1Le marché du travail est largement segmenté en fonction du sexe des individus, et les femmes occupent souvent des professions moins qualifiées, moins valorisées et moins rémunérées que les hommes. Certains groupes de la population échappent-ils à cet ordre économique sexué ? La comparaison des professions et des secteurs d’activité des couples de même sexe et des couples de sexe différent est l’une des façons d’éclairer cette question. À partir de l’enquête Famille et logements de 2011, la première enquête française permettant d’opérer ce type de comparaison, Wilfried Rault examine si les gays et lesbiennes vivant en couple s’affranchissent plus que les autres personnes en couple de la division sexuée du marché du travail. Il montre des différences importantes, signe à la fois de stratégies ou de contraintes spécifiques des gays et lesbiennes en termes de secteurs d’activité et de professions. L’article permet également de souligner la forte spécificité des femmes en couple avec des hommes, en situation défavorable sur le marché du travail, par rapport aux hommes ou femmes vivant en couple de même sexe.
2En écho à une plus grande visibilité sociale de l’homosexualité, une reconnaissance juridique des unions de même sexe et un recul de leur stigmatisation, les recherches en sciences sociales sur les homosexualités ont connu un essor important depuis les années 1980 en France. À partir d’enquêtes qualitatives par entretiens, des travaux sur la sexualité, les conjugalités ou la parentalité ont vu le jour, non sans lien avec une politisation de l’homosexualité par le pacs (1999), les réflexions autour de la reconnaissance de deux parents de même sexe, et plus récemment l’ouverture du mariage aux couples gays et lesbiens (2013).
3Dans le domaine des recherches quantitatives, les avancées sont contrastées. Elles doivent surtout à deux types de sources : les enquêtes représentatives sur les comportements sexuels et les enquêtes spécialisées réalisées à partir d’échantillon de volontaires, initiées en France dans les années 1980 par Michael Pollak et Marie-Ange Schiltz (1994) dans un contexte d’expansion du sida. Elles ont permis d’étudier la diversité des homo-bisexualités, et plus largement de mieux connaître les comportements sexuels et leurs évolutions dans le temps. Mais il est resté difficile de caractériser socialement les populations gaies et lesbiennes, ne serait-ce qu’à partir d’indicateurs sociaux de base détaillés tels que le diplôme, le secteur d’activité et la catégorie socioprofessionnelle. Les enquêtes Analyse des comportements sexuels des Français (1992) et Contexte de la sexualité en France (2006) réalisées en population générale, à partir d’échantillons probabilistes, ont mis en évidence que les personnes déclarant avoir déjà eu au moins un rapport sexuel avec une personne de même sexe au cours de la vie étaient à la fois plus jeunes et caractérisées par un capital scolaire plus important. Mais cet indicateur – avoir eu au moins un partenaire de même sexe au cours de la vie – n’est pas un indicateur d’orientation homosexuelle (Bajos et Beltzer, 2008 ; Messiah et Mouret-Fourme, 1993). Les enquêtes réalisées sur la base d’échantillon de convenance (enquêtes Gai Pied, enquêtes Presse gay réalisées annuellement de 1985 à 1993 puis en 1995, 1997, 2000, 2004 et 2011 – cette dernière version s’est également adressée aux femmes) ont de leur côté toujours donné à voir des profils de répondants spécifiques (Pollak, 1988 ; Rault, 2011 ; Schiltz, 1997 ; Velter, 2007) : un niveau de diplôme élevé, des mobilités sociales ascendantes et des activités professionnelles davantage concentrées dans les catégories supérieures. Leurs auteurs y voyaient l’effet du mode de passation de l’enquête (questionnaire papier administré privilégiant les personnes à l’aise avec l’écrit). Ils envisageaient aussi ces spécificités comme l’effet d’une orientation sexuelle minoritaire et stigmatisée sur les parcours de vie. Ces observations étaient formulées avec prudence, les enquêtes mobilisées reposant sur des participations volontaires et ne comprenant pas d’indicateurs de situations sociales très détaillés. Plus récemment, des enquêtes routinières de l’Insee telles que l’enquête Emploi ont permis d’explorer certaines thématiques à partir de l’étude de personnes de même sexe vivant en couple, avec des précautions méthodologiques importantes compte tenu de la difficulté à repérer ces configurations (Laurent et Mihoubi, 2013 ; Toulemon, 2013 ; tableau 1).
4Des données nouvelles et plus précises permettent aujourd’hui d’étudier les positions sociales des gays et des lesbiennes. Cet article examine dans un premier temps les sources disponibles au milieu des années 2010. Il montre que la démarche qui vise à situer socialement en termes de diplôme et de position professionnelle les personnes gaies et lesbiennes, se heurte à plusieurs obstacles qui ont trait à la représentativité des enquêtes, à la qualité des indicateurs ou encore à la faiblesse des effectifs. À partir de cet état des lieux, il propose ensuite une approche qui, grâce à l’enquête Famille et logements (Insee, 2011), permet d’explorer l’hypothèse de situations sociales distinctes en fonction de l’orientation sexuelle dans une enquête réalisée en population générale et sur la base d’un échantillon probabiliste. Inédite par le niveau de détail qu’elle permet d’atteindre et la taille de son échantillon, elle est construite sur l’analyse des personnes qui déclarent être en couple au moment de l’enquête (cohabitant ou non). On examine d’abord dans quelle mesure femmes et hommes qui se déclarent en couple de même sexe sont caractérisés par un haut niveau de diplôme, à l’instar de ce qui a pu être observé dans d’autres pays à partir de données issues des recensements (Canada : Waite et Denier, 2015 ; États-Unis : Baumle et al., 2009). Dans le prolongement des travaux de Pollak et Schiltz, on fait ensuite l’hypothèse d’activités professionnelles différentes. Les secteurs à haut niveau d’études sont en effet susceptibles d’être plus souvent investis par les personnes qui se déclarent en couple de même sexe, ne serait-ce qu’en raison du diplôme atteint. On s’interroge aussi sur une distribution différemment genrée des domaines d’activités et des professions, également observable dans les quelques travaux nord-américains sur le sujet (Ueno et al., 2013 ; Waite et Denier, 2015).
5Alors que les secteurs d’activité et les professions et catégories socioprofessionnelles (PCS) sont traversées par une forte ségrégation sexuée, les activités professionnelles des gays et des lesbiennes pourraient être moins polarisées. Plusieurs mécanismes sont susceptibles de fonder une telle hypothèse, sans que l’enquête ici mobilisée ne permette d’étudier leur importance respective. Dans une première optique, les choix professionnels seraient la résultante d’effets de socialisation. La transgression de l’ordre hétérosexuel pourrait participer, chez les gays et les lesbiennes, à la construction de manières de voir et d’agir permettant de se déprendre davantage d’attentes sociales sexuées fortes et de favoriser leur dépassement. C’est un « allant de soi des attributions genrées » (Guichard-Claudic et al., 2008) qui serait peut-être plus fortement mis en question, de manière consciente ou non. Dans une deuxième optique, compatible avec la précédente et mentionnée par Eribon et Pollak (Eribon, 2012 ; Pollak, 1988), les activités professionnelles distinctes pourraient participer, dans le prolongement de parcours scolaires investissant les études, de la mise en place de comportements plus stratégiques : elles résulteraient notamment d’arbitrages incluant la perception de milieux professionnels plus ou moins propices au vécu de l’homosexualité. Enfin, femmes et hommes en couple de même sexe pourraient avoir des activités professionnelles différentes du fait d’une moindre projection dans des rôles familiaux et conjugaux distincts, davantage orientés pour les femmes vers la sphère familiale, pour les hommes vers la sphère professionnelle et la fonction de breadwinner (Badgett, 2001 ; Badgett et King, 1997). Ainsi, quelle que soit l’importance de chacun de ces mécanismes, les secteurs d’activités et les professions dominés par chaque groupe de sexe seraient mis à distance au profit d’activités mixtes ou investies également par l’autre groupe de sexe.
6Ces mécanismes sont susceptibles d’être différents pour les hommes et pour les femmes, précisément en raison des normes de genre dont l’emprise n’est pas la même pour les deux sexes. Pour les hommes gays, le souhait de mettre à distance des sphères associées à des cultures masculines dominantes au sein desquelles l’homosexualité peut être convoquée dans les interactions quotidiennes comme une figure repoussoir [1] peut expliquer un moindre investissement dans ces sphères. Pour les femmes lesbiennes, ce sont des catégories professionnelles liées à la mise en scène de l’hétéronormativité ainsi qu’une division du travail issue d’une organisation asymétrique du couple hétérosexuel qui seraient ainsi évitées (Dunne, 1998). Par exemple, l’inactivité serait moins fréquente ainsi que la présence dans les catégories les moins valorisées socialement, fréquemment caractérisées par un temps partiel et de faibles revenus, catégories où les femmes sont particulièrement nombreuses.
I – Les apports de l’enquête Famille et logements (2011) à l’étude des positions sociales des gays et des lesbiennes
7La connaissance statistique des populations gaies et lesbiennes – en particulier la position sociale détaillée – se heurte à plusieurs obstacles. Les enquêtes disponibles comportent parfois des variables qui permettent d’étudier l’homosexualité, mais elles présentent des limites qui compromettent la mise en œuvre de raisonnements aboutis. Aborder ces groupes sous un angle quantitatif et les situer socialement de manière détaillée suppose trois prérequis qui, dans les faits, ne sont jamais véritablement réunis dans une même enquête : l’existence d’indicateurs satisfaisants – tant pour aborder l’homosexualité que les positions sociales –, la représentativité de l’échantillon analysé, la taille de l’échantillon. Un tour d’horizon des sources disponibles permet d’identifier les différents obstacles auxquels se heurte la démarche (tableau 1).
8L’enquête Famille et logements (EFL, Insee, 2011), questionnaire complémentaire associé au recensement réalisé en 2011, permet de pallier certaines de ces limites grâce aux questions suivantes :
- Êtes-vous actuellement en couple ?
- Oui, avec une personne qui vit dans le logement
- Oui, avec une personne qui vit dans un autre logement
- Non, mais vous avez déjà été en couple par le passé
- Non, vous n’avez jamais été en couple
- La personne avec qui vous êtes en couple (conjoint(e), ami(e)) :
- Quelle est sa date de naissance ?
- Votre conjoint(e), ami(e) est :
- ☐ Une femme
- ☐ Un homme
9Par ailleurs, l’enquête Famille et logements repose sur un questionnaire autoadministré, dont l’ergonomie et les modalités de passation sont strictement calquées sur le questionnaire de recensement, mais qui n’est pas obligatoire, contrairement à celui-ci. Du fait de son adossement au recensement, le taux de réponse (83,8 %) à l’enquête Famille et logements est beaucoup plus élevé que pour des enquêtes en population générale impliquant un enquêteur, qu’elles soient réalisées en face-à-face ou par téléphone. De plus, l’enquête envisage très explicitement la conjugalité entre personnes de même sexe, ce qui est susceptible de favoriser sa déclaration contrairement à la version antérieure de l’enquête Famille qui n’envisageait que les conjugalités hétérosexuelles [2]. On ne se heurte pas à la faiblesse des effectifs : réalisée auprès de 359 770 [3] personnes de 18 ans et plus, l’enquête comprend des effectifs relativement élevés d’enquêtés se déclarant en couple de même sexe (730 femmes et 660 hommes) ; ni à des problèmes de représentativité : les personnes enquêtées sont tirées au sort sur la base du recensement. L’enquête Famille et logements fournit enfin un grand nombre d’indicateurs de positions sociales. Ils permettent d’analyser les origines sociales des personnes enquêtées (approchées par la profession des parents). Les caractéristiques sociales détaillées – en particulier le niveau de diplôme, la nomenclature de niveau 3 des PCS (42 catégories socioprofessionnelles) et la nomenclature d’activités françaises (niveau 1, 24 sections), voir document annexe A.1 – sont issues du bulletin individuel de recensement. Elles sont recueillies pour décrire la situation au moment de l’enquête uniquement : pour les personnes qui ne sont plus en activité, le niveau de détail des PCS est moindre (6 postes). On restreint pour cette raison l’analyse à une tranche d’âges de personnes en activité : entre 25 et 59 ans.
10Une limite importante, déjà observée pour d’autres enquêtes, tient au fait qu’elle permet d’aborder l’homosexualité uniquement sous l’angle des situations de couple. Toutefois, celles-ci sont traitées de manière plus extensive que dans les versions précédentes de l’enquête. À propos de la personne avec qui les individus sont en couple, on parle d’un(e) « conjoint(e), ami(e) », ce dernier terme étant plus en phase avec les représentations de certains groupes de la population qui se reconnaissent peu dans une terminologie à connotation matrimoniale. Enfin, les configurations de couples non cohabitant (living apart together) sont explicitement mentionnées. L’enquête montre que pour les femmes et les hommes qui se déclarent en couple de même sexe, la mention d’une relation de couple non cohabitant est plus fréquente que chez les couples de sexe différent (Rault, 2018). On se propose ainsi d’examiner les positions sociales des gays et des lesbiennes à partir des personnes qui déclarent une situation de couple, situation qui est susceptible de rendre l’homosexualité particulièrement visible (Courduriès, 2011), mais qui est également un des vecteurs principaux de la reconnaissance de l’homosexualité (Rault, 2009). Les conclusions de ce travail ne valent ainsi pas pour les personnes qui ne sont pas en couple et qui, au regard des enquêtes de volontaires, semblent particulièrement nombreuses.
Apports et limites des sources disponibles pour étudier les positions sociales des populations gaies et lesbiennes


