« La nature crée des différences, la société en fait des inégalités »
1Entre 1990 et 2015, la plupart des pays du monde ont enregistré de remarquables progrès en matière de survie. En 25 ans, l’espérance de vie à la naissance a augmenté en moyenne de 12 ans dans les pays à faible revenu, de 7 ans dans les pays à revenu intermédiaire et de 5 ans dans ceux à revenu élevé (tableau annexe ; Nations unies, 2015) [1]. Ces progrès ont touché toutes les régions, avec des gains de 7 ans en Asie de l’Est et de l’Ouest, de près de 8 ans en Amérique latine, et de 9 et 10 ans dans les deux régions les plus désavantagées au départ, l’Asie du Sud et centrale et l’Afrique subsaharienne. Tous les groupes d’âges ont enregistré des reculs de mortalité, mais les progrès ont été particulièrement importants chez les enfants. Dans le monde, le nombre de décès à moins de 5 ans est passé de 12,7 millions en 1990 à 5,9 millions en 2015 (UN IGME, 2015), le risque de mortalité à ces âges est passé de 91 à 43 décès pour 1000 naissances. Ces progrès ne se sont pas effectués au même rythme dans toutes les régions, les pays, les milieux d’habitat ou les groupes sociaux, si bien que les inégalités qui caractérisent les chances de survie dans ces pays ont également évolué au cours des 25 dernières années.
Le contexte international
2Les progrès sanitaires observés au cours de ces 25 années s’inscrivent dans le cadre d’une mobilisation sans précédent à l’échelle internationale pour améliorer la santé de tous. En dehors de l’action des gouvernements nationaux, ils peuvent être associés aux programmes soutenus par les différentes agences des Nations unies, ainsi qu’aux nombreux bailleurs de fonds intervenant dans le domaine de la santé, tels que les organisations non gouvernementales (ONG), quelques grandes fondations privées comme la fondation Gates, des partenariats tels que GAVI (Global Alliance for Vaccines and Immunization), le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, ou encore certains pays qui interviennent massivement dans l’aide au développement en matière de santé (Allemagne, États-Unis, Royaume-Uni, etc.) (IHME, 2016).
3Cette amélioration de la santé des populations est allée de pair avec des progrès sociaux depuis 25 ans, même s’ils sont insuffisants et très variables d’une région à l’autre : globalement, le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté a diminué de plus de la moitié depuis 1990 (Banque mondiale, 2016) ; l’éducation progresse dans l’ensemble des pays, l’analphabétisme diminue (Unesco, 2015) ; bien des indicateurs de santé s’améliorent (vaccination, conditions d’accouchement…). Quant à la démographie de ces pays, elle est en pleine transition : la fécondité y recule, certes plus ou moins rapidement, mais quasiment partout, passant en moyenne de 3,4 enfants par femme en 1990 à 2,4 en 2015 dans les pays à revenu intermédiaire, et de 6,4 à 4,7 enfants dans les pays à faible revenu. La croissance démographique s’y est légèrement ralentie, en moyenne de 1,9 % en 1990 à 1,1 % en 2015 dans les premiers, et seulement de 2,7 % à 2,6 % dans les seconds (Nations unies, 2015).
4Ce bilan global, certes positif, cache des évolutions inégales entre pays et au sein des pays, des histoires et temporalités différentes. Cette question des inégalités est plus que jamais à l’ordre du jour, tant dans les programmes d’action que dans les agendas des institutions internationales et du monde académique.
5Cette question est pourtant loin d’être neuve. Dès 1979, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) adoptait sa résolution « La santé pour tous en l’an 2000 », qui incluait quelques objectifs très ambitieux de réduction de la mortalité infanto-juvénile et maternelle avant la fin du xxe siècle. Elle suivait de peu la Déclaration d’Alma-Ata de 1978 sur les soins de santé primaires, envisagés comme levier essentiel de la réduction des inégalités de santé. En 1994, le Programme d’action adopté à la Conférence internationale sur la population et le développement (CIPD) du Caire consacrait l’un de ses treize chapitres à la santé et à la mortalité, avec un objectif clairement affiché de réduire avant 2015 les inégalités face au décès. Un bilan finalement mitigé, car toutes les cibles n’ont pas été atteintes en 2015 [2].
6L’année 2015 est également décisive pour les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), programme mondial d’une ampleur sans précédent de partenariat et de financement du développement lancé en 2000 par les États membres de l’ONU. Sur les huit objectifs à atteindre avant 2015, trois concernaient directement la santé : réduire la mortalité des enfants (objectif 4), améliorer la santé maternelle (objectif 5), et combattre le VIH/sida, le paludisme et les autres maladies (objectif 6) [3]. Les progrès sont importants, mais variables selon les objectifs et les régions (OMS, 2015a ; Stuckler et al., 2010). Par exemple, l’objectif 6 est atteint, car le nombre de nouvelles infections au VIH ou de nouveaux cas de tuberculose ou de paludisme a chuté depuis 2000. Par contre, les objectifs de réduction de la mortalité à moins de 5 ans (fixée à 67 % entre 1990 et 2015), de la mortalité maternelle (75 %) étaient sans doute trop ambitieux. L’Afrique subsaharienne, l’Asie du Sud-Est, ainsi que le Caucase et l’Asie centrale en restent assez loin. Bien qu’il ait eu le mérite de mobiliser la communauté internationale, on reprochera à ce programme OMD de n’utiliser que des cibles et des indicateurs agrégés, négligeant ainsi les inégalités internes aux pays.
7La question des inégalités de santé est revenue sur le devant de la scène avec le travail de la Commission des déterminants sociaux de la santé (2005-2008), puis plus récemment, le nouvel agenda pour 2015-2030, adopté en septembre 2015 par les Nations unies. Ce dernier comprend 17 Objectifs de développement durable (ODD), dont le troisième qui vise à « assurer à tous une vie en bonne santé et promouvoir le bien-être pour tous à tous les âges ». Celui-ci compte 13 cibles, dont 9 sont quantifiées. On y retrouve la mortalité maternelle, la mortalité à moins de 5 ans (avec un intérêt nouveau pour la mortalité néonatale), le sida et la tuberculose, et une attention pour la mortalité par maladies non transmissibles, la drogue et l’alcool, les accidents de la route, et les pollutions de diverse nature. Ces ODD post-2015 mettent plus clairement qu’avant l’accent sur la réduction des inégalités et l’idée de « ne laisser personne sur le côté » [4]. En matière de santé, cette exigence d’équité se traduit par la promotion du concept de couverture de santé universelle, qui vise à garantir à tous les individus un accès à des soins essentiels de qualité, sans coûts financiers excessifs (OMS, 2015a).
8La préparation et le suivi de ces programmes, la mobilisation internationale contre le sida depuis les années 1980, la résurgence de certaines maladies (tuberculose, choléra…), ainsi qu’une importante amélioration des sources d’informations depuis 30 ans ont favorisé la multiplication des recherches sur la santé et la mortalité, et leurs déterminants. De plus en plus d’attention est accordée à la mesure des inégalités face au décès et à l’identification des mécanismes qui les génèrent. Une grande partie de la littérature scientifique sur ce thème reste toutefois consacrée à la mortalité des enfants, bien documentée avec les enquêtes dont on dispose. Jusque récemment, moins de travaux ont porté sur la mortalité adulte, en dehors de ceux traitant du sida et de la mortalité maternelle.
Champ d’analyse et problématique
9À partir de la littérature et des estimations les plus récentes, mais aussi d’analyses complémentaires sur une dizaine de pays, cet article propose un bilan des tendances de la mortalité et de l’évolution des inégalités entre 1990 et 2015 dans les pays à faible et moyen revenu. Comment la baisse de la mortalité au cours des 25 dernières années a-t-elle modifié les inégalités face aux risques de décès ? Observe-t-on une croissance des disparités entre pays ou au contraire une convergence des espérances de vie ? Les inégalités à l’intérieur des pays se sont-elles réduites ou accentuées ? Quelles sont les sous-populations, en termes d’âges, de sexes, de groupes sociaux, de milieux d’habitat, qui ont le mieux profité des progrès récents ?
10La première partie de cet article circonscrit l’espace géographique retenu, rappelle les sources classiques d’informations sur la mortalité des enfants et des adultes, les difficultés de la mesure et la qualité relative des données, ainsi que les variables privilégiées pour l’analyse des déterminants individuels. La seconde est consacrée à l’évolution des espérances de vie par sexe de 1990 à 2015 et à la contribution des différents groupes d’âges dans les progrès réalisés. La troisième partie traite de l’évolution de la mortalité des enfants ainsi que des déterminants des inégalités au sein des pays. La quatrième partie concerne la mortalité adulte et porte une attention particulière à la mortalité maternelle et au sida. La cinquième se penche sur les inégalités de mortalité par cause et les nouvelles formes que prend la transition épidémiologique. Nous terminons par une synthèse et plusieurs suggestions de recherche.
I – Géographie, données et méthodes
1 – Le champ géographique
11L’article porte sur les pays à revenu faible ou intermédiaire (low-and middle income countries) tels que définis par la Banque mondiale en 2014 (Banque mondiale et OMS, 2014). Des 134 pays que compte cette catégorie, nous en avons écarté 25 dont la population était inférieure à un million d’habitants en 2015 [5].
12Les 109 pays considérés sont ventilés en trois groupes :
- Groupe 1 : les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure (39 pays),
- Groupe 2 : les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure (40 pays),
- Groupe 3 : les pays à faible revenu (30 pays).
13Dans nos approches comparatives sur ces pays, nous retenons un découpage régional identique à celui des Nations unies, distinguant l’Afrique du Nord (6 pays), l’Afrique subsaharienne (42), l’Asie de l’Est (3), l’Asie du Sud et centrale (12), l’Asie du Sud-Est (9), l’Asie de l’Ouest (10), l’Amérique latine (17) et l’Europe (9) (figure 1) [6].
Pays à revenu faible ou intermédiaire de plus d’un million d’habitants (109 pays)

Pays à revenu faible ou intermédiaire de plus d’un million d’habitants (109 pays)
14Dix pays feront l’objet d’une attention particulière pour un examen plus approfondi des inégalités sociales internes, mené notamment à partir des données individuelles issues d’enquêtes. Trois d’entre eux (Afrique du Sud, Brésil, Chine) sont à revenu intermédiaire supérieur (groupe 1), cinq (Bolivie, Égypte, Inde, Indonésie et Nigeria) sont à revenu intermédiaire inférieur (groupe 2), et deux (Afghanistan et Burkina Faso) sont à faible revenu (groupe 3). Ces pays sont extrêmement diversifiés sur les plans économique, social, politique et démographique, ce qui a guidé notre choix. Ils rassemblent en 2015 plus de 3,5 milliards d’habitants, soit 59 % de l’ensemble de la population des pays à revenu faible ou intermédiaire. Le tableau 1 en présente quelques caractéristiques sociodémographiques récentes.
Quelques caractéristiques des trois grands groupes socioéconomiques de pays et des 10 pays retenus

Quelques caractéristiques des trois grands groupes socioéconomiques de pays et des 10 pays retenus
2 – Les sources de données sur la mortalité
15Le suivi des tendances de la mortalité, ainsi que l’examen des inégalités face au décès, nécessitent des systèmes d’information sanitaires de qualité, procurant des estimations fiables et désagrégées. Les sources de données sur la mortalité sont toutefois très diverses et aucune n’est sans présenter quelques limites.
L’état civil
16Lorsqu’il fournit des statistiques de décès par âge, sexe et cause certifiée et classifiée selon la Classification internationale des maladies de l’OMS, il est la seule source, combinée à un recensement, permettant de suivre en continu non seulement l’évolution par âge de la mortalité générale mais aussi celle des causes de décès. Sur les 109 pays étudiés ici, seuls 50 transmettent à l’OMS des statistiques d’état civil sur les causes de décès (OMS, 2016). Les données ne sont véritablement exploitables que dans 15 de ces pays, où plus de 90 % des décès sont enregistrés avec une cause associée. Selon l’OMS, parmi nos dix pays de référence, seules l’Afrique du Sud et l’Égypte atteindraient une couverture de l’enregistrement des décès et de leurs causes supérieure à 90 %, alors qu’elle serait inférieure à 25 % en Chine et en Inde (en 2007-2013) [7].
Les recensements
17Les estimations de mortalité et d’espérance de vie qui en découlent s’obtiennent à partir des questions sur les décès par âge survenus au cours des 12 derniers mois dans le ménage, ou à partir de questions sur la survie des enfants et parfois la survie des adultes. Des méthodes démographiques indirectes ont été développées pour tenir compte de la fréquente sous-déclaration des décès, ou pour convertir les proportions de parents proches survivants en probabilités de survie. Toutefois, ces méthodes ne sont pas les mieux adaptées à l’examen des inégalités sociales car elles reposent sur nombre d’hypothèses, comme par exemple une déclaration des décès de qualité identique dans les différentes catégories sociales (Moultrie et al., 2013).
Les enquêtes rétrospectives
18Il s’agit de la source la plus souvent utilisée pour l’estimation de la mortalité des enfants de 0 à 5 ans. Depuis les années 1980, les données proviennent principalement des Enquêtes démographiques et de santé (EDS) [8] financées essentiellement par les États-Unis, et des enquêtes par grappes à indicateurs multiples (MICS) de l’Unicef [9]. Leur grand intérêt est de permettre des approches comparatives dans le temps et dans l’espace, car les questionnaires sont standardisés et la méthodologie de collecte quasiment identique. L’information est recueillie auprès des femmes de 15 à 49 ans à partir de leurs histoires génésiques, et de la survie des enfants pour l’estimation de la mortalité à moins de 5 ans, à partir de la survie des parents ou des frères et sœurs pour la mortalité adulte (Masquelier et al., 2014a). De multiples études depuis 20 ans ont été menées sur les inégalités à partir des EDS, notamment entre sexes, milieux d’habitat, ethnies, niveaux d’instruction ou équipement des ménages… Une certaine prudence est toujours requise car certaines de ces caractéristiques au moment de l’enquête peuvent avoir évolué dans le temps et ainsi biaiser l’explication de différentiels mesurés sur un passé plus ou moins lointain (5 à 15 ans) (Bocquier et al., 2011 ; Lankoande, 2016).
Les observatoires de population et de santé
19Ils sont également dénommés systèmes de surveillance démographique. On en compte aujourd’hui une quarantaine dans 19 pays du Sud, souvent situés en milieu rural. En suivant une petite population (de quelques centaines à quelques milliers de ménages) géographiquement ciblée sur une longue période, les informations y sont le plus souvent de qualité sur les tendances et les causes de décès, mais l’exploration des différentiels de mortalité est limitée car ces populations sont plutôt homogènes sur le plan culturel et socioéconomique (Indepth, 2005). Ils permettent néanmoins un bon suivi des changements dans ces communautés et offrent l’occasion de mener des études exploratoires, par exemple sur l’impact de la vaccination, ou l’importance de déterminants de la mortalité moins conventionnels, comme le rôle de l’environnement familial (Samuel et Hertrich, 2016).
3 – Les indicateurs et principaux déterminants
20Pour la mortalité générale, nous retenons les espérances de vie à la naissance [10], avec les estimations parmi les plus fiables au niveau international, celles de la Division de la population des Nations unies (Nations unies, 2015). L’évolution des inégalités à l’intérieur des pays (sexe, région, milieu d’habitat) sera menée sur trois pays de notre échantillon qui disposent, à plusieurs dates, de tables de mortalité officielles de relative bonne qualité : le Brésil, la Chine et l’Inde.
21Pour la mortalité des enfants par sexe, nous utilisons au niveau international les estimations établies en 2014-2015 par l’IGME (Inter-agency Group for Child Mortality Estimation), un groupe de travail réunissant plusieurs agences des Nations unies pour le suivi des progrès en matière de survie des enfants (UN IGME, 2015). Pour l’analyse des inégalités dans les 10 pays retenus, nous avons recours aux enquêtes EDS des 20 dernières années et aux travaux afférents. Les indicateurs sont le plus souvent des risques (quotients) de mortalité de la naissance à un âge donné (mortalité néonatale de 0 à 1 mois, infantile de 0 à 1 an, infanto-juvénile de 0 à 5 ans). Nous nous penchons aussi sur la mortalité entre 1 et 4 ans, la plus sensible aux progrès ou aux crises.
22Pour la mortalité adulte, nous retenons le risque (quotient) de mortalité adulte par sexe de 15 à 60 ans et le rapport de mortalité maternelle (nombre de décès maternels pour 100 000 naissances), issus là aussi des estimations des agences des Nations unies (Nations unies, 2015 ; WHO, Unicef, UNFPA, World Bank, UN Population Division, 2015). Nous avons renoncé à examiner la mortalité à des âges plus avancés en raison de la rareté des données et de leur qualité souvent médiocre.
23Le tableau annexe présente pour 1990 et 2015 les principaux indicateurs de mortalité issus des agences onusiennes pour les 109 pays.
24Dans les approches des inégalités internes aux pays, menées à partir des enquêtes EDS au niveau individuel, nous privilégions, comme dans une grande partie de la littérature, les variables dont on dispose dans la plupart de ces enquêtes : le milieu d’habitat (urbain, rural), l’instruction (aucune, primaire, secondaire et plus), et le niveau de vie.
25Il existe de nombreux indicateurs de mesure des inégalités sociales ou sanitaires, qui font toujours l’objet de quelques débats méthodologiques dans la littérature sur la santé (Regidor, 2004a ; 2004b). Une distinction importante doit être faite entre les inégalités absolues, qui peuvent être mesurées par exemple par la différence absolue entre le quotient de mortalité infanto-juvénile du groupe le moins favorisé et celui du groupe le plus avantagé, et les inégalités relatives, qui sont mesurées par le biais du rapport entre ces deux quotients. Nous utilisons ici les deux approches, à partir d’indicateurs simples [11].
4 – La qualité relative des données : la prudence est toujours requise
26La qualité des données recueillies dans les enquêtes, les recensements ou par l’état civil est cruciale pour l’exactitude des niveaux, tendances et différences observés. C’est particulièrement vrai pour le décès, un événement tragique, sur lequel on aime peu s’étendre et pour lequel les erreurs de mémoire et de datation peuvent être importantes. Prudence et recul sont toujours requis face à ce type de données, surtout lorsqu’il s’agit d’explorer les inégalités, car la qualité des déclarations peut varier d’un groupe social à un autre.
27À titre illustratif, la figure 2 présente différentes estimations du quotient de mortalité avant 5 ans et du quotient de mortalité entre 15 et 60 ans pour deux pays voisins d’Afrique de l’Ouest : le Nigeria et le Cameroun. Au Nigeria, les enquêtes et recensements conduisent à des estimations très différentes, et pour certaines, peu plausibles, des niveaux et de l’évolution de la mortalité des enfants. En revanche, au Cameroun, les diverses estimations sont nettement plus cohérentes, permettant de dégager une assez bonne image des tendances. Pour obtenir une tendance lissée aussi plausible que possible, les agences des Nations unies partent des estimations provenant des enquêtes et des recensements et en dégagent, à l’aide d’un modèle statistique, des estimations ajustées représentées en figure 2 par un trait en gras [12], ainsi que des intervalles d’incertitudes (Alkema et al., 2014a).
Tendances du risque de décès de 0 à 5 ans (pour 1 000 naissances) et du risque de décès de 15 à 60 ans (pour 1 000 femmes à 15 ans) selon diverses sources au Nigeria et au Cameroun

