1Durant les 30 dernières années, la démographie des pays du Sud de l’Europe comme la Grèce, l’Italie et l’Espagne a été modelée par deux événements majeurs. Premièrement, depuis les années 1980, la fécondité du moment a fortement baissé pour atteindre en quelques années des niveaux extrêmement bas, qualifiés de « fécondités les plus basses » par Kohler, Billari et Ortega (2002). Deuxièmement, ces pays traditionnels d’émigration sont devenus des pays d’immigration et connaissent depuis les années 1990 des afflux de migrants importants, en provenance essentiellement d’Europe centrale et orientale, mais aussi de régions asiatiques et africaines moins développées. Dans ce contexte, une question importante se pose : les effectifs croissants de femmes originaires de pays où la fécondité est élevée peuvent-ils compenser jusqu’à un certain point les taux de fécondité très faibles des populations nationales ?
2La fécondité des femmes étrangères en Grèce a été relativement peu étudiée jusqu’ici. Il faut attendre 2004, date à laquelle les premières données ont été disponibles, pour évaluer la contribution des étrangères aux variations de la fécondité du moment de la population totale. On peut alors dresser un tableau des effets de la composition de la population étrangère et de sa fécondité sur l’évolution de la fécondité en Grèce, compte tenu en particulier de la crise qui, depuis 2008, a eu des conséquences économiques et sociales désastreuses dans le pays. Cette étude vise donc principalement deux objectifs : le premier est d’évaluer les niveaux et tendances de la fécondité des étrangères en Grèce et leur contribution à la fécondité générale du moment de 2004 à 2012 ; le second consiste à évaluer la contribution relative du comportement de fécondité des femmes étrangères âgées de 15 à 49 ans d’une part et de leur poids dans la population totale d’autre part. Pour ce faire, nous utilisons une méthode de décomposition qui permet de distinguer les effets dus aux variations de la fécondité des étrangères et ceux dus aux variations de leur part dans la population féminine totale en âge de procréer.
I – Contexte
3La Grèce est devenue un pays d’immigration dans le courant des années 1990. Lors du recensement de 1991, la proportion d’étrangers enregistrés était de 1,6 %. Ce chiffre a considérablement progressé, atteignant 7,0 % en 2001 (762 191 personnes) puis 8,4 % en 2011 (911 929). Les femmes étrangères âgées de 15 à 49 ans représentaient 8,8 % des femmes en âge de procréer en 2001 et leur part a atteint 11,5 % en 2011. La moitié environ (50,4 %) sont albanaises, et dans leur pays d’origine la fécondité est plus élevée qu’en Grèce ; 10,4 % ont une nationalité asiatique ; 1,9 % sont africaines et 29,0 % sont originaires d’Europe orientale où la fécondité est basse (principalement de Bulgarie, Roumanie, Pologne).
4Bien que les ressortissants étrangers représentent une fraction non négligeable de la population générale depuis 1991, les analyses antérieures fournissent au mieux des éléments parcellaires sur les niveaux et tendances de la fécondité des étrangères en Grèce. Ceci s’explique largement par le fait que l’institut statistique grec (ELSTAT) ne compile les données sur les naissances par nationalité de la mère que depuis 2004. Jusque-là, la fécondité des étrangères était exclusivement estimée à partir de la question posée sur les naissances lors du recensement de 2001. Cette question nous renseigne sur la fécondité des cohortes qui, pour partie, ont pu commencer leur vie reproductive dans leur pays d’origine (Bagavos et al., 2008). Pour la période 2005-2006, Kotzamanis et Sofianopoulou (2008) ont estimé un indicateur conjoncturel de fécondité (ICF) de 2,21 enfants par femme chez les étrangères (2,54 parmi les Albanaises, dont les naissances représentaient 61 % des naissances de mères étrangères) ; les femmes étrangères ont contribué à environ 17 % du total des naissances durant cette période. Ces estimations sont très proches de celles de Tsimbos (2008) pour la même période, quoique légèrement supérieures. Les estimations de l’ICF établies par Lanzieri (2013) pour les femmes étrangères entre 2009 et 2011 indiquent une tendance à la baisse, de 2,87 à 2,26 enfants par femme. Cela étant, la contribution relative du poids de la population étrangère et de sa fécondité à la fécondité totale en Grèce n’a pas été estimée.