Apports et limites des sources disponibles pour étudier les positions sociales des populations gaies et lesbiennes
II – Un niveau de diplôme élevé, mais moins distinctif dans les jeunes générations
11Les quatre groupes étudiés (femmes et hommes en couple de même sexe, femmes et hommes en couple de sexe différent) sont différemment structurés en termes de classes d’âges : lesbiennes et gays en couple sont moins nombreux dans les générations les plus âgées (tableau 2), signe probable d’une plus grande difficulté à vivre une conjugalité homosexuelle dans ces générations qui ont connu un contexte hostile et répressif (Idier, 2013). On observe également des disparités importantes en termes de niveaux de diplôme atteints, les personnes en couple de même sexe étant plus souvent très diplômées que celles en couple de sexe différent.
12La plus forte présence parmi les personnes vivant en couple de même sexe des deux générations les plus jeunes (nées entre 1966 et 1985), et qui ont connu un allongement important des études en général, ne suffit pas à expliquer leur niveau de diplôme plus élevé. Un examen de la part relative des diplômés (ayant obtenu un diplôme de niveau supérieur au bac) par classe d’âges montre que ce contraste entre les femmes et les hommes en couple hétérosexuel et celles et ceux en couple homosexuel est observable dans toutes les classes d’âges (tableau annexe A.1), comme si le fait d’avoir un capital scolaire important constituait un facteur favorisant le fait de pouvoir vivre en couple avec une personne de même sexe et de le déclarer dans une enquête. Dans la lignée des travaux reposant sur des enquêtes de volontaires, on peut faire une autre hypothèse : l’orientation homosexuelle pourrait favoriser la constitution d’un capital scolaire élevé, ressource permettant de s’affranchir davantage d’injonctions à l’hétérosexualité. Le phénomène peut avoir été marquant pour les générations anciennes pour lesquelles cette contrainte était particulièrement forte, ce qui expliquerait que le niveau de diplôme soit distinctif pour le groupe des personnes nées entre 1951 et 1965 [4].
13Les écarts de diplômes sont moins marqués dans les jeunes générations. C’est aussi probablement la résultante d’un contexte plus favorable à l’homosexualité. Les générations les plus anciennes ont été socialisées dans un environnement particulièrement hostile [5]. Les attitudes vis-à-vis de l’homosexualité dans l’ensemble de la population sont d’ailleurs très corrélées aux appartenances générationnelles : les personnes nées avant les années soixante sont beaucoup plus réservées voire hostiles à l’homosexualité que les plus jeunes (Bajos et Beltzer, 2008 ; Rault, 2016a). Les générations postérieures aux années soixante et plus encore soixante-dix ont été, à l’échelle de leur vie, davantage exposées à des discours plus ouverts à la défense de l’égalité des sexualités.
Structure par âge, diplôme et origine sociale des femmes et des hommes en couple de même sexe et en couple de sexe différent*