Tendances du risque de décès de 0 à 5 ans (pour 1 000 naissances) et du risque de décès de 15 à 60 ans (pour 1 000 femmes à 15 ans) selon diverses sources au Nigeria et au Cameroun
28En l’absence d’état civil, l’estimation de la mortalité est plus délicate pour les adultes, comme l’illustre la figure 2. Au Nigeria, les données portant sur les décès survenus dans les ménages enquêtés dans les EDS de 2008 et 2013 procurent des niveaux de mortalité adulte assez élevés, autour de 350 ‰ pour les femmes. Les données recueillies dans les mêmes enquêtes sur la survie des sœurs procurent par contre des niveaux de mortalité nettement plus faibles, autour de 215 ‰ (ce qui cadre mieux avec les estimations provenant de la survie des parents). Quel est finalement le niveau réel de la mortalité adulte au Nigeria ? La Division de la population des Nations unies estime ce niveau à 340 ‰ en 2010, ce qui est difficile à justifier et ne manque pas de susciter quelques controverses (Gerland et al., 2014 ; Kassebaum et al., 2014). Le Cameroun fournit une autre illustration de l’incertitude entourant la mortalité adulte. D’après les données portant sur la survie des mères et des sœurs collectées dans les enquêtes et recensements, la mortalité adulte était proche de 200 ‰ dans les années 1980, avant de remonter jusqu’à environ 300 ‰ au début des années 2000. D’après les Nations unies (2015), la mortalité adulte s’est plutôt maintenue autour de 315 ‰ entre 1970 et 1995, avant d’augmenter jusqu’à 400 ‰ autour de 2003. Les estimations issues des enquêtes et recensements sont certainement entachées d’une sous-déclaration des décès, mais de quelle ampleur ?
II – Les espérances de vie à la naissance : des progrès mais un maintien des inégalités
1 – Vue d’ensemble
29De 1990 à 2015, l’espérance de vie mondiale est passée de 64 à 71 ans, celle des pays à revenu intermédiaire de 63 à 70 ans, et celle des pays à faible revenu de 49 à 61 ans (Nations unies, 2015). Toutes les grandes régions ont connu des hausses sensibles de leurs espérances de vie : l’Afrique subsaharienne progresse de 49 à 58 ans, l’Asie du Sud et centrale de 58 à 68 ans, l’Asie du Sud-Est de 65 à 71 ans, l’Amérique latine de 68 à 75 ans, et l’Asie de l’Est de 70 à 77 ans. Finalement, ces gains absolus assez voisins (de 6 à 8 ans) ne réduisent guère les inégalités entre ces grands espaces géographiques. L’Afrique subsaharienne garde plus de 17 ans de retard sur l’Amérique latine, 10 ans sur l’Asie du Sud ; l’Amérique latine conserve son avance de 3 à 4 ans sur l’Asie du Sud-Est, son retard de 2 à 3 ans sur l’Asie de l’Est. On est loin à ce niveau géographique d’une véritable convergence entre régions.
30La figure 3 présente l’évolution de 1990 à 2015 des espérances de vie (sexes réunis) de 108 pays à revenu faible et intermédiaire [13]. Les pays situés au-dessus de la diagonale ont vu leur espérance de vie progresser, tandis que ceux situés sur la ligne ou au-dessous ont connu une stagnation ou un recul. Plus un pays s’éloigne de cette diagonale, plus les changements en matière d’espérance de vie entre 1990 et 2015 ont été conséquents.
Évolution de 1990 à 2015 de l’espérance de vie à la naissance (sexes réunis) de 108 pays classés selon leur niveau de revenu en 2015

Évolution de 1990 à 2015 de l’espérance de vie à la naissance (sexes réunis) de 108 pays classés selon leur niveau de revenu en 2015
31En dehors d’une dizaine de pays, au-dessous ou très proches de la diagonale, les gains d’espérances de vie sont généralisés, mais de façon très diversifiée : de 2 à 18 ans entre pays extrêmes, le plus souvent 6 à 7 années. Les inégalités entre ces pays étaient très importantes en 1990 (de 37 à 76 ans), elles le demeurent en 2015 (de 49 à 80 ans). Les six pays dans lesquels l’espérance de vie n’a pas évolué ou a baissé entre 1990 et 2015 sont particulièrement touchés depuis 25 ans par le VIH-sida (Afrique du Sud, Lesotho, Swaziland, Zimbabwe, et dans une moindre mesure Côte d’Ivoire), en plus de la Syrie en proie à la guerre depuis 2011.
32Globalement, le niveau de revenu du pays est en relation avec l’espérance de vie (figure 3) : en 1990 comme en 2015, la plupart des pays les plus riches se détachent avec une durée de vie relativement plus élevée, la plupart de ceux du groupe à faible revenu ont les espérances de vie de loin les plus faibles. Mais il y a eu cependant un certain rattrapage : c’est dans les pays les plus pauvres que les progrès sur ces 25 ans ont été les plus rapides, avec des gains moyens annuels de 0,5 an et au total de 12 ans sur la période, contre 0,28 et 7 ans pour les pays à revenu intermédiaire.
2 – Les changements dans les 10 pays sélectionnés
33Pour affiner la chronologie et mettre en évidence la diversité des évolutions des espérances de vie par sexe et par période quinquennale, examinons le cas des 10 pays sélectionnés (figure 4), à partir des données des Nations unies.
34Ces courbes confirment et précisent quelques points :
- L’ampleur des inégalités entre ces dix pays est presque aussi importante aujourd’hui qu’hier, aussi bien pour les hommes que pour les femmes.
- La diversité des tendances est manifeste, du ralentissement des progrès (Chine récemment et Égypte par exemple) à leur linéarité (Bolivie) ou leur accélération à partir des années 2000 (Burkina Faso, Nigeria).
- Les années 2000 apparaissent globalement comme un tournant, surtout à partir de 2005. Les années qui suivent 2005 sont particulièrement favorables aux pays les plus pauvres : on le voit avec l’augmentation des durées de vie moyennes au Burkina Faso et au Nigeria. En moyenne, les gains annuels d’espérance de vie dans ces pays passent de 4,7 mois entre 1990 et 2005 à près de 8 mois entre 2005 et 2015.
- L’impact du sida est considérable dans certains pays : on en a ici une illustration avec l’Afrique du Sud qui perd 10 ans d’espérance de vie entre 1990 et 2005 (de 62 à 52 ans), avant une reprise récente [14].
Évolution de l’espérance de vie à la naissance et gain moyen annuel dans 10 pays, par sexe et par période, de 1990 à 2015

Évolution de l’espérance de vie à la naissance et gain moyen annuel dans 10 pays, par sexe et par période, de 1990 à 2015
Note : Les valeurs à droite de chaque courbe représentent le gain annuel moyen de hausse de l’espérance de vie sur la période 1990-2015.- Les évolutions des espérances de vie sont plutôt favorables aux femmes, avec des gains annuels souvent supérieurs à ceux des hommes.
3 – La contribution des différents groupes d’âges dans les progrès de l’espérance de vie
35Les progrès en matière de mortalité ne sont jamais identiques à tous les âges. Ils varient selon le niveau et les causes de la mortalité, autrement dit selon le stade de la transition épidémiologique atteint par une société à un moment donné (section V). L’analyse démographique permet de décomposer le poids des différents groupes d’âges dans le changement d’espérance de vie au cours du temps (Arriaga, 1984).
36Le tableau 2 présente pour les dix pays la contribution de six grands groupes d’âges aux progrès (absolus) des espérances de vie entre 1990 et 2015, qui, si l’on écarte l’Afrique du Sud (en recul de 4 ans) vont de 6 ans (Indonésie) à 13 ans (Bolivie). Ces gains varient sensiblement entre les pays, sans lien apparent avec le niveau de richesse. Sans surprise, le poids de la baisse de la mortalité aux jeunes âges est d’autant plus important que l’espérance de vie est faible au départ. Au Nigeria comme au Burkina Faso ou en Égypte, le recul de la mortalité avant 5 ans a contribué à plus ou moins 75 % à l’augmentation de la vie moyenne, contre 30 % à 40 % en Chine ou au Brésil qui partaient en 1990 d’une espérance de vie déjà de plus de 65 ans. L’effondrement de l’espérance de vie de plus de 4 années en Afrique du Sud est imputable à l’impact du sida, principalement entre 15 et 50 ans.
Contribution absolue de différents groupes d’âges à la différence des espérances de vie (sexes réunis) entre 1990 et 2015

Contribution absolue de différents groupes d’âges à la différence des espérances de vie (sexes réunis) entre 1990 et 2015
4 – Un avantage féminin désormais universel mais inégal
37Dans l’histoire, les progrès de santé et les reculs de mortalité se sont toujours accompagnés de changements des inégalités entre sexes : on passe progressivement d’une situation où hommes et femmes ont des durées de vie assez voisines à une situation où les femmes prennent un avantage certain sur les hommes, même si celui-ci varie selon les cultures et les régions. Sans entrer dans les détails, rappelons que l’avantage biologique qu’ont les femmes à la naissance [15] les conduit a priori à une espérance de vie supérieure à celle des hommes, mais que cet avantage peut être ensuite réduit par des comportements discriminatoires en matière alimentaire, sanitaire, ou encore par les risques liés à la maternité. Cela peut conduire à une surmortalité féminine à certains âges, que l’on peut qualifier de sociale (Tabutin, 1978). Ce sont l’intensité et l’étendue en termes d’âge de ces surmortalités qui déterminent les écarts d’espérances de vie entre sexes : « La différence de mortalité entre hommes et femmes n’est pas seulement une question de sexe biologique, c’est aussi une question de sexe socialement construit, autrement dit de genre » (Vallin, 2002).
38On observe entre les années 1950 et les années 1980, période des premiers grands reculs de la mortalité dans les pays du Sud, que les espérances de vie ont augmenté plus rapidement chez les femmes que chez les hommes, en particulier dans les pays les plus pauvres, créant un écart de plus en plus favorable aux femmes (Nations unies, 2013).
39En 1990, à ce niveau macrogéographique (tableau 3), l’avantage des femmes est clairement visible dans les pays à revenu faible et intermédiaire, mais plus ou moins important selon les régions (de 1,4 en Asie du Sud à 7,9 années en Europe) ou le niveau de développement (de 2,5 à 4,5 années). Depuis, en dépit de la progression générale des espérances de vie qui aurait dû bénéficier davantage aux femmes (notamment car ces progrès sont liés à la baisse de la mortalité maternelle) et ainsi contribuer à l’augmentation de l’écart entre sexes, la tendance est à la stagnation de cet écart (autour de 6,3 ans en Amérique latine, de 3,9 ans en Afrique du Nord), ou même à son recul (de 3,1 à 2,6 ans en Afrique subsaharienne, de 3,4 à 3,1 ans en Asie de l’Est), en dehors de l’Asie du Sud [16]. Là en particulier, les femmes rattrapent un retard considérable et l’écart avec les hommes se creuse. En 2015, ce sont les régions économiquement les plus pauvres et les plus fragiles sur le plan sanitaire qui présentent les inégalités entre sexes les plus faibles (2,6 ans en Afrique subsaharienne, 3,0 ans en Asie du Sud et centrale).
Évolution des espérances de vie à la naissance (années) par sexe et écarts hommes-femmes, entre 1990 et 2015 selon la région et la catégorie de pays selon le revenu

Évolution des espérances de vie à la naissance (années) par sexe et écarts hommes-femmes, entre 1990 et 2015 selon la région et la catégorie de pays selon le revenu
Note : Les moyennes régionales sont obtenues en pondérant les espérances de vie par les effectifs de population par sexe.La Chine, l’Inde et le Brésil
40La Chine et l’Inde ont été longtemps caractérisées par de fortes surmortalités féminines, par comparaison au Brésil. Ces trois pays sont par ailleurs parmi les mieux documentés [17].
41Au xxe siècle, l’Inde et la Chine, comme d’autres pays en Asie (Vietnam, Pakistan…), au Moyen-Orient ou en Afrique du Nord (Algérie…), ont connu de fortes surmortalités féminines aux âges jeunes et adultes, qui conduisaient à de faibles écarts entre les durées de vie des deux sexes, parfois même à un avantage masculin. Nous l’avons dit, depuis 1990 ils poursuivent à des niveaux différents leurs remarquables progrès en matière d’espérance de vie, même s’ils sont un peu moins rapides que dans les années 1970 et 1980. Depuis 25 ans, les gains féminins y sont nettement supérieurs aux gains masculins (tableau 4) : près de 9 ans pour les femmes contre 6,8 ans pour les hommes en Chine, et respectivement 10 ans et 7,5 ans en Inde. Les Chinoises en sont aujourd’hui à près de 80 ans d’espérance de vie [18], les Indiennes à près de 70 ans.
Évolution de l’espérance de vie à la naissance (années) par sexe des années 1970 aux années 2010 en Chine, en Inde et au Brésil

Évolution de l’espérance de vie à la naissance (années) par sexe des années 1970 aux années 2010 en Chine, en Inde et au Brésil
42Cette rapidité des progrès féminins, survenue dans la plupart des groupes d’âges (Zhao et al., 2016), conduit à une augmentation des différences entre sexes au niveau national (tableau 4) : la Chine passe de 3,7 ans en faveur des femmes vers 1990 à 5,8 ans vers 2015, l’égalité entre sexes en Inde disparaît et l’espérance de vie des femmes dépasse de 3 ans celle des hommes. Néanmoins, ces écarts sont moindres que ceux observés en Europe à une durée de vie équivalente ou en Amérique latine aujourd’hui. L’exemple du Brésil l’illustre clairement : des progressions là aussi très importantes des durées de vie mais de même rythme pour les deux sexes (autour de 8 ans). Dès les 60 ans d’espérance de vie (vers 1975), la différence entre femmes et hommes y atteignait 5,5 ans, soit quasiment celle de la Chine aujourd’hui (76 ans de durée de vie), 40 ans plus tard.
43La comparaison de ces trois grands pays confirme l’avantage que prennent peu à peu les femmes en terme de durées de vie, y compris en Inde, longtemps en retard. Elle montre aussi que les écarts entre sexes à un moment donné ne sont pas directement liés au niveau général de la mortalité. Chaque région, chaque pays même, a son histoire en la matière, qui dépend des progrès sanitaires réalisés mais aussi de l’évolution des normes et cultures régissant les rapports de genre.
44Mais qu’en est-il de ces changements entre sexes lorsqu’on descend à un niveau géographique plus fin ? Toutes les provinces ou régions de ces grands pays vont-elles dans le même sens et au même rythme ? Le cas de l’Inde, bien documenté [19], permet de faire une synthèse sur les changements de la mortalité entre 1970 et 2010 dans 17 États de l’Union. Saikia (2016) met en évidence la diversité des situations et des changements. Il y a 35 ans, en dehors du Kerala et du Maharashtra, tous les États avaient une espérance de vie féminine inférieure à celle des hommes, avec un déficit particulièrement élevé dans l’Est et le Nord. Vers 1990, les situations sont déjà diversifiées et le pays arrive à une égalité de mortalité entre sexes, mais la surmortalité féminine persiste dans près de la moitié des États, notamment en milieu rural jusque vers 2002 (Canudas et al., 2015 ; Saikia et al., 2010). Vers la fin des années 2000, le retournement de tendances est complet : tous les États (sauf un dans le Nord-Est) présentent un avantage de l’espérance de vie féminine. Les progrès sont toutefois variables puisque l’écart en faveur des femmes va en 2008 de 0,7 an au Bihar à 5,4 ans au Kerala. Descendre au niveau des districts accroîtrait bien sûr l’hétérogénéité des situations et mettrait en évidence plusieurs situations de surmortalité féminine.
45Le scénario est un peu différent en Chine puisque, dès 1990, les femmes l’emportent déjà dans toutes les provinces, avec un avantage [20] allant de 2,7 ans en Mongolie intérieure (où l’espérance de vie s’élevait alors à 66 ans) à 4,3 ans à Shanghai (75 ans). Vingt ans plus tard, en 2010, l’écart en faveur des femmes a partout augmenté, sans créer la forte diversité de situations que connaît l’Inde : l’écart le plus important entre provinces va de 3,0 à 5,4 ans. Il semble particulièrement élevé dans les grandes villes en raison de la grande différence entre hommes et femmes des cancers et des maladies circulatoires et respiratoires (Le et al., 2015).
46Quant au Brésil, l’avance des femmes, importante dès 1991 (de 7,7 ans au niveau national), se maintient jusqu’en 2004 (7,6 ans) avant de légèrement se réduire en 2010 (7,1 ans) [21]. Mais ce léger repli au niveau national est le résultat de deux mouvements inverses : un recul dans les régions les plus favorisées et urbaines et une progression dans les 3 plus pauvres. Comme en Chine, l’absence de causes de décès par région ne permet pas de préciser l’origine épidémiologique de ces mouvements contraires.
5 – Des inégalités régionales persistantes
47Très peu de pays du Sud disposent, à plusieurs dates, de tables fiables de mortalité par région ou milieu d’habitat, quasiment aucune à notre connaissance par niveau d’instruction, groupe social ou ethnie, qui permettrait de mesurer assez précisément l’évolution dans un pays des inégalités en matière de durée de vie.
48La Chine, l’Inde et le Brésil disposent de tables régionales. Le tableau 5 reprend les durées de vie officielles régionales disponibles à quelques dates : 1990, 2000 et 2010 pour la Chine et le Brésil, 1997 et 2008 pour l’Inde. Ces vastes pays étant composés d’un grand nombre d’entités administratives de taille considérable (provinces en Chine, États en Inde, Unités au Brésil), nous avons sélectionné 6 entités extrêmes en 1990, les 3 meilleures et les 3 les plus défavorisées en termes d’espérance de vie.
49Les différences régionales entre espérances de vie diminuent entre 1990 et 2010, mais d’assez peu à ce niveau macrogéographique : en Chine et en Inde, ces écarts entre groupes extrêmes passent d’environ 10 ans en 1990 et 2000 à 9 ans en 2010 (tableau 5) [22]. Au Brésil, les différences entre Unités extrêmes étaient de 10 ans en 1991 et tombent à 7,5 ans en 2010. Les régions les plus en retard ont partout progressé, surtout au Brésil, pays pourtant des plus inégalitaires [23].
Évolution des inégalités régionales d’espérance de vie (sexes réunis) depuis 1990, en Chine, en Inde et au Brésil

Évolution des inégalités régionales d’espérance de vie (sexes réunis) depuis 1990, en Chine, en Inde et au Brésil
50Quant aux inégalités entre milieux d’habitat (tableau 5), elles auraient diminué en Inde, passant de 6,1 ans en faveur des villes en 1997 à 4,7 ans en 2007. Cette moyenne au niveau national cache des mouvements divers à un niveau plus fin. Dans les États les plus développés en Inde, où les espérances de vie sont plus élevées, l’avance des villes (données non présentées ici) qui était faible en 1997, aurait augmenté dans les années 2000 : de 1,4 à 3,4 ans au Pendjab, de 2,6 à 4,4 ans au Himachal Pradesh. Seul le Kerala conserve des niveaux de mortalité équivalents entre milieux d’habitat [24]. En revanche, dans les trois États les plus défavorisés, le retard des campagnes, élevé en 1997, s’est légèrement comblé en 2008 : de 9 à 7,8 ans dans l’État d’Assam, de 5,8 à 4,6 ans dans celui d’Odisha. Il est difficile d’en dire plus sans analyse approfondie des contextes urbains et ruraux ainsi que des politiques de santé mises en œuvre dans chacun des États.
51Finalement, les écarts de mortalité entre grandes régions diminuent en Inde, en Chine et au Brésil mais, mesurés à ce niveau géographique, ils masquent une grande variété de situations et d’évolutions à l’échelle infranationale et entre milieux d’habitat.
III – La mortalité des enfants s’est réduite de moitié depuis 1990, mais reste très inégalitaire
52La mortalité des enfants de 0 à 5 ans est de loin la plus documentée dans la littérature et la mieux connue, tant pour la mesure de ses niveaux et tendances que pour ses déterminants, grâce à l’énorme quantité de données collectées auprès des mères depuis 30 ans dans les enquêtes EDS ou MICS [25]. Par ailleurs, elle est toujours considérée comme l’un des meilleurs indicateurs du développement social et des inégalités de santé. Compte tenu de ses niveaux encore élevés dans les années 1990 et 2000, et de son poids dans l’espérance de vie, on lui a accordé beaucoup d’attention dans les programmes d’action. Rappelons enfin que la baisse de la mortalité infanto-juvénile était l’un des objectifs phares des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD 4) [26], comme elle l’est aujourd’hui dans les Objectifs du développement durable pour 2015-2030 [27]. Dans les années 2000 et 2010, elle a fait l’objet de nombreuses publications et de quelques grandes synthèses (Houweling et Kunst, 2010 ; Nations unies, 2013 ; UN IGME, 2015).
53En raison des différences de niveau, des causes de décès et des facteurs de risques entre 0 et 5 ans, nous distinguons la mortalité néonatale (28 premiers jours de vie), la mortalité infantile (à moins d’un an), la mortalité juvénile (entre 1 et 5 ans) et la mortalité infanto-juvénile (de la naissance à 5 ans). Nous commençons par examiner les grandes tendances de 1990 à 2015 au niveau international, avant de nous pencher sur l’évolution des inégalités entre sexes dans le monde, puis sur celle entre groupes sociaux, en particulier dans 6 des 10 pays retenus qui disposent de plusieurs enquêtes EDS.
1 – Des reculs sensibles au niveau mondial en 25 ans
54Le diagnostic est unanime dans les travaux récents : les reculs de la mortalité des enfants de 0 à 5 ans depuis 1990 ont été importants partout, mais continuent de montrer de forts écarts. Le tableau 6, construit à partir des travaux de l’UN IGME (2015), en isolant les pays à revenus faible et intermédiaire, donne une vision globale des changements entre 1990 et 2015.
Évolution des risques de mortalité infantile (0 à 1 an) et infanto-juvénile (0 à 5 ans) de 1990 à 2015, selon la catégorie de pays et la région