5En revanche, la contribution relative des effectifs croissants des femmes étrangères ou immigrées à la fécondité de plusieurs pays européens comme l’Angleterre et le Pays de Galles, la France, les Pays-Bas, l’Autriche, le Danemark ainsi que l’Italie et l’Espagne a fait l’objet de diverses études (Basten et al., 2013 ; Gabrielli et al., 2007 ; Goldstein et al., 2009 ; Héran et Pison, 2007 ; Sobotka, 2008 ; Toulemon, 2004 ; Toulemon et Mazuy, 2004 ; Vila Roig et Martin Castro, 2007). Même si, dans plusieurs pays, les femmes immigrées semblent augmenter de façon substantielle le nombre total de naissances, jusqu’à parfois 15 % à 20 %, l’« effet net » de la forte fécondité de cette population sur l’ICF paraît assez minime dans la plupart des pays européens, entre 0,03 et 0,13 enfant par femme (Basten et al., 2013 ; Sobotka, 2008). Il n’y a qu’au niveau régional, dans les zones à forte densité de migrants, qu’un « apport » plus important serait observable : à Vienne, par exemple, la contribution des immigrées à la fécondité a été estimée à 0,28 enfant par femme (Zeman et al., 2011). S’agissant des niveaux de fécondité, dans certains pays comme l’Autriche, l’Espagne et l’Allemagne, bien que les immigrées soient plus fécondes que les natives, leurs ICF sont inférieurs au niveau de remplacement. La fécondité du moment des immigrées s’est rapprochée de la fécondité nationale aux Pays-Bas, tandis qu’elle est devenue inférieure au Danemark (Basten et al., 2013).
6Concernant la contribution relative des étrangères et des immigrées aux variations de la fécondité dans le temps, Van Landschoot et al. (2014) suggèrent que l’augmentation de l’ICF observée dans les Flandres belges entre 2001 et 2008 serait due principalement à la fécondité croissante des femmes belges de 30 ans et plus. En Espagne et en Italie, où les ICF correspondaient aux « fécondités les plus basses » de 1994 à 1996, les hausses légères constatées ultérieurement ont été imputées en partie aux femmes étrangères. En Italie, plus précisément, où l’ICF des femmes étrangères est à peu près le double de celui des natives, Gabrielli et al. (2007) considèrent que l’augmentation du nombre d’enfants par femme de 0,114 mesurée au cours de la période 1996-2004 résulte d’une fécondité accrue des Italiennes âgées de 30 ans et plus (38 %) et de l’effet combiné de la fécondité en hausse des femmes étrangères (33 %) et de leur part croissante dans la population féminine en âge de procréer (29 %). En revanche, en Espagne où l’ICF des femmes étrangères est passé de 2,3 à 1,7 enfant au cours de la même période, la hausse de la fécondité était liée à la part croissante des étrangères dans la population féminine âgée de 15 à 49 ans (l’ICF des étrangères reste en effet supérieur à celui des Espagnoles) et à la fécondité accrue des Espagnoles de 30 ans et plus.
II – Données et méthodes
7À des fins administratives, législatives et statistiques, les autorités grecques identifient les étrangers sur la base de leur nationalité (Ministère de l’Intérieur, 2016) ; c’est la définition que nous utilisons ici également. Précisons que les naturalisations semblent relativement limitées en Grèce (Emke-Poulopoulou, 2007).
8Deux séries de données ont été utilisées pour estimer les indices de fécondité du moment par nationalité pour les années 2004-2012 : les naissances par groupe d’âges quinquennal et nationalité de la mère, et la population féminine moyenne par groupe d’âges quinquennal et nationalité. Les naissances ventilées par nationalité ne sont disponibles qu’à partir de 2004 (ELSTAT, 2014). La population féminine en milieu d’année par âge et par nationalité pour la période 2004-2008 a dû être estimée par les auteurs (document annexe A.1).
1 – Estimation de la contribution des femmes étrangères à l’ICF
9Soient
10E et G désignent respectivement les étrangères et les natives (Grecques), N les naissances, P la population, S la part des femmes (étrangères ou grecques) dans la population féminine totale, et x l’âge.
11ICFcE et fx,cE (exprimés en nombre d’enfants par femme) sont respectivement la contribution des étrangères à l’ICF et aux taux de fécondité par âge (fx) de la population totale.
12Alors :