Structure par âge, diplôme et origine sociale des femmes et des hommes en couple de même sexe et en couple de sexe différent*
* Les données manquantes ont été imputées.Lecture : 21,7 % des femmes en couple avec une femme ont un diplôme de niveau bac.
Champ : Femmes et hommes en couple de 25 à 59 ans.
14Ces niveaux de diplômes atteints plus élevés peuvent également provenir d’un autre effet de structure que l’âge : le fait d’avoir des origines sociales plus favorables. Un tel effet de reproduction sociale, lié au fait que les femmes et hommes en couple de même sexe sont davantage issus des classes moyennes et supérieures (tableau 2), est probable. L’observation des professions exercées par les parents rend en effet compte de différences. Les personnes en couple de même sexe se caractérisent par le fait d’avoir un peu moins souvent des pères ouvriers et agriculteurs, plus souvent des pères exerçant une profession intermédiaire, ou cadres pour les femmes ; ils se distinguent également par des mères plus souvent en activité et exerçant plus souvent une profession intermédiaire. Ces contrastes sont liés à la structure par âge des groupes étudiés – les plus jeunes étant plus nombreux parmi les personnes en couple de même sexe – et à l’évolution générale de la population active, caractérisée par l’essor des cadres, des professions intermédiaires, de l’activité salariée des femmes en général, et une baisse relative du nombre d’ouvriers et d’agriculteurs. Ils ne le sont toutefois qu’en partie : ces différences demeurent après un contrôle par l’âge (tableau annexe A.2).
15Ce niveau de diplôme plus élevé, s’il n’est pas indépendant des origines sociales, traduit également des mobilités sociales plus marquées. Si le fait d’avoir des parents de catégorie supérieure et, dans une moindre mesure, de profession intermédiaire, augmente considérablement le niveau de diplôme, le fait d’être en couple de même sexe est également corrélé à ce haut niveau de diplôme (tableau 3). Une approche consistant à comparer les mobilités sociales des femmes et des hommes de même sexe à partir des PCS de leurs parents permet en effet de constater des mobilités sociales plus fréquentes que chez les personnes en couple de sexe différent. Elles sont particulièrement marquées pour les femmes et les hommes issus de classes moyennes et populaires, celles et ceux issus des classes supérieures se caractérisant davantage par des mobilités géographiques fortes et souvent orientées vers la région parisienne (voir l’article de Rault (2016b) consacré à la question des mobilités sociales et qui repose également sur l’enquête Famille et logements).
III – Secteurs d’activité et catégories socioprofessionnelles : des positions distinctes et moins ségréguées
16Ces trajectoires scolaires plus longues sont susceptibles d’aller de pair avec des répartitions différentes des femmes et des hommes en couple de même sexe dans les secteurs d’activités (NAF) et les catégories socioprofessionnelles (PCS). Si l’on peut s’attendre à une présence plus forte dans les catégories caractérisées par un haut niveau de diplôme [6], d’autres catégories pourraient être surreprésentées. Dans leurs analyses des enquêtes Gai pied hebdo, Pollak (1988) et Adam (1999) soulignaient que certains domaines non caractérisés par un niveau de diplôme élevé, en particulier les activités de services (l’hôtellerie et la restauration par exemple), étaient susceptibles d’être plus volontiers choisis par les gays.
Facteurs associés à la probabilité d’avoir un niveau de diplôme plus élevé que le bac (vs inférieur ou égal au bac), (odds ratio)