Évolution des risques de mortalité infantile (0 à 1 an) et infanto-juvénile (0 à 5 ans) de 1990 à 2015, selon la catégorie de pays et la région
Note : Les moyennes régionales ou par catégorie de revenu sont obtenues en pondérant les quotients de mortalité par les naissances de la même année (WPP 2015).La mortalité dans les 5 premières années de vie
55Elle a partout sensiblement reculé, quel que soit son niveau de départ, dans l’ensemble très élevé en 1990 : reculs de 55 % à 65 % selon le groupe de revenu, de 54 % (Afrique subsaharienne) à 79 % (Asie de l’Est) selon la région (tableau 6). Au niveau mondial, les risques de mortalité et le nombre total de décès avant 5 ans ont été divisés par plus de deux en 25 ans. Dans les 109 pays à revenu faible ou intermédiaire, selon les données de l’UN IGME (2015), 12,5 millions d’enfants sont décédés en 1990 avant leurs 5 ans contre 5,8 millions en 2015. Avec le quasi-contrôle de la mortalité aux jeunes âges dans les pays les plus riches de la planète, 98 % des décès sont maintenant concentrés dans ces pays.
56L’Afrique subsaharienne, qui regroupe la majorité des pays les plus pauvres et où les structures sanitaires sont les plus fragiles, a connu elle aussi des changements conséquents, sachant que les niveaux de départ étaient les plus élevés du monde en 1990 : la mortalité entre 0 et 5 ans y passe de 182 décès pour 1000 naissances en 1990 à 84 ‰ en 2015, la mortalité infantile de 109 ‰ à 57 ‰. Elle reste néanmoins, et de loin, la région la plus à risque pour les enfants : un nouveau-né en Afrique subsaharienne présente 8 fois plus de risques de décéder avant d’avoir atteint l’âge de 5 ans qu’en Chine, et près de 2 fois plus qu’en Inde.
57C’est entre 1 et 5 ans (mortalité juvénile) que les reculs de la mortalité ont été les plus rapides, aux âges les plus réactifs aux progrès comme aux crises socio-sanitaires : de 65 % (Afrique subsaharienne et du Nord) à 84 % (Asie de l’Est) [28]. À moins d’un mois (mortalité néonatale), l’enfant est particulièrement vulnérable et plus résistant aux interventions compte tenu de la nature des risques et du coût des traitements ; les reculs de mortalité y sont donc plus lents et plus hétérogènes (UN IGME, 2015) : une baisse relative de 38 % en Afrique subsaharienne à 81 % en Asie de l’Est, de 45 % dans les pays à faible revenu à 67 % dans ceux à revenu intermédiaire supérieur. Ces différences de rythmes selon l’âge conduisent à une concentration progressive de la mortalité des enfants dans les premiers mois ou semaines de vie. Elle est déjà très avancée en Amérique latine, en Asie de l’Est ou du Sud-Est où la mortalité entre 2 ou 3 mois et 5 ans est désormais très faible.
58Certes, les progrès dans l’ensemble ont été importants, mais ils n’ont pas conduit à une diminution notable des inégalités de 1990 à 2015. Elles auraient même augmenté : entre les groupes de pays selon le revenu (hors pays à haut revenu), le rapport de mortalité à 0-5 ans passe de 3,3 en 1990 à 3,8 en 2015 (tableau 6). Entre régions extrêmes, il passe de 7 à 9,3. Il en est de même pour la mortalité infantile, et encore davantage pour la mortalité juvénile.
59Un point encourageant est l’accélération des changements dans les années 2000, surtout à partir de 2005 (UN IGME, 2015). En moyenne, dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, la mortalité infanto-juvénile a baissé de 4,3 % par an entre 2005 et 2015 contre 3,2 % entre 1990 et 2005. Une vingtaine de pays, dont certains parmi les plus pauvres, ont vu le rythme de baisse de leur mortalité doubler entre ces deux périodes ; c’est le cas notamment du Cambodge, du Kenya, du Sénégal, du Burkina Faso, du Mexique… Cette accélération récente est particulièrement notable en Afrique subsaharienne. Dans les pays fortement affectés par le sida, elle est essentiellement imputable aux programmes de prévention de la transmission du virus du VIH/sida des mères aux enfants, et à la diffusion des traitements antirétroviraux (Ndirangu et al., 2012 ; UNAIDS, 2015). Ailleurs, elle a surtout été portée par la reprise des efforts en faveur de la vaccination, de l’assainissement et de l’amélioration de l’accès à l’eau potable, de l’utilisation des moustiquaires imprégnées pour la lutte contre le paludisme. Par exemple, la couverture vaccinale avec la première dose du vaccin contre la rougeole, un vaccin efficace et peu coûteux, est passée de 57 % en 1990 à 73 % en 2015 en Afrique subsaharienne (Banque mondiale, 2016), une hausse plus rapide que dans les autres régions. L’Afrique subsaharienne a également enregistré des progrès substantiels dans l’accès à l’eau, puisque la proportion de la population utilisant une source d’eau potable améliorée est passée de 47 % à 68 % au cours des 25 dernières années (Banque mondiale, 2016). Finalement, on estime qu’en 2015, 68 % des enfants de moins de cinq ans dormaient sous une moustiquaire imprégnée dans cette région, contre seulement 2 % en 2000 (OMS, 2015b).
2 – De nombreux progrès, mais des inégalités entre pays toujours importantes
60La figure 5 illustre la diversité des évolutions et des situations lorsqu’on change de repère géographique, en descendant au niveau national. Elle présente les niveaux de mortalité (néonatale, infantile, juvénile et infanto-juvénile) des 109 pays en 1990 et 2015, et les rythmes des reculs (les droites en pointillés correspondent à des baisses relatives de – 25 %, – 50 % et – 75 %).
61Il se confirme que la mortalité néonatale (les 28 premiers jours de vie) est en moyenne la plus lente à reculer, un résultat classique dans l’histoire : certains pays, parmi les plus pauvres, sont à moins de 25 % de baisse, de nombreux autres entre 25 % et 50 %. Dans beaucoup de pays, la mortalité néonatale avoisine 15 décès pour 1 000 naissances dans le premier mois, contre 25 ‰ à 30 ‰ il y a 25 ans. C’est là que, du fait du recul de la mortalité des enfants (par contrôle notamment des maladies infectieuses), se concentre une proportion croissante de décès. Dans les 109 pays, la proportion de décès des enfants de moins de cinq ans qui survient au cours du premier mois de la vie est passée de 40 % en 1990 à 45 % en 2015. Plus la mortalité est basse, plus la proportion sera forte : elle va aujourd’hui de 36 % dans les pays à faible revenu à 49 % dans les pays à revenu intermédiaire. La mortalité infantile (figure 5), qui intègre la mortalité entre 0 et 12 mois, présente déjà des rythmes de baisse en moyenne plus importants : peu de pays sont à moins de 25 %, une grande majorité (dont 14 à faible revenu) se situent entre 50 % et 75 %.
Évolution des quotients de mortalité néonatale, infantile, juvénile et infanto-juvénile entre 1990 et 2015 dans les 109 pays à faible et moyen revenu

Évolution des quotients de mortalité néonatale, infantile, juvénile et infanto-juvénile entre 1990 et 2015 dans les 109 pays à faible et moyen revenu
Note : Les droites en pointillés correspondent aux rythmes (%) de déclin entre 1990 et 2015. Les niveaux de la mortalité à moins de 5 ans du Niger et de la Sierra Leone ne sont pas présentés en raison de leur niveau très élevé en 1990 (328 ‰ et 264 ‰). Il en va de même pour la mortalité juvénile du Niger en 1990 (220 ‰).62Globalement, les inégalités entre pays diminuent : une très grande partie sont aujourd’hui entre 10 ‰ et 60 ‰ de mortalité infantile contre 15 ‰ à 150 ‰ en 1990. Une quinzaine de pays seulement (dont l’Afghanistan, la Somalie, le Pakistan et le Congo RDC) demeurent au-delà de 60 ‰. Enfin, c’est bien entre 1 et 5 ans (mortalité juvénile) que les progrès ont été quasiment partout les plus rapides, avec des diminutions de 75 % ou plus dans la plupart des États, hormis quelques situations exceptionnelles liées notamment au sida (Zimbabwe, Centrafrique…). Le Bangladesh, l’Égypte, la Mongolie, par exemple, s’approchent de la situation des pays les plus avancés.
3 – Des évolutions diverses selon les pays depuis 25 ans
63La comparaison des niveaux de la mortalité à deux dates assez lointaines peut masquer la diversité des histoires, les accidents de parcours, les ruptures ou les retournements de tendances. La figure 6 élargit la perspective en retraçant l’évolution de la mortalité des enfants (0-5 ans) dans les 10 pays retenus par année civile.
Évolution annuelle du quotient de mortalité infanto-juvénile dans les 10 pays sélectionnés

Évolution annuelle du quotient de mortalité infanto-juvénile dans les 10 pays sélectionnés
Note : Les valeurs en fin de courbe représentent la diminution (%) de la mortalité entre 1990 et 2015 pour chaque pays.64Cette figure confirme tout d’abord l’ampleur de la mortalité des enfants de 0 à 5 ans à la fin des années 1970 : de 105 décès pour 1 000 naissances (Brésil, Afrique du Sud) à 250 ‰ (Burkina Faso et Afghanistan), si l’on écarte la situation de la Chine (taux déjà faible). Il montre aussi que les progrès réalisés depuis 1990 s’inscrivent dans un processus plus ancien, datant, pour certains pays, des années 1960 et 1970 (estimations non présentées ici). Il précise la diversité des rythmes de changement entre 1990 et 2015 dans ces dix pays (baisse de 50 % au Nigeria et en Afghanistan, de plus de 70 % en Égypte et au Brésil, de 80 % en Chine). Ces progrès ont été d’autant plus rapides que la mortalité était faible en 1990, en écartant l’Afrique du Sud (fortement touchée par le sida). La diversité des situations, bien réelle en 1990, est toujours apparente en 2015, mais à d’autres niveaux : en écartant la Chine, on a un recul des écarts absolus entre pays extrêmes (de 152 à 93 points) mais une augmentation des écarts relatifs avec un rapport entre niveaux extrêmes qui passe de 3,3 à 6,5. On voit aussi la variabilité des tendances : par exemple, le ralentissement des progrès au Burkina Faso à la fin des années 1980 avant leur reprise au début des années 2000, le début tardif de la baisse au Nigeria vers 1995, ou encore les ralentissements sensibles des progrès en Égypte ou au Brésil ces dernières années, après des progrès importants. Il révèle enfin l’impact de catastrophes naturelles (le tsunami de 2004 en Indonésie) ou de crises sanitaires majeures sur la mortalité des enfants (le sida pendant près de 20 ans en Afrique du Sud, en raison de la transmission du virus des mères aux enfants).
65Quant à la question des inégalités de sexe, socioéconomiques et résidentielles en début de vie et de leur évolution, elle est déjà ancienne. Pour examiner ces inégalités en matière de milieu d’habitat, d’instruction des mères et de niveau de vie des ménages, outre l’examen de la littérature, nous avons procédé à une analyse de deux enquêtes EDS espacées d’une quinzaine d’années dans 6 des 10 pays sélectionnés (Bolivie, Burkina Faso, Égypte, Inde, Indonésie et Nigeria).
4 – La surmortalité des petites filles : changements et résistances
66Préoccupation ancienne dans la littérature, les différences de mortalité entre garçons et filles dans la petite enfance [29] dépendent à la fois de facteurs biologiques et socioculturels. Du côté biologique, les faits sont relativement avérés (Vallin, 2002 ; Waldron, 1998) : les garçons sont dans l’ensemble moins résistants et donc plus vulnérables à nombre de maladies congénitales et périnatales [30]. Cela conduit à une surmortalité masculine « biologique » qui s’accentue avec le déclin de la mortalité quand, au fin de la transition épidémiologique, le poids des causes infectieuses et parasitaires diminue au profit des causes périnatales ou congénitales plus défavorables aux garçons. C’est ainsi que, dans le monde, la surmortalité infantile des garçons est quasi générale et augmente.
67En revanche, au-delà d’un an, on est déjà dans une situation plus incertaine. Entre 2 et 5 ans, les garçons, souvent plus libres et à l’extérieur du logement, seraient davantage exposés aux divers risques d’infections et aux accidents [31]. Toutefois, comme on observe aussi des désavantages pour les petites filles à ces âges, on les attribue à des facteurs exogènes, d’ordre environnemental ou socioculturel, que l’on peut résumer par des différences de comportements face à un garçon ou une fille (attention, alimentation, soins préventifs ou curatifs…). Dans un passé encore récent, la surmortalité biologique attendue des garçons laissait souvent place à une surmortalité « sociale » des filles entre 1 et 5 ans. Dans les années 1970 et 1980, environ deux pays en développement sur trois connaissaient une nette surmortalité des petites filles entre 1 et 5 ans, qui parfois même démarrait dans la période post-néonatale, dès les premiers mois de vie (Tabutin et Willems, 1995 ; Nations unies, 1998).
La surmortalité des garçons augmente globalement
68Dans la plupart des travaux de synthèse récents menés au niveau mondial sur cette question (Alkema et al., 2014b ; Nations unies, 2011 ; Sawyer, 2012), il s’agit d’examiner les changements sur les 20 à 30 dernières années, notamment dans les pays et régions en développement, en rassemblant les estimations considérées comme les meilleures sur de nombreux pays. Les inégalités entre sexes aux différents âges (0, 1-4 an et 0-5 ans) sont souvent mesurées par le rapport du quotient de mortalité des garçons à celui des filles, exprimé en pourcentage : au-dessus de 100, il y a surmortalité masculine, au-dessous surmortalité féminine (figure 7). Selon le modèle de Hill et Upchurch (1995) [32], à un niveau de mortalité des garçons de moins de 5 ans de l’ordre de 50 pour 1 000 naissances (atteint aujourd’hui par nombre de pays du Sud), on devrait observer autour de 125 décès de garçons pour 100 décès de filles en l’absence de discriminations (le rapport de la mortalité infantile des garçons sur celle des filles devrait être autour de 128, et ce même rapport pour la mortalité de 1 à 4 ans autour de 117). Ces rapports croissent avec le déclin de la mortalité, en particulier celui des 1-4 ans.
Évolution des quotients de mortalité infanto-juvénile masculine et des rapports de masculinité des quotients, dans 7 pays, de 1990 à 2015