14La contribution relative à l’ICF est donc :

16ce qui est très proche de la contribution des étrangères au nombre total de naissances :

18En outre, la contribution relative des étrangères au taux de fécondité de la population totale à l’âge x est :

20La contribution des étrangères à l’ICF de la population totale dépend de deux composantes (Bagavos, 2015). Premièrement, les étrangères élèvent le niveau de l’ICF du pays par l’effet combiné de leur surcroît de fécondité par rapport à l’ICF des Grecques et de leur part dans la population totale en âge de procréer. Cette contribution est estimée simplement comme la différence entre l’ICF de la population totale et celui des natives (effet net). C’est la composante qui apparaît le plus souvent dans les études (Basten et al., 2013 ; Goldstein et al., 2009 ; Héran et Pison, 2007 ; Sobotka, 2008). Deuxièmement, si l’ICF des étrangères est égal à celui des natives, alors la fécondité des étrangères n’a pas d’effet sur l’ICF du pays. Mais cette fécondité accroît la proportion des enfants nés de mères étrangères dans l’ensemble des naissances. En général, cette composante est négligée par les démographes. Ces deux façons par lesquelles les étrangères contribuent à la fécondité – en accroissant l’ICF du pays ou en augmentant la part de l’ICF du pays attribuable aux étrangères - expliquent qu’il soit possible, comme nous le verrons dans notre étude, que la fécondité des étrangères ait un effet modéré sur l’ICF du pays et un effet sensible sur les tendances générales de la fécondité.
2 – Décomposition de la contribution des femmes étrangères aux variations de l’ICF sur deux années : comportement de fécondité et composition de la population
21L’ICF de la population totale est :

23La décomposition de la variation (Δ) de l’ICF de la population totale entre deux années (2004 et 2009, par exemple) est donnée simplement par (Bagavos, 2015) :

25que l’on peut également exprimer comme suit :

27où :
est l’effet des variations de la fécondité étrangère
est l’effet des variations de la fécondité des natives
est l’effet des variations de la part des femmes étrangères dans la population féminine totale
est l’effet des variations de la part des natives dans la population féminine totale
est l’effet d’interaction des variations de la fécondité et de la composition de la population.
28L’effet d’interaction représente généralement moins de 3 % de la variation totale de l’ICF. En outre, il peut se répartir proportionnellement entre les quatre autres composantes (Kitagawa, 1955). C’est la méthode suivie dans cet article.
III – Résultats
1 – Niveaux et tendances de la fécondité des femmes grecques et des étrangères, 2004-2012
29Le tableau 1 présente l’ICF au cours de la période 2004-2012 pour les Grecques, les étrangères et la population générale. Y figurent également les estimations de Lanzieri (2013) pour les femmes grecques et étrangères, pour la période 2009-2011 et les estimations nationales d’Eurostat (2014a) pour toute la période. Les estimations d’Eurostat sont très proches de nos chiffres, celles de Lanzieri sont quasiment identiques à nos résultats pour les femmes grecques mais indiquent une fécondité légèrement supérieure pour les femmes étrangères. L’ICF pour l’ensemble de la population est resté relativement faible tout au long de la période, avec tout d’abord une hausse entre 2004 et 2009 (de 1,30 à 1,51 enfant par femme), puis une baisse jusqu’à 1,37 enfant par femme en 2012. L’ICF des Grecques était initialement plus faible (1,23 enfant par femme), a culminé entre 2008 et 2010 (1,37-1,38) puis quelque peu diminué par la suite. La fécondité des femmes étrangères a suivi une trajectoire globalement similaire, mais à des niveaux sensiblement plus élevés, compris entre 1,87 et 2,80 enfants par femme.
Estimations de l’ICF des Grecques, des femmes étrangères et de la population générale en Grèce, période 2004-2012