Facteurs associés à la probabilité d’avoir un niveau de diplôme plus élevé que le bac (vs inférieur ou égal au bac), (odds ratio)
Lecture : Une valeur d’odds ratio statistiquement significative et supérieure à 1 indique que, pour la modalité étudiée, par rapport à la modalité de référence de la variable considérée, le facteur accroît les chances d’appartenir au groupe modélisé. Plus l’odds ratio est éloigné de 1, plus l’influence du facteur auquel il est associé est importante. Par exemple, à profession et âge de la mère donnés, le fait d’être en couple de même sexe pour une femme augmente la probabilité de déclarer un niveau de diplôme supérieur au bac par rapport au fait d’être en couple de sexe différent (OR = 1,42).Significativité statistique : *** p < 0,001 ; ** p < 0,01 ; * p < 0,05 ; - non significatif.
Champ : Femmes et hommes de 25-59 ans en couple de même sexe ou de sexe différent.
17On fait également l’hypothèse que la répartition des personnes en couple de même sexe dans les catégories de la NAF et dans la nomenclature des PCS est moins ségréguée. Concrètement, cela signifie que gays et lesbiennes seraient plus présents à la fois dans les secteurs de la NAF et les PCS mixtes ou dominés numériquement par l’autre sexe et, en miroir, sous-représentés dans les catégories fortement ségréguées et dominées par leur sexe.
18Avant d’étudier plus en détail les secteurs d’activité et les PCS, il est instructif d’observer la situation des femmes et des hommes vis-à-vis de l’emploi et du temps de travail. On observe de fortes disparités entre les groupes étudiés, en particulier concernant les femmes (tableau 4). Les femmes en couple de même sexe sont plus souvent en activité que les femmes en couple de sexe différent (83,2 % vs 71,8 %). Elles sont aussi moins nombreuses à exercer une activité professionnelle à temps partiel (11 % vs 22,1 %). Ces écarts sont liés à l’effet combiné d’une parentalité moins fréquente et plus égalitaire chez les femmes en couple de même sexe (Descoutures, 2010) et de normes de genre qui conduisent, dans les couples de sexe différent, davantage les femmes que les hommes à s’extraire du marché du travail ou à exercer une activité à temps partiel.
Situation d’emploi des femmes et des hommes selon le type de couple (%)

Situation d’emploi des femmes et des hommes selon le type de couple (%)
Lecture : 11 % des femmes en couple avec une femme exercent une activité professionnelle à temps partiel.Champ : Femmes et hommes en couple de 25 à 59 ans.
Des secteurs d’activité et des PCS différentes
19L’examen des deux nomenclatures relatives aux positions professionnelles (NAF et PCS) donne à voir des spécificités nettes concernant les positions sociales des femmes et des hommes en couple de même sexe comparés aux femmes et hommes en couples de sexe différent et ce, la plupart du temps, dans le sens des hypothèses formulées (figures 1, 2, 3 et 4).
20Concernant les femmes, les contrastes sont observables dans plusieurs domaines. Les femmes en couple de même sexe sont relativement plus nombreuses à exercer une activité professionnelle dans l’information et la communication (3,7 %) que les femmes en couple de sexe différent (1,5 %), les activités scientifiques et techniques (7 % vs 4,3 %), l’enseignement (13,7 % vs 8 %), les arts et spectacles (2,3 % vs 0,9 %), mais aussi l’hébergement et la restauration (4,7 % vs 2,5 %) caractérisés par un niveau de diplôme moins élevé. À l’inverse, elles sont nettement moins nombreuses dans la dernière catégorie qui comprend surtout les personnes n’ayant pas de NAF car elles n’exercent pas d’activité professionnelle. C’est sur ce dernier point que la différence est massive entre les deux groupes. Toutefois, un examen des NAF qui exclut les personnes inactives montre que la plupart des différences subsistent, mais sont un peu moins importantes (données non présentées ici).
Domaine d’activité des femmes en fonction du type de couple (%)

Domaine d’activité des femmes en fonction du type de couple (%)
Lecture : 4,7 % des femmes en couple de même sexe exercent une activité professionnelle dans le secteur I « hébergement, restauration ». Les résultats sont accompagnés d’intervalles de confiance à 95 %.Note : Les carrés rouges correspondent aux catégories pour lesquelles il y a une sous ou surreprésentation relative des femmes en couple de même sexe.
Champ : Femmes de 25-59 ans en couple de même sexe ou de sexe différent.
21Pour les hommes, les contrastes sont plus prononcés et moins structurés autour de cette distinction liée au fait d’exercer une activité professionnelle. Le contraste le plus marquant concerne le domaine d’activité qui regroupe les activités industrielles et énergétiques. Alors qu’il rassemble près d’un cinquième des hommes en couple de sexe différent (18 %), seuls 6,2 % des hommes en couple de même sexe sont dans ce groupe. La sous-représentation de ces derniers est visible dans d’autres catégories : l’agriculture (0,6 % vs 3,3 %), la construction (2,1 % vs 10,3 %). En écho à ces contrastes, leur surreprésentation concerne plusieurs domaines. Comme les femmes en couple de même sexe, ils sont plus souvent dans les professions de l’information et de la communication (6,2 % vs 3,3 %) ainsi que dans les activités scientifiques et techniques (8,5 % vs 5,0 %), l’enseignement (7,1 % vs 4,1 %), les arts et spectacles (3,0 % vs 1,1 %) et dans l’hébergement et la restauration (7,0 % vs 2,7 %), ce qui confirme les observations réalisées à partir des corpus de volontaires. Certaines surreprésentations ne concernent toutefois que les hommes en couple de même sexe : dans les professions de la santé (8,6 % vs 4,5 %) et les autres activités de services (4,6 % vs 1,7 %) caractérisées par un niveau de diplôme moyen moins élevé.
Domaine d’activité des hommes en fonction du type de couple (%)

Domaine d’activité des hommes en fonction du type de couple (%)
Lecture : 7 % des hommes en couple de même sexe exercent une activité professionnelle dans le secteur I « hébergement, restauration ». Les résultats sont accompagnés d’intervalles de confiance à 95 %.Note : Les carrés rouges correspondent aux catégories pour lesquelles il y a une sous ou surreprésentation relative des hommes en couple de même sexe.
Champ : Hommes de 25-59 ans en couple de même sexe ou de sexe différent.
22Ces contrastes se retrouvent plus encore lorsque l’on compare les PCS. Pour les femmes, c’est d’abord sur le fait de n’avoir jamais travaillé que la différence est considérable : cela concerne 15 % des femmes en couples de sexe différent et 2,2 % des femmes en couples de même sexe. De même, le temps partiel est beaucoup plus rare parmi les femmes en couple de même sexe en activité (12,5 % vs 30,2 %). Comme pour les NAF, une comparaison reposant uniquement sur les femmes en emploi montre que la plupart de ces spécificités par PCS demeurent. Les femmes en couple de même sexe sont sous-représentées dans les professions de services aux particuliers où elles sont trois fois moins nombreuses que les femmes en couple de sexe différent (3,1 % vs 10 %) et des employées des entreprises (3,9 % vs 9,5 %). À l’inverse, les PCS où elles sont surreprésentées sont multiples [7] : artisanes, commerçantes et cheffes d’entreprise (4,7 % vs 3,1 %), cadres de la fonction publique (2,4 % vs 1,3 %), professeures, professions scientifiques (6,3 % vs 2,8 %), cadres d’entreprises (6,3 % vs 3,7 %), cadres techniques d’entreprises (2,9 % vs 1,6 %), mais aussi des PCS associées à un niveau de diplôme moyen moins élevé : professions intermédiaires de la santé (11 % vs 6,8 %), professions intermédiaires de la fonction publique (3,7 % vs 2,1 %), policières et militaires (2 % vs 0,4 %), ouvrières qualifiées (4,1 % vs 1,9 %) et chauffeures manutentionnaires (2,7 % vs 0,7 %). C’est une moindre ségrégation de sexe qui pourrait jouer ici, l’hypothèse est explorée par la suite.
PCS des femmes, en fonction du type de couple (%)