Évolution des quotients de mortalité infanto-juvénile masculine et des rapports de masculinité des quotients, dans 7 pays, de 1990 à 2015
69Les changements sont considérables dans une majorité de pays, mais pas encore universels. En moyenne, sur 83 pays, la surmortalité des garçons de moins de 5 ans augmente, avec un rapport qui passe de 111 dans les années 1970 à 119 dans les années 2000 (Nations unies, 2011). Conformément au modèle de Hill et Upchurch (1995), ce rapport augmente plus vite à 1-4 ans qu’à moins d’un an. Cela dit, si l’on pondère cette moyenne de rapports de mortalité à l’échelle nationale par le nombre de naissances dans chaque pays, la tendance s’inverse : le rapport à moins de 5 ans passe de 103 dans les années 1970 (au lieu de 111) à 99 (au lieu de 119) dans les années 2000, en raison du poids considérable de la Chine et de l’Inde qui, dans cette période, font figure d’exceptions (figure 7).
70La surmortalité des garçons à moins d’un an, qui depuis les années 1990 augmente légèrement ou se maintient, est désormais chose acquise presque partout, à l’exception notable de la Chine dans les années 2000 : en l’écartant, la surmortalité va de 16 % à 24 % dans les grandes régions du monde.
71Dans la plupart des régions (en excluant la Chine et l’Inde), le désavantage des filles à 1-4 ans recule, sans pour autant atteindre ce qu’il devrait être compte tenu des baisses et niveaux atteints de la mortalité : des années 1980 aux années 2000, le rapport moyen régional des quotients de mortalité par sexe à ces âges augmente de 94 à 102 en Afrique du Nord et Asie de l’Ouest, de 103 à 112 en Asie de l’Est et du Sud-Est (de 94 à 101 en y incluant la Chine), de 81 à 99 seulement en Asie du Sud (il chuterait de 77 à 69 en y incluant l’Inde), de 106 à 113 en Amérique latine.
72Là encore, ces moyennes régionales cachent la diversité des situations et des contextes socioculturels nationaux. En dehors peut-être de l’Amérique latine, aucune région dans le monde n’a été ou n’est intégralement épargnée par une préférence pour les garçons conduisant à des comportements défavorables à l’égard des filles ayant un effet sur leur santé. La situation était claire pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, de longue date et quasi intégralement touchés par la surmortalité féminine entre 1 et 5 ans [33], du Maroc à la Turquie, quels que soient la richesse du pays et le niveau de la mortalité (Tabutin et al., 2007). La surmortalité des filles y recule et disparaît en moyenne (Alkema et al., 2014b), mais plus ou moins rapidement selon les pays. Le cas de l’Afrique subsaharienne, vaste région diversifiée, longtemps considérée comme épargnée par une surmortalité des petites filles, n’est pas sans intérêt. Les enquêtes EDS/MICS des années 1980 et 1990 révélaient que la surmortalité des garçons à moins d’un an y était générale, mais que celle des petites filles entre 1 et 5 ans était bien présente (Tabutin et al., 2007). Dans les années 1990 on n’observait aucune géographie précise des inégalités entre garçons et filles, aucune relation avec le degré d’islamisation des sociétés, aucune liaison non plus avec le développement sociosanitaire des pays (Tabutin et al., 2007). Selon Alkema et al. (2014b), la région montrerait en 2012 une très légère surmortalité masculine entre 1 et 5 ans (2 %), sans changement pratiquement depuis 1990.
Les histoires et situations exceptionnelles de l’Inde et de la Chine
73La situation des petites filles sur le plan sociosanitaire est de longue date préoccupante dans un bon nombre de pays asiatiques, du Sud et de l’Est. Leur surmortalité y est la plus élevée du monde, avec dans les années 2000 des rapports de masculinité de la mortalité infantile et juvénile de 90 (90 décès de garçons de moins de 1 an pour 100 décès de filles de même âge) et de 101 en Asie de l’Est et du Sud-Est, de 101 et 64 en Asie du Sud (Nations unies, 2011). Les chiffres d’Alkema et al. (2014b) pour 2012 confirment les fortes surmortalités entre 1 et 5 ans des petites filles en Asie du Sud et le peu de changement depuis 1990 (les rapports ne passent que de 75 à 79). En 2012, elles sont toujours d’actualité au Pakistan et au Népal ; elle n’aurait disparu qu’au Bangladesh. La Chine et l’Inde sont évidemment pour beaucoup dans ces moyennes régionales.
74La Chine, qui comme l’Inde a fait l’objet de nombreux travaux sur la situation de la femme, a sans doute été longtemps l’un des pays les plus inégalitaires en matière de mortalité infanto-juvénile selon le sexe, en particulier en milieu rural (Attané et Barbieri, 2009). Même en ayant atteint des niveaux de mortalité relativement faibles (24 ‰ à moins de 5 ans en 2005), le pays connaissait encore dans les années 2000 une surmortalité de ses petites filles dans les deux premières années de vie (Nations unies, 2011). Fait plus étonnant a priori, la situation s’est dégradée avant un an des années 1970 aux années 2000, alors qu’entre 1 et 5 ans elle s’améliorait quelque peu. Aujourd’hui, vers 2015, au vu des tables de mortalité publiées dans la dernière révision de la Division de la population des Nations unies (2015), cette surmortalité des petites filles aurait disparu ; la Chine en serait même arrivée à une surmortalité des garçons de l’ordre de 11 % à moins d’un an, ainsi qu’entre 1 et 5 ans [34], mais demeurant en-deçà du niveau attendu en l’absence de discrimination (Hill et Upchurch, 1995). Alkema et al. (2014b) arrivent à un résultat voisin pour 2012 (15 %). Ces résultats mériteraient d’être confirmés à partir de données très récentes. Ils ne donnent aucune idée de la variabilité probable des situations dans le pays, entre régions ou milieux d’habitat.
75Bannister (2004), Li et al. (2004), Das Gupta (2009) et récemment Guilmoto (2015), entre autres, proposent des explications à cette discrimination historique vis-à-vis des filles et à la préférence des garçons : la rigidité du système patrilinéaire de parenté, la nécessité d’avoir un garçon pour la survie du lignage et la cérémonie des ancêtres, le fait que, mariée jeune, une fille appartiendra à la famille du conjoint… facteurs dont les effets ont été amplifiés par la politique de l’enfant unique et le contexte récent de privatisation des services de santé, de coût très élevé de l’éducation et d’inégalités socioéconomiques croissantes. Face au problème, le gouvernement chinois a mis en place en 2006 une campagne nationale dénommée « Care for girls » destinée à lutter contre les causes de cette surmortalité féminine et de l’avortement sélectif dont on pourrait voir ici les premiers effets.
76L’Inde, qui depuis longtemps présente une mortalité des enfants beaucoup plus élevée que celle de la Chine (Unicef, 2015) [35], a une histoire un peu différente et bien documentée. Contrairement à la Chine où la surmortalité des petites filles est (ou était) précoce (dans les premiers jours ou semaines de vie), la surmortalité y est plus tardive (apparaissant néanmoins dès la période post-néonatale) et persiste plus longtemps (Nations unies, 2011 ; Sawyer, 2012). Les travaux d’Alkema et al. (2014b) ne détectent quasiment aucun changement entre 1990 et 2012 et estiment la surmortalité des filles entre 1 et 5 ans à près de 30 %. Notre examen des tables officielles de mortalité des années 1995-1999 et 2006-2010, si l’on se fie à leur qualité, confirment cette quasi-absence de changements durant la période : on observe presque une égalité de mortalité entre garçons et filles à moins d’un an, et une surmortalité des filles de l’ordre de 32 % entre 1 et 5 ans (avec, de façon inattendue, peu de différences entre villes et campagnes au niveau national). Mais encore une fois, ces moyennes nationales cachent une diversité de situations par région : les grands États du pays connaissaient une surmortalité féminine en 2008, en particulier ceux des régions du Nord et du Centre-Nord (Arokiasamy, 2007).
77On l’a depuis longtemps attribué, un peu comme en Chine, à la rigidité des structures familiales patrilinéaires présentes dans une grande partie du pays, en particulier dans le Nord, faisant des femmes et des petites filles des subordonnées par rapport aux garçons, sans intérêt financier (elle quittera tôt la famille), sans guère d’autonomie et de pouvoir de décision (Das Gupta, 2009 ; Dyson et Moore, 1983). Cela se traduit par des inégalités en matière d’allaitement, d’alimentation et d’accès aux soins de santé, et une négligence des filles de rang de naissance élevé. Toutefois, à partir de la National Family Health Survey, Kuntla et al. (2014) dégagent les progrès réalisés de 1992 à 2006 : ils confirment que la surmortalité des filles recule même si elle demeure toujours élevée, notamment dans le Nord et le centre du pays.
5 – Les inégalités socioéconomiques et culturelles : progrès et diversité des évolutions
78Ce sont les inégalités sociales en termes de revenu, d’éducation, d’accès aux services de santé, de résidence ou d’environnement, qui conduisent aux différences de comportements des mères et familles, et aux disparités des risques de mortalité des enfants selon le groupe social (Caldwell, 1979 ; Gwatkin, 2000). Différents schémas explicatifs de la santé des enfants ont été proposés pour les pays en développement dans les années 1980 et 1990, après celui de Mosley et Chen (1984), l’un des plus anciens et des plus utilisés (pour une synthèse, voir Masuy-Stroobant, 2002). La plupart distinguent trois niveaux de déterminants ou d’actions : le niveau des politiques sociales et sanitaires ; celui des caractéristiques des individus (biologiques, comportementales et sociales des mères et des enfants), des ménages (ressources, promiscuité, …) ou des communautés (environnement, offre de services, …) ; et le niveau le plus proche de la maladie éventuelle de l’enfant (exposition aux agents infectieux, fragilité et capacité de résistance). Le poids de ces différents déterminants varie dans le temps et dans l’espace. On examine ici l’état des connaissances en matière d’inégalités selon le niveau d’instruction des mères, le niveau de vie du ménage et le milieu d’habitat, les trois facteurs discriminants les plus étudiés [36].
79Pour présenter l’évolution des inégalités, on utilise la mortalité des enfants de moins de 5 ans dans six des dix pays sélectionnés (Bolivie, Burkina Faso, Égypte, Inde, Indonésie et Nigeria) qui disposent de deux enquêtes EDS dans un intervalle de l’ordre d’une quinzaine d’années.
Le rôle ancien et universel de l’instruction des mères
80Tant la santé publique que la démographie reconnaissent depuis longtemps le rôle positif de l’instruction des mères sur la santé et la mortalité des enfants. Dans une étude macrogéographique menée sur 175 pays, Gakidou et al. (2010) vont jusqu’à attribuer 51 % du recul de la mortalité à moins de 5 ans entre 1970 et 2010 aux progrès de l’instruction féminine entre 15 et 50 ans [37].
81Dans toutes les enquêtes et recensements, les inégalités de survie des enfants selon le niveau d’instruction des mères apparaissent clairement : plus les mères sont lettrées, plus la mortalité de leurs enfants est faible. Les risques s’étendent généralement de 1 à 4 entre les mères qui ont atteint un niveau d’instruction post-secondaire et celles qui sont illettrées. Avoir été scolarisée, ne serait-ce qu’au niveau du primaire, conduit déjà presque partout à une meilleure survie des enfants. Ces inégalités sont souvent plus importantes entre 1 et 5 ans, au moins dans les contextes de mortalité élevée. Le rôle de l’instruction varie sans doute d’un pays à un autre [38], d’une période à une autre, mais il est évident quel que soit le niveau de mortalité. La figure 8 illustre bien la situation dans les 6 pays sélectionnés.
82Même s’il peut s’atténuer, le poids de l’instruction demeure après contrôle d’autres variables dans des analyses multivariées. Fuchs et al. (2010) avaient déjà montré que l’instruction des mères comptait plus que le niveau de richesse du ménage dans la réduction de la mortalité des enfants dans les pays en développement. Dans un travail récent mené sur 50 pays à faible et moyen revenu, à partir des enquêtes EDS (2003-2013), Gaigbe-Togbe (2015) réexamine les déterminants de la survie des enfants, en y privilégiant le niveau d’instruction, le niveau de vie et le milieu d’habitat. Il montre qu’après contrôle du niveau de vie, dans la plupart des pays, l’instruction des mères joue toujours un rôle indépendant non négligeable sur les risques de mortalité, qu’elle a un impact d’ampleur différente d’une région du monde à l’autre [39], et que son effet augmente avec le niveau de vie.
Évolution des quotients de mortalité infanto-juvénile entre deux enquêtes EDS dans 6 pays, selon le niveau d’instruction des mères (A), le niveau de vie du ménage (B) et le milieu d’habitat (C)

Évolution des quotients de mortalité infanto-juvénile entre deux enquêtes EDS dans 6 pays, selon le niveau d’instruction des mères (A), le niveau de vie du ménage (B) et le milieu d’habitat (C)
83Mais qu’en est-il de l’évolution de ces inégalités entre niveaux d’instruction depuis les années 1990 ? Où sont survenus les progrès les plus rapides ? Examinons ce qu’il en est dans les 6 pays de la figure 8A et du tableau 7. On y observe une forte diversité des évolutions. En dehors du Nigeria (lents progrès pour tous les groupes), ce sont les mères les moins instruites (sans instruction ou de niveau primaire) et dont la mortalité des enfants était forte dans les années 1990 (autour de 100 ‰ et au-delà), qui ont connu les reculs les plus rapides. C’est le cas notamment de l’Égypte. Partant de niveaux beaucoup plus faibles, la mortalité des enfants de mères de niveau d’instruction supérieur a reculé 2 à 3 fois moins vite [40]. Il y a réduction sans aucun doute des inégalités dans ces pays, mais la présence d’un gradient éducatif est encore très nette.
84L’instruction des mères [41] est en relation étroite avec le statut de la femme, son pouvoir de décision dans le ménage, son ouverture sur l’extérieur, sa capacité de discussion et de négociation avec les services de santé, ses connaissances… (Caldwell, 1979, 1986 ; Cleland et van Ginneken, 1988). Mais son rôle est également lié aux conditions de vie et aux moyens financiers de son ménage.
Rythmes annuels (%) de baisse des quotients de mortalité infanto-juvénile entre deux enquêtes EDS dans 6 pays, selon le niveau d’instruction des mères, le niveau de vie des ménages et le milieu de résidence

Rythmes annuels (%) de baisse des quotients de mortalité infanto-juvénile entre deux enquêtes EDS dans 6 pays, selon le niveau d’instruction des mères, le niveau de vie des ménages et le milieu de résidence
Le niveau de vie : un facteur désormais incontournable
85Sans pour autant négliger l’éducation, la recherche s’est peu à peu tournée dans les années 1990 et 2000 vers le statut économique des ménages, leur niveau de vie, et l’impact de la pauvreté, en tant que déterminants potentiels de la santé des enfants. Pour ce faire, les questionnaires des enquêtes EDS/MICS ont inclus de nouvelles questions permettant de mesurer le bien-être économique d’un ménage, un proxy du niveau de vie. De nouveaux indicateurs ont été développés en l’absence de données sur le revenu ou les dépenses des ménages [42]. Cela permet désormais de mesurer les niveaux et l’évolution des inégalités selon ce que nous appellerons simplement le niveau de vie des ménages.
86Sans surprise, plus un ménage est riche, plus la mortalité des enfants y est faible : la littérature récente est unanime sur ce point. Mais cette inégalité ne résulte pas seulement des différences souvent énormes entre les plus riches et les plus pauvres, elles suivent un gradient social, plus ou moins linéaire, dégressif du quintile le plus pauvre au quintile le plus favorisé (Houweling et al., 2005 ; Houweling et Kunst, 2010). La figure 8B l’illustre pour 6 pays. Comme pour l’impact de l’instruction, les écarts de mortalité de 0 à 5 ans entre quintiles de niveaux de vie sont variables selon l’époque et le pays. Dans les pays les plus pauvres et à forte mortalité, comme le Burkina Faso, les écarts de mortalité sont relativement faibles entre les ménages très pauvres, pauvres et moyennement favorisés ; une véritable sous-mortalité n’apparaît que parmi les élites les plus riches.
87L’analyse des risques de décès au niveau individuel menée par Gaigbe-Togbe (2015) sur 50 pays du Sud confirme pour la période récente le rôle crucial du niveau de vie sur la survie des enfants, après contrôle du niveau d’instruction dans les analyses. Sur les 50 pays, il apparaît peu de différences entre le groupe des très pauvres et celui des pauvres ; l’écart ne se creuse peu à peu qu’ensuite, entre niveaux moyen, riche et surtout très riche. C’est en Amérique latine et en Asie que la relation entre le niveau de richesse des ménages et la mortalité des enfants est la plus forte, c’est en Afrique qu’elle est la plus faible. Par ailleurs, l’auteur montre que le niveau de vie jouerait plus sur la mortalité juvénile que sur la mortalité infantile. Le niveau de vie s’accroît en général avec l’instruction : quand celle-ci est contrôlée dans les modèles, l’effet du niveau de vie sur la mortalité des enfants diminue, il devient même parfois non significatif.
88Quelle a été l’évolution de ces inégalités d’ordre économique depuis 1990 ou 2000 ? Bendavid (2014) a récemment exploré cette question pour la mortalité de 0 à 5 ans dans une analyse, basée sur les résultats cumulés des enquêtes EDS de 54 pays, dont 29 avec deux enquêtes effectuées entre 2002 et 2012. Travaillant avec des terciles de niveau de vie (les moins pauvres, dans la moyenne, les plus pauvres), mais sans contrôle d’autres variables comme l’éducation ou le milieu d’habitat, il confirme le rôle du niveau de vie (ou de la pauvreté) à un moment donné. Il montre surtout que ce sont les groupes les plus pauvres qui ont connu les reculs annuels de mortalité les plus rapides dans les années 2010, de 2,1 % à 4,4 % entre terciles extrêmes (en moyenne sur ces 29 pays). Il conclut globalement à une certaine convergence, tout en notant qu’elle est loin d’être universelle. Les conclusions du rapport récent de l’OMS (OMS, 2015b) sur l’état des inégalités de santé dans 86 pays à faible et moyen revenu vont dans le même sens : on observe une réduction des inégalités économiques de mortalité à moins de 5 ans dans une majorité de pays, mais cette moyenne peut cacher des évolutions divergentes entre pays.
89Dans les 6 pays sélectionnés (figure 8) et sur la quinzaine d’années couvertes en moyenne, les reculs de la mortalité sont substantiels dans tous les groupes sociaux (les quintiles), mais à des rythmes et selon des scénarios différents entre pays. Dans les deux pays les plus défavorisés de l’échantillon (Burkina Faso et Nigeria) mais aussi en Bolivie, c’est dans les classes les plus aisées que la mortalité a baissé le plus vite, 2 à 3 fois plus rapidement que dans les classes pauvres et très pauvres. À l’inverse, celles-ci ont connu des progrès plus rapides en Égypte entre 1995 et 2014, tandis que l’Inde et l’Indonésie montrent peu d’écarts significatifs dans l’évolution de la mortalité par quintile de richesse. En d’autres termes, si l’on s’en tient à ces quelques exemples, aucune tendance d’ensemble ne se dégage, les inégalités de mortalité infanto-juvénile entre niveaux de vie des ménages s’accroissent dans certains pays, en particulier là où la mortalité est la plus forte (Bolivie, Burkina Faso, Nigeria), diminuent dans d’autres (Égypte) ou se maintiennent (Inde, Indonésie).
Le milieu d’habitat : des inégalités entre villes et campagnes persistantes
90Il ressort des nombreuses études menées sur les différences de survie des enfants selon le milieu d’habitat que la mortalité du monde rural a toujours été sensiblement supérieure à celle du monde urbain [43] dans les pays à faible et moyen revenu (Cleland et al., 1992 ; Cleland et Harris, 1998 ; Gould, 1998 ; Günther et Harttgen, 2012 ; Lalou et Legrand, 1996). Les écarts varient bien sûr selon l’époque et les pays, et sont fonction du type et du rythme de l’urbanisation, des caractéristiques socioéconomiques respectives des deux milieux (éducation, niveaux de vie…), ainsi que des politiques sanitaires. Dans une large synthèse de la littérature sur la période 1975-1990, Sastry (1997) montrait que les différentiels de mortalité des enfants par zone de résidence se maintenaient après le contrôle de l’instruction et de diverses caractéristiques des ménages, même s’ils s’atténuaient souvent. Selon nos calculs basés sur les enquêtes EDS les plus récentes (de 2008 à 2014) [44], les surmortalités rurales avant 5 ans dépendent relativement peu du niveau national de la mortalité : elles se situent entre 40 % et 50 % dans des pays aussi différents que le Nigeria, la Bolivie, l’Afghanistan ou l’Égypte, 34 % en Indonésie et au Burkina Faso, 19 % seulement en République populaire du Congo, où les villes comme les campagnes connaissent une forte mortalité. Pour la période néonatale (moins de 28 jours), les écarts rural-urbain sont du même ordre de grandeur, un peu moins élevés néanmoins dans les pays à moindre mortalité des enfants, les mieux équipés en structures et personnels de santé.
91Ces inégalités entre mondes urbain et rural ont dans l’ensemble diminué ces 20 dernières années (Garenne, 2010 ; OMS, 2015b), mais à nouveau de façon variable selon les pays, en fonction des politiques sociales et sanitaires mises en place (en faveur notamment du milieu rural) et des situations socio-économiques des villes [45]. Par exemple, en Égypte, en Inde ou en Indonésie (figure 8C), les rythmes récents de diminution de la mortalité des enfants de moins de 5 ans ont été sensiblement plus élevés en milieu rural qu’en milieu urbain, voisins au Burkina Faso et au Nigeria, nettement inférieurs en Bolivie. Il est donc difficile de généraliser.
92Depuis quelque temps, un débat est ouvert sur la situation et l’avenir du milieu urbain, en particulier des grandes villes ou métropoles, en matière de santé (Brockerhoff et Brennan, 1998). Pour les uns (par exemple, Gould, 1998), plutôt minoritaires aujourd’hui, l’urbanisation rapide devrait conduire à une accélération de la transition de la mortalité ; pour d’autres, cette urbanisation le plus souvent incontrôlée, avec la croissance de l’habitat spontané et de la pauvreté, l’insuffisance des services de santé et environnementaux (contrôle de l’eau, gestion des déchets, pollutions…), conduit à d’énormes inégalités intra-urbaines, à une détérioration des conditions de santé des citadins, pouvant même aboutir à une augmentation de la mortalité en zones urbaines. Le concept de Urban penalty vise à caractériser cette situation de surmortalité urbaine, faisant écho à l’histoire européenne du xixe siècle où les villes industrielles concentraient misère, manque d’hygiène individuelle et collective, absence ou défaillance des services sociosanitaires (sur ces concepts et débats, voir Bocquier et al., 2011 ; Maïga et Bocquier, 2016 ; Ramiro-Fariñas et Oris, 2016).
93Avec la ségrégation sociospatiale en cours dans les grandes villes, et en particulier l’extension des quartiers périphériques et des bidonvilles, les inégalités intra-urbaines sont devenues un thème d’importance pour les programmes d’actions sanitaires au niveau local (Fink et al., 2014). Pour Montgomery (2009), la ville présente globalement un avantage, mais les enfants des ménages les plus pauvres, de plus en plus nombreux, n’y sont pas mieux protégés qu’en zone rurale. Menée sur 45 pays, l’étude de Kyu et al. (2013) montre l’impact important du fait de résider dans un bidonville sur la santé des enfants (notamment le retard de croissance) [46], après le contrôle d’autres caractéristiques du ménage. C’est le cas à Nairobi où la moitié de la population vit dans des bidon-villes, et dans bien d’autres grandes villes du Sud (par exemple, Soura (2009) sur Ouagadougou). L’étude de Günther et Harttgen (2012), menée sur 10 pays africains, aboutit à une surmortalité moyenne des enfants vivant en bidonvilles de 65 % par rapport à ceux qui vivent en habitat formel, concluant aussi que les inégalités de mortalité sont plus grandes à l’intérieur même des villes qu’entre les zones rurales et les bidonvilles. Rappelons toutefois que le monde rural (moins documenté en matière d’inégalités) n’est nulle part un ensemble homogène, et qu’il présente, lui aussi, une diversité de situations.
Inégalités en deçà de la mortalité : vaccinations, malnutrition
94Si la mortalité des enfants a partout sensiblement diminué et si les inégalités spatiales et sociales régressent globalement, qu’en est-il de l’évolution de déterminants proches comme la vaccination et la malnutrition des enfants, deux facteurs à l’origine de ces transitions de la mortalité aux jeunes âges ? [47] Là encore, ce sont sur les enquêtes EDS/MICS que reposent la plupart des études. La littérature sur ces déterminants est abondante, nous nous concentrons sur celles de l’OMS (2015b) et de Rutstein et al. (2016), toutes deux centrées sur l’évolution des inégalités socioéconomiques dans les pays à revenu faible et moyen dans les années 2000.
95La vaccination montre encore des disparités non négligeables. Si l’on considère la vaccination de base complète [48], on observe de grandes différences entre pays : au niveau national, le Burkina Faso passe en 13 ans d’une couverture vaccinale de 44 % à 81 %, l’Égypte se maintient autour de 91 %, le Nigeria ne passe en 10 ans que de 13 % à 25 %. Quant aux différences internes, en moyenne sur 26 pays à faible et moyen revenu (Rutstein et al., 2016), les villes de taille moyenne sont un peu mieux placées que les grandes villes et surtout que le monde rural (taux de couverture respectivement de 58 %, 53 % et 45 %). Contrairement à d’autres variables, la couverture vaccinale varie peu dans les villes selon le niveau de vie ; elle n’est plus vraiment faible qu’en milieu rural parmi les plus pauvres (33 %). Quant aux progrès, ils sont visibles partout. Pour Rutstein et al. (2016), ils touchent un peu plus les villes et les populations les plus aisées dans les trois milieux d’habitat (grandes villes, villes moyennes, milieu rural), tandis que l’OMS, sur un échantillon plus grand et plus hétérogène de 86 pays, conclut à une diminution des écarts entre les plus riches et les plus pauvres dans la majorité des cas (OMS, 2015a). Par ailleurs, quasiment partout, on constate peu de différences de vaccination entre garçons et filles (OMS, 2015a).
96Quant à l’état nutritionnel des enfants, approché tant par les retards de croissance que par le poids ou le degré d’anémie, il est toujours sans surprise clairement associé au milieu d’habitat, au degré de pauvreté des ménages et au niveau d’éducation des mères. L’état nutritionnel est meilleur dans les pays à revenu intermédiaire que dans les pays pauvres (OMS, 2015a) et il est partout positivement associé avec le niveau d’instruction des mères. Les progrès sont évidents dans toutes les couches de la population mais le retard de croissance des enfants reste lié au milieu d’habitat (il est de 2 à 3 fois plus élevé dans les campagnes que dans les grandes villes) et au niveau de pauvreté des ménages (écart de 1 à près de 3 entre aisés et très pauvres, tant dans les villes qu’en milieu rural ; Rutstein et al., 2016). On observe les mêmes inégalités pour l’insuffisance de poids, mais là sans grand changement de la prévalence dans les années 2000. Quant aux niveaux d’anémie, ils sont en moyenne très élevés, dans les villes (42 % des enfants) comme en milieu rural (57 %), augmentant sensiblement des ménages aisés (30 % néanmoins) aux ménages pauvres (39 %) et surtout très pauvres (60 %). Les progrès sont toutefois nets et dans l’ensemble profitent le plus aux populations les plus défavorisées.
97L’ensemble de ces éléments permet d’éclairer les reculs importants de la mortalité des enfants et de mettre en évidence un bon nombre de progrès, mais aussi la persistance de fortes inégalités sociales, économiques et géographiques entre et au sein des pays.
IV – Baisse modérée de la mortalité des adultes
98La mortalité adulte dans les pays du Sud a été longtemps négligée par les démographes, en raison du manque de données, mais également du manque d’exploitation des rares sources disponibles. Actuellement, elle connaît un certain regain d’intérêt à mesure que diminue la mortalité des enfants, en particulier dans le cadre des efforts fournis pour suivre les évolutions de la mortalité maternelle et de la mortalité liée au VIH/sida. Plusieurs tentatives d’estimation de la mortalité des 15-60 ans ont été entreprises pour l’ensemble des pays du monde, telles que celle proposée par Rajaratnam et ses collègues (2010), mises à jour régulièrement dans le cadre de l’enquête Global Burden of Disease (GBD collaborators, 2016). Pour la mortalité maternelle, on se réfèrera aux estimations les plus récentes des différentes agences des Nations unies (Alkema et al., 2016).
99Ces travaux restent toutefois limités aux évènements en deçà de 60 ans, car la mesure de la mortalité aux âges plus élevés est très problématique (Bendavid et al., 2011). La sous-déclaration des décès y est plus fréquente, et les erreurs d’âge sont courantes (Randall et Coast, 2016). En conséquence, les niveaux de mortalité dont on dispose aujourd’hui au-delà de 60 ans pour les pays du Sud sont souvent estimés à partir de modèles de mortalité par âge plutôt que basés sur des données réelles. Ceci signifie qu’une part croissante des décès échappe actuellement à la mesure. En 2015, 55 % des décès survenaient au-delà de 60 ans dans l’ensemble des pays à revenu faible ou intermédiaire, et cette proportion pourrait atteindre 83 % en 2060 (Nations unies, 2015), soit le niveau actuel dans les pays à haut revenu.
100Même en deçà de 60 ans, les analyses portent rarement sur les inégalités face au décès, à nouveau en raison d’un manque de données. À quelques exceptions près, comme les enquêtes Living Standards Measurement Study (LSMS) de la Banque mondiale qui prévoient des questions sur l’emploi exercé et le niveau d’instruction des parents décédés, les renseignements sur les personnes décédées sont rares et se limitent au mieux aux circonstances du décès et à celui des symptômes qui l’ont précédé, afin de mener des analyses par causes. Par contre, l’ethnie et la religion, le niveau d’équipement du logement, la région de résidence et le niveau d’instruction du défunt restent le plus souvent inconnus. Face à cette absence d’informations sur les personnes décédées, certains travaux ont exploré les possibilités et les limites du recours aux informations disponibles sur les personnes enquêtées survivantes (que sont les proches de la personne décédée) afin d’obtenir une idée, même approximative, des inégalités face au décès (De Walque et Filmer, 2011 ; Graham et al., 2004 ; Timæus, 1984). Mais leurs conclusions sont toujours à prendre avec prudence, car les caractéristiques des répondants ne reflètent pas nécessairement celles des personnes décédées.
1 – Des rythmes de baisse très variables selon les régions
Évolutions générales
101Au niveau mondial, la mortalité adulte a diminué presque trois fois moins vite que celle observée chez les enfants entre 1990 et 2015 (tableau 8). Alors que la mortalité infanto-juvénile a baissé à un taux annuel moyen de 3 % sur la période, celui des adultes de 15 à 60 ans s’établit seulement à 1,1 % par an chez les hommes et 1,2 % chez les femmes. Exprimées sous forme de baisses relatives, ces évolutions correspondent à une diminution variant de 19 % (pays à revenu intermédiaire inférieur) à 30 % (intermédiaire supérieur) chez les hommes, et d’environ 30 % chez les femmes, quelle que soit la catégorie de revenu. La diminution moins rapide observée chez les hommes dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure s’explique par de faibles progrès en Indonésie (0,2 % de baisse annuelle par an), au Pakistan (0,8 %), au Nigeria (0,4 %) et aux Philippines (0,2 %).
Évolution des quotients de mortalité entre 15 à 60 ans de 1990 à 2015 par sexe, selon la région et la catégorie de pays selon le revenu