Estimations de l’ICF des Grecques, des femmes étrangères et de la population générale en Grèce, période 2004-2012
30Ces chiffres semblent indiquer que deux sous-périodes peuvent être distinguées dans les tendances de la fécondité en Grèce : la période 2004-2009, caractérisée par une hausse tendancielle tant pour les étrangères que pour les Grecques, et la période 2009-2012 marquée par un repli. Ces changements sont plus nets chez les étrangères, avec une augmentation de 45,1 % suivie d’une baisse de 33,2 % ; pour les Grecques, les pourcentages respectifs sont plus modestes : 11,4 % et 4,4 %. Pour l’ensemble de la période, on observe une légère diminution de 3,1 % chez les femmes étrangères et une augmentation de 6,5 % chez les Grecques.
2 – Contribution des étrangères à la fécondité du moment et aux variations dans le temps
31Entre 2004 et 2012, la part des enfants nés de mères étrangères atteint un pic en 2009 (18,9 % de l’ensemble des naissances) et un creux en 2012 (15,4 %) (tableau 2). Le surcroît de la fécondité des étrangères suit une tendance similaire avec 1,4 enfant par femme en 2009 et 0,6 en 2012. Néanmoins, en raison de la faible proportion de femmes étrangères en âge de procréer (moins de 12 % de l’ensemble des femmes), la contribution des étrangères à l’ICF total (c’est-à-dire la différence entre l’ICF total et l’ICF des Grecques est relativement modeste, comprise entre 0,06 et 0,14 enfant par femme (4,4 % à 9,3 %). Leur contribution par âge, en revanche, est très différente car les étrangères ont un calendrier de fécondité bien plus précoce (figure 1). Leur contribution est maximale entre 15 et 19 ans (32 % à 45 %) et minimale à 30 ans et plus (approximativement 10 %).
Contribution des étrangères aux naissances et à l’ICF total de la Grèce

Contribution des étrangères aux naissances et à l’ICF total de la Grèce
(a) Différence entre les chiffres de la 2e et de la 1re ligne du tableau 1.(b) Différence entre les chiffres de la 3e et de la 1re ligne du tableau 1.
(c) Ratio entre les chiffres de la 3e ligne du tableau 2 et les chiffres de la 3e ligne du tableau 1.
Contribution (%) des femmes étrangères à l’ICF total, Grèce, 2004-2012

Contribution (%) des femmes étrangères à l’ICF total, Grèce, 2004-2012
32La contribution relative des étrangères et des Grecques aux tendances observées de l’ICF total fait l’objet du tableau 3, qui distingue l’effet du « comportement de fécondité » et celui de la « composition de la population ». Au cours de la période 2004-2009, la fécondité totale a augmenté de 0,208 enfants par femme (+ 15,9 %). Les Grecques y contribuent pour 0,117 enfant par femme soit 8,9 % de cette hausse, tandis que le reste (0,091 enfant par femme soit 7,0 %) est imputable aux étrangères. En d’autres termes, la progression de la fécondité générale au cours de cette période peut être attribuée pour plus de la moitié aux Grecques (56,3 %), contre 43,7 % pour les femmes étrangères.
Décomposition de la contribution (%) des étrangères et des Grecques aux variations de l’ICF, 2004-2009 et 2009-2012