PCS des femmes, en fonction du type de couple (%)
Lecture : 6,3% des femmes en couple de même sexe sont cadres d’entreprises. Les résultats sont accompagnés d’intervalles de confiance à 95%.Note : Les carrés rouges correspondent aux catégories pour lesquelles il y a une sous ou surreprésentation relative des femmes en couple de même sexe.
Champ : Femmes de 25-59 ans en couple de même sexe ou de sexe différent.
PCS des hommes, en fonction du type de couple (%)

PCS des hommes, en fonction du type de couple (%)
Lecture : 11,7% des hommes en couple de même sexe exercent une profession intermédiaire dans l’entreprise. Les résultats sont accompagnés d’intervalles de confiance à 95%.Note : Les carrés rouges correspondent aux catégories pour lesquelles il y a une sous ou surreprésentation relatives des hommes en couple de même sexe.
Champ : Hommes de 25-59 ans en couple de même sexe ou de sexe différent.
23Pour les hommes, plusieurs contrastes sont du même ordre : les professeurs et professions scientifiques sont relativement plus nombreux chez les hommes en couple de même sexe (5,2 % vs 2,3 %), les métiers de l’information et des arts (4 % vs 1 %), les cadres d’entreprises (10,5 % vs 5,7 %).
24Certaines surreprésentations sont spécifiques aux hommes en couple de même sexe : employés d’entreprises (4,1 % vs 1,8 %), employés du commerce (3,9 % vs 1,3 %) ou encore services aux particuliers (4,2 % vs 1 %). Plusieurs contrastes observables chez les hommes sont symétriques à ceux qui sont visibles pour les femmes : la part des techniciens agents de maîtrise (5,7 % vs 10 %), des agriculteurs (0,2 % vs 2,4 %), des policiers et militaires (0,6 % vs 2,8 %), des ouvriers, qu’ils soient qualifiés (5,8 % vs 14,2 %), non qualifiés (3,5 % vs 9,4 %) ou chauffeurs manutentionnaires (3,4 % vs 7,2 %), est nettement plus faible parmi les hommes en couple de même sexe que les hommes en couple de sexe différent.
25Ces spécificités demeurent pour la plupart après un contrôle par l’âge, le diplôme et les origines sociales. Le test mis en œuvre (présentation et résultats dans les tableaux annexes) permet de mieux tenir compte des caractéristiques spécifiques des personnes en couple de même sexe (plus diplômées, avec des origines sociales un peu plus fréquentes dans les classes moyennes et supérieures, plus souvent sans enfant, moins présents dans la classe d’âges la plus élevée, etc.) par rapport aux personnes en couple de sexe différent. Il consiste à apparier les femmes et hommes en couple de même sexe (groupe analysé) aux femmes et hommes en couple de sexe différent ayant les mêmes caractéristiques d’âges, de diplômes, d’origines sociales et d’être parent (groupe de contrôle). La méthode permet d’observer qu’à caractéristiques données, les orientations professionnelles des personnes en couples de même sexe présentent toujours des spécificités.
Une moindre ségrégation sexuée
26La mise en perspective des activités et PCS des lesbiennes et gays en couple avec la distribution par sexe permet ensuite de mieux saisir les spécificités observées (figures 5 et 6) et de constater que les femmes et les hommes en couple de même sexe contournent davantage les normes de genre qui conduisent à la sur- et à la sous-représentation des femmes et des hommes dans certaines activités. La répartition par sexe dans chaque secteur est représentée, ainsi que la sous-représentation (bordure rouge) ou la surreprésentation des personnes en couples de même sexe dans ce secteur. Lesbiennes et gays sont surreprésentés dans certaines catégories mixtes (bordure noire) ou présents dans des proportions similaires dans d’autres (phénomène représenté par l’absence de bordure dans les figures ci-dessous). Dans les secteurs et PCS très ségréguées, les personnes en couple de même sexe sont sous-représentées dans les catégories dominées par leur groupe de sexe et surreprésentées dans celles qui sont dominées par l’autre groupe de sexe. En d’autres termes, la ségrégation est moins marquée pour les personnes vivant en couple de même sexe que pour celles vivant en couple de sexe différent. Lorsque des exceptions apparaissent, elles concernent des secteurs (information-communication pour les hommes, enseignement pour les femmes) ou des catégories socioprofessionnelles caractérisées par un niveau de diplôme relativement élevé.
Répartition des femmes et des hommes en couple par secteur d’activité et sous/sur- représentation des femmes et hommes en couple de même sexe

Répartition des femmes et des hommes en couple par secteur d’activité et sous/sur- représentation des femmes et hommes en couple de même sexe
Note : Les bordures en noir indiquent une surreprésentation des femmes (à gauche) ou des hommes (à droite) en couple de même sexe dans ce secteur, les bordures en rouge pointillé indiquent une sous-représentation.Les chiffres entre parenthèses pour chaque domaine indique la part (%) de la population active dans chaque domaine.
Lecture : Le domaine des métiers de l’information et de la communication est principalement constitué d’hommes (67 %). Dans ce même secteur, les femmes et les hommes en couple de même sexe sont surreprésentés par rapport aux femmes et hommes en couple de sexe différent (bordure noire).
Champ : Femmes et hommes de 25-59 ans en couple de même sexe ou de sexe différent.
Répartition des femmes et des hommes en couple par PCS et sous/sur- représentation des femmes et hommes en couple de même sexe

Répartition des femmes et des hommes en couple par PCS et sous/sur- représentation des femmes et hommes en couple de même sexe
Note : Les bordures en noir indiquent une surreprésentation des femmes (à gauche) ou des hommes (à droite) en couple de même sexe dans ce secteur, les bordures en rouge pointillé indiquent une sous-représentation.Lecture : La catégorie professionnelle « Professeurs, Professions scientifiques » est composée de 56 % de femmes et de 44 % d’hommes. Dans cette même catégorie, les femmes et les hommes en couple de même sexe sont surreprésentés par rapport aux femmes et hommes en couple de sexe différent (bordure noire).
Champ : Femmes et hommes de 25-59 ans en couple de même sexe ou de sexe différent.
27Une observation par grand groupe de PCS suivant leur composition par sexe permet de mettre en évidence, de manière synthétique, que la répartition des activités professionnelles exercées par les femmes et les hommes en couple de même sexe est moins ségréguée (tableau 5). La démarche permet ensuite de mieux tenir compte des niveaux de diplôme (tableau 6) afin de contrôler que les spécificités observées demeurent au-delà de l’effet de diplôme, les PCS supérieures étant également les plus mixtes.
28On distingue ainsi, à partir de la nomenclature des PCS déjà mobilisée, trois grandes catégories : les PCS dominées numériquement par les hommes car composées de plus de 60 % d’hommes, les PCS relativement mixtes, composées de 40 % à 60 % de femmes et d’hommes et les PCS dominées numériquement par les femmes car composées de plus de 60 % de femmes (tableau 5). Les PCS des gays et lesbiennes qui se déclarent en couple apparaissent différemment réparties suivant ces trois catégories. L’ensemble des PCS mixtes représentent 20,6 % des femmes et 23 % des hommes en couple de sexe différent, et sont nettement plus fréquentes pour les femmes (30,7 %) et plus encore les hommes (38,7%) en couple de même sexe. L’ensemble des PCS dominées par les femmes sont caractérisées par une nette sous-représentation des femmes sen couple de même sexe (36,3 % vs 52,8 %) et une surreprésentation des hommes en couple de même sexe (23,2 % vs 12,8 %). C’est un processus en miroir qui caractérise les PCS dominées numériquement par les hommes : elles sont relativement plus fréquentes pour les femmes en couple de même sexe (33 % vs 26,6 %) et moins courantes pour les hommes (38,1 % vs 64,2 %). Pour les femmes comme pour les hommes, l’ensemble dominé par leur groupe de sexe est moins représenté au profit des deux autres ensembles : le groupe des PCS mixtes et celui des PCS dominées par l’autre sexe dans une moindre mesure.
Catégories professionnelles sexuées en fonction du type de couple