Évolution des quotients de mortalité entre 15 à 60 ans de 1990 à 2015 par sexe, selon la région et la catégorie de pays selon le revenu
Note : Les moyennes par région sont obtenues en pondérant les quotients de mortalité par la population âgée de 15 à 59 ans, elles peuvent donc différer des estimations des WPP 2015.102Dans les pays à revenu élevé, entre 1990 et 2015, la probabilité masculine de décéder entre 15 et 60 ans est à peu près deux fois plus élevée que celle des femmes (tableau 8). Le rapport de masculinité de la mortalité adulte (quotient de mortalité des hommes rapporté au quotient de mortalité des femmes) est plus faible dans les pays pauvres ; il s’établit à 1,2 seulement en 2015 dans les pays à faible revenu. Globalement, le désavantage masculin en matière de mortalité des adultes se creuse légèrement au cours des années, surtout dans les pays à revenu intermédiaire inférieur. Nous reviendrons plus loin sur les déterminants de ces inégalités entre sexes de mortalité aux âges adultes.
103Le tableau 8 met aussi en évidence d’importantes disparités dans les progrès réalisés dans les différentes régions. En 1990, l’Afrique subsaharienne se démarquait des autres zones géographiques par un risque de décès entre 15 et 60 ans qui s’élevait à près de 400 ‰ chez les hommes et 330 ‰ chez les femmes. À l’inverse, l’Asie de l’Est se caractérisait par une mortalité adulte masculine la plus faible parmi l’ensemble des pays à revenu faible et intermédiaire, et une mortalité féminine légèrement supérieure à celle des pays à revenu intermédiaire de l’Europe. Cette moyenne régionale était en fait largement déterminée par la Chine, où la probabilité de décès entre 15 et 60 ans n’était déjà plus que de 155 ‰ en 1990 pour les hommes et 116 ‰ pour les femmes. Dans les autres régions, en 2015, les pays à revenu faible et intermédiaire voyaient la mortalité adulte osciller entre 230 ‰ et 280 ‰ chez les hommes, et entre 110 ‰ et 230 ‰ chez les femmes.
104Au cours des vingt-cinq dernières années, les inégalités entre grands groupes de pays se sont globalement maintenues. Les hommes vivant dans les pays à faible revenu ont une mortalité adulte 2 fois supérieure à celle observée dans les pays à revenu élevé, elle est 3,5 fois supérieure pour les femmes. Les écarts entre grandes régions se sont également accentués, avec des baisses plus rapides en Asie de l’Est, en Asie méridionale et centrale, en Afrique du Nord et en Amérique latine, qui contrastent avec de faibles progrès en Afrique subsaharienne et en Europe. En Asie du Sud-Est (Indonésie, Philippines), les progrès ont été timides chez les hommes, mais deux fois plus rapides chez les femmes. Par conséquent, l’avantage féminin en matière de survie adulte s’est légèrement renforcé dans presque toutes les régions.
105Ces moyennes régionales masquent une relative diversité des évolutions entre 1990 et 2015, qui apparaît dans la figure 9. La plupart des pays ont vu leur mortalité adulte baisser sur la période (au-dessous de la diagonale), à l’exception de la Syrie (pour les hommes) en raison des conflits récents, et de plusieurs pays d’Afrique fortement affectés par l’épidémie du VIH/sida. Quelques pays se distinguent par des progrès particulièrement rapides : l’Iran, le Liban, le Népal, le Maroc, le Cambodge et le Timor oriental ont vu leur mortalité adulte divisée par plus de deux au cours des 25 dernières années.
106La figure 10 présente les évolutions de la probabilité de décéder entre 15 et 60 ans (45q15) de 1990 et 2015 par période quinquennale, pour les 10 pays qui font l’objet ici d’un examen particulier. Les diminutions observées sont régulières, à l’exception des trois pays situés en Afrique subsaharienne, en raison de l’impact du VIH/sida, et de l’Indonésie, sans net progrès depuis une quinzaine d’années [49].
L’impact de l’épidémie du VIH/sida sur les tendances de la mortalité adulte
107Les pays dans lesquels les évolutions de la mortalité adulte ont été les plus troublées au cours des 25 dernières années sont ceux qui ont dû faire face à une importante épidémie du sida. En raison de la transmission principalement sexuelle de l’infection, les décès liés au sida sont majoritairement concentrés chez les adultes. D’après les dernières estimations du Programme commun des Nations unies concernant le VIH/sida (Onusida), sur les 1,1 million de personnes décédées du sida au cours de l’année 2015, 91 % étaient âgées de plus de 15 ans [50].
Évolution des quotients de mortalité entre 15 et 60 ans de 1990 à 2015 (‰) des 108 pays classés selon leur niveau de revenu en 2015, par sexe

Évolution des quotients de mortalité entre 15 et 60 ans de 1990 à 2015 (‰) des 108 pays classés selon leur niveau de revenu en 2015, par sexe
Évolution des risques de décès entre 15 et 60 ans (‰, sexes réunis) dans 10 pays par période quinquennale

Évolution des risques de décès entre 15 et 60 ans (‰, sexes réunis) dans 10 pays par période quinquennale
108Les hausses de mortalité adulte provoquées par l’épidémie sont décelables dès la fin des années 1980 dans plusieurs pays d’Afrique de l’Est, tels que l’Ouganda, la Zambie et le Malawi (Blacker, 2004 ; Timæus et Jasseh, 2004). L’épidémie se développe ensuite et s’étend à d’autres pays, en particulier d’Afrique australe, où la prévalence de l’infection par le VIH atteint les niveaux les plus élevés. Au Zimbabwe, par exemple, jusqu’à 26 % de la population des adultes âgés de 15 à 49 ans étaient infectés par le virus en 1997, selon les données de l’Onusida. En conséquence, la probabilité de décès entre 15 et 60 ans y a triplé, passant selon les niveaux déduits des enquêtes EDS de 21 % chez les hommes en 1985 à 65 % en 2000 (Masquelier et al., 2014a). La prévalence du VIH a depuis baissé dans ce pays pour atteindre 15 % en 2015 [51], la mortalité adulte a diminué aussi (depuis 2005 environ), mais sans revenir aux niveaux que connaissait le pays avant l’épidémie. Le Zimbabwe est l’un des pays où l’épidémie a eu le plus large impact sur la mortalité adulte, en raison d’une prévalence extrêmement élevée (Feeney, 2001). Seuls 7 autres pays, tous situés en Afrique australe ou à proximité [52], ont également atteint une prévalence supérieure à 15 % chez les 15-49 ans. En Afrique du Sud, la prévalence du VIH a augmenté de façon régulière jusqu’à atteindre 21 % en 2004, et ne baisser que très lentement à 19 % en 2015. Aujourd’hui, c’est le pays où vit la plus large population de personnes infectées par le virus, estimée à 7 millions. La mortalité adulte diminuait de façon régulière jusqu’au début des années 1990, avant d’enregistrer une reprise très rapide et dépasser le seuil des 500 décès avant 60 ans pour 1 000 adultes de 15 ans (figure 10). Le fait que l’épidémie ait continué à se développer en Afrique australe jusque dans les années récentes explique que certains pays de la région n’aient toujours pas retrouvé la mortalité adulte qu’ils connaissaient en 1990 (figure 9). En Afrique de l’Est, plusieurs pays ont également dû faire face à des prévalences supérieures à 5 % (Kenya, Mozambique, Ouganda, Rwanda, Tanzanie), mais ils sont parvenus à contrôler leur épidémie plus rapidement. L’Ouganda, par exemple, a atteint sa prévalence maximale dès 1991 (13 %). En conséquence, selon les Nations unies (2015), la probabilité de décéder entre 15 et 60 ans y a baissé de plus d’un tiers depuis 1990. C’est le cas également en Zambie, en Tanzanie, en Éthiopie et au Rwanda. La quasi-totalité des pays ont déjà atteint leur pic de prévalence, mais en Afrique australe, les prévalences se maintiennent à des niveaux élevés. Avec la diffusion des traitements antirétroviraux, une part croissante de la population séropositive peut survivre plus longtemps, ce qui explique en partie ce maintien.
109Bien qu’il cause une proportion moindre de décès en Afrique de l’Ouest et centrale, le sida a aussi perturbé les tendances de la mortalité dans plusieurs pays de ces régions, comme le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Cameroun et le Nigeria. La figure 10 présente le cas du Nigeria et du Burkina Faso. Au Nigeria, environ 3,4 millions de personnes sont aujourd’hui infectées par le virus, ce qui constitue la deuxième population de personnes infectées au monde, après l’Afrique du Sud [53]. La prévalence du virus a atteint 4 % de la population adulte autour de 2001, soit son niveau maximum, et se maintient depuis au-dessus de 3 % (Mahy et al., 2014). La mortalité adulte, telle qu’elle est estimée par les Nations unies pour ce pays, a connu une faible hausse jusqu’à la période 2000-2005, avant de diminuer légèrement. Au Burkina Faso, la prévalence de l’infection parmi les adultes a atteint un maximum de 3,8 % en 1993, et depuis 2012 elle est passée sous le seuil de 1 %. Entre 1998 et 2001, le sida a causé dans le pays plus de 14 000 décès chaque année, soit environ un décès sur 12, alors qu’aujourd’hui il n’en cause plus qu’un sur 50 [54]. Comme dans d’autres pays, une conjonction de facteurs favorables ont permis ce contrôle de l’épidémie, principalement la diminution des comportements sexuels à risque suite aux campagnes de prévention, et la distribution des traitements antirétroviraux qui se sont généralisés à partir de 2005.
110En 2000, seules environ 200 000 personnes infectées par le virus avaient accès à ces traitements dans les pays à moyen ou faible revenu, la plupart hors de l’Afrique subsaharienne (Brésil, Thaïlande). Mais les moyens consacrés aux services à disposition des personnes vivant avec le VIH dans ces pays ont ensuite été quintuplés – passant de 4,8 milliards de dollars en 2000 à 20,2 milliards en 2014 –, grâce notamment à des initiatives internationales telles que le programme PEPFAR [55] (Bendavid et al., 2012) et le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme (UNAIDS, 2015). En 2014, la couverture des traitements antirétroviraux s’élevait à 40 % dans les pays à revenu faible et intermédiaire, soit 13,6 millions de personnes sous traitement. Les dernières recommandations de l’OMS en matière de traitement, datant de 2015, indiquent que toute personne infectée par le VIH devrait commencer un traitement aussi vite que possible après le diagnostic. Dans ce contexte, il est plus que jamais crucial d’assurer un traitement accessible à tous, mais également d’accroître le dépistage. Selon l’Onusida, en 2014, seules 54 % des personnes infectées par le sida savaient qu’elles étaient séropositives (UNAIDS, 2015), et cette connaissance varie selon l’âge, le sexe et le niveau de pauvreté. Une enquête menée au Mozambique a ainsi montré que 61 % des personnes séropositives ignoraient leur statut, et que cette ignorance était plus fréquente parmi les hommes et les personnes appartenant à des ménages relativement pauvres (Dokubo et al., 2014). Ces personnes restent donc à l’écart des services de santé et des traitements qui peuvent leur être proposés, et exposent leurs partenaires à un risque d’infection.
2 – Des inégalités entre sexes aux âges adultes qui s’accroissent
111Traditionnellement, la mortalité adulte est plus faible chez les femmes, en raison de déterminants biologiques (notamment hormonaux), mais surtout de différences sociales et comportementales (alcoolisme, tabagisme, accidents, etc.) (Rogers et al., 2010). L’avantage féminin tend à se renforcer à mesure que la mortalité baisse, car la part des maladies infectieuses et des affections liées à la grossesse diminue, au profit des maladies cardiovasculaires et des cancers qui défavorisent les hommes (Nathanson, 1984). Dans les pays à revenu faible et intermédiaire, les disparités par sexe se sont effectivement légèrement creusées au cours des 25 dernières années, comme le montre la figure 11.
112Cette figure présente les rapports de masculinité (H/F) des quotients de mortalité aux âges adultes, d’après les estimations des Nations unies (2015). On note que l’avantage féminin est nettement moins prononcé dans les pays à faible revenu que dans les deux autres catégories de pays. Sur l’ensemble des pays à faible revenu, le rapport entre la mortalité des hommes et celle des femmes varie en 1990 entre 105 (soit une surmortalité masculine de 5 %) chez les 30-34 ans et 130 chez les 55-59 ans. Ces rapports sont légèrement plus élevés en 2015, mais ils restent à tous âges inférieurs à 140. Dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, les variations dans les rapports de surmortalité masculine sont plus amples, principalement entre 20 et 35 ans, ce qui reflète la plus grande diversité des niveaux de mortalité adulte dans cette catégorie. Parmi les quelques pays qui connaissent des rapports de surmortalité masculine très élevés se trouvent la Syrie, affectée par des conflits, mais aussi la Géorgie, l’Arménie, et deux pays où la mortalité adulte a déjà atteint des niveaux assez bas, le Sri Lanka et le Vietnam (figure 11B). L’Inde présente une configuration atypique (figure 11D), car les femmes font face à une mortalité plus élevée que les hommes au début de l’âge adulte (avant 30 ans en 1990, avant 20 ans en 2015), avant de bénéficier d’une moindre mortalité par la suite. Finalement, dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, le rapport de surmortalité masculine s’établit à des niveaux plus élevés, en moyenne à plus de 180 chez les adultes de 15 à 30 ans, avant de progressivement diminuer avec l’âge pour atteindre à peu près 150 à 55-59 ans. Ces rapports ont légèrement augmenté au cours des 25 dernières années.
113On relèvera également le cas des pays fortement affectés par le VIH/sida, comme l’Afrique du Sud (figure 11D), où les rapports s’écartent sensiblement des valeurs observées dans les autres pays. Les écarts de mortalité par sexe aux âges adultes tendent à se réduire dans les contextes où la mortalité liée au sida est importante (Masquelier et al., 2017. Ce phénomène a notamment été observé à Agincourt, en Afrique du Sud, où la mortalité adulte a augmenté plus vite chez les femmes adultes (Kahn et al., 2007). Ceci s’explique par des risques de contracter le virus qui diffèrent selon le sexe et évoluent à mesure que se développe l’épidémie. Au début, l’infection est plus fréquente parmi les hommes, en raison de comportements sexuels plus à risques tels que le recours à la prostitution. Par la suite, le nombre d’infections féminines surpasse le nombre d’infections masculines, en raison d’écarts d’âge entre partenaires sexuels (qui exposent des femmes plus jeunes à des partenaires plus âgés et donc plus susceptibles d’être déjà infectés) (Gregson et al., 2002) et d’une plus grande vulnérabilité biologique des femmes. À partir d’une vingtaine d’enquêtes nationales ayant collecté des données sur la prévalence du VIH en Afrique subsaharienne après 2001, García-Calleja et ses collègues (2006) estiment que le rapport entre les prévalences féminine et masculine s’établit à 1,5 [56]. Il y a peu de données disponibles sur les évolutions récentes du rapport de masculinité des infections au VIH, et on ne peut donc que spéculer sur ses évolutions futures, notamment sous l’effet des changements comportementaux et de la diffusion des traitements. Au cours des années récentes, la baisse de la mortalité liée au sida semble avoir davantage profité aux femmes, un effet attribué à leur recours plus fréquent aux traitements et aux services de santé destinés aux personnes infectées (Muula et al., 2007 ; Reniers et al., 2014).
Rapports des quotients de mortalité (hommes/femmes) entre 15 et 60 ans, par catégorie de pays et période et pour quelques pays atypiques, en 1990 et 2015