Décomposition de la contribution (%) des étrangères et des Grecques aux variations de l’ICF, 2004-2009 et 2009-2012
33Quand on distingue l’effet des variations de la composition de la population et l’effet des variations du comportement de fécondité, il apparaît que l’évolution de la part des femmes étrangères de moins de 30 ans (baisse de leur poids dans la population) a eu un impact négatif sur leur contribution à la fécondité, tandis que l’évolution de la part de celles de 30 ans et plus a eu un effet positif. Au total, l’effet de composition pendant la période a été nul et la progression de la contribution des étrangères à l’ICF total s’explique exclusivement par la hausse des taux de fécondité chez les femmes âgées de 20 à 34 ans.
34Concernant les Grecques, les variations de leur part dans la population en âge de procréer au cours de cette période ont eu un effet légèrement négatif, tandis que la fécondité en baisse des femmes plus jeunes (moins de 30 ans) a eu un effet négatif supplémentaire. Ces effets ont toutefois été plus que compensés par l’augmentation de la fécondité chez les femmes de plus de 30 ans et l’effet net général a été positif. La hausse de l’ICF constatée entre 2004 et 2009 peut donc être attribuée à la fécondité croissante des femmes étrangères de 20 à 34 ans et des Grecques de 30 à 44 ans.
35La période 2009-2012 s’est caractérisée par un recul de la fécondité générale de 0,139 enfant par femme (9,2 %), davantage attribuable aux femmes étrangères (55,4 %) qu’aux Grecques (44,6 %). Quelque 4,1 % (soit 0,062 enfant par femme) de ce recul est imputable aux Grecques, contre 5,1 % (soit 0,077 enfant par femme) pour les étrangères. Il semble que l’augmentation de la proportion de femmes âgées de 15 à 29 ans ait eu pour effet de doper les taux de fécondité, tandis que le recul de la fécondité, en particulier chez les femmes de 20 à 29 ans, a eu l’effet inverse. C’est donc une diminution nette qui a été observée, liée à l’évolution des comportements de fécondité et partiellement atténuée par l’effet positif de l’évolution de la composition de la population. Concernant les Grecques, l’évolution de la part des femmes âgées de 20 à 29 ans et de 35 à 39 ans a eu un effet légèrement négatif sur leur contribution à l’ICF total ; ces changements, combinés à la baisse tendancielle de leur fécondité, ont accentué l’effet négatif. Par conséquent, pendant cette période, le facteur de diminution de l’ICF est l’évolution du comportement de fécondité des femmes tant natives qu’étrangères.
IV – Discussion et conclusion
36L’objectif de cette étude était d’estimer les niveaux et tendances de la fécondité du moment chez les étrangères et les Grecques au cours de la période 2004-2012. Il ressort de notre analyse que pendant la majeure partie de cette période, la fécondité des étrangères a été supérieure au niveau de remplacement et a davantage fluctué que celle des Grecques. Malgré cela, l’effet combiné net sur l’ICF total de la part que représentent les étrangères dans la population d’une part et de leur fécondité d’autre part est assez modeste. La décomposition montre en revanche que depuis 2004, la fécondité des étrangères a eu un effet sensible sur les tendances de la fécondité totale, plus en raison de l’évolution des comportements de fécondité qu’à cause de l’augmentation de la part des femmes étrangères dans la population totale féminine en âge de procréer.
37Les variations de la fécondité des étrangères et des natives sont relativement proches et contribuent aux tendances de l’ICF du pays au cours de la période considérée : d’abord une hausse de la fécondité, qui peut être attribuée à des modifications du calendrier des naissances, et plus particulièrement à une « récupération » après un report prolongé des naissances (Kotzamanis, 2012) ; puis un déclin de la fécondité, très probablement imputable à la crise économique de 2008 à l’origine de taux de chômage élevés et de difficultés importantes (Goldstein et al., 2013).
38De ce fait, la hausse de la fécondité durant la première sous-période (2004-2009) est très certainement due à trois facteurs : une récupération de la fécondité des natives essentiellement à cause d’un un effet de calendrier ; une tendance à la hausse de la fécondité des étrangères liée à des modifications de la composition des groupes en faveur des femmes originaires d’Asie et d’Afrique, dont la fécondité est supérieure à celle d’autres groupes ethniques (Albanaises, par exemple) installés en Grèce depuis plus longtemps (Tragaki et al., 2015) ; et enfin l’effet net de la fécondité des étrangères sur l’ICF du pays dont la contribution à la hausse de la fécondité totale passe de 5,4 % en 2004 à 9,3 % en 2009, son point culminant, année où l’ICF de la population totale atteint aussi son niveau record.
39Le recul de l’ICF dans la période qui suit coïncide avec la récession économique et découle du fait que la fécondité des étrangères diminue alors sensiblement plus que la fécondité des natives. Cela s’explique sans doute par la plus grande vulnérabilité de la population étrangère aux mauvaises conditions économiques, en particulier aux risques de chômage et de pauvreté ou d’exclusion sociale, qui pèsent plus lourdement sur la fécondité des étrangères que sur celles des Grecques.