Catégories professionnelles sexuées en fonction du type de couple
Lecture : 30,7 % des femmes en couple de même sexe exercent dans une PCS mixte contre 20,6 % des femmes en couple de sexe différent.Champ : Femmes et hommes de 25 à 59 ans en couple de même sexe ou de sexe différent.
Catégories professionnelles sexuées en fonction du type de couple et du niveau de diplôme (%)

Catégories professionnelles sexuées en fonction du type de couple et du niveau de diplôme (%)
Lecture : 64,7 % des femmes en couple de même sexe ayant un niveau de diplôme inférieur au bac exercent une PCS composée à plus de 60% d’hommes. Elles représentent 17,4% de l’ensemble des femmes en couple de même sexe.Champ : Femmes et hommes de 25-59 ans en couple de même sexe ou de sexe différent.
29Le découpage de ces répartitions en fonction du niveau de diplôme (tableau 6), permet d’analyser ces tendances de manière plus détaillée. Elles revêtent des modalités très différentes suivant les sexes et les niveaux d’études : pour les individus ayant un capital scolaire modeste (moins que le bac), les PCS sont particulièrement ségréguées puisque les catégories mixtes sont rares. Les écarts sont importants dans les catégories les plus sexuées et toujours dans le sens déjà observé, mais de manière encore plus prononcée : les femmes en couple de même sexe sont moins présentes dans les catégories dominées par les femmes (27,7 % vs 56,9 %) et à l’inverse très présentes dans les catégories dominées par les hommes (64,7 % vs 34,1 %). Cette polarisation, différente pour les femmes en couple de même sexe ayant un niveau de diplôme inférieur au bac, vient notamment du fait qu’elles sont plus systématiquement actives que les femmes en couple de sexe différent, moins souvent à temps partiel, le temps partiel étant plus fréquent pour les femmes peu diplômées. Cela peut tenir également aux fortes différences d’investissement dans la parentalité selon le type de couple. L’exercice de cette parentalité, nettement plus fréquente dans les couples de sexe différent, s’y décline aussi de manière plus asymétrique en étant indexée sur la différence des sexes (Descoutures, 2010), de manière croissante avec le nombre d’enfants (Champagne et al., 2015) et au détriment de l’emploi des femmes. Il est difficile d’étudier précisément cet aspect et de prendre en considération le nombre d’enfants, les femmes en couple de même sexe qui déclarent avoir des enfants dans leur logement étant peu nombreuses. On observe toutefois que les disparités sont également importantes dans les cas où les femmes indiquent avoir un seul enfant dans le logement ou aucun : l’emploi à temps plein est nettement plus fréquent pour les femmes en couple de même sexe contrairement au temps partiel et à l’inactivité [8].
30L’effet de cumul (Maruani, 2006) que connaissent les femmes en couple de sexe différent, caractérisé par une ségrégation verticale (plus de temps partiel et d’inactivité) et horizontale (présence dans des secteurs spécifiques très sexués et peu valorisés socialement) est moins fort pour les femmes en couple de même sexe. Leur présence un peu plus marquée dans les professions constituées surtout d’hommes leur permet d’avoir accès à des professions moins précaires et plus valorisées socialement. De ce point de vue, la conjugalité hétérosexuelle est plus encline à produire des inégalités pour les femmes en couple de sexe différent. Le contraste entre les femmes en couple de même sexe et les femmes en couple de sexe différent fait par ailleurs écho à des conclusions de travaux démographiques états-uniens sur le revenu des couples de même sexe. À partir de l’exploitation des recensements de 1995 et de 2000, il apparaît que les femmes en couple de sexe différent ont des revenus moindres que les femmes en couple de même sexe. Pour autant, ces dernières ont des revenus inférieurs aux hommes. Parmi les hommes, ceux qui sont en couple de sexe différent ont des niveaux de revenus supérieurs aux hommes en couple de même sexe (Baumle et al., 2009 ; Black et al., 2000) [9]. La composition des catégories professionnelles des hommes gays de faible niveau d’éducation suit la même logique, mais de manière un peu moins marquée que celle des femmes : ils sont certes relativement plus nombreux dans les professions dominées numériquement par les femmes (et sous-représentés dans celles où les hommes sont très majoritaires), mais de manière moins prononcée.
31Pour les hommes en couple de même sexe, la mise à distance des activités dominées numériquement par les hommes pourrait correspondre en partie à une logique de double évitement : évitement de secteurs a priori plus propices à l’expression d’hostilité car les hommes acceptent plus difficilement l’homosexualité que les femmes (Bajos et Beltzer, 2008) ; évitement de secteurs dont l’identité professionnelle est parfois fondée sur des représentations de masculinité qui infériorisent l’homosexualité masculine et l’envisagent sur le mode de l’incompatibilité [10]. Pour les hommes gays, investir des professions principalement occupées par des femmes pourrait ainsi avoir un coût relatif moindre que pour les hommes hétérosexuels. De plus, le mécanisme de « l’escalator de verre » (Williams, 1992) qui consiste en une évolution plus rapide des hommes dans les secteurs où ils sont minoritaires, peut jouer en leur faveur (Buscatto et Fusulier, 2013).
32À l’échelle de chaque groupe analysé dans sa globalité (femmes et hommes en couple de même sexe et en couple de sexe différent), le contraste consistant pour les gays et lesbiennes à investir les professions de l’autre sexe est toutefois à nuancer. Si 65 % des femmes en couple de même sexe qui ont un niveau de diplôme inférieur au bac exercent une activité dominée numériquement par les hommes, elles ne représentent que 17,4 % de l’ensemble des femmes en couple de même sexe. Les femmes en couple de sexe différent qui sont dans cette configuration (34 %) représentent 15,2 % de l’ensemble des femmes en couple de sexe différent. Les différences sont, sur ce point, ténues. De la même manière, 6,6 % des hommes en couple de même sexe et 5,5 % des hommes en couple de sexe différent ont un niveau de diplôme inférieur au bac et exercent une PCS relevant de l’ensemble dominé par les femmes.
33Chez les plus diplômés, la distribution obéit à un mécanisme différent : les personnes en couple de même sexe sont très présentes dans les catégories mixtes. On y compte près de 60 % des femmes et 64 % des hommes en couple de même sexe, contre 49 % et 52 % des femmes et hommes en couple de sexe différent. Les premiers sont relativement moins présents dans les ensembles dominés par leur sexe, sans pour autant que leur présence ne soit plus marquée dans les catégories dominées par l’autre sexe. Chaque catégorie dominée numériquement par un sexe est représentée dans des proportions assez similaires pour chaque type de couple : l’ensemble des PCS composées principalement d’hommes comptent respectivement 12,7 % et 15,4 % de l’ensemble des femmes en couple de même sexe et de sexe différent. L’ensemble des PCS composées surtout de femmes rassemblent 12,4 % des hommes en couple de même sexe et et 11,2 % en couple de sexe différent.
34La répartition des catégories socioprofessionnelles des femmes et des hommes en couple de même sexe est moins contrastée que celle des femmes et hommes en couple de sexe différent. Les catégories monosexuées ou dominées par un sexe sont moins fréquentes au profit des catégories mixtes et, dans une moindre mesure, celles qui sont dominées par l’autre sexe. Cette répartition obéit donc moins à une « inversion du genre » (Guichard-Claudic et al., 2008) qu’à une moindre ségrégation, bien que cette dernière ne soit pas absente.