Rapports des quotients de mortalité (hommes/femmes) entre 15 et 60 ans, par catégorie de pays et période et pour quelques pays atypiques, en 1990 et 2015
Note : Pour les figures A, B, C : les boxplots présentent la distribution des valeurs du rapport de masculinité des quotients par groupe d’âges de 15-19 à 55-59 ans. Pour chaque groupe d’âges, le rectangle vertical comprend la moitié des pays. Un quart des pays présentent des valeurs du rapport de masculinité des quotients plus élevées que la limite supérieure de ce rectangle, tandis qu’un autre quart présente des valeurs plus faibles à la limite inférieure. La médiane est représentée par un trait noir à l’intérieur du rectangle. Par convention, les segments en pointillés indiquent la position du point au-delà duquel les observations sont considérées comme extrêmes (représentées par un cercle et éloignées du rectangle d’au moins une fois et demi l’intervalle interquartile).3 – Des inégalités spatiales de mortalité aux âges adultes différentes de celles de la mortalité des enfants
114L’ampleur des travaux relatifs aux inégalités spatiales de mortalité au-dessous de 5 ans dans les pays du Sud contraste avec la pauvreté de la littérature scientifique portant sur les mêmes inégalités aux âges adultes (Belon et al., 2012 ; Günther et Hartten, 2012 ; Khosravi et al., 2007 ; Lankoande et Sié, 2017). Même sans descendre à des niveaux infranationaux très fins, la seule question des écarts de mortalité adulte entre milieux urbains et ruraux est peu documentée. L’hypothèse souvent évoquée est que les adultes en milieu urbain bénéficient, au même titre que les enfants, d’une moindre mortalité en raison de meilleures infrastructures de santé et de conditions de vie plus favorables (nutrition, emploi, instruction, etc. ; Dye, 2008). Or il serait hasardeux de tirer des conclusions au niveau des adultes basées sur le seul examen des inégalités chez les enfants. En effet, la mortalité n’évolue pas toujours au même rythme dans ces deux catégories d’âges, notamment sous l’effet de l’épidémie du VIH/sida. À l’échelle des pays, la mortalité des enfants est devenue un moins bon prédicteur de celle des adultes, et on peut supposer qu’il en va de même entre espaces infra-nationaux. Par ailleurs, la mortalité des enfants reste largement dominée par des maladies infectieuses, tandis qu’une part croissante des décès adultes est causée par des maladies chroniques. Comme les facteurs de risque de ces maladies diffèrent, la géographie de la mortalité des enfants pourrait s’écarter de celle des adultes.
115Une illustration intéressante de ces écarts existe en Inde, où le recours à plusieurs enquêtes et au système SRS (Sample Registration System) rend possible une analyse des inégalités de mortalité adulte au niveau des districts (une unité administrative comptant en moyenne 2 millions d’habitants) (Ram et al., 2015). Cette analyse a mis à jour une différence d’environ 10 ans d’espérance de vie entre les districts à forte mortalité et les autres, écart quasiment aussi important que celui qui existe entre les pays à haut revenu et l’Inde dans son ensemble. Une géographie assez nette se dégage, surtout chez les femmes, qui oppose les districts situés à l’Est de l’Inde (à forte mortalité) aux districts situés à l’Ouest (à faible mortalité). Or cette distinction ne recoupe pas la géographie de la mortalité des enfants, qui sépare plutôt les régions du Nord et celles du Sud.
116Un autre exemple portant cette fois sur les différentiels urbains/ruraux est fourni par l’analyse de Günther et Harttgen (2012) en Afrique subsaharienne. Ces auteurs ont analysé les informations recueillies dans des enquêtes EDS auprès de femmes adultes à propos de la survie de leurs propres frères et sœurs ainsi que de leurs propres enfants, afin d’estimer la mortalité des adultes et celle des enfants. Ils mettent en évidence une surmortalité des adultes dans les zones urbaines, surtout dans les années récentes, contrastant avec la mortalité des enfants qui reste plus élevée dans les zones rurales. Pour les adultes, la propagation des maladies infectieuses dans des milieux urbains densément peuplés et peu aménagés contrebalancerait l’existence de meilleures structures de santé et d’un niveau de vie globalement plus élevé. Cette conclusion est assez surprenante et mérite un examen plus attentif, compte tenu des problèmes méthodologiques associés à la mesure des inégalités à partir d’enquêtes rétrospectives. Par exemple, pour mesurer les différentiels urbain/ruraux de mortalité adulte, ces auteurs ont dû supposer que les frères et sœurs d’une femme qui a vécu toute sa vie en milieu rural y vivaient eux aussi (de même pour les femmes du milieu urbain). Or, selon Lankoande (2016), cette hypothèse expose les auteurs à des erreurs de classification susceptibles d’invalider leur conclusion. À partir du cas du Burkina Faso, l’auteur montre que les données concernant les décès des douze derniers mois sur les orphelins et sur la survie des frères et sœurs, peuvent mener à des conclusions contradictoires quant aux différentiels entre milieu urbain et rural si l’on ne tient pas compte de l’effet des migrations.
117En définitive, en l’absence de systèmes d’état civil complets, il reste difficile de tirer des conclusions sur les inégalités spatiales de mortalité aux âges adultes, même à un niveau aussi général que celui de la distinction entre milieux urbain et rural.
118Là où des données d’état civil peuvent être mobilisées, des inégalités peuvent être plus facilement mises à jour, même si le lieu du décès (et son enregistrement) peut parfois différer du lieu de résidence des défunts, créant une incompatibilité entre numérateurs et dénominateurs dans le calcul des taux. En Afrique du Sud, par exemple, il est nécessaire de procéder à différents ajustements pour analyser la mortalité adulte par province. Dorrington et al. (2004) ont estimé la mortalité des différentes provinces à partir des données d’enregistrement des décès pour la période 1985-1996 et mis en évidence des différences d’espérances de vie de plus de dix ans. Plus récemment, Pillay-van Wyk et ses collègues (2016) ont mis à jour les estimations de mortalité par province en Afrique du Sud pour la période 1997 à 2012, et confirmé la surmortalité de la province de Kwazulu-Natal (dont le taux brut de mortalité standardisé est 1,7 fois supérieur à celui de la province de Western Cape). Ces inégalités spatiales sont en partie déterminées par l’ampleur variable de l’épidémie du VIH/sida.
Inégalités spatiales aux âges adultes dans les pays fortement affectés par le VIH/sida
119L’épidémie du sida a redéfini les inégalités spatiales de mortalité dans les pays à forte prévalence. Il a été reconnu assez tôt que les épidémies n’évoluaient pas nécessairement au même rythme selon les milieux d’habitat, en raison de comportements à risques plus fréquents en ville. Le suivi de ces épidémies, au départ organisé autour des tests de dépistage dans les cliniques de suivi prénatal, s’est donc organisé en distinguant les cliniques rurales et urbaines. L’introduction de tests de dépistage dans les enquêtes en population générale est venue confirmer que la prévalence du VIH/sida était plus élevée en milieu urbain. Par exemple, García-Calleja et ses collègues (2006) ont analysé 20 enquêtes menées en Afrique subsaharienne, et montré que pour la moitié d’entre elles, le rapport urbain/rural de la prévalence était supérieur à 1,7. Plus récemment, il est apparu que dans certains pays, tel que la Namibie, il y avait peu de différences entre milieux d’habitat, alors qu’il existait de larges inégalités entre régions (Mahy et al., 2014). Au cours des années récentes, plusieurs pays, comme le Mozambique ou le Nigeria, ont mis en place un suivi de l’épidémie à l’échelle sous-nationale, mettant à jour une large hétérogénéité spatiale. Dans 12 pays d’Afrique subsaharienne qui disposent de données sur la prévalence du VIH par province, le rapport entre la prévalence la plus élevée et la plus faible est supérieur à 5 (UNAIDS, 2013).
4 – Des inégalités sociales aux âges adultes largement méconnues
120Dans les pays à haut revenu, il existe une littérature abondante attestant d’inégalités de mortalité aux âges adultes, généralement mesurées selon le niveau d’instruction, le revenu et les catégories socioprofessionnelles (Link et Phelan, 1995). De façon quasiment universelle, la mortalité adulte est plus élevée chez les individus disposant d’un moindre niveau d’instruction, de plus faibles revenus et parmi les personnes inactives ou les ouvriers. L’ampleur de ces inégalités varie énormément selon les pays et les variables individuelles prises en compte, et cette variation s’explique par le caractère plus ou moins égalitaire des politiques sociales et économiques mises en place (Kunst et Mackenbach 1994), ainsi que par les différences de tabagisme, de consommation d’alcool et d’accès aux soins de santé (Mackenbach et al., 2008). Les inégalités sociales de mortalité adulte semblent par ailleurs s’être accentuées au cours des décennies récentes (Deboosere et al., 2009 ; Jemal et al., 2008 ; Murphy et al., 2006), surtout pour la mortalité causée par la pratique du tabagisme (Montez et Zajacova, 2013).
121Dans les pays à revenu faible et intermédiaire, il n’existe pas de données permettant de comparer les inégalités de mortalité adulte à l’échelle internationale, ni d’en suivre les évolutions. Quelques études ont été menées au niveau local à partir d’observatoires de population, comme en Éthiopie (Berhane et al., 2002), au Bangladesh (Hurt et al., 2004) ou au Vietnam (Huong et al., 2006). Parmi les études menées au niveau national, on citera notamment celles conduites en Inde (Subramanian et al., 2006), aux Seychelles (Stringhini et al., 2014) et au Brésil (Chiavegatto Filho et al., 2014). Certaines d’entre elles soulignent l’importance de procéder à des ajustements pour tenir compte de la qualité variable des déclarations de décès selon le groupe social. Chiavegatto Filho et al. (2014) en fournissent une illustration pour la mesure des inégalités de mortalité entre « races » (terminologie de la statistique brésilienne) [57]. Au recensement de 2010, sans correction des sous-déclarations et des données manquantes, on aboutit à de faibles écarts entre blancs, métis et noirs (de l’ordre de 2 ans d’espérance de vie au maximum). L’ajustement auquel les auteurs ont procédé conduit à un accroissement considérable de l’écart en faveur des blancs : de 2,9 et 8,5 ans pour les femmes par rapport aux métis et aux noirs, de 5,1 et 9,3 ans pour les hommes.
122La littérature disponible pour le Brésil (Belon et al., 2012 ; Duncan et al., 1995) et l’Inde (Subramanian et al., 2006) suggère que les inégalités sociales de mortalité sont au moins aussi larges dans ces pays que dans ceux à revenu élevé. Elles sont les plus importantes parmi les jeunes adultes et chez les hommes. En Inde, par exemple, l’étude de Subramanian et al. (2006) estimait que les jeunes adultes appartenant au quintile le plus pauvre courraient un risque près de trois fois plus élevé de décéder au cours d’une période de deux ans que ceux du quintile le plus riche. Chez les adultes de 45 à 64 ans, cette surmortalité s’élevait à 1,97 fois plus de risque de décéder et pour les 65 ans et plus à 1,17, écarts qui restent conséquents mais se réduisent à mesure que les adultes avancent en âge. L’ampleur de ces inégalités varie également selon les causes de décès ; les inégalités sont plus larges dans le cas de mortalité associée aux accidents et à la violence, ainsi que pour les décès causés par des troubles liés à l’alcoolisme (cirrhose). Les maladies infectieuses et respiratoires sont également des causes où les inégalités sociales sont creusées.
123Il existe un domaine où l’ampleur et le sens des inégalités sociales de mortalité font l’objet de vifs débats ; celui du VIH/sida. Les conclusions de travaux portant sur les inégalités sociales face au risque d’infection au VIH ne vont pas toujours dans le sens le plus attendu. Par exemple, Fortson (2008) observe dans cinq pays africains que les adultes les plus instruits sont davantage susceptibles d’être infectés par le virus, vraisemblablement parce que l’instruction est positivement associée à la fréquence d’une activité sexuelle avant le mariage. D’autres travaux mettent en évidence une relation négative entre infection au VIH et niveau de richesse (Fox, 2010). Selon Hargreaves et al., (2008), la relation entre infection au VIH et éducation (donc potentiellement le niveau de richesse) est susceptible d’avoir varié dans le temps. Ces auteurs observent que les études publiées sur ce sujet avant 1996 n’ont trouvé aucune association entre ces éléments, comme un plus grand risque d’infection au VIH chez les plus instruits, alors que des études plus récentes montrent l’inverse. Ceci pourrait s’expliquer par le fait que les individus instruits étaient, au début de l’épidémie, plus enclins à avoir des comportements sexuels à risque (Gregson et al., 2001), et que dans la période récente, ils aient mieux réagi aux campagnes en faveur des changements de comportements (Glynn et al., 2004). En conséquence, la relation inverse entre éducation et mortalité pourrait n’être qu’une situation temporaire, typique du début de l’épidémie, suivie ensuite par un retour à de faibles écarts de mortalité en faveur des plus instruits.
5 – Une mortalité maternelle en recul
124Parmi tous les indicateurs de mortalité, celui qui saisit le mieux les inégalités qui subsistent entre les différents pays du monde est sans conteste le rapport de mortalité maternelle (le nombre de décès maternels pour 100 000 naissances vivantes).
125Chaque jour, plus de 800 décès maternels [58] surviennent actuellement dans les pays à faible et moyen revenu, en dépit du fait qu’une large majorité de ces décès est évitable. Les Objectifs du millénaire pour le développement visaient à réduire de trois quarts le rapport de mortalité maternelle entre 1990 et 2015. À l’échelle mondiale, le rapport de mortalité maternelle a baissé de 385 décès pour 100 000 naissances vivantes en 1990 à 216 en 2015 (Alkema et al., 2016). On est donc très loin de l’objectif d’une réduction de 75 %. Seuls neuf pays à faible et moyen revenu sont parvenus à atteindre cette cible ambitieuse [59]. Aujourd’hui, dans le cadre du nouvel agenda post-2015 fixé par les Objectifs de développement durable, l’objectif consiste à faire baisser ce rapport à moins de 70 décès pour 100 000 naissances vivantes avant 2030 au niveau mondial. En raison du manque de données, surtout dans les pays où l’état civil est incomplet, le suivi des progrès dans ce domaine reste basé sur des estimations obtenues en combinant des données d’enquêtes, de recensements et d’autres sources par le biais de modélisations statistiques (Alkema et al., 2016).
126Ces estimations globales indiquent que les inégalités entre groupes de pays se sont réduites, car les déclins les plus rapides ont été observés dans les pays à faible revenu (– 2,8 % par an), suivis des pays à revenu intermédiaire (– 2,6 % par an) contre – 1,6 % dans les pays à revenu élevé. Mais en 2015, le rapport de mortalité maternelle variait encore dans ces pays de 4 décès pour 100 000 naissances en Biélorussie à 1 360 décès en Sierra Leone [60]. En moyenne, il s’élevait à 495 décès maternels pour 100 000 naissances vivantes dans les pays à faible revenu, à 253 décès dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, et à 55 décès dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure. Exprimées sous la forme du risque de décéder de cause maternelle au cours de la vie, ces disparités paraissent décuplées : une femme de 15 ans a un risque sur 41 de décéder de cause maternelle au cours de sa vie dans les pays à faible revenu, contre un sur 220 dans les pays à revenu intermédiaire et un sur 3 300 dans les pays à revenu élevé (OMS, 2016). L’Afrique subsaharienne est la région où ce risque est le plus élevé, évalué à 1 sur 36. Cette région concentre à elle seule deux tiers des décès maternels qui surviennent actuellement chaque année. En 2015, sur l’ensemble de l’Afrique subsaharienne, seuls 2 % de ces décès maternels étaient causés indirectement par le sida, mais cette proportion va jusqu’à 32 % en Afrique du Sud (WHO, Unicef, UNFPA, World Bank, UN Population Division, 2015). Ces décès vont perdre en importance dans les années à venir grâce à l’introduction des traitements antirétroviraux.
127En plus des changements sociaux déjà mentionnés, tels qu’une amélioration de l’éducation des filles, trois évolutions positives ont permis de réduire la mortalité maternelle au cours des 25 dernières années. D’une part, la couverture des soins prénataux s’est globalement accrue. En 2012, dans l’ensemble des pays à revenu faible et intermédiaire, environ 83 % des femmes enceintes avaient pris part à au moins une visite prénatale (Banque mondiale, 2016). D’autre part, l’assistance à l’accouchement par du personnel qualifié s’améliore. Il s’agit d’une intervention cruciale pour réduire la mortalité maternelle, car la plupart des décès maternels surviennent à la naissance ou dans les heures qui suivent. Enfin, l’offre de planification familiale s’est développée.
128En dépit de ces progrès, la couverture des interventions essentielles reste très inégale. L’indicateur de couverture des soins sur lequel les inégalités sont les plus larges – entre ménages riches et pauvres, entre femmes de différents niveaux d’instruction et entre milieux d’habitat – est la proportion de naissances assistées par du personnel de santé qualifié (OMS, 2015b). En moyenne (sur 26 pays), selon Rutstein et al. (2016), 94 % des femmes accouchent en maternité dans les grandes villes, 89 % dans les autres villes et 55 % en milieu rural. Les études s’accordent aussi sur les progrès réalisés, sans doute variables mais réels : partant il est vrai de beaucoup plus haut, c’est chez les femmes les plus pauvres, notamment du milieu rural, que l’accouchement à domicile recule le plus. Au Burkina Faso, il passe en 7 ans de 64 % à 35 % (entre 2003 et 2010), en Égypte de 65 % à 16 % (entre 2000 et 2014). En revanche, au Nigeria, comme dans d’autres domaines, les progrès sont minimes : de 74 % à 68 % (entre 2003 et 2013).
129Le suivi médical prénatal est lui aussi toujours très inégal : relativement bon en moyenne dans les villes du Sud (au-delà de 90 % des grossesses), il l’est nettement moins en zones rurales, en particulier chez les très pauvres (61 %), même s’il y a des progrès depuis 10 à 15 ans. Ceux-ci sont remarquables au Burkina Faso qui passe au niveau national de 73 % à 95 %, ou en Égypte (de 56 % à 90 %), alors que le Nigeria reste à 64 % (Rutstein et al., 2016).
V – Une transition épidémiologique lente et diversifiée selon les groupes sociaux
130Suivre les transitions épidémiologiques en cours dans les pays à faible et moyen revenu et évaluer l’ampleur des inégalités de mortalité par cause reste un exercice délicat, en raison du manque de données sur les maladies ayant entraîné les décès (Mathers et al., 2005). Dans quelques pays, tel que le Brésil, la plupart des décès sont enregistrés à l’état civil et leurs causes sont certifiées par un médecin, ce qui permet d’analyser directement les disparités de mortalité par cause. Une fraction de décès dont la cause est inconnue ou mal codée (18 % entre 2002 et 2004) limite toutefois la portée des conclusions qu’il est possible de tirer des statistiques d’état civil brésiliennes (Franca et al., 2008).
131Dans la plupart des pays, la situation est moins satisfaisante. En Inde, encore aujourd’hui, plus des trois quarts des 9,5 millions de décès qui surviennent chaque année ont lieu à domicile, la plupart sans assistance médicale (Jah et al., 2006). En conséquence, les statistiques issues des structures sanitaires sont peu représentatives de l’ensemble des décès. Les causes de décès sont donc établies sur la base d’autopsies verbales : il s’agit d’entretiens menés auprès des proches des défunts, recueillant par questionnaire des informations sur les conditions du décès et les symptômes de la maladie l’ayant précédé. En Inde, les autopsies verbales occupent une place centrale dans le système d’information sanitaire, depuis qu’une vaste enquête, nommée Million Death Study, est venue compléter le système d’enregistrement de l’état civil par échantillon (SRS) pour fournir des informations sur les maladies entraînant les décès (Bassani et al., 2010 ; Jha et al., 2006). Cette enquête a permis d’estimer par exemple à 205 000 le nombre de décès causés par le paludisme en Inde chaque année, une valeur plus de dix fois supérieure aux estimations de l’OMS (Dhingra et al., 2010). Dans la mesure où cette enquête est représentative au niveau national, elle a également permis de mettre en évidence de très larges disparités de mortalité par cause entre les États. Par exemple, les filles âgées de 1 mois à 5 ans dans les quatre États du Centre [61] connaissent une mortalité due à la pneumonie cinq fois plus élevée que les jeunes garçons du même âge dans les États du Sud du pays [62] (Bassani et al., 2010). À l’inverse, les États du Sud se caractérisent par des taux de mortalité par suicide particulièrement élevés chez les adultes (Patel et al., 2012).
132Les autopsies verbales, qu’elles soient interprétées par des médecins ou analysées à l’aide de modèles statistiques, sont fréquemment utilisées dans les observatoires de population. En Afrique subsaharienne, ils constituent quasiment la seule source de données sur les causes de décès, car mis à part l’Afrique du Sud (Joubert et al., 2013), aucun pays ne dispose de statistiques régulières sur les causes de décès au niveau national. Une analyse récente portant sur 22 observatoires en Asie et en Afrique subsaharienne a mis en évidence l’extrême diversité des profils épidémiologiques de ces différents sites, parfois même au niveau sous-national lorsque plusieurs observatoires existent dans un même pays (Streatfield et al., 2014). Au Kenya par exemple, l’observatoire de Kisumu, situé au bord du lac Victoria, connaît une espérance de vie extrêmement faible (moins de 50 ans) et une répartition des causes de décès dominée par le VIH/sida (Odhiambo et al., 2012), tandis que les résidents du site de Kilifi, situé à 800 km en bordure de l’océan Indien, bénéficient d’une espérance de vie de plus de 70 ans et décèdent majoritairement de maladies cardiovasculaires (Scott et al., 2012). Quelques recensements, tel que celui du Mozambique en 2007, ont été suivis d’enquêtes spécifiques à l’aide d’autopsies verbales, et dans quelques capitales comme à Antananarivo (Madagascar), des données de qualité sont disponibles (Masquelier et al., 2014b). Toutefois, le manque de données reste très important dans cette région.
133Pour pouvoir disposer d’estimations comparables pour tous les pays, la modélisation est nécessaire. Au cours des dernières années, l’étude Global Burden of Disease (GBD) s’est imposée comme la source de référence sur les niveaux de mortalité par cause (GBD collaborators, 2016). Cette équipe internationale a assemblé une très large base de données issues d’enquêtes, de recensements, de données hospitalières et de nombreuses autres sources, afin d’estimer la mortalité et l’incidence des maladies et accidents pour chacun des pays du monde. L’une des motivations de ce projet était que les chercheurs ou organismes spécialisés sur certaines maladies avaient tendance à surestimer le nombre de décès causés par des maladies spécifiques (tuberculose, sida, etc.), ce qui aboutissait, lorsque ces différentes estimations étaient combinées, à un nombre total bien supérieur aux estimations de l’ensemble des décès (produites par exemple par l’OMS). L’étude GBD permet de garantir une cohérence entre estimations par cause et mortalité totale.
134Globalement, les tendances qui se dégagent de cet effort monumental tendent à confirmer les attentes. En effet, la hausse de l’espérance de vie dont ont bénéficié la plupart des pays s’est accompagnée de profonds changements dans la répartition des décès par cause qui reflètent, dans les grandes lignes, le modèle de la « transition épidémiologique » décrit par Abdel Omran (1971, 1998). Ce modèle correspond à une transition sur le long terme entre un régime de forte mortalité où une grande partie des décès sont dus à des maladies infectieuses et un régime de faible mortalité caractérisé par des maladies chroniques et non transmissibles, étroitement liées aux comportements individuels (mauvaise alimentation, alcoolisme, tabagisme…). Entre 1990 et 2015, les pays à revenu faible auraient vu la part des décès attribuables aux maladies transmissibles, nutritionnelles, maternelles et du nouveau-né chuter de 67 % à 52 % (GBD collaborators, 2016) [63]. Dans les pays à revenu intermédiaire, la transition est nettement plus avancée : en 2015, ces maladies ne causaient déjà plus que 29 % des décès dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure et 8 % dans ceux de la tranche supérieure. Pour examiner ces changements en détail, nous pouvons classer les principales causes de décès en 1990 et en 2015, dans les dix pays sélectionnés, à partir des estimations de l’étude GBD 2015 (GBD collaborators, 2016) (tableau 9A et 9B) [64].
135En 1990, la principale catégorie de causes de décès dans six des dix pays regroupe les maladies associées aux diarrhées, aux infections des voies respiratoires inférieures et autres infections (méningite, rougeole…). Dans les quatre autres pays (Afrique du Sud, Brésil, Chine, Égypte), les maladies cardiovasculaires sont déjà en 1990 la première cause de décès (tous âges confondus). Elles ont causé une part croissante des décès au cours des dernières décennies, sauf en Afrique du Sud et au Nigeria, où le VIH/sida et la tuberculose ont gagné en importance (au point de représenter depuis les années 2000 la première catégorie de cause de décès en Afrique du Sud). À l’inverse, alors qu’elles représentaient souvent la première ou la deuxième catégorie de causes de décès en 1990, les maladies diarrhéiques, des voies respiratoires inférieures, et autres infections (méningite, rougeole…) ont reculé quasiment partout dans le classement, sauf au Burkina Faso et au Nigeria, où elles causent encore la plus grande part des décès, car la mortalité des enfants y reste élevée. Dans ces deux pays, le paludisme est par ailleurs toujours bien présent, il constitue la deuxième cause de décès. Globalement, la baisse de la mortalité des enfants se reflète aussi dans le recul des causes associées à la période néonatale. Ces dernières étaient partout parmi les 6 principales catégories de causes de décès en 1990, mais elles ont reculé de plusieurs places dans le classement au cours des 25 dernières années. Ces estimations illustrent aussi l’importance grandissante des cancers, qui passent par exemple en Bolivie du 5e au 2e rang entre 1990 et 2015, du 5e au 3e rang en Indonésie. Le diabète (et les maladies urogénitales, sanguines et endocriniennes) progresse également dans plusieurs des classements établis par pays, et devient la 2e cause de décès en Indonésie, la 4e en Chine et en Inde.
136Globalement, ces changements sont conformes au modèle de la transition épidémiologique, à l’exception notable de l’épidémie du VIH/sida et de la tuberculose qui ont marqué une reprise des maladies transmissibles. Bien que largement débattu, notamment parce qu’il minimise la contribution des interventions médicales et des progrès de la santé publique dans la baisse de la mortalité (Caldwell, 2001 ; Mackenbach, 1994 ; Santosa et al., 2014 ; Vallin et Meslé, 2004), le modèle d’Omran reste donc utile pour donner sens aux changements qui surviennent dans la hiérarchie des causes de décès. Dans sa formulation d’origine, ce modèle laisse toutefois peu de place à la question des inégalités de mortalité. Il repose plutôt sur une idée assez classique de convergence vers des niveaux de mortalité faibles, et une répartition des causes de décès typique des pays à haut revenu. Or les transitions observées dans les pays à revenu faible et intermédiaire ont connu des chronologies et des rythmes différents et, dans certains cas, elles ont sensiblement dévié de la voie prédite par le modèle.
137Plusieurs modèles alternatifs ont donc été proposés, et certains intègrent davantage la question des inégalités. Pour les pays à revenu intermédiaire, Frenk et al. (1989) ont introduit un modèle de transition nommé « prolongé et polarisé » (protracted and polarized), pour décrire une voie différente de celle empruntée par les pays occidentaux. Il est « prolongé » en ce que les différentes étapes ne sont pas organisées de façon séquentielle, mais peuvent se chevaucher pendant une certaine période, ce qui entraîne la coexistence des maladies infectieuses et des carences nutritionnelles avec les maladies non transmissibles. Plusieurs grandes villes d’Afrique subsaharienne, comme Ouagadougou au Burkina Faso, font face à ce « double fardeau » de la maladie (Zeba et al., 2012).
138Des contre-transitions peuvent également se produire, comme on a pu l’observer avec la résurgence du paludisme dans les années 1980 et 1990 en Afrique subsaharienne, en raison de l’apparition de la résistance du parasite à la chloroquine (Trape et al., 1998). L’épidémie du VIH/sida, et plus récemment celle de la fièvre hémorragique Ebola en 2014, constituent d’autres cas de contre-transitions. À partir de données collectées à Agincourt, une zone rurale en Afrique du Sud, Kahn et al. (2007) documentent par exemple une baisse de l’espérance de vie de 12 ans chez les femmes et de 14 ans chez les hommes sur la période 1992-2003 imputable au VIH/sida, et dans le même temps, une hausse de la mortalité due à des maladies non transmissibles chez les adultes. Ces contre-transitions témoignent de la fragilité des progrès sanitaires réalisés dans les pays à revenu faible et intermédiaire, lorsqu’ils sont accomplis surtout grâce aux progrès médicaux, mais sans être nécessairement accompagnés d’une amélioration durable des conditions de vie, ni d’un renforcement des systèmes de santé (Masquelier et al., 2014b).
139Selon Frenk et al. (1989), ce modèle est également « polarisé » car il est associé à un élargissement des inégalités de santé et de mortalité dans certains pays, dans la mesure où la transition s’opère à des rythmes variables entre les sous-populations. D’un côté, les groupes sociaux les moins favorisés de la population font face à une mortalité plus élevée, majoritairement imputable à des maladies infectieuses, tandis que de l’autre, les segments les plus favorisés sont davantage exposés aux maladies non transmissibles. Une compétition des ressources dans le domaine de la santé se joue donc entre les populations. Agyei-Mensah et de Graft Aikins (2010) décrivent bien cette situation à Accra, capitale du Ghana. Ils attribuent ces caractères « prolongé et polarisé » de la transition à trois facteurs essentiels : l’urbanisation rapide (qui pose notamment des problèmes de salubrité), la pauvreté urbaine qui l’accompagne, et l’émergence de nouveaux comportements, notamment alimentaires, qui favorisent l’hypertension, le diabète et l’obésité.
Classement des principales causes de décès en 1990 dans 10 pays (catégories de maladies causant le plus de décès)

