives d’analyse de la démographie de quatre départements français d’outre-mer (DOM : Guadeloupe, Guyane, Martinique et La Réunion). Quels sont les effets des politiques publiques de population, portées notamment par le Bureau pour la migration des DOM (Bumidom, 1963–1981) et ses successeurs, sur les migrations vers la métropole ? Les recensements de 1968 à 1999 permettent de mesurer l’ampleur et la structure de ces flux migratoires au cours du temps, ainsi que leur poids dans la population des natifs des DOM. S’appuyant sur des régressions en différences de différences, cette analyse permet de mesurer l’effet des politiques menées par le Bumidom. Elle montre que cet organisme a favorisé la croissance des migrations, également alimentées par les inégalités socioéconomiques entre les DOM et la métropole. Alors que l’offre d’enseignement supérieur dans les DOM et la part de bacheliers ne progressent pas au même rythme, les aspirations scolaires peuvent également être motrices des migrations. La comparaison des ultramarins restés dans les DOM avec ceux partis en métropole révèle que, depuis 1968, ces derniers sont caractérisés par un niveau d’études plus élevé.

Mots-clés

  • migration
  • départements d’outre-mer
  • Bumidom
  • différences de différences
  • recensement
  • analyse longitudinale

Références

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Marine Haddad
Observatoire sociologique du changement (Sciences Po, Paris) et Laboratoire de sociologie quantitative (Crest).
Correspondance : Marine Haddad, CREST, Laboratoire de Sociologie Quantitative, 5, avenue Henry Le Chatelier, TSA 96642, 91764 Palaiseau cedex, France.
Marine.Haddad@ensae-paristech.fr
Mis en ligne sur Cairn.info le 18/10/2018
https://doi.org/10.3917/popu.1802.0191
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