Conclusion
35L’enquête Famille et logements permet d’analyser à la fois la diversité des situations professionnelles des gays et lesbiennes en couple et leurs spécificités. Leur surreprésentation dans les secteurs et PCS mixtes et leur présence moins asymétrique dans les catégories très sexuées traduit une plus grande distance des personnes en couples de même sexe aux normes de genre. Que ces spécificités soient regardées comme l’expression de stratégies, d’effets de socialisation ou comme la résultante de normes de genre qui pèsent distinctement sur les configurations conjugales et familiales, une telle approche met en évidence l’intérêt de ne pas limiter l’analyse des sexualités minoritaires au seul angle des comportements sexuels et de « désexualiser » l’homosexualité, comme invitaient à le faire Simon et Gagnon (2011, pour la traduction française) en réaction aux approches en termes de déviance à la fin des années 1960. Il conviendrait de la compléter par des analyses plus poussées, tant qualitatives que quantitatives, pour pouvoir cerner les mécanismes qui conduisent à ces différences. Il importe également de mieux analyser l’effet de déclaration susceptible d’intervenir dans le cadre d’une telle enquête : il est possible que certains profils d’individus – socialement favorisés – soient plus enclins à se déclarer en couple de même sexe que d’autres. De ce point de vue, les observations dont rend compte cet article ne traduisent pas des positions plus favorables des gays et des lesbiennes, mais seulement d’une partie d’entre eux-elles. Ce qui n’empêche pas l’existence de discriminations (cf. travaux cités précédemment).
36Par ailleurs, cette approche n’est pas seulement une contribution aux études gaies et lesbiennes – limitée ici par une nécessaire restriction de l’analyse sur les personnes en couple. La mise en perspective des hommes et des femmes en couple de même sexe et de sexe différent met ainsi en lumière comment l’hétérosexualité – et non le sexe – va de pair avec des rôles sociaux et en particulier professionnels plus différenciés. Sur ce point, c’est surtout la comparaison entre les deux groupes de femmes qui attire l’attention par leurs différences. Si ces deux groupes sont hétérogènes, celui des femmes en couple de sexe différent donne à voir de nombreuses configurations spécifiques : activité professionnelle fortement orientée vers des catégories monosexuées et dévalorisées socialement, temps partiel ou inactivité, qu’on ne retrouve pas chez les femmes en couple de même sexe. D’après Nicky Le Feuvre (2008), certaines expériences biographiques telles que la monoparentalité, le célibat, la migration sont susceptibles d’orienter les femmes vers un rapport à l’emploi qui est proche de celui des hommes « pourvoyeurs principaux ». Elles les conduisent à des stratégies de carrières habituellement associées aux hommes. L’enquête Famille et logements montre qu’une organisation de la vie privée reposant sur le couple de même sexe fait partie de ces expériences biographiques conduisant à des « actions transgressives » (Le Feuvre, 2008) au regard de la division sexuée du travail. C’est l’institution hétérosexuelle (Rubin, 1988) qui se voit ainsi questionnée comme plus encline à produire des rôles sociaux de sexe asymétriques, différenciés et, en définitive, plus inégalitaires.
Remerciements
L’auteur remercie les lectrices et lecteurs de la revue Population pour leurs commentaires et suggestions. Il remercie également Marc Thévenin pour son appui méthodologique, ainsi que Yaëlle Amsellem-Mainguy et Arnaud Régnier-Loilier pour leur lecture d’une première version de ce texte.Document A.1. Nomenclatures des activités françaises (NAF) et des professions et catégories socioprofessionnelles (PCS)
37La nomenclature d’activités française (NAF) est la nomenclature statistique nationale des activités économiques. Elle est déterminée ici à partir des informations fournies dans le bulletin individuel de recensement. La nomenclature comprend 5 niveaux, avec 732 postes pour le niveau le plus détaillé. C’est le premier niveau, en 21 « sections » qui est utilisé ici. Nous avons regroupé certaines activités en raison de leur proximité (les sections B, C, D et E ont été regroupées ainsi que K et L).
38http://recherche-naf.insee.fr/SIRENET_Template/Accueil/template_page_accueil.html
39Les professions et catégories socioprofessionnelles (PCS) sont une nomenclature statistique permettant de classer des métiers. Cette classification a été créée par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) en 1982. Elle remplace la nomenclature des catégories socioprofessionnelles (CSP) établie en 1954.
40La PCS est déterminée par le métier exercé, c’est-à-dire ce que fait un individu à son poste de travail et la situation sociale liée à l’emploi : statut (indépendant ou salarié), position hiérarchique, nature de l’employeur (privé ou public), secteur d’activité.
41C’est le troisième niveau de la nomenclature, en 42 catégories socioprofessionnelles, qui est utilisé ici. Nous avons regroupé certaines activités en raison de leur proximité, en particulier lorsque les effectifs étaient faibles et/ou lorsque les secteurs étaient proches. Les différentes catégories d’agriculteurs, d’ouvriers qualifiés et d’ouvriers non qualifiés ont été regroupées, de même que les artisans, commerçants et chefs d’entreprise.
Document A.2. L’analyse des secteurs d’activité et des PCS via une méthode d’appariement exact [11]
43La démarche [12] consiste à apparier les individus des groupes analysés (femmes et hommes en couple de même sexe) aux personnes des groupes de contrôle : les femmes et hommes en couple de sexe différent qui présentent les mêmes caractéristiques en termes d’âge, de diplôme, d’origine sociale (approchée par la profession des parents) et du fait d’avoir des enfants ou non. Il s’agit d’examiner si, à caractéristiques similaires, on continue d’observer des disparités relatives aux domaines d’activité, aux professions et catégories socioprofessionnelles entre personnes en couple de même sexe et personnes en couple de sexe différent. La méthode permet de ne pas isoler les effets de plusieurs facteurs et de les prendre en considération conjointement, ce qu’une régression logistique ne peut faire par principe.
44Sont ainsi appariés tous les individus du groupe de contrôle qui présentent des caractéristiques similaires (one-to-many matching), méthode qui permet d’exclure moins d’observations qu’un appariement strict d’un individu à un autre (one-to-one matching). Dans cette même optique, l’appariement a été effectué sur un groupe d’âges quinquennal et non à partir de l’âge exact. Une pondération tenant compte du nombre d’individus du groupe de contrôle a donc été appliquée afin de prendre en compte le fait que chaque individu en couple de même sexe est apparié avec un nombre différent (ki) d’individus en couple de sexe différent, soit un poids de 1/ki.
45La technique a été appliquée sur les figures 3 et 4, après avoir rassemblé des groupes d’activités (NAF) et de PCS proches. Dans toutes les configurations étudiées, on observe des spécificités des femmes et plus encore des hommes en couple de même sexe, même si elles sont moins marquées que dans les résultats mentionnés dans l’article.
46En définitive, 97,1 % des femmes en couple de même sexe (groupe analysé) ont été appariées à 37,3 % des femmes en couple de sexe différent (groupe de contrôle) et 99,2 % des hommes en couple de même sexe (groupe analysé) ont été appariés à 56,7 % des hommes en couple de sexe différent (groupe de contrôle).
Code NAF en fonction du type de couple, après appariement