Classement des principales causes de décès en 1990 dans 10 pays (catégories de maladies causant le plus de décès)
Lecture : Chaque chiffre correspond au rang de chaque cause de décès, ordonné par pays.Classement des principales causes de décès en 2015 dans 10 pays (catégories de maladies causant le plus de décès)

Classement des principales causes de décès en 2015 dans 10 pays (catégories de maladies causant le plus de décès)
Lecture : Chaque chiffre correspond au rang de chaque cause de décès, ordonné par pays.140Globalement, ce modèle de transition « prolongé et polarisé » semble utile pour décrire les évolutions en cours dans les pays à revenu faible et intermédiaire, mais en raison de l’absence de données détaillées sur les causes de décès à l’échelle nationale, il reste difficile d’évaluer sa pertinence en dehors de quelques études de cas particuliers.
VI – Y a-t-il finalement convergence ou divergence entre pays ? Recul des inégalités dans les pays ?
141« La mort, la maladie et la santé demeurent un champ intemporel et universel d’inégalités » (Tabutin, 1995). Ce que l’auteur écrivait il y a plus de 20 ans demeure d’actualité. Dans les années 1970 et 1980, la plupart des auteurs constataient les premiers reculs notables de la mortalité des enfants dans les pays du Sud, qui pour beaucoup dataient de 1950 et 1960, mais aussi le maintien, sinon l’accroissement des inégalités entre pays ou groupes sociaux dans les pays (Akoto et Tabutin, 1989 ; Cleland et al., 1992). Compte tenu des conditions économiques et sanitaires de l’époque (plans d’ajustement structurel, crise économique, émergence du sida, pauvreté récurrente…), certains en arrivaient même à craindre une accentuation de ces disparités régionales et sociales, tant en Amérique latine qu’en Asie du Sud ou en Afrique.
142Globalement, à une phase de divergence effective entre pays à revenu faible ou intermédiaire dans les années 1990 (due notamment à la crise sanitaire en Russie, dans les pays de l’ex-URSS et au sida ; Moser et al., 2005), succède une phase de convergence à partir de 2005 environ, un rétrécissement des inégalités grâce au contrôle et au traitement du sida chez les adultes, au recul de la mortalité maternelle, à une accentuation notable de l’action internationale et à une efficacité accrue des programmes de lutte contre les maladies infectieuses chez les enfants. Tout cela se fera néanmoins à des rythmes variés, en relation avec les politiques nationales de santé, les progrès de l’instruction et des niveaux de vie des populations. Peut-on rester sur ce constat de convergence globale, repris ou sous-entendu dans nombre de travaux ?
143Des progressions d’espérances de vie sont clairement observées dans les années 1990 (si l’on écarte les pays gravement touchés par le sida), elles s’accélèrent dans les années 2000. La plupart des pays en sont aujourd’hui à des niveaux de mortalité inattendus il y a 15 ou 20 ans, en particulier dans les États les plus pauvres. Les déclins importants ont touché tous les âges, mais surtout les plus jeunes. Ils ont notamment bénéficié aux petites filles et aux femmes, et ont concerné l’ensemble des groupes sociaux (tels que définis grossièrement par les niveaux d’instruction ou de vie, le milieu de résidence) mais à des rythmes néanmoins très variables.
144À ces niveaux inédits de la mortalité, à cette nouvelle étape de la transition épidémiologique dans laquelle sont engagés nombre de pays du Sud, observe-t-on finalement une véritable réduction des inégalités entre régions ou pays, et à l’intérieur des pays ? Certes des progrès incontestables sont évidents quasiment partout, mais peut-on pour autant parler de convergence globale ? N’y a-t-il pas hétérogénéité persistante des situations ? Ces questions sont cruciales pour la définition des priorités d’action tant au niveau national qu’international, telles que définies dans les Objectifs de développement durable (ODD) pour 2015-2030.
145Parler de convergence nous paraît prématuré. En dépit des progrès réalisés, les inégalités sont toujours conséquentes entre ces pays à faible et moyen revenu. Les écarts d’espérances de vie n’ont que légèrement diminué : ils sont encore en moyenne de 13 ans en 2015 entre les pays à revenu intermédiaire supérieur et ceux à faible revenu, de 18 ans entre l’Afrique subsaharienne et l’Asie de l’Est. Entre pays, les inégalités, immenses en 1990 (de 37 à 76 ans entre extrêmes), le demeurent en 2015 (de 49 à 80 ans). Dans les pays, la mortalité des enfants a rapidement reculé dans quasiment l’ensemble des groupes sociaux, au bénéfice souvent (mais pas toujours) des plus déshérités. Le contrôle progressif des maladies infectieuses (par la vaccination notamment) et des maladies diarrhéiques a souvent conduit à un recul des inégalités sociales, mais très variable d’un pays ou d’une société à une autre. L’importante hétérogénéité des situations est encore là. L’histoire montre que les transitions de mortalité empruntent des chemins multiples.
146Qu’en sera-t-il à l’avenir dans des contextes épidémiologiques nouveaux ou émergents, avec le poids croissant des maladies non transmissibles liées aux comportements (alimentation, alcool, tabac…), à l’environnement (pollutions…) ou au vieillissement des populations ? Il est possible de combattre et contrôler ces nouvelles morbidités (cancer, diabète, AVC, accidents, problèmes congénitaux…), mais cela requiert des technologies et structures sanitaires adéquates, une volonté politique évidente, des moyens financiers conséquents. Dans un contexte d’inégalités macroéconomiques croissantes au niveau mondial, de privatisation ici et là des systèmes de santé, de coûts croissants de la vie pour une majorité des populations [65], il est à craindre un maintien, sinon une accentuation des inégalités entre pays ou groupes sociaux dans les pays. Dès 2004, McMichael et al. s’en inquiétaient en ces termes : « Les gains de longévité pourraient être moins réguliers et moins sûrs que ce qu’annonçaient les analyses précédentes de la convergence. Les obstacles à la convergence sont la persistance d’inégalités de santé à la fois au sein des pays et entre eux, reflétant des conditions socioéconomiques et politiques délétères, souvent associées à un accès inégal aux soins, une augmentation des maladies infectieuses, en particulier celles liées à la pauvreté… et les risques sanitaires qui résultent de changements environnementaux à grande échelle causés par l’espèce humaine. » (The Lancet, 2004, p. 1156) [66].
147Plus optimiste mais néanmoins prudente, la Commission internationale sur les déterminants sociaux de la santé, créée à l’initiative de l’OMS, concluait ainsi en 2008 la synthèse de son rapport sur les inégalités de santé (Marmot et al., 2008) : « Est-il possible de combler l’écart en une génération ? Cette question a deux réponses claires. Si nous continuons sur la même lancée, il n’y a aucune chance. S’il y a un véritable désir de changer, une vision pour créer un monde meilleur et plus juste … la réponse est oui. En appelant à combler l’écart en une génération, nous n’imaginons pas que le gradient social en matière de santé au sein des pays, ou les grandes différences entre les pays, seront supprimés en 30 ans. Mais plusieurs éléments montrent qu’une réduction sensible de cet écart est possible… Il s’agit d’un programme à long terme nécessitant des changements majeurs dans les politiques sociales, l’organisation économique et l’action politique. » (The Lancet, 2008, p. 1668) [67].
148Dans son analyse des inégalités de la mortalité des enfants (sur 85 enquêtes et 29 pays) entre 2002 et 2012, Bendavid (2014) confirme globalement une certaine convergence entre niveaux de mortalité dans les pays, mais souligne aussi qu’elle est loin d’être universelle avec une augmentation des inégalités dans près d’un pays sur quatre.
149Dans leur analyse toute récente de la santé et de la pauvreté des enfants dans les grandes villes du Sud (26 pays), Rutstein et al. (2016) confirment l’avantage de vivre en villes et un relatif rétrécissement des inégalités de mortalité en leur sein, mais s’inquiètent par ailleurs de l’importance de la pauvreté et de la croissance de l’extrême pauvreté dans la plupart de ces grandes villes, qui pourraient ralentir ou contrecarrer ces progrès.
150Les constats, finalement plus ou moins optimistes, sont tous prudents dans l’ensemble. Attendons les résultats des enquêtes les plus récentes, des années 2013-2017, pour avoir les éléments d’analyse pour les années 2010 et peut-être les suivantes. La démographie a toujours 5 à 10 ans de retard sur les faits en raison de ses instruments de collecte et de mesure rétrospectifs (points I.2 et I.3).
VII – Incertitudes et insuffisances des connaissances : consolider la recherche sur la mortalité et ses inégalités
151La question des inégalités géographiques et sociales de santé et de mortalité est devenue, d’abord dans les pays développés dès les années 1960 puis plus récemment dans les pays du Sud, un thème de recherche de premier plan, incontournable tant pour la connaissance que pour l’action (Elo, 2009). La problématique est complexe et nécessite rigueur et prudence. Dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, pour la plupart sans état civil suffisamment fiable, la simple mesure des niveaux de la mortalité à partir d’enquêtes ou de recensements n’est jamais sans problème. Celle des inégalités à un moment donné et surtout de leur évolution dans le temps est encore plus délicate, fonction des protocoles d’enquêtes, des erreurs aléatoires et non aléatoires, des indicateurs retenus… La plupart des travaux démographiques restent sur une approche plutôt descriptive des différentiels de mortalité selon quelques variables classiques comme l’instruction, le niveau de bien-être économique ou le milieu d’habitat. Trois points méritent une attention particulière : les sources d’informations, les méthodes (indicateurs, variables), et les axes de recherche à privilégier.
1 – Les sources d’informations
152La plupart des travaux sur les tendances de la mortalité et des inégalités reposent sur les enquêtes de type EDS ou MICS, particulièrement bien adaptées pour l’étude de la mortalité des enfants (estimations directes des niveaux de 0 à 5 ans), déjà beaucoup plus délicates pour la mortalité adulte (estimations à partir de la survie des proches), quasi inutilisables pour une approche fine des disparités géographiques ou sociales en raison, dans la plupart de ces enquêtes, de la relative faiblesse des effectifs.
153Le recensement est trop peu utilisé : il est pourtant le seul qui puisse conduire, si sa qualité est relativement bonne, à une géographie précise des niveaux et inégalités de mortalité, entre provinces ou districts dans le pays, entre quartiers au sein des grandes villes ou entre groupes sociaux clairement définis (par la profession par exemple). Le recensement permet aussi d’inclure dans les analyses « explicatives » des variables communautaires ou contextuelles de divers ordres.
154L’état civil, dans les quelques pays (ou villes) où il est fiable, est lui aussi dans l’ensemble négligé : à un niveau géographique relativement fin, il est pourtant le meilleur instrument pour suivre les évolutions en temps presque réel des causes de mortalité, et aussi connaître quelques caractéristiques des décédés. Il reste souvent insuffisamment exploité, parfois même les données ne sont pas saisies. L’Unicef, depuis une quinzaine d’années, et plus récemment la Banque mondiale avec l’OMS, ont à juste titre appelé à son redéploiement, avec le financement de projets en particulier dans les pays les plus pauvres (Banque mondiale et OMS, 2014).
155L’appui international pour la collecte des données et la recherche sur la santé et la mortalité doit se poursuivre, sinon s’accentuer partout, en particulier dans les pays les plus déshérités où le système statistique est défaillant. Il en va de la responsabilité des gouvernements et des politiques nationales en matière de recherche et d’action publique contre les inégalités.
2 – Questions de méthodes
156Les démographes disposent actuellement pour les pays sans état civil d’une panoplie de techniques de mesure de la mortalité des enfants et des adultes, tant directes qu’indirectes, utilisables dans les enquêtes et les recensements. Chacune a ses avantages et ses limites, et partant d’une même base de données, diverses techniques peuvent conduire à des résultats parfois différents. La recherche a récemment progressé sur cette question sous l’égide notamment des Nations unies (travaux du groupe IGME par exemple), mais également de groupes académiques (IHME avec l’enquête Global Burden of Disease). Mais les progrès sont plus timides à propos de celle, encore plus complexe, des inégalités. Quels outils développer pour en suivre les changements ?
157Quant aux variables différentielles, nous n’oserons pas dire « explicatives », des inégalités, elles restent le plus souvent classiques : milieu d’habitat, niveau d’instruction des mères, et surtout proxy de niveau de vie, basé sur des mesures relatives (quintiles) telles que définies par les enquêtes EDS à partir des biens déclarés par les enquêtés et non des mesures absolues. Dans des contextes de progrès économiques favorables, beaucoup de ménages peuvent en effet connaître une augmentation de leur bien-être économique tout en demeurant dans le même quintile. Par ailleurs, peu de recherches intègrent l’instruction du père, la structure familiale, la situation conjugale… ou encore des variables plus communautaires ou contextuelles (offre de santé, assainissements, approvisionnements en eau et électricité). Ces variables sont essentielles pour mieux comprendre le « comment » du niveau et de l’évolution des inégalités sociales dans un contexte donné.
158En dehors du recensement, qui n’a lieu souvent que tous les 10 ans, comment pourrait-on aussi descendre à des approches géographiquement plus fines de la mortalité, par nature limitées dans les enquêtes à quelques grandes régions ou deux ou trois milieux d’habitat ? La question est d’importance pour l’action et la mise en place de politiques sanitaires plus ciblées mais reste complexe en l’absence d’état civil et de systèmes d’informations sanitaires efficaces et décentralisés. Quant aux observatoires de population, ils ne couvrent qu’une très petite population, souvent relativement homogène.
3 – Quelques autres suggestions de recherche
159Ce bilan amène enfin à suggérer quelques nouvelles pistes de recherche dans le domaine de la mortalité.
160En dépit du vieillissement des populations, la mortalité des plus de 60 ans est jusqu’alors la grande délaissée, les recherches se concentrant sur les enfants et, dans une moindre mesure, sur les adultes. L’envisager est un véritable défi méthodologique car en dehors de quelques pays avec un bon état civil, les systèmes d’informations classiques (enquêtes, recensements) et les méthodes d’estimations afférentes ne touchent pas les populations âgées.
161Il serait utile de procéder dans quelques pays à des méta-analyses comparatives des transitions de mortalité et de santé, les uns ayant connu une réelle convergence, les autres non. Ce type de recherche d’envergure relèverait d’une approche pluridisciplinaire avec l’analyse des politiques sociosanitaires, démographiques, économiques nationales en relation avec la santé et la mortalité, l’étude des déterminants dans les divers groupes sociaux, le rôle de l’action internationale.
162L’accentuation de la recherche sur les milieux de petite et grande pauvreté est urgente, tant dans les villes que dans le monde rural, avec des outils spécifiques, à la fois quantitatifs et qualitatifs. Par exemple, quelles sont les barrières à l’utilisation des services de santé ? Quels sont les freins à la vaccination, au suivi pré ou post-natal, à l’assistance médicale, encore souvent importants ? Ces questions ne sont guère nouvelles, mais elles sont incontournables dans l’approche des inégalités.
163L’approche par le genre mérite d’être renforcée dans l’approche des inégalités. Quel est le degré d’autonomie des femmes pour améliorer leur santé et celle de leurs enfants dans les groupes les plus défavorisés ? Qui décide, qui finance ? Là aussi les études qualitatives peuvent aller au-delà de ce que les données quantitatives permettent déjà.
164Un renforcement notable de la recherche, tant fondamentale qu’appliquée, est indispensable pour définir les politiques et les actions, en assurer une meilleure efficacité et en permettre le suivi dans les années à venir. Ce n’est pas qu’une affaire de démographes, mais ils y ont leur place.
Tableau annexe. Niveaux de mortalité des enfants et des adultes (sexes réunis), mortalité maternelle et espérance de vie (sexes réunis) en 1990 et 2015(a),(b),(c),(d),(e)