40Cette étude présente certaines limites qu’il convient de relever. L’analyse pâtit d’un manque de données. Premièrement, bien que nous disposions depuis 2004 d’informations sur les naissances ventilées en fonction de l’âge de la mère et de sa nationalité, nous n’avons pas de données sur la structure par âge et par nationalité de la population féminine (excepté lors des années de recensement). Manquent également les chiffres sur le solde migratoire par âge, sexe et nationalité (ou même seulement par nationalité), qui nous permettraient d’estimer la population féminine en âge de procréer selon le groupe d’origine nationale. Deuxièmement, nous ne disposons d’aucune donnée sur les durées de séjour qui auraient pu aider à répondre aux questions concernant l’importance du lien entre, d’une part, l’augmentation de la fécondité étrangère entre 2004 et 2009 et, d’autre part, une arrivée récente d’étrangères originaires de pays à forte fécondité, une hausse de la fécondité chez les étrangères installées depuis plus longtemps ou un « rattrapage » suite à l’immigration (effet de rupture) chez les migrantes récentes. Cela aurait pu en outre aider à déterminer si la baisse ultérieure de la fécondité est attribuable, entre autres, aux étrangères installées de plus longue date qui ont adapté leur fécondité aux niveaux de fécondité des natives, ou s’il faut y voir exclusivement la conséquence d’une conjoncture économique difficile.
41Comme la fécondité du moment des femmes étrangères, en particulier de celles installées depuis longtemps, s’est révélée plus influencée par la récession économique récente que la fécondité des natives et compte tenu du fait que la crise économique se prolonge, la fécondité des étrangères pourrait continuer de reculer. Dans ce contexte, il paraît peu probable que l’évolution de la fécondité des étrangères puisse à l’avenir notablement modifier les tendances de la fécondité générale. Cela étant, il n’est pas possible de prévoir l’importance des afflux migratoires futurs, qui proviendront plus vraisemblablement de régions d’Afrique et d’Asie moins développées et à forte fécondité.
Remerciements
Les auteurs remercient l’Office statistique grec, qui leur a fourni les données, et expriment leur reconnaissance aux relecteurs anonymes, pour avoir attiré l’attention sur les aspects méthodologiques, et aux éditeurs, pour leurs précieux commentaires.Document A.1. Estimation de la population féminine moyenne par âge et par nationalité à partir de 2004
42Nous avons suivi la procédure suivante (Bagavos, 2015) :
- 1re étape : la population de la Grèce (toutes nationalités confondues) par année d’âge et par sexe fait l’objet d’une projection avec la méthode des composantes (Preston et al., 2001), de 2001 (année de base) à 2008. La projection se base sur les taux de fécondité par âge observés, les tables de mortalité officielles et les estimations du solde migratoire fournies par Elstat et Eurostat (2014a, 2014b, 2014c) pour l’ensemble de la période 2001-2008. Les estimations de la répartition du solde migratoire par sexe et par âge se fondent sur la structure type par âge et par sexe utilisée par Eurostat (2014d) pour ses projections de population.
- 2e étape : Pour l’année de base (2001), la distribution relative de la population recensée en 2001 et ventilée par âge, sexe et nationalité a été appliquée à la structure de la population estimée du pays en début d’année (Eurostat, 2014e) afin d’obtenir des estimations de la population grecque par âge et par sexe, au 1er janvier 2001.
- 3e étape : À partir des estimations de la population grecque par âge et par sexe (2e étape), des projections de la population pour la période 2001-2008 ont été effectuées uniquement pour ce groupe, en utilisant les niveaux de fécondité et de mortalité observés (1re étape) et en postulant un solde migratoire de Grecs nul (négligeable) ; cette hypothèse est relativement raisonnable et se base sur le fait qu’avant la récession économique (avant 2009), la Grèce était un pays d’immigration.
- 4e étape : La structure par âge et par sexe de la population étrangère pour la période 2001-2008 a été estimée comme la différence entre la population totale projetée et la population grecque projetée par âge et par sexe.
- 5e étape : Pour la période 2009-2013, nous utilisons les données fournies par Eurostat (2014f) concernant la population féminine ventilée par âge, sexe et nationalité (étrangères / Grecques).
43Afin d’évaluer la précision de ces estimations, nous avons étendu nos projections à la période 2009-2013. La comparaison de nos estimations et de celles d’Eurostat (2014e) pour la population ventilée par âge et par sexe de 2001 à 2013 (au 1er janvier) a montré que les résultats sont quasiment identiques en ce qui concerne la population totale mais aussi les femmes en âge de procréer (15-49 ans) ; s’agissant de ces dernières, l’écart relatif s’échelonne entre 0,1 % et 1 %. Il convient toutefois de garder à l’esprit que la mésestimation ou la surestimation de la population totale et/ou de la population grecque influent également sur la distribution estimée de la population étrangère par âge et par sexe.