Code NAF en fonction du type de couple, après appariement
Champ : Femmes et hommes de 25 à 59 ans en couple de même sexe appariés aux individus en couple de sexe différent et ayant des caractéristiques similaires.
Diplôme supérieur au bac en fonction du type de couple et de la classe d’âges (%) et rapports de risque

Diplôme supérieur au bac en fonction du type de couple et de la classe d’âges (%) et rapports de risque
Lecture : 43,8 % des femmes de 45 à 59 ans et qui sont en couple avec une femme ont un niveau de diplôme supérieur au bac. Les femmes de 45 à 59 ans en couple de même sexe ont plus souvent un diplôme supérieur au bac que les femmes en couple de sexe différent du même âge (RR = 2,44).Champ : Femmes et hommes en couple de 25 à 59 ans.
Facteurs associés au fait d’être en couple de même sexe (vs sexe différent), odds ratio

Facteurs associés au fait d’être en couple de même sexe (vs sexe différent), odds ratio
Lecture : Une valeur d’odds ratio statistiquement significative et supérieure à 1 indique que, pour la modalité étudiée, par rapport à la modalité de référence de la variable considérée, le facteur accroît les chances d’appartenir au groupe modélisé. Plus l’odds ratio est éloigné de 1, plus l’influence du facteur auquel il est associé est importante.Significativité : *** p < 0,001 ; ** p < 0,01 ; * p < 0,05.
Champ : Femmes et hommes de 25 à 59 ans en couple de même sexe ou de sexe différent.
Notes
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[*]
Institut national d’études démographiques.
Correspondance : Wilfried Rault, Institut national d’études démographiques, 133 Boulevard Davout, 75980 Paris Cedex 20, courriel : wilfried.rault@ined.fr. -
[1]
Voir des exemples dans Bernstein et Swartwout (2012), Connell (2014), Eribon (2012), Pruvost (2008).
-
[2]
Ainsi l’Étude de l’histoire familiale dite EHF (1999) s’adressait aux femmes en leur parlant de leur « conjoint » et aux hommes en évoquant leur « conjointe ». Sur EHF comme source pour étudier les couples de même sexe, voir Toulemon et al. (2005).
-
[3]
L’enquête Famille et logements repose sur un échantillon composé de deux tiers de femmes et un tiers d’hommes. La disparité d’effectifs entre les femmes et les hommes est délibérée et tient au plan de sondage qui prévoit d’interroger deux fois plus de femmes. Cette caractéristique est liée à l’histoire des enquêtes Famille (Desplanques, 2005) dont EFL est la version la plus récente. Destinées à apporter un instrument de mesure de la fécondité des femmes, elles n’ont longtemps concerné que les femmes avant d’inclure également les hommes à partir de 1999.
-
[4]
Il serait aussi utile de pouvoir distinguer les personnes dont l’homosexualité est antérieure ou concomitante des scolarités de celles pour qui elle est ultérieure. Un niveau de diplôme supérieur pour les premières consoliderait l’idée de parcours structurés par l’homosexualité. Une absence de disparités entre les deux groupes inviterait davantage à considérer qu’un capital scolaire élevé est une condition sociale du fait même de vivre en couple de même sexe et de sa déclaration. Faute d’indicateur adéquat dans l’enquête, il n’est pas possible d’aller plus loin.
-
[5]
Sur les transformations de l’acceptation sociale de l’homosexualité, voir Mossuz-Lavau (2002).
-
[6]
NAF : information-communication, santé, enseignement, finance-assurances-immobilier, activités scientifiques et techniques, arts et spectacles ; PCS : professions libérales, professions scientifiques et professeurs, cadres, professeurs des écoles, intermédiaires de la santé, professions de l’information et des arts.
-
[7]
Cette asymétrie entre le nombre de catégories dominées par des femmes et de catégories dominées par les hommes provient largement d’un effet de construction de la nomenclature : les catégories surtout composées de femmes sont moins nombreuses que celles composées d’hommes (Amossé, 2004).
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[8]
Un contrôle par le diplôme et par l’âge confirme cette tendance. La méthode d’appariement présentée en annexe et intégrant le fait d’avoir des enfants ou non conforte également ces observations (document annexe A.2).
-
[9]
Peu de travaux ont été réalisés sur ce point en France. À partir d’une exploitation de l’enquête Emploi et un repérage indirect des personnes en couple de même sexe, Laurent et Mihoubi (2013) montrent toutefois que ces positions sociales vont de pair avec des formes de discrimination, rejoignant ainsi les travaux réalisés en Amérique du Nord sur le sujet (Badgett et King, 1997 ; Badgett et al., 2007). L’enquête Revenus fiscaux et sociaux de l’Insee pourrait permettre dans l’avenir d’apporter des éléments nouveaux à partir d’une étude des couples (et non des individus).
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[10]
Voir, par exemple pour la police, Geneviève Pruvost (2007, 2008). L’auteure montre par ailleurs comment la présence des femmes peut parfois contribuer à euphémiser les formes d’homosociabilités viriles qui peuvent reposer sur des paroles sexistes et des exaltations de la performance hétérosexuelle. Cette forme de pacification est toutefois à nuancer du fait que certaines femmes ont précisément choisi d’entrer dans la police pour exercer un « métier d’hommes » (Pruvost, 2008).
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[11]
Méthode mise en œuvre par Marc Thévenin et Wilfried Rault.
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[12]
Pour plus de détail sur l’application en sciences sociales de cette méthode en vue de l’analyse de groupes ayant de petits effectifs vs groupes témoins caractérisés par des effectifs importants (Ichou, 2013).