Tableau annexe. Niveaux de mortalité des enfants et des adultes (sexes réunis), mortalité maternelle et espérance de vie (sexes réunis) en 1990 et 2015(a),(b),(c),(d),(e)
Notes : (a) Risque pour 1000 naissances vivantes de décéder entre la naissance et l’âge de 1 an, selon les conditions de mortalité d’une année donnée.(b) Risque pour 1000 naissances vivantes de décéder entre la naissance et l’âge de 5 ans, selon les conditions de mortalité d’une année donnée.
(c) Risque pour 1000 personnes à 15 ans de décéder avant d’atteindre l’âge de 60 ans, selon les conditions de mortalité d’une année donnée.
(d) Nombre de décès maternels pour 100 000 naissances vivantes.
(e) Nombre d’années qu’une personne peut espérer vivre si elle est exposée toute sa vie aux conditions de mortalité d’une année donnée.
Notes
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[1]
La classification des pays selon leur revenu est établie par la Banque mondiale (en 2014) : les pays à faible revenu sont ceux dont le revenu national brut (RNB) par habitant (calculé selon la méthode Atlas), était inférieur ou égal à 1 045 $ en 2013 ; les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure sont ceux qui avaient un RNB par habitant compris entre 1 046 $ et 4 125 $ ; les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure disposaient d’un revenu entre 4 126 $ et 12 745 $ ; les pays à revenu élevé disposaient d’un RNB par habitant d’au moins 12 745 $ (classification de 2014, utilisée dans la Révision 2015 des World Population Prospects), https://datahelpdesk.worldbank.org/knowledgebase/articles/906519-world-bank-country-and-lending-groups
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[*]
Centre de recherche en démographie, Université catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve, Belgique.
Correspondance : Dominique Tabutin, Centre de recherche en démographie, Université catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve, Belgique, courriel : dominique.tabutin@uclouvain.be -
[2]
Pour un bilan chiffré des progrès réalisés en matière de mortalité, voir le World Mortality Report de 2013 (Nations unies, 2013).
-
[3]
Les autres objectifs concernaient l’éradication de l’extrême pauvreté et de la faim, l’éducation primaire pour tous, la promotion de l’égalité de genre, la soutenabilité environnementale et la mise en place d’un partenariat mondial pour le développement.
-
[4]
Pour une comparaison approfondie du contenu des deux agendas, voir OMS (2015a).
-
[5]
Outre la faiblesse des effectifs de décès vu leur petite taille, ils sont pour la plupart sans état civil fiable et dans l’ensemble moins bien documentés. Le Kosovo a également été écarté, car les Nations unies n’ont pas produit d’estimations pour ce pays dans la Révision 2015 (voir note 1 pour la classification des pays selon le revenu.
- [6]
-
[7]
Ces chiffres sont à prendre avec prudence, dans la mesure où ils reposent sur des informations transmises à l’OMS par les pays. Pour quelques pays, des analyses détaillées sont disponibles sur la complétude de l’enregistrement et sur la qualité des causes de décès. Leurs résultats peuvent différer des estimations de l’OMS (Franca et al., 2008).
-
[8]
Demographic and Health Surveys (DHS) en anglais.
-
[9]
Au total, plus de 300 enquêtes EDS dans 90 pays depuis 1982 ; 285 enquêtes MICS dans 108 pays depuis 1995.
-
[10]
L’espérance de vie à la naissance est le nombre moyen d’années qu’un individu pourrait espérer vivre si, tout au long de sa vie, il était exposé aux risques de mortalité par âge de l’année ou de la période considérée.
-
[11]
Il existe en effet d’autres indicateurs beaucoup plus sophistiqués, requérant souvent des données qui ne sont pas partout disponibles.
-
[12]
Cette ligne correspond aux estimations finales du groupe UN IGME. Ces dernières sont obtenues en combinant les niveaux de mortalité déduits des différentes enquêtes et recensements, à partir d’un modèle statistique qui tient compte des erreurs d’échantillonnage et des erreurs non aléatoires dans les différentes sources de données (Alkema et al., 2014a).
-
[13]
Comme les Nations unies présentent les données par période quinquennale, nous avons fait la moyenne des périodes 1985-1990 et 1990-1995 pour obtenir 1990, et des périodes 2010-2015 et 2015-2020 (projections) pour 2015. Tous les autres indices de mortalité centrés sur 1990 et 2015 ont été calculés sur le même principe (Nations unies, 2015). Nous avons ici exclu le Rwanda des 109 pays retenus au départ en raison de la faiblesse de son espérance de vie en 1990-1995 (23 ans) due au génocide de 1994, et de la difficulté d’estimer la mortalité pour l’année 1990 en interpolant de cette façon.
-
[14]
Voir Tabutin et Schoumaker (2004) pour des données historiques plus complètes sur la mortalité en Afrique subsaharienne.
-
[15]
Pour en savoir davantage sur l’origine de cet avantage biologique féminin, voir par exemple Waldron (1998) ou Vallin (2002) ; avantage dont on ne peut précisément mesurer tous les facteurs.
-
[16]
Les estimations de mortalité par sexe de la Division de la population des Nations unies, sont à considérer avec prudence car elles sont construites à partir de modèles et d’hypothèses en l’absence fréquente de données de qualité, comme le signalent Attané et Barbieri à propos de l’Asie de l’Est (2009).
-
[17]
Ces trois pays disposent de séries de tables officielles de mortalité par sexe et région, parfois par milieux d’habitat, considérées comme relativement fiables. Ce n’est pas le cas de l’Indonésie, dont les statistiques de mortalité générale sont de qualité très incertaine, nécessitant corrections et appel à des modèles (Soemantri et Afifa, 2016).
-
[18]
À titre de comparaison, en 2015, les femmes des État-Unis en sont à 82,2 ans, les Belges à 83,2 ans, les Françaises à 85 ans et les Japonaises à 87,3 ans (record mondial).
-
[19]
La relative bonne qualité des données sur la mortalité que fournit le SRS (Sample Registration System), depuis 1969-1970, permet la construction de tables complètes de mortalité par milieu d’habitat et par sexe pour chacun des grands États du pays.
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[20]
Les calculs sont effectués à partir des tables officielles publiées par le Central Bureau of Statistics of China dans son Annuaire statistique de 2013.
-
[21]
Calculs à partir de données de base (non présentées ici) issues de Oliveira et al. (2005) et de l’IBGE (2010).
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[22]
En revanche, sans surprise, les inégalités de mortalité s’accroissent partout à un niveau géographique plus fin : par exemple en Chine, les différences extrêmes entre préfectures atteignent 23 ans en 2000, au lieu de 10-11 ans au niveau provincial (Guilmoto, 2016).
-
[23]
Même si les inégalités semblent s’être réduites depuis 20 ans, le Brésil reste avec l’Afrique du Sud le pays le plus inégalitaire en matière socioéconomique parmi les 5 pays du groupe BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) (Mujica et al., 2014).
-
[24]
Une situation exceptionnelle dans le monde contemporain. Le Kerala est depuis longtemps en avance sur les plans social, éducatif et sanitaire.
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[25]
Ajoutons quelques programmes régionaux spécifiques au monde arabe, dont le contenu est assez proche des EDS en matière de santé et mortalité des enfants : PAPCHILD (Pan Arab Project for Child Development, 10 pays, 1989-1996), PAPFAM (Pan Arab Project for Family Health, 7 pays, années 2000), deux programmes successifs pour les 6 pays du Golfe entre 1989 et 1998.
-
[26]
Baisse projetée de deux tiers entre 1990 et 2015. Seuls 24 pays à revenu faible ou intermédiaire de la catégorie inférieure ont atteint cette cible.
-
[27]
La cible est cette fois de faire baisser la mortalité néonatale dans tous les pays sous le seuil de 12 décès pour 1 000 naissances et la mortalité des enfants de moins de cinq ans sous le seuil de 25 décès pour 1 000 naissances.
-
[28]
Données non présentées ici mais que l’on peut calculer à partir des quotients de mortalité 0-5 ans et infantile figurant dans le tableau 6.
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[29]
Compte tenu des données disponibles dans ces pays (le plus souvent d’enquêtes), nous nous en tenons aux 0-5 ans, comme dans la plupart des travaux. Dans leur exploration historique (1750-1930) sur les pays occidentaux, Tabutin et Willems (1995) avaient pu balayer l’enfance et l’adolescence, de 0 à 20 ans.
-
[30]
Traumatismes et asphyxies à la naissance, prématurité, maladies congénitales, infections respiratoires et intestinales, entre autres.
-
[31]
Par ailleurs, à ces âges, les filles perdent un peu de leur avantage face à certaines infections, comme la rougeole (Garenne et Lafon, 1998).
-
[32]
Modèle construit à partir de données occidentales.
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[33]
Qui dans cette région, comme souvent dans d’autres, se prolonge au-delà de 5 ans.
-
[34]
Nous n’avons pu avoir accès aux tables de mortalité que le Bureau central de statistiques chinois a construites à partir du recensement de 2010 pour publier les espérances de vie par sexe.
-
[35]
Les différences entre ces deux pays ont même augmenté de 1990 à 2015, le rapport des quotients de mortalité à 0-5 ans de l’Inde et de la Chine est passé de 2,3 à 4,2.
-
[36]
Nous nous en tenons ici aux inégalités internes aux pays, entre sous-populations. Nous évitons les débats d’ordre plutôt économique, menés à un niveau international, sur les poids respectifs de l’augmentation de l’instruction, du développement économique, de la gouvernance politique ou des priorités budgétaires, dans les reculs de la mortalité des enfants. Voir par exemple Houweling et al. (2005), Schell et al. (2007), Hajizadeh et al. (2014).
-
[37]
Une estimation assez voisine de celle avancée dès la fin des années 1980 par Cleland et van Ginneken (1988).
-
[38]
Parfois même entre pays qui en sont à une étape identique de la transition épidémiologique.
-
[39]
Le passage de l’illettrisme au niveau primaire jouerait moins en Afrique qu’en Asie ou en Amérique latine.
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[40]
Il y aurait même une hausse tout à fait étonnante de leur mortalité en Indonésie, et plus légèrement au Nigeria.
-
[41]
Peu d’études malheureusement envisagent le rôle de l’instruction des pères, combinée à celle des mères, voir les travaux de Macassa et al. (2003) sur le Mozambique.
-
[42]
La plupart des enquêtes sociodémographiques ne posent aucune question sur les revenus ou dépenses des ménages. Les EDS/MICS permettent d’estimer un « indicateur de bien-être économique », construit à partir de divers biens possédés par le ménage et de quelques caractéristiques du logement (électricité, eau, matériaux) et d’une analyse factorielle. Le score total pour le ménage est attribué à chaque membre résident et l’échantillon est divisé en quintiles de population, de 1 (le plus bas) à 5 (le plus élevé).
-
[43]
En 2015, 51 % de la population des pays à revenu moyen vit en zones urbaines, contre 31 % dans les pays à revenu faible.
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[44]
Les estimations issues des EDS peuvent être consultées sur le site http://www.statcompiler.com/fr/.
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[45]
Certains pays montrent des écarts faibles, en particulier les pays touchés par le VIH/sida : par exemple, la Zambie (EDS 2007), le Malawi (EDS 2010), le Zimbabwe (EDS 2010).
-
[46]
En 2010, plus de 800 millions de personnes dans les pays en développement (33 % de la population urbaine) vivaient dans un habitat informel ou un bidonville.
-
[47]
D’autres facteurs ne seront pas abordés ici : la fécondité des mères, les intervalles de naissance entre enfants, la prématurité ou le poids à la naissance de l’enfant.
-
[48]
Définie dans les enquêtes EDS et mesurée sur les enfants de 12 à 23 mois, comme étant à la fois le BCG, le DPT, la polio, et la première dose du vaccin contre la rougeole.
-
[49]
Une observation confirmée pour ce pays par les enquêtes EDS mais pour laquelle nous n’avons pas trouvé d’éléments d’explication.
-
[50]
Sc : AIDSInfo (UNAIDS), http://aidsinfo.unaids.org/, consultée le 21/11/2016
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[51]
Sc : AIDSInfo (UNAIDS) http://aidsinfo.unaids.org/, consultée le 21/11/2016.
-
[52]
Zambie, Malawi, Namibie, Afrique du Sud, Lesotho, Botswana, Swaziland.
-
[53]
National Agency for the Control of AIDS (NACA), GLOBAL AIDS RESPONSE - Country Progress Report Nigeria GARPR 2015, http://www.unaids.org/sites/default/files/country/documents/NGA_narrative_report_2015.pdf
-
[54]
Sc : AIDSInfo (UNAIDS), http://aidsinfo.unaids.org/, consultée le 21/11/2016
-
[55]
United States President’s Emergency Plan for AIDS Relief, le plus grand programme d’appui bilatéral consacré à une seule maladie, lancé par le Président G. Bush en 2003.
-
[56]
Ceci se vérifie sur l’ensemble des enquêtes EDS compilées dans l’outil Statcompiler http://www.statcompiler.com/fr/, consultée en novembre 2016.
-
[57]
On peut avoir le même problème avec le niveau de vie, le niveau d’éducation, le milieu d’habitat.
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[58]
Les décès maternels sont les décès de femmes survenus pendant la grossesse ou dans les 42 jours suivant la fin de sa grossesse, indépendamment de la durée et du lieu de la grossesse. Leur cause est liée ou aggravée par la grossesse ou sa prise en charge, mais pas de nature accidentelle ou fortuite.
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[59]
Le Bhoutan, le Cambodge, le Cap-Vert, l’Iran, le Laos, les Maldives, la Mongolie, le Rwanda et le Timor oriental.
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[60]
Le taux le plus bas dans le monde était en 2015 de 3 décès pour 100 000 naissances en Finlande.
-
[61]
Rajasthan, Uttar Pradesh, Madhya Pradesh et Chhattisgarh.
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[62]
Andhra Pradesh, Karnataka, Tamil Nadu et Kerala.
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[63]
La répartition des causes de décès peut être explorée pour chacun des pays du monde via l’outil GBD compare, https://vizhub.healthdata.org/gbd-compare/
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[64]
Ces estimations établies pour l’ensemble des pays du monde doivent être considérées avec prudence, car dans bien des cas, elles sont basées sur des données peu nombreuses et incertaines (Jha, 2014).
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[65]
Sans parler des guerres, conflits ou risques environnementaux majeurs.
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[66]
« Gains in longevity could be less smooth and less certain than earlier notions of convergence suggested. The impediments to convergence include : persistence of health gradients both within and among countries, reflecting deleterious socioeconomic and political conditions, often with unequal access to health-care, increases in various infectious diseases, especially those associated with poverty… and the health risks consequent on large-scale environmental changes caused by human pressures »
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[67]
« Is closing the gap in a generation possible ? This question has two clear answers. If we continue as we are, there is no chance at all. If there is a genuine desire to change, if there is a vision to create a better and fairer world… the answer is yes. In calling to close the gap in a generation, we do not imagine that the social gradient in health within countries, or the great differences between countries, will be abolished in 30 years. But the evidence encourages us that significant closing of the gap is indeed achievable… This is a long term agenda, requiring major changes in social policies, economic arrangements and political action. »